Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Ode : Pâtre grossier


ODE.


1812.


Pâtre grossier ! crains la vengeance
Du Dieu qui garde mon enclos.
Quoi ! de ces plants à peine éclos
Tes mains flétrissent l’espérance !
Fuis, ou le Dieu trop irrité,
De cette verge qu’il balance,
Va punir ta témérité.

Cérès à nos aïeux sauvages
A-t-elle en vain donné des lois ?
Jadis elle assurait nos droits
En séparant nos héritages ;
Et les pacifiques mortels,
Sur la borne exempte d’outrages,
De Terme encensaient les autels.

En montrant ces pierres sacrées,
Terme écartait de son chemin
Les brigands à l’avide main,
Et la chèvre aux dents acérées ;

Il gardait Flore aux dons naissants,
Vertumne aux couleurs bigarrées,
Bacchus aux pampres jaunissants.

Ô changement ! ô brigandage !
Les champs partout sont violés.
La Dryade aux bras mutilés
Déplore son antique ombrage ;
Et, par des chants pleins de douceur,
Philomèle, au fond du bocage,
N’a pu désarmer le chasseur.

Où sont les poétiques fables
Qui sous l’arbre enfermaient des Dieux
Et par un culte ingénieux
Rendaient les bois inviolables ?
Le brigand, saisi de remord,
En frappant des troncs vénérables,
D’Erisichton craignait le sort.

Vante-nous, moderne Sagesse,
Les abus par toi corrigés ;
Quand tu détruis nos préjugés,
Nos mœurs s’abrutissent sans cesse.
Grands précepteurs des nations,
De vos lois que peut la faiblesse ?
Ah ! rendez-nous les fictions !


Courbevoie.