Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Sur la Destruction du Château de Colombe


ODE

SUR LA DESTRUCTION

DU CHÂTEAU DE COLOMBE


Ô chûte ! ô perte irréparable !
J’entends gémir Colombe en deuil :
Tu tombes, Château vénérable
Qui de nos champs étais l’orgueil !
Lorsque, fier de son opulence,
Le mois qui nait sous la Balance
Des soleils hâte le déclin,
Lorsqu’au jour la nuit est égale,
Quittant sa robe rectorale,
Ici vivait le bon Rollin.

Dès l’aurore, en ces bois rustiques,
Il méditait en liberté,
Feuilletant des tomes antiques
Épars sans ordre à son côté ;
Près d’Homère, et non loin d’Horace,
Plutarque avait toujours sa place

Entre ses livres favoris,
Et sa laborieuse adresse
Des fleurs de Rome et de la Grèce
Formait le miel de ses écrits.

D’Asfeld et lui dans cette plaine,
Occupés de graves discours,
Cherchaient les rires où la Seine
Vers le couchant poursuit son cours ;
Là, du creux d’une étroite voie
Qui se recourbe et se reploie
Jusqu’à ces flots, d’îles semés,
Dans leur course ils venaient peut-être
Errer près du manoir champêtre
Dont mes dieux Lares sont charmés.

Sage Rollin ! dans ces prairies,
Sur ces bords que tu vins fouler,
Jusqu’à moi de tes mœurs chéries
Le parfum semble s’exhaler.
Je goûte aussi la solitude,
La paix du cœur, la douce étude,
Les vieux auteurs grecs et romains ;
Oh ! que ne puis-je, à la jeunesse,
Et du goût et de la sagesse
Enseigner aussi les chemins !


Du moins, par un dernier hommage,
Je veux, dans la maison des champs,
M’environner de ton image
Et de tes exemples touchants ;
Hélas ! sous la hache odieuse,
Cette retraite studieuse
A donc perdu ses frais abris !
Ta mémoire en est effacée,
Et seul, ici, de ta pensée
Je m’entretiens sur leurs débris.

Malheur à la horde sauvage.
Qui, dans nos champs et nos cités,
Le fer en main, court, et ravage
Nos monuments les plus vantés !
Vous n’êtes plus, lieux romanesques,
Fiers créneaux, ponts chevaleresques,
Magiques tours, vastes forêts !
Qu’a-t-on fait des pieux asiles,
Où Bruno, de moissons fertiles
Couvrit les rocs et les marais ?

Aux murs croulants des basiliques,
Et des palais et des châteaux,
Les arts demandent les reliques
De leurs chefs-d’œuvre les plus beaux ;
On brise les urnes funèbres ;
La France de ses morts célèbres

Cherche en vain le reste ignoré ;
Et notre oubli, comme un blasphème,
Les vient frapper dans le lieu même
Que leurs vertus ont honoré.