Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Notes de la deuxième Épître

NOTES


DE LA DEUXIÈME ÉPÎTRE.




Connais-toi : laisse à Dieu les secrets qu’il veut taire.


Cette peinture de l’homme a de l’éclat et de la rapidité. Tous les moralistes ont répété ces idées jusqu’au dégoût. Pope et Pascal se sont approprié ce lieu commun par les beautés qu’ils ont su y répandre. Racine fils reste bien au-dessous d’eux :

Ver impur de la terre, et roi de l’univers,
Riche et vide de biens, libre et chargé de fers,
Je ne suis que mensonge, erreur, incertitude,
Et de la vérité je fais ma seule étude.


J’aurais dû peut-être ajouter Racine fils, dans le Discours préliminaire, aux poëtes que j’ai comparés à l’auteur de l’Essai sur l’Homme. Le plan du poëme de la Religion est sage, mais triste : la diction en est souvent élégante, et, dans sa faiblesse même, elle conserve de la douceur et de la pureté. Si Racine fils mérite beaucoup d’éloges comme versificateur, il manque aussi des qualités qui font le grand poëte, la verve et l’imagination ; il n’a point aperçu toutes les ressources de son sujet, qui, malgré sa sévérité, pouvait lui fournir de riches tableaux. On ne trouve pas moins dans son ouvrage des détails précieux par le style. Les beautés même sont nombreuses dans les deux premiers chants, qui contiennent les preuves de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme : on croit entendre plus d’une fois les sons affaiblis de cette harmonie céleste qui nous charme dans les vers d’Esther et d’Athalie.

Va, cours avec Platon ou ses disciples vains.


Il semble que Pope, en parlant des disciples de Platon, ait voulu désigner Malebranche, quoiqu’il ne l’ait pas nommé, comme je l’ai fait. Le presque divin Malebranche, a dit M. de Buffon, est le simulacre de Platon en philosophie. La métaphysique de l’auteur de la Recherche de la Vérité est sans doute pleine d’erreurs ; mais ces erreurs sont brillantes : d’ailleurs le quatrième volume renferme des vérités importantes. Les philosophes de nos jours ont souvent copié cet ouvrage, sans le citer une seule fois. Ce qui doit surtout rendre Malebranche précieux aux gens de lettres, c’est son style, qui réunit à la fois la concision et la clarté, l’éclat et le naturel. Malebranche est plein d’imagination, et cependant il ne prodigue point les figures ; il évite également l’abus des métaphores ou celui des termes abstraits. Il est peu de nos écrivains en prose qui ne tombent aujourd’hui dans l’un ou l’autre de ces excès.

Lorsque les habitants des palais éternels.


Voltaire a précisément retourné cette image dans sa belle épître sur la philosophie de Newton :

Confidents du Très-Haut, Substances éternelles,
Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes
Le trône où votre Maitre est assis parmi vous,
Parlez ! du grand Newton n’étiez-vous point jaloux ?


On admire avec raison dans cette épître plusieurs traits de poésie descriptive, d’une expression plus neuve et plus hardie que ne l’est ordinairement celle de Voltaire dans les ouvrages du genre noble.

L’homme de deux pouvoirs suit la force contraire.


Plus on relit ce parallèle de la raison et de l’amour-propre, plus on s’étonne que la poésie ait embelli une philosophie aussi profonde.

Elle change de nom et devient la vertu, etc.


Cette définition de la simple probité et de la vertu me parait sublime : ces six vers contiennent plus d’idées que des volumes entiers de morale.

Le morceau suivant est un de ceux où l’abbé du Resnel s’est le plus élevé :

Que le stoïcien, se croyant insensible,
Travaille follement à se rendre impassible ;
Que sa fausse vertu, sans force et sans chaleur,
Reste sans action concentrée en son cœur.
Loin qu’un trouble naissant l’épouvante et l’arrête,
Elle met à profit une utile tempête.
La vie est une mer, où, sans cesse agités,
Par de rapides flots nous sommes emportés.
La raison, que du ciel nous eûmes en partage,
Devient notre boussole au milieu de l’orage ;
Et son flambeau divin, prompt à nous éclairer,
À travers les écueils peut seul nous rassurer ;
Mais de nos passions les mouvements contraires,
Sur ce vaste océan sont des vents nécessaires.
Dieu lui-même, Dieu sort de son profond repos ;
Il monte sur les vents, il marche sur les flots.


Ces vers, hormis les quatre premiers, qui sont faibles et prosaïques, ont de l’élégance et de l’harmonie : ils sont fort supérieurs au style ordinaire de l’abbé du Resnel. Ces vers, et quelques autres répandus dans le reste de sa traduction, pourraient persuader, comme on l’a cru quelquefois, que Voltaire a fait, en se jouant, tout ce qu’on y remarque d’estimable.

Seul dévore l’essaim des serpents de Memphis.


La passion dominante, comparée au serpent d’Aaron, offre, au premier coup d’œil, une image un peu bizarre ; mais cette image a de l’éclat et de l’énergie.

Cédons à la nature ! elle seule est certaine, etc.


Il ne faut pas croire que Pope se contredise, parce qu’il vient de peindre plus haut les dangers de la passion dominante. Cette passion est tour à tour utile ou funeste ; elle produit les vertus ou les vices : la raison doit l’éclairer, mais non pas la détruire.

Vois ce dur sauvageon, surpris d’être dompté, etc.


Que cette figure juste et naturelle jette un éclat heureux sur la profondeur des idées ! L’imagination du poëte se réveille avec art d’intervalle en intervalle, pour ranimer l’attention du lecteur, que pourrait un peu fatiguer la marche du philosophe.

La même ambition fonde ou perd les États, etc.


Voltaire, en développant ces idées, les a fort embellies. C’est ainsi qu’il fait parler Cicéron dans Rome sauvée :

Apprends à distinguer l’ambitieux du traître.
S’il n’est pas vertueux, ma voix le force à l’être.

Un courage indompté, dans le cœur des mortels,
Fait, ou les grands héros, ou les grands criminels.
Qui du crime à la terre a donné des exemples,
S’il eût aimé la gloire, eût mérité des temples.
Catilina lui-même, à tant d’horreurs instruit,
Eût été Scipion, si je l’avais conduit.
Je réponds de César ; il est l’appui de Rome :
J’y vois plus d’un Sylla ; mais j’y vois un grand homme.


Demande le vrai point que regarde le Nord.


On sent, dans cette comparaison, toute l’originalité du génie anglais. Si on ne traduit pas ces sortes de traits avec exactitude, le poëte étranger perd son caractère.

Quel juste quelquefois ne rougit de lui-même.


C’est ainsi que Voltaire a dit dans le poëme de la Loi naturelle :

On fuit le bien qu’on aime ; on hait le mal qu’on fait.
De lui-même, en tout temps, quel cœur est satisfait ?


Et lorsque, pas à pas, amenant le dégoût,
L’âge et la vérité nous détrompent de tout.


Le sens de ce passage est très profond, et peut n’être pas saisi au premier coup d’œil. Les sentiments les plus doux de l’homme, tels que l’amour et l’amitié, naissent du besoin qu’il a des autres, de sa faiblesse qui ne lui permet pas de se suffire à lui-même. Jeune, il se livre à toutes les illusions qui viennent remplir son âme, sans en voir la vanité : mais dans l’âge mûr, quand il apprécie les honteux motifs, les misères, les dégoûts qui se mêlent aux passions les plus chères, il les méprise, il les abandonne sans peine. La même cause nous attache à la vie et nous en détache.

J’ai fait quelques légers changements à l’original, vers la fin de cette épître : j’ai réuni les vers sur l’espérance, qui étaient dispersés mal à propos en deux endroits différents ; enfin, j’ai supprimé ce vers,

In folly’s cup still laughs the bubble, joy ;


« La joie, semblable à une bulle d’eau, rit dans la coupe de la folie. »


J’ai cherché des images claires et plus analogues à notre goût, sans trop m’éloigner de celui des écrivains anglais.

On n’a point cité tout ce qui, dans cette épître, est imité de Pascal : le volume de ses Pensées est si connu, qu’on y renvoie le lecteur. Je n’ai point voulu charger cet ouvrage d’un trop grand nombre de notes, malgré la mode.