Œuvres complètes (Crémazie)/Lettres 11

À sa mère.


Paris, 13 septembre 1870.
Ma bonne mère,

Je me porte parfaitement bien, mieux, hélas ! que la pauvre France, qui n’a peut-être jamais traversé une crise aussi horrible que celle qui vient de fondre sur elle. Je crois qu’elle sortira de cette douloureuse épreuve, mais ce sera au prix des sacrifices les plus durs et les plus pénibles. Paris est armé jusqu’aux dents et la défense est formidable.

Nous avons deux cent mille hommes de garde nationale, cent cinquante mille de garde mobile et cent quatorze mille de troupes régulières, ce qui fait près de cinq cent mille hommes. Avec cette masse, on peut donner du fil à retordre aux Prussiens.

Nous avons un approvisionnement complet pour deux mois et suffisant pour nourrir deux millions de personnes. Nous ne pouvons donc pas mourir de faim. Nous paierons probablement un peu plus cher.

Personne ne paraît douter un instant de la défaite définitive du roi de Prusse, dont l’armée va se fondre par les pluies et les maladies, sous les murs de Paris.

La chute de Napoléon entraîne celle du pouvoir temporel du pape.

Quand vous recevrez cette lettre, les troupes italiennes seront depuis longtemps à Rome, car Victor-Emmanuel a donné ordre à son armée de franchir la frontière pontificale. Il ne pouvait en être autrement.

Les hommes qui sont aujourd’hui à la tête du gouvernement français ont toujours été des adversaires de la papauté. Membres du corps législatif, ils ont toujours reproché au gouvernement impérial l’appui qu’il donnait à Pie IX.

Non seulement la révolution du 4 septembre va probablement forcer le pape à reprendre le chemin de l’exil, mais encore, dans le midi, elle a servi de prétexte à des violences contre les ministres de la religion. À Lyon, on a chassé les Visitandines de leur couvent, après avoir volé et pillé. Tout cela est bien triste et n’annonce rien de bon pour l’avenir. J’ai bien peur de voir la guerre civile succéder à la lutte nationale.

Dimanche, je me suis approché de la sainte table. Plusieurs militaires ont communié en même temps que moi.

Je suis bien content d’apprendre que Mgr Baillargeon continue à aller mieux.

Je serai probablement quelques semaines sans vous écrire et sans recevoir de vos nouvelles, car nous serons sans doute bloqués avant peu. Soyez sans inquiétude.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre pauvre enfant.