Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 163
FABLE CLXIII.
LE RAT, LE CHAT ET L’ARAIGNÉE.
Pourquoi dans ce grenier établir ton ménage,
Quand tu peux habiter le jardin ou la cour ?
Disoit à l’araignée un vieux rat l’autre jour :
Et puis à quoi sert ton ouvrage
Dont tu fais à toute heure un maudit étalage ?
Tous logemens, dit-elle, me sont bons.
La toile que tu vois fera grand bien au monde :
Souvent elle prendra cousins et moucherons
Qui dans l’air, près de moi, partout faisant la ronde
Piquent chacun en se jouant ;
Je rends service en les mangeant ;
Mais, toi, tu ne fais pas de même,
Tu ne saurois parler de ton utilité.
— Que dis-tu donc ? avec un soin extrême
Je mange de ces blés le grain noir et gâté ;
En allégeant ce tas énorme
Je chasse un vil insecte appelé charançon,
Plus dangereux cent fois qu’un chétif moucheron
Qui ne cause aucun tort à l’homme.
Si mes amis, tous mes enfans et moi,
Ne vivions au grenier, il fondroit, par ma foi :
Au seigneur de ces lieux je rends donc bon office.
Le chat par quelques trous écoutoit leur débat ;
Il arrive, et jetant ses griffes sur le rat :
De tes larcins je vais faire justice ;
C’est en t’étranglant, scélérat,
Qu’à mon maître je rends véritable service.
Quoi ! jusqu’aux animaux, disoit-il, aujourd’hui
Couvrent leurs intérêts de l’intérêt d’autrui !