Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 156

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 167-168).

FABLE CLVI.

L’AIGLE ET L’HIRONDELLE.


Hélas ! dans le siècle où nous sommes,
On voit partout méchans et mauvais cœurs,
Chez la gent volatile, ainsi que chez les hommes !
Il est exception cependant à ces mœurs.
L’aigle, un jour, est blessé par le plomb des chasseurs
Et tombe au milieu d’un bocage ;
Tous les habitans du feuillage,
Croyant le roi défunt, viennent le visiter ;
Pour se venger de lui, chacun lui fait outrage,
Tous chantent à la fois pour se féliciter,
Jamais on n’entendit un si joyeux ramage :
Du foible c’est souvent le seul hymne en usage
À la mort
Du plus fort.
Une hirondelle bonne et sage
Dit à ses fils : Les oiseaux ont grand tort
De se livrer sur l’aigle à telle extravagance.
Gardons-nous de les imiter :
S’il est mort, c’est bassesse à nous de l’insulter ;
S’il vit encor c’est cruelle imprudence.
De ce juste raisonnement
Il résulta pour elle un sensible avantage.
Étourdi par le coup, blessé légèrement,
L’aigle, au bruit qu’on faisoit, reprit force et courage,
Distingua les pinsons, les merles, les moineaux,
Excepté l’hirondelle, enfin tous les oiseaux
Qui déjà becquetoient, arrachoient son plumage ;

De tout ce peuple il fit carnage
Pour se remettre en appétit ;
Mais aujourd’hui s’il passe auprès de l’hirondelle,
De peur de l’effrayer, il fuit à tire-d’aile,
Et respecte toujours son nid.