Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 116

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 130-131).

FABLE CXVI.

LE MOINEAU ET LA FOURMI.


Un moineau becquetoit des grains
Qu’une infatigable ouvrière
Laissoit tomber sur les chemins,
En regagnant sa fourmilière.
Si j’avois, disoit-il, tous ses gros magasins
Que ces dames fourmis entassent dans leur terre
L’hiver se passeroit gaîment,
Et je ne craindrois plus la mort ou la misère.
Je trouve à vivre maintenant,
Au temps des blonds épis je me tire d’affaire ;
Mais gare l’aquilon, les neiges, les frimas.
La fourmi, très-chargée, alloit à petits pas,
Et le moineau suivoit sa trace.
Voyageuse fourmi, reposez-vous de grâce,

En sautillant lui crioit le moineau,
Ayez pitié d’un pauvre oiseau,
Qui voudroit de vous faire emplette
De la merveilleuse recette
Qu’on a chez vous pour s’enrichir :
Oh ! ma fortune seroit faite,
Si de votre bonté je pouvois l’obtenir.
Volontiers, lui dit-elle, et ton désir est sage ;
Mais je dois l’avertir qu’une tête volage,
Sans souci du passé, sans soin pour l’avenir,
Jamais n’a pu la retenir.
N’importe la voici : L’aisance de la vie
Sera dans tous les lieux, sera dans tous le temps,
Chez les petits ainsi que chez les grands,
Le produit du travail et de l’économie.
L’étourdi goûtant peu cette recette-là
Se moqua d’elle, et s’envola.