Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 080

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 90-91).

FABLE LXXX.

L’EMPEREUR DU MOGOL ET SON PRÉCEPTEUR.


Seigneur, disoit un fakir, grand docteur,
Au maître du plus riche empire[1],
Accordez-moi le rang que je désire.
De titres et de biens vous voilà possesseur,
Grâce au ciel ! et des soins que j’eus de votre enfance
Je réclame, à vos pieds, la juste récompense.
— Fakir, tu te donnois pour un dévot fervent,
Pour un vrai philosophe, un trésor de lumière
Qui devoit embellir, illustrer ma carrière :
Je sortis de tes mains hypocrite, ignorant ;
Tu m’inspirois adroitement
Le désir des honneurs, l’amour de la puissance.
Si tu m’avois donné cette utile leçon
D’être un vainqueur humain, un fils soumis et bon,
Point de bornes alors à ma reconnoissance.

Regagne ton réduit sans autre ambition
Que de passer tes jours à faire pénitence.
Hélas ! en tout pays, ainsi que ce fakir,
Combien de précepteurs de princes,
Mais sans punition, même sans repentir,
Ont causé le malheur des cours et des provinces !

  1. Aurengzeb, célèbre par sa puissance, qu’il dut à sa fourberie et aux nombreuses et sanglantes victoires qu’il remporta sur toute sa famille : il est le fondateur de l’empire du Mogol. Voyez l’Histoire orientale.