Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 071

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 80-81).

FABLE LXXI.

LA TOURTERELLE ET LA FAUVETTE.


Pourquoi cette plainte éternelle ?
Pourquoi ces douloureux accens ?
Demandoit à la tourterelle
Une fauvette jeune et belle,
Que suivoient de nombreux amans.
Je sais, ma chère, disoit-elle,
Que des vautours, à la serre cruelle,
Ont dévasté nos vergers et nos champs :
Eh ! qui n’a pas perdu, dans ces malheureux temps,
Ou des amis ou des parens ?
Si vous pleurez votre époux, vos enfans,
Nous regrettons aussi les nôtres.
D’où vient vous désoler, crier plus que les autres ?
Renoncez à vos tristes airs ;
Venez, venez entendre nos concerts,
Vous oublîrez bientôt notre fatale histoire.
De nos chagrins passés, non, je ne saurois croire,
Dit la coquette en sautillant,
Et, qui plus est, se rengorgeant,
Que l’on puisse toujours conserver la mémoire.
Le tendre oiseau lui répond sèchement :
Moi, dans ce souvenir, je mets toute ma gloire ;
Laissez-moi me livrer à ma juste douleur ;
Partager vos plaisirs… ô ciel !… est-il possible !…
La gaîté du cœur insensible,
Pour les cœurs affligés est un nouveau malheur.