Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 058

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 65-66).

FABLE LVIII.

LE SANSONNET ET SA COMPAGNE.


Un campagnard occupoit ses loisirs
À façonner le chant et même le langage
D’un joli sansonnet qu’il avoit mis en cage :
Plaisirs purs, innocens, sont toujours vrais plaisirs ;
Heureux celui qui peut les goûter à tout âge !
Aisément l’oiseau retenoit
Les petits airs que l’on chantoit,
Et chaque mot que l’on disoit ;
Il auroit voulu tout apprendre,
Mais bientôt il fut si savant
Qu’il babilloit à tout moment,
Et qu’on ne pouvoit plus s’entendre.
Pour lui rabattre le caquet,
On lui chercha compagne tendre :
Qui de l’amour ne connoîtroit l’effet ?
Ah ! quand on le ressent, on ne jase plus guère !

Si le cœur jouit vivement,
L’esprit sans peine sait se taire.
Le maître du bavard lui trouva promptement
Femelle aussi jeune que belle,
Et qui plus est, douce et fidelle.
Afin que son mari fût toujours son amant,
Il falloit qu’elle pût l’amuser et lui plaire :
On vouloit que d’abord elle apprît à parler,
Puis à siffler,
Croyant ce talent nécessaire.
Elle fut peu de temps novice à coqueter
À caresser, à becqueter :
Pour femelle, on le sait, ce n’est pas une affaire,
Mais on eut beau dire et beau faire,
Elle ne put jamais qu’un seul mot répéter.
Sitôt qu’elle eut appris à bien prononcer : j’aime,
Ou de ce mot charmant
L’équivalent ;
Elle devint d’une paresse extrême,
Et n’écouta que son amant.

Cet exemple est pour nous une leçon très-sage :
Instinct mieux que raison conseille quelquefois ;
Femmes, du sentiment sachez bien le langage :
Pour vivre avec celui dont votre cœur fait choix,
Qu’est-il besoin d’en savoir davantage ?