Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 042

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 47-48).

FABLE XLII.

LE LION LA CHÈVRE ET LE RENARD.


Un lion, des plus fiers, tint un jour ce langage
À plusieurs animaux voisins de son canton,
Qui, le craignant, venoient lui rendre hommage :
Tenez, mes chers amis, parlez-moi sans façon :
Quelle est ma réputation ?
Que dit-on de moi dans le monde ?
Ne suis-je point haï ?… Vous êtes révéré,
Seigneur, dit le renard, une lieue à la ronde ;
Dans ce pays, partout vous êtes adoré ;
Le bonheur de vous plaire est le seul désiré ;
Vous n’inspirez qu’amour, respect et confiance.
Une chèvre qui l’entendit,
Elle étoit jeune, hélas ! et sans expérience,
Très-brusquement l’interrompit :

Non, non, ne le croyez pas, sire ;
Vous demandez la vérité,
Pourquoi donc ne pas vous la dire ?
Vous êtes craint bien plus que respecté.
On blâme tous les jours votre humeur sanguinaire,
Et vos plus beaux exploits passent pour cruauté.
Mais on prétend que si sa majesté
Se modéroit, changeoit son caractère…
Il suffit, repart le lion,
Je ferai mon profit de ta sage leçon ;
Pour aujourd’hui c’en est assez, ma chère…
À propos, j’oubliois, mais depuis très-long-temps,
De te défendre pour pâture
La verdure :
Tu ravages et bois et champs,
Et les prives de leur parure ;
Tes pareilles et toi dévastent la nature.
Mais je mourrai de faim, dit-elle en sanglottant,
Si vous me défendez et l’herbe et le feuillage ;
Je n’aurai plus de pâturage :
C’est m’arracher la vie, et bien injustement.
— En quoi ! vous résistez ?… quelle audace !… à son âge !…
C’est un crime qu’un roi ne pardonne jamais,
Il est au nombre des forfaits,
Et ma souveraine justice
Veut qu’à l’instant je le punisse.
Tout le monde applaudit, c’est l’usage des cours.
La chèvre à la clémence alloit avoir recours :
Elle espéroit du roi désarmer la colère ;
Mais un grand coup de dent pour toujours la fit taire,