Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 015

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 18-19).

FABLE XV.

LA VIEILLE FAUVETTE.


Jeunes oiseaux, habitans d’un bocage,
Pour célébrer du printemps le retour,
S’assemblèrent sous le feuillage.
On y vit venir à son tour
La doyenne des bois, une vieille fauvette,
Belle jadis, toujours coquette,
Ayant encor maintes prétentions,
Et croyant mieux chanter que merles et pinsons,
La première elle ouvre la scène,
D’un air avantageux se met à fredonner ;
Mais Dieu sait quelle fut sa peine !
Son gosier tremblottant ne fit que détonner.
Pour couvrir cet affront, vite elle veut apprendre
Aux spectateurs, qu’oiseaux jeunes et vieux
De tous côtés venoient l’entendre ;
Veut citer les concerts, les lieux
Où l’on trouvoit sa voix flexible et tendre ;

N’en peut nommer un seul : mémoire lui manqua,
D’elle, à la fin, chaque oiseau se moqua,
Et résolut de fuir cette ennuyeuse.
On se donne le mot ; et la bande joyeuse
Part, vole aux prochaines forêts
S’établir et chanter dans de nouveaux bosquets.
La vieille aussi veut être du voyage,
Suit les autres des yeux, croit les atteindre encor,
Et prenant un trop haut essor,
Perd l’équilibre et tombe sous l’ombrage ;
Mais, hélas ! si rapidement,
Et qui pis est, si lourdement,
Qu’elle se blesse un pied, et se fracasse une aile,
Oh ! pour le coup, réfléchissant,
Elle disoit, en se traînant chez elle :
J’étois bien folle, en vérité,
De rechercher cette troupe volage ;
Pour vivre ensemble, il faut rapports, égalité.
Si je guéris, on me verra plus sage ;
Je fuirai le grand monde, et pour société
Je choisirai toujours compagnons de mon âge.