Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 013

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 16-17).

FABLE XIII.

LES DEUX RÊVEURS ET LE MÉDECIN.


Agités, tourmentés par de sinistres songes,
Deux amis musulmans allèrent un matin
Consulter en secret un fameux médecin.
Les rêves, disoient-ils, ne sont que des mensonges ;
Je n’y crois pas, assuroit chacun d’eux :
Mais vivre sans repos, c’est vivre malheureux.
Parlez-nous franchement, vérité toute nue.
Sans relâche, dit l’un, je vois sitôt minuit
Un scélérat qui me poursuit ;
Il m’atteint, il me vole, et souvent il me tue.
D’un bon sommeil ne puis-je espérer la douceur ?
De grâce ! rendez-moi ma santé, ma fraîcheur.
Pour moi, dit l’autre en Afrique, en Asie,
Je suis toutes les nuits élu roi, couronné ;
L’instant d’après, me voilà détrôné,

Puis mis à mort, au moins emprisonné :
Ce songe m’importune, il abrège ma vie.
D’où viennent ces égaremens ?
Ah ! calmez mon esprit, mes sens,
Et rendez-moi le repos, je vous prie.
Ce n’est pas là mon fait, repartit le docteur :
L’ambition et l’avarice
Ne sont point maux du corps, ce sont vices du cœur,
Si j’étois charlatan, j’accepterais l’office
De vous traiter, sans vous guérir ;
Mais de vous seuls dépend la fin d’un tel supplice ;
Bientôt d’un bon sommeil tous deux pourrez jouir.
Masouf, dit-il, apostrophant l’avare,
Allez chez l’indigent verser votre trésor ;
Le bien qu’on fait vaut mieux que l’or :
Plus de terreurs alors, plus de rêve bizarre.
Pour vous, ambitieux, quittez désirs, projets ;
N’étant plus roi, vous dormirez en paix.

Je ne cesse de dire à ceux que je conseille,
Qui, tourmentés la nuit, se plaignent de leur sort :
Si l’homme étoit plus sage quand il veille,
Il seroit moins fou quand il dort.