Edouard Garand (74 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 6-11).

II


Qui ne se rappelle la puissante incarnation par l’acteur allemand Jannings, dans « The Last Command » d’un grand duc de Russie, généralissime de l’armée durant la guerre, et qui, abattu et vieilli par les malheurs, en est rendu à se faire figurant de cinéma, à Hollywood, pour gagner une vie misérable. Son directeur est précisément un chef anarchiste déjà condamné à la prison par le grand Duc, au temps de sa splendeur.

Ce renversement des rôles que l’ironique Destinée se plaît parfois à accomplir, m’avait laissé au temps de la représentation de cette vue un peu sceptique et froid, bien que le Monde du Cinéma, par son déploiement de fausse grandeur, et l’attrait d’une vie remplie d’aventures factices, ait attiré comme un miroir aux alouettes, nombre de ci-devant personnalités.

À ma grande surprise, ce fut dans les coulisses d’un théâtre de Montréal, que je retrouvai von Buelow.

Le bleu profond de son regard, ses traits fermement dessinés et ce je ne sais quoi de distingué et d’un peu hautain qui trahit dans son maintien et sa démarche l’aristocrate de vieille souche, m’intriguèrent, quand je le rencontrai sortant de la loge d’un jongleur.

Je ne le reconnus pas tout d’abord. Je me souvenais d’avoir vu ces yeux-là quelque part. L’homme qui les possédait était beaucoup plus jeune. Celui que je voyais devant moi avait les tempes grises et aux commissures des lèvres un pli de désenchantement. Une impression de tristesse incurable et d’énergie farouche se peignait sur ses traits durcis et vieillis.

Soudain, comme un éclair une pensée me traversa le cerveau.

J’allai droit à l’homme.

— Pardon monsieur vous m’excuserez de vous aborder ainsi. Ne vous-ai-je pas déjà rencontré à Londres il y a quelques années ?

Il me dévisagea, fit un effort de mémoire.

— Oui. Au Savoy. Vous êtes bien Sydney Jones, journaliste au Sun ?

— Et vous, von Buelow ?

— Pardon, Louis Boileau… vous semblez étonné de me rencontrer dans un endroit pareil, après m’avoir connu dans des temps meilleurs.

— Plutôt intrigué, souris-je… je ne m’étonne de rien.

— Eh bien ! je vais satisfaire votre curiosité. Il vaut mieux le faire de bon gré. À condition toutefois que vous n’alliez pas m’interviewer pour en faire une « histoire » à vos lecteurs, sourit-il à son tour.

— Si vous me le permettiez… Ce serait une interview fort intéressante.

— Je vous le défends… ou plutôt je vous demande sur votre honneur de ne rien écrire sur moi… Plus tard, je vous fournirai peut-être l’occasion d’un scoop. C’est comme cela que vous dites ?

— Exactement

L’endroit n’était pas propice aux confidences. Je lui proposai de m’accompagner au Mont Royal, où nous pourrions causer plus à notre aise tout en vidant une bouteille de pale ale.

Il accepta.

Chemin faisant, il s’informa de notre ami commun, Kenneth Brown, qu’il n’avait plus revu depuis notre rencontre à Londres.

Ils s’étaient connus sur le front russe, alors qu’il commandait un bataillon uranien. Je le renseignai du mieux que je pus, n’ayant pas revu Brown, actuellement aux Indes, depuis assez longtemps.

Il me demanda si j’étais retourné en Europe, si j’avais revu son pays. Il s’informa des conditions de vie, et fut heureux d’apprendre que Karl III mieux conseillé, était adoré de ses sujets, que la prospérité régnait, et que Leuberg avait repris sa physionomie de gaieté et de plaisirs.

— Tant mieux, soupira-t-il. La Révolution aura eu cela de bon qu’elle nous aura débarrassé de la Borina, et aura ramené Karl au sens des responsabilités. Mais elle aura coûté cher, si matériellement, elle n’a pas laissé trop de ruines elle en a fait moralement et d’affreuses.

Nous entrions dans le bar-room. Une table isolée dans un coin, près d’une fenêtre que le soleil dorait, était libre. Nous nous y installâmes.

Je commandai deux bouteilles de bière.

Merci, pas pour moi. Une eau de selz, rectifia-t-il. Ce n’est pas que je sois abstentionniste de principe. L’alcool et le tabac agissant sur les nerfs me nuiraient dans ma nouvelle carrière. Dans un mois, je commence une tournée de vaudeville avec le circuit Bradling. J’ai reçu avis ces jours-ci que j’étais « booke » pour une tournée d’un an.

— Mais vous n’en êtes pas rendu à cette extrémité protestai-je.

— Oui.

Ruiné ?

— Non, je suis plus riche que je n’ai jamais été. Ma fortune bien placée, a doublé, depuis que j’ai laissé l’Uranie.

— Alors, comment un homme comme vous, riche, cultivé, ayant joué un rôle sur la scène mondiale, qui pourrait redevenir ministre demain, s’il le voulait, peut-il se décider à embrasser une telle carrière.

— C’est mon secret. Admettez que ce soit par goût. Vous qui êtes reporter, vous avez dû être au courant de cette demande de divorce, aux États-Unis, d’une femme de multimillionnaire qui allègue comme motif, la manie de son mari, de devenir expert, comme lanceur de poignards. Je parcourrai les États-Unis en lançant des poignards autour d’une cible humaine. Vous m’avez vu sortir de chez Pierelli, tantôt Pierelli sera mon partenaire. Nous nous rencontrerons à Philadelphie…Si vous n’avez rien de mieux à faire ce soir, venez chez moi. Pierelli y sera vers dix heures, et je vous donnerai une exhibition de mon savoir-faire… Une ombre passa sur son front, et ce fut la voix sourde, qu’il continua :

— Je deviens pitre, histrion, paillasse, amuseur de foule. Du moins, j’espère, de cette façon, arriver au but que je vise. Après, je retournerai chez moi. Je reprendrai mon rang social et je servirai là où je dois servir. Je ne le puis pas tant que… Le monde est trop petit pour lui et moi. Dans un mois, je voyagerai, ayant perdu mon identité, débarrassé de mon moi qui me pèse, qui m’écrase, qui m’étouffe. Je ne le retrouverai qu’une fois de temps à autre… Je n’entendrai plus dans ma tête bourdonner ce reproche, d’être un lâche, d’avoir peur. Je deviendrai le pitre Luciendo. C’est un nom de théâtre que j’ai adopté, qui ne dit rien du tout, et que j’ai choisi parce que c’était le premier qui se présentait. Quand nous nous quittâmes, il me serra la main.

— À ce soir. — Je suis heureux de vous avoir rencontré. Vous m’avez rappelé qui j’étais. Avec vous, pour un instant, je suis redevenu l’Herman von Buelow d’autrefois. Je suis las de solitude, j’avais besoin de me retremper, de parler un peu, de me confier. Surtout, j’ai votre parole que vous ne direz rien dans votre journal à Montréal, vous êtes le seul pour qui je ne sois pas Louis Boileau.

La maison qu’Herman von Buelow habitait est construite sur les bords de la Rivière des Prairies, en face de St-Vincent de Paul. Du chemin, on ne distingue que le pignon de la tourelle perdue dans les arbres. Une haute clôture de pierre masque aux regards des passants la vue du parc, que l’on entrevoit un peu par la grille en fer forgé qui y donne accès. La propriété peut avoir cinq cents pieds carrés. Des allées en pierre plate dans le gazon, des massifs de fleurs, des pergolas, un étang intérieur, une roseraie et finalement le logis, dans un bosquet d’ormes et d’érables, construit tout au fond, avec une terrasse qui donne sur l’eau. Trois domestiques, un jardinier un valet de chambre, et une cuisinière composent le personnel. Ce sont des étrangers tous les trois, appartenant à des nationalités différentes. Le jardinier est hollandais, le valet de chambre allemand, la cuisinière française. Ils parlent chacun leur idiome propre et ignorent mutuellement le langage l’un de l’autre. Ils sont émigrés de date récente et n’ont ni parents, ni relations à Montréal. De cette façon le maître du logis est à l’abri des commérages et des indiscrétions.

Il faisait encore clair quand je sonnai à la grille. Le jardinier qui arrosait les plantes du parterre vint m’ouvrir. Je lui demandai si Monsieur Boileau était chez lui. Sans proférer une parole, il me fit signe de le suivre. J’eus l’impression de pénétrer dans l’Inconnu, de m’enfoncer en plein mystère. À peine jetai-je un coup d’œil aux fleurs qui embaumaient par ce soir de juillet. Je marchais les yeux rivés sur le domestique qui me précédait, un peu inquiet malgré moi, saisi d’une sorte de malaise indéfinissable, inexplicable. La personnalité de von Buelow m’obsédait. À la salle de rédaction, cet après-midi, c’est avec peine que j’ai pu recueillir mes idées pour le billet du lendemain. J’avais la tentation d’écrire au lieu et place, le compte rendu de mon étrange rencontre, mais j’avais promis à cet homme de respecter son secret et je ne voulais pas détruire, dès le début, la confiance qu’il avait bien voulu mettre en moi. Je prévoyais par instinct que j’étais sur la piste de quelque chose d’extraordinaire et que ma curiosité serait amplement récompensée de mon silence du moment.

Le jardinier me conduisit et jusque dans le hall immense à deux étages avec une balustrade tout autour. Un autre domestique que je sus être le valet de chambre, averti par la sonnerie, et sans proférer une parole, me fit signe lui aussi de le suivre.

Ce mutisme nouveau m’intrigua encore plus, et je ne pus m’empêcher de songer aux lectures des romans les plus abracadabrants que j’avais dévorés dans ma jeunesse. Je n’essayai donc pas de lier conversation et suivis ce dernier aussi docilement que j’avais suivi le premier. Je traversai un corridor étroit et pénétrai dans une large pièce, d’où la lumière n’arrivait qu’à travers deux immenses verrières aux vitres coloriées enchâssées dans le plomb.

Parcourant le « Times » de Londres, von Buelow était là, enfoncé dans un fauteuil en cuir rouge, une haute lampe à pied, projetant sur lui sa lumière crue.

À mon entrée, il se leva, vint vers moi, la main tendue.

— Je vous attendais, dit-il. Merci d’être venu. Je jetai un coup d’œil sur la pièce qui lui servait de cabinet de travail. De hautes boiseries de chêne recouvraient la muraille. Au-dessus de la cheminée, un portrait à l’huile d’une femme très belle et très jeune portant un bébé dans les bras. À n’en pas douter c’était là le portrait de sa femme. Sur sa table en bois sculpté une photographie montée dans un cadre d’argent représentait la même personne à cheval. Elle était vêtue en amazone, et le costume moulait des formes harmonieuses et pures de lignes. Je ne pus m’empêcher de songer aux extraordinaires racontars qui ont cours en Uranie. Comment peut-il, s’il est vraiment l’auteur de son exécution conserver le culte de son souvenir ?

Je souris bientôt de cette réflexion. La belle aventurière n’était qu’un mythe puisque rien dans la maison ne trahissait la présence d’une femme.

De lourdes bibliothèques chargées de livres richement reliés avec fers aux armes de von Buelow ornaient les pans de murs. Sur des colonnes près des fenêtres des marbres d’artistes renommés. Par terre, un tapis d’orient aux couleurs écarlates et voyantes.

Von Buelow m’indiqua un siège. Il sortit du tiroir d’une garde-liqueur une boîte en cuivre damasquinée et me présenta un cigare. Puis il ouvrit le compartiment du bas.

— Comme tout bon Anglais, vous aimez déguster un scotch and soda.

Il sonna. Le valet de chambre apparut. Il lui donna quelques ordres en allemand. L’instant d’après celui-ci revenait apportant un syphon d’eau de selz qu’il déposa près de moi sur une table avec un cendrier, un verre et la bouteille de scotch. Puis, il se retira.

— Vous êtes l’une des rares personnes, qui avez pénétré jusqu’ici dans ma tanière. Je vous ai dit cet après-midi, le plaisir que j’éprouvais à vous voir. Maintenant que vous connaissez ma maison, j’espère que vos visites seront fréquentes.

Je promis. Je le sentais en veine de confidences, éprouvant le besoin de causer, de vider son âme, comme il arrive à ceux qu’une trop longue solitude écrase. Je décidai donc de le laisser parler, me contentant de provoquer chez lui, par insinuation plutôt que par des questions directes, des confidences plus complètes.

Il passa la main sur son front d’un geste las.

— Il y a des fois, me dit-il, où l’idée me tenaille de boucler ma valise, et de retourner là-bas… Mais je ne puis pas avant d’avoir rempli ma mission. Jusqu’ici j’ai eu peur, j’ai recule devant la tâche. Maintenant il faut que j’agisse, que j’en arrive à une solution. Cette vie oisive et vide m’est insupportable.

Quel rapport pouvait-il y avoir entre la soi-disant mission ou le soi-disant devoir à accomplir et sa décision de monter sur les planches.

Je lui en posai la question.

Aucune. C’est une occasion de parcourir beaucoup de pays… une diversion. Comme je vous l’ai dit, je pourrai, au moins durant quelques heures par jour me dépouiller de ma personnalité. Voyager en oisif ! je le pourrais. Mais quel ennui. C’est cet ennui qui me ronge avec les souvenirs cuisants de ma trop courte carrière.

J’essayai de le faire causer sur les hommes de la Révolution.

— Et Howinstein, et les autres, les avez-vous revus ?

Son front se rembrunit. Et ce fut d’une voix sourde où grondait une colère mal contenue qu’il répondit :

— Je ne l’ai jamais revu.

— Et si vous le rencontriez, quels seraient vos sentiments vis-à-vis de lui.

— Permettez-moi de ne pas vous répondre directement. Connaissez-vous bien les mœurs de l’Uranie ?

— Pas beaucoup.

— Connaissez-vous les mœurs corses ? Vous avez déjà entendu parler de la vendetta corse ?

— Un peu. J’ai lu plusieurs récits de ces vengeances. Quelques-uns me paraissent bien romancés pour être vrai.

— Pourtant, ils le sont. Notre population est plus vindicative. La vengeance est un culte, presque une religion.

— Un affront qui n’est pas lavé dans le sang est une tache qui dure toute la vie d’un homme et qu’il transmet à ses enfants… je n’ai plus d’enfant.

Je commençais à comprendre. Cette fois, j’étais sur la piste.

Comme s’il pensait tout haut, il continua :

— Depuis huit ans, je lutte contre ce désir, cet instinct de vengeance. L’atavisme est plus fort… aussi la haine. Ils ont fait taire la voix du civilisé. L’homme primitif que nous demeurons, malgré les conventions sociales, dicte nos actes, domine en nous.

Qu’est-ce que la guerre ? Un vestige de la barbarie, de la sauvagerie. La concession à la bête humaine. L’assouvissement de la haine entre deux peuples la provoque, souvent moins que cela, le heurt de deux intérêts financiers contraires. Cependant l’on glorifie le soldat, qui tue sans savoir pourquoi. Ne fait-on pas un grand homme un héros de celui qui porte à son crédit, le plus de morts d’hommes, qui cause le plus de ruines, le plus de deuils irréparables ? La vendetta, c’est la guerre entre deux individus. Il sait que je le recherche. Si je ne le tue, il me tuera.

Me montrant le portrait au-dessus de la cheminée, il ajouta :

— J’ai ces deux morts à venger… j’ai aussi mon honneur à venger. Vous savez qu’on me croit responsable de ces morts. Je ne puis pas reparaître à la cour d’Uranie, avant de m’être libéré par des actes de ces soupçons.

— Le responsable ce serait ?

— C’est Howinstein. Quelqu’un de ces jours je vous conterai avec l’histoire de la Révolution Uranienne, ma propre histoire. Elle vous intéressera. Peut-être écrirons-nous ensemble la véridique histoire du mouvement d’il y a huit ans. Le domestique entra suivi de Pierelli.

Je maudis intérieurement l’arrivée de l’intrus qui venait, par sa présence, détruire le charme d’une conversation au moment où elle promettait des révélations intéressantes. Von Buelow sera-t-il, un autre soir dans le même état d’esprit et en même veine de confidences ?

Il me présenta Pierelli. J’ai su par la suite que c’était un compatriote exilé lui aussi volontairement. Il était jadis employé dans les domaines de von Buelow.

Pierelli sortit de sa poche une découpure de journal qu’il tendit au maître. Pendant la lecture, le sourcil se fronça ; le bleu du regard passa au gris de l’acier dont il avait l’éclair.

Sans dire un mot, sa lecture terminée, von Buelow me tendit l’entrefilet.

Il était imprimé en anglais et intitulé :

« Une page d’histoire ignorée ».

L’on y racontait que von Buelow était bien l’auteur de l’exécution de sa femme et non le maréchal Junot comme on l’avait cru. L’on citait à l’appui une supposée lettre adressée par von Buelow au maréchal.

— Qu’en pensez-vous me demanda-t-il après que je l’eus parcouru ?

— Tout simplement ignoble. Vous en connaissez l’auteur ?

— Oui. L’on a peur de mon retour ; on cherche à me discréditer. J’ai su par Pierelli que des clubs politiques fonctionnaient pour renverser de nouveau la monarchie au profit de Howinstein. Mes amis ont encore confiance en moi. En détruisant mon prestige Howinstein croit pouvoir compter sur mon ancienne faction… Ça ne se fera pas. J’ai hésité jusqu’à aujourd’hui. Lui ou moi doit disparaître. Ce sera lui, bien qu’il soit le plus dangereux des adversaires.

Il nous fit signe de le suivre. Après avoir gravi l’escalier, nous pénétrons dans une grande pièce, toute sur la longueur et soigneusement capitonnée pour que tous les bruits en soient assourdis. Sur une table, une quinzaine de poignards et des revolvers. Aux murs des panoplies. Au fond de la pièce, un grand tableau de bois, où une figure d’homme est dessiné. Par terre, un matelas.

— Les paysans de chez nous, dit-il, ont une aptitude à lancer le poignard encore plus grande que celle des italiens. Dans les fêtes publiques, les jeunes gens rivalisent d’habileté à planter l’arme le plus de fois dans la cible. J’ai hérité un peu de l’adresse de mes compatriotes.

Il ouvrit un coffre, se baissa, et l’instant d’après, se releva le chef coiffé d’une perruque rouge. À l’aide d’un crayon il se maquilla.

— Me reconnaîtriez-vous, demanda-t-il ?

Bien que j’aie une mémoire des physionomies que mes amis qualifient de prodigieuses, il m’aurait fallu de grands efforts d’imagination pour reconnaître von Buelow.

— Aucunement.

— Je puis être sûr que personne ne devinera qui je suis sous ce déguisement.

— Pas à moins de le savoir… À moins d’une indiscrétion…

— Pierelli et vous, êtes seul au courant. J’ai votre parole… Quant à Pierelli, je suis aussi sûr de lui que de moi-même.

Il prit un morceau de charbon et dessina d’une façon plus distincte les contours de la figure sur le tableau de bois.

Puis, il se retira à l’autre bout de la pièce, et, à mesure, aussi vite que Pierelli les lui passait, il lançait les poignards le long de la ligne noire.

— Maintenant Pierelli. Vous allez vous mettre au blanc. Vous n’avez pas peur ?

— Non. Pas après cette démonstration.

Un. Deux. Trois. Quatre. Les poignards lancés avec force, se plantaient le long des bras, des jambes, de la tête de la cible humaine.

— Allumez une cigarette. Mettez-vous de profil.

Une détonation sourde. La cigarette s’éteignit mouchée par la balle.

— Comme vous le voyez c’est un talent de société assez passionnant à cultiver. J’en ai d’autres. Voici une arme… Pierelli ordonnez-moi de lever les mains.

Ce qui fut fait. Mais avant même que l’adversaire ait eu le temps de presser la gâchette, une main s’était abattue sur son poignet et l’autre sous le coude, et il s’écrasa sur le matelas la face en avant.

— Il y a huit ans que je pratique ces divers sports sans compter l’escrime… J’ai toujours passé pour une fine lame… Connaissez-vous le fleuret ?

— Très peu. J’en ai fait un peu au M. A. A.

— Voulez-vous croiser le fer ?

— Je suis un si piètre opposant que ça n’en vaut guère la peine.

Toutefois pour lui faire plaisir j’essayai.

À peine m’étais-je mis en garde et engagé que le fleuret me sauta des mains.

— J’ai fini ma démonstration. Qu’en pensez-vous ?

— Magnifique.

Comme il avait à converser avec son compagnon, je prétextai de la copie présente pour prendre congé.

— Je compte sur vous pour demain soir.

— Nous causerons de l’Uranie et je vous fournirai les éléments d’une histoire de la Révolution.