Évelina (1778)
Maradan (1p. 236-239).


LETTRE XXXI.


Lady Howard à sir John Belmont, baronnet.
Howard-Grove, 5 mai.

Monsieur, vous serez surpris sans doute de recevoir une lettre d’une personne que vous n’avez connue, pour ainsi dire, qu’en passant, et dont vous n’avez plus entendu parler depuis si long-temps ; mais le motif qui m’engage à vous écrire est trop sérieux pour que je puisse perdre le temps en excuses : je deviendrois d’une longueur insupportable.

Vous devinez probablement déjà le sujet dont j’ai à vous entretenir. Vous connoissez l’estime que j’ai eue pour M. Evelyn et sa fille ; leur souvenir, et le bien-être de leur famille, continuent toujours à m’être également chers.

J’avoue que je suis un peu embarrassée sur la manière d’entamer l’objet que je me propose de traiter avec vous ; mais comme je crois que, dans des affaires de cette nature, la franchise est essentiellement nécessaire pour établir une heureuse intelligence entre les parties intéressées, je me dispense d’un cérémonial pointilleux, et je vais droit au fait.

Je suppose, monsieur, qu’il seroit superflu de vous dire que votre fille est toujours dans le Dorsetshire, et qu’elle habite encore dans la maison de M. Villars, où elle est née ; il est vrai que, jusqu’ici, personne ne s’est informé d’elle ; mais nous présumons que les recherches que vous n’aurez pas manqué de faire à son égard, nous auront échappé. Je me bornerai donc à ajouter que son éducation est actuellement achevée, qu’elle a rempli toute notre attente, et quelle est devenue une personne aimable, accomplie et pleine de mérite.

Quel que soit le sort que vous lui destinez, il est temps de le fixer. Elle est généralement admirée, et je ne doute pas qu’il ne se présente dans peu des occasions pour l’établir avantageusement : il conviendra donc de savoir quelles peuvent être ses espérances et vos volontés.

Soyez assuré, monsieur, qu’elle mérite toute votre attention. Vous ne la verrez point sans l’aimer, sans lui donner toute la tendresse qu’un père doit à son enfant. Vous retrouverez en elle le portrait de sa mère. — Pardonnez, monsieur, si je vous rappelle le souvenir de cette malheureuse dame ; mais je dois montrer dans ce moment l’amitié que j’avois pour elle. La mémoire de cette excellente femme n’a été que trop en butte à la calomnie : il est temps de venger sa réputation. Vous en avez les moyens dans vos mains, et vous ne sauriez le faire d’une manière plus agréable à ses amis, plus honorable pour vous-même, qu’en reconnoissant publiquement votre enfant pour fille de feu lady Belmont.

L’homme respectable qui s’est chargé de son éducation, a droit à votre entière reconnoissance ; il s’est acquitté de cette tâche avec le plus grand soin, avec une affection vraiment paternelle. La jeune Évelina est heureuse d’avoir trouvé un ami et un surveillant comme lui : je ne connois personne qui soit plus estimable, et dont le caractère approche plus de la perfection.

Permettez-moi, monsieur, de vous assurer que cette chère enfant récompensera largement les bontés que vous pourriez avoir pour elle : sa tendresse et son obéissance seront pour vous une source de consolation et de félicité. Elle ne désire que d’être légitimement reconnue par son père, et elle consacrera sa vie à mériter votre approbation.

Mes représentations n’auront peut-être pas le bonheur de vous plaire ; mais je me repose sur la pureté de mes intentions, elle doit me tenir lieu d’excuses, &c. &c.

Marie Howard.