Librairie de L. Hachette et Cie (p. 306-310).

CXV

L’AGONIE.



Il était neuf heures du soir ; en entrant à Gethsémani, Jésus dit à ses disciples :

« Arrêtez-vous là et attendez-moi ; je vais aller prier plus loin. Priez de votre côté, pour ne pas succomber dans l’épreuve. »

Louis. Dans quelle épreuve ? De quelle épreuve Notre-Seigneur voulait-il parler ?

Grand’mère. De l’épreuve de sa passion. Les disciples voyant leur Maître, qu’ils savaient tout-puissant, saisi, garrotté, insulté, tourmenté, battu, crucifié, tué enfin par ses ennemis, avaient à surmonter le doute qui pouvait entrer dans leurs cœurs (et qui entra en effet), de la toute-puissance et de la Divinité de Notre-Seigneur.

Jacques. Mais puisqu’ils savaient que Jésus était le Fils de Dieu ?

Jeanne. Et puisqu’ils l’avaient dit eux-mêmes ?

Louis. Et puisqu’ils lui avaient vu faire tant de miracles ? et tout récemment encore la résurrection de Lazare ?

L’agonie de jésus à gethsémani.
L’agonie de jésus à gethsémani.


Élisabeth. Et puisqu’ils venaient de communier ?

Grand’mère. C’est vrai ! Ils auraient certainement dû être très-fermes dans leur foi ; mais c’était une grande épreuve que de voir ce même Jésus si puissant jadis, devenu si faible en apparence contre ses ennemis, abandonné de Dieu son Père ; succombant à ses souffrances et mourant comme le dernier des hommes, lui qui s’était tant de fois proclamé le Seigneur Dieu tout-puissant. Et puis les Apôtres n’avaient pas encore reçu le Saint-Esprit ; cette source de force et de foi ne leur avait pas encore été donnée.

Notre-Seigneur prit donc avec lui ses trois disciples de prédilection : Pierre, qui représentait la foi ; Jean, le disciple de l’amour ; et Jacques, le disciple de la prière.

Et quand Jésus entra dans la grotte pour prier, la Passion commença.

Louis. Qu’est-ce que c’est, la Passion ?

Grand’mère. On appelle Passion les souffrances terribles que Notre-Seigneur endura pendant les dix-huit heures qui précédèrent sa mort.

Le Christ, abandonnant volontairement à son Père son corps et toute sa nature humaine, pour expier par la souffrance les péchés des hommes, commença à éprouver toutes les terreurs, toutes les angoisses de la Passion et de la mort qu’il devait subir pour nous sauver.

« Mon âme est triste jusqu’à la mort, dit-il à ses trois Apôtres. Attendez ici et veillez avec moi. »

Et tout accablé de tristesse et d’ennui, il monta à quelque distance, et entra dans une grotte que l’on voit et que l’on vénère encore sous le nom de Grotte de l’agonie.

Là, Jésus se prosterna la face contre terre, et tomba dans des défaillances, dans des douleurs inexprimables.

Henri. Pourquoi donc ? Quelles douleurs éprouvait-il ?

Grand’mère, Les plus cruelles douleurs de l’âme, car tous les péchés des hommes, toute l’horreur et la multitude de ces péchés, fondirent sur lui comme une tempête, lui que l’amour de son Père et des hommes remplissait de toute éternité, il se vit condamné à prendre sur lui et à expier toutes les offenses des hommes envers son Père, tous Leurs blasphèmes, leurs impuretés, Leurs haines, leur ingratitude. Satan s’approcha de lui et se plut à étaler à son esprit ce qui devait l’accabler, le torturer davantage ; il se fit une joie barbare de lui présenter toutes les âmes qui ne devaient pas profiler de son sacrifice, et qui, repoussant son amour et ses grâces, devaient rester la proie du démon.

Le Sauveur, dans son accablement, cria vers son Père :

« Mon Père, si cela est possible, que ce calice de souffrance s’éloigne de moi. Cependant, que votre volonté s’accomplisse, et non la mienne. »

Élisabeth. Mais pourquoi, puisqu’il souffrait tant, n’usait-il pas de son pouvoir pour ne plus souffrir ?

Grand’mère. Parce qu’il n’y aurait plus eu d’expiation solennelle de nos crimes ; parce que notre Sauveur ne nous aurait pas donné le plus grand témoignage de son amour infini, le sacrifice de la vie. Jésus souffrit et mourut uniquement parée qu’il le voulut ; et il le voulut pour nous pénétrer d’une plus grande horreur du péché et d’un amour plus reconnaissant envers lui, auteur de notre rédemption.

Petit-Louis. Qu’est-ce que c’est, Rédemption ?

Grand’mère. Rédemption veut dire rachat, payement. Jésus-Christ, par toutes les larmes et par toutes les souffrances qu’il allait endurer, rachetait les hommes, payait, expiait pour eux. Et c’est pourquoi il abandonnait à son Père sa puissance divine et consentait à conserver toute la faiblesse de l’humanité.

Alors, tombant dans une véritable agonie, le corps baigné d’une sueur de sang qui coulait jusqu’à terre, il priait plus ardemment encore pour le salut des hommes.

Petit-Louis. Pauvre Jésus ! Une sueur de sang ! Comme il devait souffrir !

Grand’mère. Hélas ! oui, cher enfant ! Il souffrait plus qu’aucune créature n’a jamais souffert ; aucun homme n’a eu de sueur de sang, parce qu’aucun homme n’aurait pu supporter les souffrances affreuses qu’a endurées Notre-Seigneur pour racheter nos péchés. Et ce que Jésus-Christ a souffert dans son âme, dans son cœur, il l’a aussi souffert dans son corps, dans sa chair.

Après une heure de cette lutte, de ce combat de l’âme et du corps, Jésus-Christ tout sanglant et d’une pâleur livide…

Armand. Qu’est-ce que c’est, livide ?

Grand’mère. Livide veut dire sans couleur, comme un mort.

Notre-Seigneur se releva et s’approcha des trois Apôtres. Ils s’étaient endormis, accablés de fatigue et de tristesse.

Marie-Thérèse. Pourquoi de tristesse ?

Grand’mère. Parce que leur divin Maître leur avait annoncé ses souffrances et sa mort, et qu’il venait de leur dire : « L’heure est venue. »

« Quoi, leur dit Jésus, vous n’avez pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez pour ne pas succomber à la tentation qui approche. »

Et s’éloignant de nouveau, il retourna à la grotte et recommença sa prière et son agonie.

« Mon Père, s’écriait-il, s’il est possible, que ce calice de douleur s’éloigne de moi ! Cependant, non pas ma volonté, mais la vôtre ! » Et il répéta plusieurs fois cette prière, modèle admirable pour nous dans toutes nos souffrances. Il revint une seconde fois auprès des disciples négligents que le sommeil avait une seconde fois vaincus ; et tout attristé de l’abandon où le laissaient ses disciples préférés et Jean son disciple bien-aimé, il les quitta, afin de retourner à la grotte et reprendre sa prière.

Notre-Seigneur nous démontre ainsi la nécessité de la prière ; et les disciples, qui ont négligé la prière, n’ont pas eu, deux heures plus tard, la force nécessaire pour suivre leur Maître ; et ils se sont enfuis aussitôt qu’il y a eu du danger à demeurer près de lui.