Études sur l’Italie

V.
À M. Édouard B…

— Tu montes au milieu d’un bruit confus qui roule,
Ainsi que le coupable escorté par la foule.
— Et toi, tu descends seul de ton noir échafaud,
Comme après l’acte fait redescend le bourreau ! —


C’est ainsi qu’autrefois Urbin et Michel Ange
Dans leur grand Vatican échangeaient la louange.
C’est qu’ils vivaient alors en pleine humanité
Et qu’ils ne savaient pas farder la vérité,
Se renvoyant ainsi cette ironie amère
Comme aux champs d’Ilion les combattans d’Homère.


J’admire l’homme seul, mais mon cœur est ravi
Par celui qui montait, de la foule suivi.
— Raphaël, Raphaël, avant que ma pensée
Ne soit à tout jamais dans ma tête glacée,

Il me convient à moi, sur le seuil du tombeau,
De dire ici combien j’adorai ton pinceau,
Et ta vierge à la chaise, et ta sainte Cécile,
Et du grand sacrement le sévère concile,
Et Jean dans le désert, assis d’un air rêveur,
Enfant qui doit un jour baptiser le Sauveur,
Et puis la Farnésine, et là ta Galatée,
Fille de l’Océan en sa conque portée
Sur le dos des tritons aux écailles d’argent,
Triomphante au milieu de son peuple nageant.
Et cependant Michel du firmament s’élance,
Et dompte le démon qui se tord sous sa lance.
Mais l’ange ne sort pas de son calme divin,
Sa main est irritée et son front est serein ;
Et puis je vois saint Pierre et son bourg en alarmes,
Ce Romain aux yeux noirs, qui fut ton maître d’armes ;
Et ton transfiguré sur le haut du Thabor,
Éclatant comme un astre en un beau cercle d’or,
Et noyant tout à coup dans des flots de lumière
Ceux de chair et de sang couchés dans la poussière ;
Et dans le Vatican aux murs des Camere,
Tous les miracles nés de ton cerveau sacré :
Ces deux blancs messagers des portes éternelles
Volant dans le saint lieu, sans l’aide de leurs ailes ;
Terrassant, sous leur bras armé du fouet vengeur,
Celui qui profanait la maison du Seigneur ;
Et Jules deux, porté par ses bruns ségettaires,
Dans un coin de la scène assiste à ces mystères,
Et promenant ses yeux sur le grave tableau,
Par l’effet tout puissant du magique pinceau,
Est l’image, ici-bas, de l’église vivante,
Dévouant à l’enfer l’impiété mourante.


Et moi qui fais cela, dans mes jours de malheur,
J’avais juré cent fois, brisé par la douleur,

Ne songeant pas aux vers que vous venez de lire,
De ne plus accorder une profane lyre.
Si donc en ce moment j’ai chanté Raphaël,
C’est que, pour moi, cet homme est un ange du ciel.


Antoni Deschamps.