ÉTUDES
SUR L’ANGLETERRE.

V.
LEEDS.

Après le comté de Lancastre, le district manufacturier le plus riche et le plus important de l’Angleterre est la partie occidentale (west-riding) du comté d’York. Le comté d’York figure lui-même comme une sorte de royaume dans l’empire britannique ; c’est l’abrégé[1], ou, si l’on veut, l’image du pays tout entier. Son étendue[2] l’a fait diviser en trois grandes provinces, dont chacune a un lord lieutenant et envoie deux représentans à la chambre des communes. À l’endroit où se rencontrent les limites de ces provinces, la ville d’York avec sa banlieue (city and ainstey) forme un district central assez semblable au département de la Seine ou au comté non moins microscopique de Middlesex. La réforme municipale a dépouillé York de son lord-maire, de ses huit chambellans, de sa chambre haute et de sa chambre basse, vain et vénérable simulacre de gouvernement ; mais, après avoir cessé d’être une métropole politique, cette ville est encore une métropole religieuse et un des quartiers-généraux de l’aristocratie.

Dans le comté d’York, la nature et la société présentent les mêmes contrastes. On y trouve tous les sols et presque tous les climats. Les districts de l’ouest sont principalement industriels, ceux de l’est exclusivement agricoles : dans les premiers, chaque halte est marquée par une ville ; dans les seconds, vous ne rencontrez que des hameaux. À l’ouest et au nord, la propriété peut paraître très divisée, eu égard au reste de l’Angleterre ; à l’est, au contraire, la terre appartient à un petit nombre de familles qui possèdent ces vastes domaines et se les transmettent de génération en génération. Plus on approche des montagnes du Lancastre, plus les hommes ont le sentiment de leur indépendance et de leur dignité ; mais dans la partie orientale du Yorkshire, un grand propriétaire, n’accordant jamais de baux à ses fermiers, dispose absolument de leur existence : il les mène au vote, comme autrefois le baron féodal conduisait ses vassaux au combat. Pour achever le tableau, la différence est tout aussi radicale dans les cultes : les sectes dissidentes ont envahi les villes de l’ouest, tandis que la population des campagnes relève toujours de l’église établie.

Dans le comté de Lancastre, les traces des temps historiques ont disparu sous la végétation luxuriante des manufactures ; tout y est de récente formation. Ce qui distingue au contraire le comté d’York, c’est qu’il met perpétuellement le présent en regard du passé, et les rend, pour ainsi dire, contemporains. Deux chemins de fer percent les remparts qui arrêtèrent Fairfax, et pénètrent avec tout leur mouvement dans cette paisible capitale, qui semblait ne devoir plus être que la terre promise des antiquaires. Au pied du château bâti par Guillaume-le-Conquérant, vous pouvez évoquer l’histoire de sept siècles, les invasions écossaises repoussées par des armées de prêtres, les guerres des roses et les dernières batailles des Stuarts, puis, quelques heures après, vous transporter à Leeds ou à Sheffield pour vivre de la vie active, au milieu des prodiges tout aussi imposans de l’industrie. Vous venez d’admirer la cathédrale d’York, cette merveille du monde chrétien, dans laquelle l’élégance et la grace infinie des détails le disputent à la grandeur de l’ensemble, et vous vous trouvez en face de la manufacture vraiment monumentale de M. Marshall à Holbeck, ce bâtiment qui a les dimensions d’une église[3], où 1,000 ouvriers travaillent dans une salle autour de 2,000 métiers, où le mouvement est donné par 2 machines de 100 chevaux chacune, et où le manufacturier, prenant à cœur la santé des ouvriers autant que la perfection des produits, emploie une troisième machine à renouveler du matin au soir l’air que l’on respire dans son immense atelier.

La partie occidentale du comté d’York continue le Lancashire ; elle offre, bien que sur une moindre échelle, les mêmes avantages à l’industrie. Les gîtes houillers, les cours d’eau, les moyens de communication, les capitaux, rien n’y manque de ce qui constitue les élémens essentiels du travail ; ces élémens sont mis en œuvre par une population nombreuse et active : en 1841, le West-Riding comptait 1,154,101 habitans[4]. Du reste, l’industrie dans le comté d’York tient beaucoup plus au sol que dans le comté de Lancastre. À Manchester, la matière première des manufactures est un produit exotique, le coton ; à Leeds, une grande partie des laines que l’on convertit en tissus est fournie par les troupeaux du Yorkshire ou du Northumberland.

La manufacture de coton règne à peu près sans partage dans le Lancashire ; dans le comté d’York, si l’industrie n’atteint pas au même degré de puissance, elle varie davantage ses applications. Le West-Riding partage avec l’Écosse la filature et le tissage mécanique du lin, avec les comtés de Gloucester, de Somerset et de Norfolk la fabrication des étoffes de laine, avec Birmingham et avec Wolverhampton la manufacture de coutellerie, de quincaillerie et de plaqués. Chaque genre de travail se localise et a son siége particulier : ainsi, le fer et l’acier s’élaborent principalement à Sheffield ; Leeds est le centre de la filature et du tissage qui se ramifient de là, pour le lin, dans la vallée de la Nidd, vers Knaresborough et Ripley ; pour la laine, dans les vallées de l’Aire et de la Calder, vers Bradford, Huddersfield et Halifax.

En Angleterre, comme ailleurs et plus qu’ailleurs, la manufacture de coton semble être parvenue à son apogée ; la fabrication des filés, celle des tissus de laine et de lin, est au contraire en voie de progrès. Ce phénomène s’explique par la nature même de la révolution qui s’est opérée dans l’industrie pendant les cinquante dernières années. Depuis la mule-jenny jusqu’au métier à tisser mu par l’eau ou par la vapeur, les grandes inventions ont eu d’abord pour objet le travail du coton : de là le bon marché de ces tissus, qui avaient fini par supplanter tous les autres ; mais à mesure que l’on a découvert le moyen d’appliquer la puissance des machines au travail de la laine et du lin, ces deux industries ont dû reprendre leurs avantages. Le prix des toiles et des draps a été mis à la portée des plus médiocres fortunes, et, la mode s’en mêlant, ils sont devenus encore une fois d’un usage presque universel. On a vu les fabriques jusqu’alors exclusivement consacrées aux articles de coton s’approprier les articles de laine : en France, Mulhouse et Saint-Quentin ont substitué les mousselines de laine aux indiennes et aux mousselines de coton ; Roubaix et Darnétal ont entrepris les tissus mélangés de coton et de laine, à l’exemple de Manchester. Enfin le lin et le chanvre, que l’on ne filait auparavant que dans les chaumières, ont élevé aussi leurs filatures casernes et ont contribué à l’entassement des populations.

Le travail de la laine et du lin, étant arrivé plus tard que celui du coton à l’état manufacturier, n’a pu développer encore ni la même population ni la même richesse. En France, Reims n’approche pas de Lille, ni Elbœuf de Rouen. En Angleterre, on ne saurait comparer Leeds à Manchester[5], ni Bradford à Glasgow ; mais précisément, parce que les manufactures du West-Riding restent encore bien loin de cette extrême opulence, elles ne connaissent pas l’extrême misère. Dans les fabriques de Leeds et des environs, la moyenne du salaire est supérieure à celle des comtés de Lancastre et de Lanark, et l’on sait que de tous les tisserands à bras les plus malheureux aujourd’hui sont ceux qui s’appliquent aux étoffes de coton.

La manufacture de coton était déjà fixée dans le Lancashire à l’époque où les découvertes de Watt et d’Arkwright ont changé la face de cette industrie ; il s’est fait alors une révolution, mais non pas un déplacement, dans le travail. La manufacture de laine, au contraire, ainsi que la manufacture de lin, ont dû se déplacer en changeant de conditions, parce que le théâtre de leurs premières opérations était trop peu fécond ou devenait trop étroit. Ainsi, le comté de Norfolk, qui avait le monopole des tissus longue laine et de fantaisie, a vu ses fabriques décliner et s’éteindre devant la concurrence de Leeds et de Bradford, dès que la vapeur est entrée comme un élément nécessaire dans la fabrication ; car Norwich est située à une assez grande distance des mines de charbon. Le comté de Gloucester était le siége principal de la manufacture de draps ; il n’a guère pu conserver que la draperie fine. La draperie de grosse consommation, celle qui exporte et qui fait concurrence aux fabriques étrangères, s’est établie à Leeds et dans les environs. Selon Mac’culloch, le Yorkshire produit les trois quarts des draps manufacturés en Angleterre. Les inspecteurs des manufactures n’admettent pas complètement cette évaluation ; mais sur 1102 fabriques employant 65,461 ouvriers en Angleterre pendant l’année 1834, ils en attribuaient au West-Riding 601 employant 40,890 ouvriers.

D’où vient que la fabrique de drap languit à l’ouest de l’Angleterre, tandis qu’elle prospère et grandit au nord ? On peut l’attribuer d’abord à cette loi générale du progrès industriel qui a fait prévaloir partout, sur les usines hydrauliques, les usines mues par la vapeur. Les fabriques du comté de Gloucester étaient situées dans le district appelé les vallées (bottoms), et sur les cours d’eau qui, après avoir arrosé les vallons d’Averning, de Chalford, de Rodborough et de Painswick, se réunissent près de Stroud ; ces moteurs avaient le double inconvénient d’amener de fréquens chômages par l’irrégularité de leur action, et de fournir une force qui n’était pas susceptible de s’accroître avec les opérations de l’industrie. Dans le comté d’York, au contraire, l’abondance de la houille permet d’alimenter régulièrement les machines, et rien n’est plus facile que d’augmenter, en cas de besoin, la puissance motrice dans les établissemens qui marchent à la vapeur.

La décadence de cette industrie dans le comté de Gloucester tient aussi à la conduite des manufacturiers. La manufacture de draps est de celles qui demandent la surveillance la plus active et l’expérience la plus consommée. Elle ne se compose pas, comme la manufacture de coton, d’un petit nombre d’opérations simples incessamment répétées ; les rouages en sont nombreux et compliqués : depuis le choix des laines jusqu’à l’apprêt que reçoivent les étoffes, tout peut devenir, selon que la gestion est bonne ou mauvaise, cause de perte ou matière à profit. Les fabricans du Yorkshire, gens laborieux et qui vivent de peu, animent constamment le travail de leur présence, se levant et prenant leurs repas aux mêmes heures que les ouvriers. Ceux du Gloucester, par suite apparemment d’une longue prospérité, s’étaient amollis et négligés ; ils abandonnaient à des gérans le soin de leurs manufactures, se mêlaient à la noblesse, en contractaient les habitudes extravagantes, et, afin de devenir grands propriétaires fonciers, empruntaient à 5 pour 100 ou dérobaient à leur commerce les capitaux représentés par une terre qui rendait à peine 3 pour 100. De là de nombreuses faillites. Sur 137 établissemens, 58 ont été fermés en huit années, et ceux qui restent debout, se voient, faute de capital, dans la dépendance des marchands de Londres, qui les font travailler par commission et à prix réduits[6]. En France, les mêmes causes ont donné à la fabrique d’Elbeuf un avantage incontestable sur la fabrique rivale et voisine de Louviers.

Les circonstances qui ont déterminé la supériorité de Leeds et du Yorkshire dans la manufacture de draps sont indiquées par M. Hickson[7]. « À Dublin, dit-il, un grand fabricant de draps m’assura que, s’il avait à recommencer sa carrière industrielle, il s’établirait à Leeds plutôt qu’en Irlande, parce que la division du travail, dans cette ville, fait de chaque branche de la manufacture une industrie séparée, contre laquelle un manufacturier, opérant suivant l’ancien système, ne peut pas lutter sans disposer d’un capital illimité. » Pour compléter cette explication, il convient de remarquer que l’industrie de Leeds joint la puissance des capitaux accumulés aux ressources que fournit la division du travail. Par un phénomène exceptionnel, l’organisation de l’industrie y est double, et la petite manufacture coexiste avec la grande, la démocratie avec l’aristocratie.

Dans la fabrication des tissus longue laine (worsted), dont Bradford est le centre, les opérations se divisent à peu de chose près comme dans la manufacture de coton ; la filature a ses établissemens distincts, et le manufacturier proprement dit achète la laine filée sur le marché pour la distribuer ensuite aux tisserands qui travaillent pour lui. Cette population se trouve répartie entre vingt-cinq villages qui dépendent de Bradford et qui comptent ensemble près de quatorze mille métiers. Souvent aussi les ouvriers sont réunis dans des fabriques où le tissage se fait à la vapeur ; le fabricant devient alors un spéculateur que la nécessité de rendre productif le capital représenté par les bâtimens et par les machines contraint de soutenir le travail pendant toute l’année.

Mais à Leeds et dans les trente-trois villages qui en sont les annexes, la fabrication du drap (woollen trade) procède tout autrement. En regard de la manufacture urbaine, qui concentre les diverses opérations et où la laine est teinte, filée, tissée, foulée et apprêtée sous le même toit, se place la manufacture rurale, qui est divisée entre des milliers de familles et qui combine le travail domestique avec les avantages du travail par association. Dans ce dernier système, la fabrication du drap est quelque chose d’analogue à celle de la rouennerie normande. Le fabricant, au moyen d’un petit capital, achète la laine pour la mettre en œuvre et pour la revendre ensuite sous forme de tissu. Communément il mène de front, avec cette industrie, l’exploitation d’une ferme de quelques acres, et passe alternativement du tissage à la culture des champs. Toute chaumière est un atelier qui contient un, deux, trois et rarement quatre métiers à tisser. Au temps de la moisson ou de la fenaison, si l’ouvrage manque à la fois dans la ferme et au métier, la famille entière, femmes, enfans et domestiques ou apprentis, est envoyée en quête de travail ; elle a donc pour vivre trois cordes à son arc, et descend, quand il le faut, sans se plaindre, à la condition du simple journalier.

Autrefois la chaumière du fabricant était une véritable manufacture dans laquelle la laine passait par tous les degrés de la fabrication, jusqu’à produire du drap qui n’avait plus besoin que de recevoir le lustre de l’apprêt. La concurrence des grands manufacturiers a obligé les petits à se départir de la simplicité primitive de leurs procédés : ils ont appris à s’associer et à mettre leurs forces en commun. Depuis le commencement du siècle, ils ont fondé dans chaque village des établissemens publics de filature, de teinture, de foulage et de dégraissage, dont tout fabricant est actionnaire, qui sont administrés avec une sévère économie, et qui, dégageant le travail en famille de ces opérations préparatoires, le réduisent au tissage du drap.

À mesure qu’il a terminé une pièce, le maître tisserand ou drapier (clothier) va la vendre lui-même au marché. Leeds a deux belles halles aux draps, l’une pour les tissus blancs ou écrus, l’autre pour les étoffes de couleur. « À six heures du matin en été, dit M. Adolphus[8], et à sept heures en hiver, la cloche du marché se met en branle ; aussitôt, et en quelques minutes, sans embarras, sans bruit, sans désordre, la halle se remplit, et les bancs se couvrent de draps, les pièces serrées les unes contre les autres, et chaque fabricant debout derrière la pièce qu’il a tissée. Au moment où la cloche cesse de retentir, les acheteurs et les facteurs entrent dans la halle et se promènent entre les rangées de marchandises. Quand ils ont jeté leur dévolu sur une pièce, ils se penchent vers le drapier, et par un mot dit à voix basse engagent la négociation : chacun donne son prix, et ils tombent d’accord ou rompent le marché en un instant. Au bout d’une heure, tout est fini ; on a vendu pour douze ou quinze mille livres sterling. » Le drap fabriqué dans les villages est d’une qualité grossière et n’excède pas en moyenne une valeur de 10 à 11 fr. le mètre ; l’élévation des salaires, ainsi que le grand nombre des manufactures, attire les meilleurs ouvriers à Leeds, où se fait le meilleur drap. Toutefois, les marchands de la ville achètent volontiers les étoffes apportées à la halle par les tisserands, et les livrent ensuite à l’industrie des apprêteurs. L’apprêt est la grande spécialité de Leeds, et alimente ses ateliers les plus florissans.

Les petits fabricans du Yorkshire ne voient pas sans inquiétude le système manufacturier, cantonné d’abord dans le travail du coton, envahir déjà le travail de la laine. Toute démocratie est ombrageuse, et l’ignorance de ces hommes, demi-maîtres, demi-ouvriers, devait ajouter à leurs terreurs. Au commencement du siècle, ils adressèrent des pétitions à la chambre des communes pour faire limiter par la loi le nombre de métiers à tisser que pourrait contenir un seul bâtiment. Autant valait demander la démolition des manufactures, la destruction des machines, et le retour aux procédés grossiers importés par les Flamands sous le règne d’Edouard III. Le comité de la chambre, auquel les pétitions avaient été renvoyées, publia un rapport qui, en établissant les vrais principes de la matière, respirait le plus louable esprit de conciliation.

« Ce qui recommande, disait le comité, le système domestique, c’est qu’un jeune homme qui jouit d’une bonne réputation peut toujours obtenir à crédit autant de laine qu’il lui en faut pour s’établir maître fabricant. Les usines publiques qui existent maintenant dans toutes les parties de ce district industriel, et qui travaillent à loyer, pour un prix modéré, mettent à sa disposition ces machines dispendieuses et compliquées dont la construction et les réparations exigeraient un capital considérable. Il arrive ainsi fréquemment que des hommes qui étaient partis de bien bas s’élèvent à une situation aisée et indépendante.

« Un autre avantage du système domestique consiste en ceci, qu’un temps d’arrêt dans le commerce extérieur, une faillite, une crise n’a pas pour effet nécessaire de priver de travail un grand nombre d’ouvriers. La perte s’étend à une plus grande surface, elle affecte le corps entier des fabricans, et quoique chacun d’eux puisse en souffrir, bien peu, s’il en est quelqu’un, éprouvent une secousse assez forte pour être entièrement ruinés. Il paraît même que, dans les mauvais jours, ils ne renvoient pas leurs journaliers, et qu’ils continuent le travail en attendant des temps meilleurs.

« Cette constitution de l’industrie a pour effet d’accroître le nombre des marchands, en leur permettant de se livrer au commerce avec un capital moindre que s’ils avaient à fabriquer eux-mêmes le drap ; car il faudrait, dans le système contraire, dépenser en bâtimens et en machines des sommes que l’on ne pourrait plus recouvrer, et, ce qui est une considération encore plus décisive, s’exposer aux embarras, à la sollicitude qu’entraîne la surveillance d’un grand nombre d’ouvriers. Il faudrait faire l’avance d’articles manufacturés qu’on serait ensuite obligé, à la première variation des prix, de garder en magasin ou de vendre à perte. Dans l’état actuel de la fabrique, le marchand peut traiter avec le consommateur du dedans ou du dehors pour telle ou telle quantité de marchandises. Que la demande soit prévue ou soudaine, il n’a qu’à se transporter sur le marché, où il commande et fait exécuter à bref délai les articles qui lui manquent. En fait, des négocians qui disposent d’un capital considérable et d’un très grand crédit ont continué ainsi, de génération en génération, à faire leurs achats dans les halles, et non-seulement ils n’ont pas eu la pensée d’établir des manufactures, mais ils estiment encore que la plupart des manufacturiers ont peu d’attachement pour leur industrie, et n’y persistent que pour utiliser le capital représenté par leurs établissemens.

« Dans ces circonstances, la crainte de voir décliner le travail domestique peut raisonnablement nous surprendre. Cette crainte a sans doute été excitée par l’émigration de quelques maîtres fabricans qui ont quitté les environs de Leeds pour aller se fixer dans les districts ruraux.

« Les manufactures, dans une certaine mesure du moins, sont absolument nécessaires à la prospérité du système domestique ; elles l’emplissent des fonctions auxquelles ce système, on doit le reconnaître, ne semble pas naturellement destiné. Il est évident que le petit fabricant ne peut pas, comme celui qui possède d’immenses capitaux, faire les expériences ou s’exposer aux risques et même aux pertes qui sont inhérens à l’invention de nouveaux produits ou au perfectionnement des produits déjà inventés. Il ne saurait avoir une connaissance personnelle des besoins, des habitudes, des arts, de l’industrie, ni des progrès accomplis dans les pays étrangers. L’activité, l’économie et la prudence, doivent former les traits distinctifs de son caractère ; on n’attend de lui ni l’esprit d’invention, ni le goût, ni l’audace qui entreprend. Cependant la plupart des innovations, quand le succès est établi, deviennent d’un usage général parmi les manufacturiers, et le fabricant domestique finit par trouver son profit au voisinage de ces manufactures qui avaient d’abord excité sa jalousie. En fait, les propriétaires des manufactures achètent souvent à la halle, par fortes parties, les draps communs fabriqués dans les campagnes, et ne s’attachent dans leurs établissemens qu’aux articles de mode et de fantaisie. Ainsi les deux systèmes, au lieu de se faire concurrence, s’entr’aident, chacun suppléant l’autre et contribuant à sa prospérité. »

Ce jugement, porté en 1806, est encore vrai aujourd’hui. Mac’culloch fait remarquer que le nombre des petits fabricans, ainsi que la quantité de leurs produits, ont continué de s’accroître ; mais, comme l’accroissement des manufactures a été encore plus rapide, il se trouve que le système domestique est, à tout prendre, relativement moins général qu’il ne l’était il y a quarante ans. La fabrique de Dison, en Belgique, présente quelques analogies avec cet état de choses. Là aussi les fabricans ont recours à des établissemens publics pour la teinture, pour la filature et pour le foulage, et ils n’ont que le tissage à surveiller. Ils ne sont guère plus grands capitalistes que les maîtres drapiers du Yorkshire, et l’argent leur manque à ce point qu’ils paient les matières premières et les ouvriers sur le prix de leurs ventes ; mais ils ne mettent pas eux-mêmes la main à l’œuvre, et ils n’en sont plus à ce travail domestique qui se partage entre la navette et la charrue. C’est en Angleterre qu’il faut aller pour voir, tant que l’humble édifice subsiste encore, cette exception toute démocratique aux progrès absorbans de la grande industrie[9], et il n’y a pas de temps à perdre, car aujourd’hui la république des drapiers n’existe plus que dans les environs de Leeds et de Huddersfield, ainsi que dans le nord du pays de Galles ; avec le temps, le tissage mécanique, dont l’usage commence à se généraliser dans les fabriques de Leeds et règne exclusivement dans celles de Bradford, fera disparaître, par sa concurrence meurtrière, ces derniers vestiges de l’ancienne société[10].

Lorsque les manufacturiers des comtés d’York et de Gloucester créèrent des ateliers de tissage (hand-loom factories), ils firent faire un progrès réel au travail. Les ouvriers, ainsi réunis, produisirent davantage et donnèrent plus de perfection aux produits. Leur salaire s’éleva dans la même proportion ; tandis que le maître tisserand gagnait en moyenne 9 sh.d. par semaine et le journalier ou compagnon tisserand 6 shell. 7 1/2 d., l’ouvrier tisseur (factory weaver) obtint 11 shell.d., c’est-à-dire 20 pour 100 de plus que le premier, et 45 pour 100 de plus que le second. Cependant la concurrence des ateliers ne détruisit pas le tissage domestique. Le tisserand, vivant à la campagne et travaillant en famille, trouva, dans les ressources et dans le bon marché de cette existence, des compensations à l’infériorité du salaire. Ce ne fut pas d’ailleurs sans difficulté que l’on détermina des hommes habitués jusqu’alors à une certaine liberté d’action à subir la règle inflexible à laquelle sont soumis dans les manufactures les moindres mouvemens de l’ouvrier. Le nouveau travail leur parut un véritable servage qui portait atteinte à leurs droits et qui les dégradait à leurs propres yeux. Ceux qui s’y résignèrent ne firent qu’obéir à la nécessité. De toutes ces causes réunies, il est résulté une sorte d’équilibre qui règne encore entre les deux modes de production.

C’est ce régime de transition, cette trêve entre deux industries rivales, que l’introduction du tissage à la vapeur va infailliblement renverser. Dans la manufacture de laine comme dans la manufacture de coton, le tissage à la main ne se pratiquera plus que pour la confection des draps fins ou des étoffes à grande largeur, et si quelque ouvrier incapable de faire autre chose ou trop attaché aux habitudes de toute sa vie persiste à lutter avec les machines pour la fabrication des étoffes communes, ce travail ingrat ne pourra plus le nourrir. M. Hickson a rencontré à Manchester des tisserands dans la force de la jeunesse et de la santé qui ne gagnaient que 5 shell. par semaine, et cela dans un district où le salaire du fileur s’élève en moyenne à 20 ou 24 shell., où un laboureur exercé a 21 shell. pour mener la charrue, où le journalier employé aux terrassemens des chemins de fer gagne 15 shell., et les femmes qui surveillent le tissage mécanique 8 à 9 shell. N’en sera-t-il pas de même à Leeds ? Déjà M. Chapman assure que, dans les articles de cette manufacture qui admettent le travail à la vapeur, l’ouvrier obtient 11 shell. par semaine, pendant que le tisserand domestique n’en peut réaliser que 7[11].

La révolution qui a substitué, dans le tissage du coton, le métier mu par la vapeur ou par une force hydraulique au métier que le bras de l’homme faisait mouvoir, n’a eu que des résultats heureux. Le travail en famille aurait disparu sans cela, vaincu par cette puissance d’attraction qui entraînait les ouvriers vers les manufactures ; ce n’est donc pas le tissage mécanique qui l’a détruit. Comme, en diminuant les frais de la production, l’on a augmenté la demande des produits, le nombre des travailleurs n’a pas pu se réduire. Enfin, l’on n’a pas supplanté une classe d’ouvriers par une autre ; car, avant l’invention du tissage mécanique, les femmes et les enfans étaient déjà employés à tisser le coton.

L’application de la vapeur au tissage de la laine aura de tout autres conséquences ; sans aller plus loin, il en résultera une réduction dans les salaires et un déplacement du travail. Jusqu’à présent, le salaire des ouvriers drapiers excède notablement celui des ouvriers en coton et en fil, souvent même celui des ouvriers en soie. Un tisserand dans les manufactures de Leeds gagne autant qu’un fileur dans celles de Manchester[12]. La supériorité des fabriques de draps, sous le rapport du salaire, est la même en France. M. Grandin déclarait, dans l’enquête de 1834, que la journée de treize heures effectives rendait aux tisserands d’Elbeuf 3 à 4 francs par jour, et un filateur de laine établi à Paris, M. Griolet, affirmait que ses ouvriers obtenaient, selon leur habileté et leur application, depuis 3 francs jusqu’à 10 francs par jour.

On se rendra aisément compte de ce fait, si l’on considère que le travail, dans les tissus de laine, exige un déploiement de force musculaire qui en écarte les femmes et les enfans. Le métier a généralement plus de largeur, et il est beaucoup plus lourd que celui qui s’applique au tissage des étoffes étroites en soie ou en coton. « Le tissage du drap est un ouvrage d’homme, » disait un fabricant de Leeds à M. Chapman. Or, il est d’expérience que le salaire, tout en exprimant le rapport qui existe entre l’offre et la demande du travail, se mesure aux besoins de la classe la plus infime des travailleurs. Le simple journalier se trouvant en France au bas de cette échelle, c’est le prix de sa journée qui détermine le taux des salaires. En Angleterre, la classe des tisserands à bras, étant la plus malheureuse, donne le niveau. Dans toutes les industries où les femmes et les enfans sont en concurrence avec les hommes, si l’enfant fait le travail de l’homme, le travail ne rend que le salaire d’un enfant[13]. Toutes les fois, au contraire, qu’une industrie est de nature à repousser l’intervention des enfans et des femmes, ou que la volonté des hommes les exclut, le salaire se maintient à un taux qui suffit pour nourrir la famille de l’ouvrier.

On comprend maintenant quel immense changement le tissage à la vapeur va opérer dans l’industrie de Leeds. Le travail des hommes, qui était le principal, deviendra l’accessoire ; celui des femmes et des enfans dominera comme il domine partout ailleurs. Les ouvriers adultes et valides devront, dans plusieurs cas, chercher un autre emploi ; pour un temps du moins, les enfans nourriront les pères ; la société tout entière se trouvera matériellement et moralement abaissée. Je suis loin d’en conclure que l’on doive reculer devant un progrès mécanique, qui n’est lui-même que la conséquence des progrès antérieurs ; mais en insistant sur les souffrances qui en peuvent sortir, je crois expliquer l’effroi profond avec lequel les ouvriers envisagent la perspective de ces innovations, et les recommander à toute la sollicitude de la puissance sociale, à laquelle il appartient peut-être d’adoucir la transition de l’état ancien à l’état nouveau.

Les fabriques du West-Riding et de Leeds en particulier se sont remises plus lentement que celles du comté de Lancastre de la crise qui avait frappé l’Angleterre en 1840, et parmi les établissemens de Leeds, les manufactures de draps sont celles qui ont le plus souffert. Au mois de juin 1841, l’inspecteur de ce district, M. Saunders, annonçait que le nombre des ouvriers s’était accru dans les fabriques de mérinos, de stuffs et de casimirs, tissus vers lesquels inclinait la mode, mais qu’il avait diminué d’un sixième dans les fabriques de draps[14].

La manufacture de drap, bien qu’étant une industrie indigène et qui dépend moins de l’exportation que la manufacture de coton, n’a pas cependant la même solidité. À la prendre année par année, on la trouve sujette à d’assez grandes fluctuations ; elle paraîtra stationnaire, si l’on envisage des périodes plus étendues. Depuis dix ans, les exportations de l’Angleterre en articles de laine se maintiennent à une limite moyenne de huit millions sterling. En décomposant les chiffres généraux, l’on reconnaît cependant que la valeur des tissus exportés a éprouvé une certaine diminution, mais que celle des filés s’est régulièrement accrue.

Au reste, il ne faut pas restreindre cette observation à la manufacture de laine ; les faits prouvent qu’elle doit s’étendre également au travail du fil et du coton. Dans ces branches diverses de l’industrie, l’Angleterre, malgré les plus grands efforts, n’a pas conservé tous les débouchés ouverts à ses tissus ; mais, en revanche, elle a peu à peu inondé de ses filés les deux continens. En sept années, le progrès de ses exportations a été, pour les filés de coton, de 26 pour 100, pour les filés de laine de 80 pour 100, et de plus de 300 pour 100 pour les filés de lin. Voici le tableau de cet accroissement :

COTON FILÉ. LAINE FILÉE. LIN FILÉ.
1836. 6,120,366 liv. st. 358,690 liv. st. 318,772 liv. st.
1837. 6,955,941 » 479,307
1838. 7,431,869 384,535 746,163
1839. 6,858,193 423,320 818,485
1840. 7,101,308 452,957 822,876
1841. 7,266,968 552,148 972,466
1842. 7,771,464 637,305 1,025,551

On conçoit que les autres états de l’Europe puissent lutter avec l’Angleterre dans le bas prix des tissus ; car, la valeur des tissus dépendant surtout du taux de la main-d’œuvre, la lutte entre les ouvriers des diverses contrées devient une affaire de privations. Or, l’ouvrier anglais n’a pas autant de patience que d’énergie, et il ne s’imposera jamais de son propre mouvement les souffrances qu’endure l’ouvrier flamand ou l’ouvrier saxon. « L’ouvrier saxon, dit M. Carnot[15], est pauvre et laborieux ; il vit de privations et travaille jusqu’à seize heures sur vingt-quatre ; sa nombreuse famille l’aide incessamment. C’est en produisant une masse incroyable de travail que tout ce monde parvient à se couvrir misérablement et à manger quelques pommes de terre. » Le docteur Bowring va plus loin : « Partout, dit-il, où une machine manœuvrée par un seul individu et sous le toit de cet individu représente le dernier progrès des arts mécaniques, l’ouvrier anglais ne peut pas entrer en concurrence avec l’ouvrier allemand. »

Mais dans la filature, comme la supériorité industrielle dépend du génie mécanique, de l’audace du spéculateur et de la puissance des capitaux, l’Angleterre doit avoir l’avantage sur les autres peuples. Aussi les Allemands, qui disputent à ses tissus les marchés extérieurs, continuent à recevoir une quantité prodigieuse de ses filés. Quant à la France, qui se défie trop de ses forces dans cette lutte, elle en est encore au moyen barbare de la prohibition. L’aggravation des droits établis sur les fils de lin a très certainement atteint le but que s’étaient proposé les auteurs du projet de loi. L’importation des filés anglais en France a diminué dans une proportion considérable, et si j’avais pu mettre en doute le coup porté à l’industrie de Leeds, l’aspect des ateliers à moitié déserts de M. Marshall m’aurait convaincu. Malheureusement, en frappant la filature étrangère, nous avons blessé les intérêts du tissage national. Les fabriques du Calvados, de l’Orne et de la Mayenne, auxquelles on refusait ainsi la matière première de leur travail, ont dû augmenter leurs prix de vente et ont, par une conséquence nécessaire, beaucoup perdu de leur activité. En fait de douanes, les mesures restrictives sont des armes à deux tranchans : on ne peut pas porter un dommage à l’industrie du dehors sans nuire, par contre-coup, à l’industrie du dedans.

Ce qui précède suffirait, avant toute description, pour faire juger de l’état de Leeds. La manufacture de laine formant la principale industrie de la ville et plaçant les ouvriers dans une atmosphère plus favorable à la santé que la manufacture de coton, la durée quotidienne du travail étant généralement plus courte dans le West-Riding que dans le Lancashire, les ouvriers obtenant des salaires plus élevés, les fabriques employant moins de femmes et d’enfans, la population n’ayant pas fait des progrès aussi rapides qu’à Liverpool, qu’à Manchester ni qu’à Glasgow, et se trouvant moins mélangée d’Irlandais[16], les familles pauvres pouvant se loger à un prix modéré dans une ville où l’air et l’espace sont moins disputés[17], il semble que les classes laborieuses devraient y être plus morales et plus heureuses, et que la mortalité pour ainsi dire épidémique des cités manufacturières devrait se relâcher un peu dans leurs rangs.

Les circonstances administratives neutralisent en grande partie l’influence de cette organisation. Je ne connais pas de ville qu’il soit plus désagréable d’habiter ni qui ait des dehors plus sombres que Leeds. Jamais la main de l’homme n’a plus fait pour gâter la nature. Leeds est bâti dans un site qui pourrait être riant, au confluent de l’Aire et du canal qui, après avoir traversé le comté de Lancastre, unit l’Aire à la Mersey, et la mer du Nord à la mer d’Irlande : la ville s’élève en pente douce sur un coteau, position qui se prêterait à merveille à l’écoulement des eaux et à la ventilation des rues ; mais l’agglomération de tant d’usines sur un espace comparativement étroit s’oppose à toute espèce d’embellissement et devient une cause permanente d’insalubrité.

Le dimanche est le seul jour à Leeds où l’on puisse apercevoir le soleil. Dans la semaine et tant que fument les cheminées des manufactures, l’air, les eaux, le sol, tout est imprégné de charbon. Les rues, couvertes de cette poussière noire, ressemblent aux galeries d’une mine. La rivière épaissie n’a plus de courant pour balayer les égouts qui s’y jettent. L’atmosphère, chargée de vapeurs malfaisantes, étouffe et paralyse la végétation. Les hommes vivent ainsi sur une hauteur comme au fond d’un puits. On comprendra cela quand on saura que les seules machines à vapeur de Leeds, au nombre de 362 représentant 6,600 chevaux, consument 200,000 tonneaux de charbon par année[18]. La consommation d’eau que font les usines est telle que le petit ruisseau de Timble-Bridge, qui traverse la partie la plus peuplée de la ville, passe littéralement à travers les chaudières, et que la jouissance de ces eaux, que leur chaleur acquise rend plus susceptibles de condensation, donne lieu à de nombreux procès.

L’acte du 16 juillet 1842 arme la corporation municipale de Leeds de pouvoirs très étendus. Il dépend désormais des magistrats de cette cité d’assainir la voie publique, et de veiller à la bonne constructions des maisons. Toutefois, autant que j’ai pu en juger au mois de juillet 1843, l’état de la ville ne différait pas sensiblement de celui que l’auteur d’un travail inséré dans le Rapport sur la condition sanitaire des classes laborieuses, M. Baker, a décrit en 1841. Selon ce rapport, sur 586 rues ou impasses que Leeds renferme, la juridiction municipale n’en embrassait que 86, dont 68 seulement étaient pavées par les autorités ; on abandonnait les autres à la police individuelle des propriétaires, qui laissaient s’accumuler les cendres de coke dans les rues jusqu’à exhausser très souvent le sol de un ou deux pieds. Çà et là des mares d’une eau stagnante et fétide se formaient devant la porte des familles pauvres, qui, soit insouciance, soit désespoir, n’élevaient aucune plainte ; ailleurs c’étaient des désordres encore plus repoussans et que notre langue se refuse à décrire[19]. Dans les parties basses de la ville, l’irrégularité des bâtimens, l’étroite dimension des rues, l’accumulation des immondices, les exhalaisons putrides, rendaient ces quartiers inhabitables. Souvent l’Aire, grossi par les pluies ou par la fonte des neiges, inondait les maisons, et l’on voyait, dans les caves qui servaient de logemens aux ouvriers, les familles flotter sur leurs lits ; puis, lorsque les eaux s’étaient retirées, des fièvres contagieuses se déclaraient et décimaient cette population. Les cimetières, les abattoirs, les fabriques de noir animal, étaient placés au milieu de la ville ; et, ce qui paraîtra incroyable, la voirie, qui servait de dépôt pour les immondices recueillies dans les rues en attendant qu’on pût les employer comme engrais, se trouvait au centre du quartier le plus populeux, en sorte que Leeds, comme une chaumière irlandaise, était assis sur son fumier.

M. Baker attribue au changement qui s’est opéré dans la constitution chimique de l’atmosphère sous l’influence de toutes ces causes d’insalubrité, non-seulement les épidémies de 1836 et 1837, mais les maladies de poitrine qui paraissent être très communes à Leeds. Sur 1742 chefs de famille décédés en 1838, 708 avaient succombé à la phthisie pulmonaire ; dans un seul district de Leeds, sur 242 enfans morts avant l’âge de seize ans, pendant les six premiers mois de 1841, la phthisie en avait emporté 78. Au surplus, la mortalité dans la ville se proportionne exactement à la salubrité ou à l’insalubrité de chaque quartier et à la profession exercée par chaque habitant. Dans les quartiers du nord et du nord-est, où la population est très agglomérée, il meurt 1 habitant sur 23 ; dans ceux de l’est et du sud, 1 habitant sur 30, et 1 sur 36 dans les quartiers de l’ouest et du nord-ouest, vers lesquels se porte la classe aisée. Si l’on répartit les décès entre les diverses professions, on trouvera que les classes supérieures perdent annuellement 1 personne sur 44 ; les commerçans et les fermiers, 1 sur 29 ; les ouvriers enfin, 1 sur 19, résultat inférieur à ceux que présente Londres, mais un peu meilleur que ceux que l’on observe à Manchester et à Liverpool.

Dans les manufactures, le travail du lin paraît être particulièrement funeste : on y occupe beaucoup plus de femmes et d’enfans que le travail de la laine n’en emploie, et cette circonstance en rend les effets plus meurtriers. « Les enfans employés à sérancer le lin, dit un médecin de Leeds, M. Craven[20], souffrent extrêmement de la poussière qui remplit l’air ; il en est de même des jeunes femmes occupées au cardage. Les uns et les autres sont fréquemment atteints de maladies de poitrine et meurent de consomption. Les plus jeunes sont attaqués d’une inflammation des bronches, que je crois particulière aux enfans qui travaillent dans les filatures de lin. » Les ouvriers de ces établissemens parviennent rarement à l’âge de 50 ans. Encore la mortalité serait-elle plus terrible sans les fréquentes migrations des travailleurs, qui s’empressent d’abandonner cette occupation aussitôt qu’ils trouvent un autre emploi.

À Newcastle, on compte 9 habitans par maison, à Londres 7, et à Leeds un peu plus de 4 seulement. La proportion des décès étant plus forte à Leeds qu’à Londres et qu’à Newcastle, il faut en conclure que ce n’est pas l’encombrement de la ville qui en fait l’insalubrité. On rencontrerait pourtant dans les bas quartiers des scènes de confusion et de détresse assez semblables à celles que présentent Manchester et Liverpool. La moitié des familles n’ont pas plus de deux chambres, l’une qui sert de cuisine et de parloir, l’autre de chambre à coucher ; celle-ci se nomme le logement (lodging-room). M. Baker parle d’un garni qui renfermait deux chambres, dans chaque chambre six lits, et dans chaque lit deux ou trois personnes ; en 1838, le typhus s’y déclara et fit quatre victimes en peu de jours. Dans une impasse, qui doit avoir hébergé une colonie de cordonniers et qui porte encore le nom caractéristique de cour du soulier (Shoe-Yard), 34 maisons comprenant 57 chambres étaient habitées par 340 personnes, ce qui donne par chambre plus de 6 habitans. Leeds a aussi ses caves-logemens, dans lesquelles vivent surtout les tisserands irlandais. Telle est l’influence d’une habitation misérable et malsaine sur les habitudes de ceux qui l’occupent, que ces familles, bien que gagnant communément 30 shillings par semaine ou près de 2,000 francs par année, présentent le spectacle du dénuement le plus hideux. Dans ces antres obscurs, dont les murs ne sont jamais blanchis, ni le sol nettoyé, les hommes et les animaux domestiques couchent pêle-mêle. Le métier à tisser remplit un coin du taudis, un porc l’autre, et la famille s’accroupit de son mieux sur un tas de haillons. Tout ce monde ne change jamais de vêtemens, et ce qui reste de leur salaire, après les fréquentes visites qu’ils font au cabaret, sert à les nourrir de pain et de café.

Quelle règle de décence, quel sentiment de morale pourrait trouver place dans de pareils lieux ? En vivant comme des animaux immondes, les hommes ne doivent-ils pas contracter à la longue les mœurs de la bestialité ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il se forme trop souvent au fond de cette fange des relations dont la nature a horreur. Il n’y a pas long-temps qu’un père et sa fille comparurent devant le jury de Leeds, accusés d’avoir celé la naissance d’un enfant qui était le produit de leur commerce incestueux. M. Baker fait mention d’une autre circonstance dans laquelle un homme se partageait entre la mère et sa fille, à peine âgée de seize ans. Le soir dans les rues, à l’heure où les ouvriers se couchent, on peut voir les sœurs se déshabiller devant les frères, et la mère se montrer demi-nue à ses fils, déjà hommes faits. Il est bien rare qu’un rideau tiré entre deux lits serve de barrière entre les sexes. Déplorable état de société où la pudeur semble devenir, comme la richesse, le privilége des classes élevées !

Les témoignages officiels ne s’accordent pas sur la situation morale de Leeds. M. Chapman, qui a étudié dans cette ville en 1839 la condition des tisserands, en parle en assez bons termes. « Quand on parcourt, la nuit, les rues de Manchester, l’ivresse, la prostitution et le désordre vous arrêtent à chaque pas ; à Leeds, tout est bon ordre et tranquillité pendant la nuit. Les rues ne présentent aucune de ces scènes dégoûtantes qui sont si communes dans les autres grandes cités… Les tisserands sont sobres, et ceux qui s’adonnent à l’ivrognerie forment bientôt une classe à part. » En 1841, M. Symons, autre commissaire du gouvernement, a publié des renseignemens qui rembrunissent un peu ce tableau[21]. Les membres du clergé et les inspecteurs de police entendus par M. Symons sont unanimes pour déclarer que l’ivrognerie, à Leeds, est en voie d’accroissement[22]. Le docteur Thackrah a calculé que, les jours de marché, chaque cabaret était fréquenté par près de deux mille personnes en quatre heures de temps. M. Symons a visité lui-même ces lieux de débauche à l’heure où les ouvriers s’y rendent après les travaux de la journée, et il a trouvé dans chaque boutique de bière ou de genièvre une trentaine de personnes rangées sur des bancs le long des murs. Partout les ouvriers s’y rencontraient, sans paraître choqués de cette société, avec les voleurs et avec les prostituées. Un langage obscène et des attitudes lubriques formaient, avec la boisson, le principal délassement des habitués. À l’appui de ces observations, il est à propos de rappeler que les prédications du père Matthew ont obtenu à Leeds moins de succès qu’à York et à Bradford. J’ai vu le cortége de l’apôtre irlandais défiler dans Briggate ; il ne se composait pas de plus de 1,200 à 1,500 adeptes, irlandais pour la plupart.

Les crimes et les délits sont proportionnellement moins communs à Leeds qu’à Manchester : en 1841, l’on n’a compté qu’une arrestation sur 50 habitans ; mais à Leeds comme à Manchester, c’est surtout parmi les enfans que la dépravation fait des progrès. La police amène fréquemment devant les magistrats des enfans de sept, huit ou neuf ans, et, pour emprunter les termes d’un rapport municipal, « les premières années de la vie fournissent le plus grand nombre de criminels. » Bien que les ouvriers de Leeds dépendent généralement beaucoup moins que ceux des districts cotonniers du salaire de leurs enfans, le fait du secours que ceux-ci apportent à la famille tend à les affranchir de la tutelle paternelle et à leur faire perdre tout sentiment de respect ainsi que de subordination. Il n’est nulle part plus vrai qu’en Angleterre que le pouvoir appartient à celui qui tient les cordons de la bourse. Aussi les parens n’ont-ils aucune autorité. Les enfans employés dans les fabriques affectent la même indépendance que les fils de famille ; comme eux, ils boivent, fument, jouent, ont des maîtresses, et, ne pouvant pas s’élever jusqu’à la manie aristocratique des courses de chevaux, ils font battre des chiens. « Le dimanche, dit le révérend Clarke[23], le quartier est envahi par des troupes d’enfans couverts de leurs vêtemens de travail, qui ne songent pas à fréquenter les églises. Ils font battre des chiens. Chacun d’eux a son chien, dont la place dans la maison est marquée sous le lit, et cela que les parens le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas. »

Dans les cabarets, on rencontre des enfans qui, selon l’expression de l’inspecteur Child, ne sont pas plus hauts que la table. Ils se cotisent (club together) quatre ou cinq pour payer une pinte de bière, et, comme à Manchester, il y a des maisons où les enfans seuls sont reçus. Bientôt l’âge et l’habitude de la licence développent en eux d’autres passions, et le cabaret ne leur suffit plus. Alors ils fréquentent les petits théâtres et les bals publics (dancing rooms), où ils sont initiés à la débauche par les prostituées[24]. Les rapports sexuels commencent dès l’âge de quatorze ans, quelquefois plus tôt. Les manufactures de laine présentent le même caractère en France, à l’indocilité près des enfans. Reims et Sedan sont des villes paisibles, où le libertinage ne fait pas de bruit, mais où il s’étend partout. Selon M. Villermé, la ville de Reims est infectée de prostitution, et des jeunes filles dont la taille n’annonce pas plus de douze à treize ans s’offrent le soir aux passans. M. Parent-Duchâtelet avait déjà fait connaître que Reims était, dans les environs de Paris, la ville qui fournissait à la capitale le plus grand nombre de prostituées.

Quoique les enquêtes parlementaires et les publications administratives n’aient pas marqué Leeds d’une teinte aussi sombre que Manchester ni que Glasgow, c’est du comté d’York que sont parties les plus vives réclamations. L’éditeur du journal le plus répandu dans les districts manufacturiers, le Leeds Mercury, l’infatigable M. Baines, a reparu sur la brèche, et il a cherché à prouver[25] que les comtés manufacturiers, supérieurs aux comtés agricoles en instruction et en intelligence, l’emportaient également par la moralité. Avant lui, M. Hickson[26], raisonnant sur une hypothèse chimérique, avait déjà prétendu qu’il serait mieux pour un pays de n’avoir pas d’agriculture que de n’avoir pas de manufactures, doctrine curieuse, et dont je fais mention uniquement pour montrer que l’industrie manufacturière obtient dans les esprits, en Angleterre, un rang au moins égal à la place qu’elle occupe dans les intérêts.

Sur le continent, le débat est vidé depuis long-temps, et la moralité relative des populations agricoles ne fait plus question ; mais en Angleterre, où la taxe des pauvres a depuis long-temps dégradé les mœurs des campagnes, on conçoit qu’il y ait lieu de douter, de batailler même sur les termes de la comparaison. Si l’on ne considère que les actes qui sont frappés par la loi pénale, les districts agricoles auront certainement l’avantage sur les districts manufacturiers. Les tables officielles mettent en regard treize comtés exclusivement adonnés à l’agriculture, et treize comtés principalement livrés à l’industrie[27]. Dans les premiers, l’accroissement des crimes et délits justiciables des cours d’assises a été de 22 pour 100 pendant la période triennale de 1840, 1841 et 1842 ; il a été, dans les seconds, de 31 5/10 pour cent. Voici, pour chaque comté, le rapport actuel (1841) du nombre des accusés à la population.

COMTÉS AGRICOLES.
POPULATION. ACCUSÉS. PROPORTION.
Bereford 
113,878 259 1 sur 439
Moyenne 1 sur 464
Essex 
344,979 758 1 sur 455
Hertford 
157,207 338 1 sur 465
Oxford 
161,643 334 1 sur 466
Bedford 
107,936 229 1 sur 471
Wilts 
258,733 548 1 sur 472
Berks 
161,147 333 1 sur 483
Bucks 
155,983 277 1 sur 563
Moyenne 1 sur 665
Northampton 
199,228 346 1 sur 576
Suffolk 
315,073 527 1 sur 597
Cambridge 
164,459 241 1 sur 682
Lincoln 
362,602 507 1 sur 715
Huntingdon 
58,549 68 1 sur 861
Total 
2,561,417 4,745 1 sur 539
COMTÉS MANUFACTURIERS.
POPULATION. ACCUSÉS. PROPORTION.
Gloucester 
431,483 1,252 1 sur 344
Moyenne 1 sur 368
Stafford 
510,504 1,485 1 sur 345
Chister 
395,660 1,086 1 sur 364
Lancastre 
1,667,054 4,499 1 sur 370
Middlesex 
1,576,636 4,094 1 sur 385
Warwick 
401,715 1,003 1 sur 400
Monmouth 
134,355 264 1 sur 508
Moyenne 1 sur 778
Surrey 
582,678 1,017 1 sur 572
York 
1,591,680 2,598 un sur 612
Nottingham 
249,910 374 1 sur 666
Derby 
272,217 322 1 sur 845
Northumberland 
250,278 245 1 sur 1021
Durham 
324,284 266 1 sur 1222
Total 
8,388,254 18,503 1 sur 453

Ainsi, dans les comtés agricoles pris en bloc, on compte 1 accusé par 539 habitans, et 1 accusé par 453 habitans dans les comtés manufacturiers ; ce qui donne aux populations rurales, sous le rapport de la criminalité, un avantage de 16 pour 100. En prenant un à un les élémens de cette comparaison, le rapport n’est plus le même : on trouve que la moyenne, pour les sept comtés agricoles de Hereford, d’Essex, de Hertford, d’Oxford, de Bedford, de Wilts et de Berks, s’élève à 1 accusé sur 464 habitans, moyenne peu différente de celle que donne l’ensemble des comtés manufacturiers, tandis que les sept comtés manufacturiers de Monmouth, de Surrey, d’York, de Nottingham, de Derby, de Northumberland et de Durham, séparés des grands districts urbains et industriels de Middlesex, de Lancastre et de Stafford, ne présentent plus que 1 accusé sur 778 habitans, moyenne supérieure à celle des comtés agricoles les plus favorisés. À n’en juger que par la nomenclature officielle des crimes et des délits, l’état moral des populations agricoles serait donc quelque chose d’intermédiaire entre l’état des grandes villes manufacturières et celui de la manufacture principalement domestique, dont le type se rencontre dans les comtés de Nottingham, de Derby et de Northumberland. Enfin, le comté d’York ayant l’avantage sur dix comtés agricoles, on conçoit que les publicistes de Leeds aient contesté plus vivement que ceux de Manchester ou de Londres la supériorité des populations rurales ; car ils vivaient dans un milieu comparativement dégagé des excès qu’entraîne l’expansion de l’industrie. Cependant il ne faudrait pas se draper trop fièrement dans cette robe d’innocence, qui déjà se déchire en plus d’un endroit. De 1841 à 1842, le nombre des accusés s’est accru de 37 pour 100 dans le comté d’York ; il était en 1841 de 1 sur 839 habitans, il est de 1 sur 612 aujourd’hui[28].

Je n’examinerai pas avec M. Baines si les crimes contre les personnes sont plus communs dans les districts agricoles que dans les districts manufacturiers, car, cela fût-il, l’on aurait tort de tirer de ce fait une induction favorable à l’industrie. La diminution des crimes de violence dans un pays est un résultat dont il faut toujours se féliciter, parce que la société a pour fin principale de protéger l’existence et la liberté des individus ; mais on sait que, dans les délits contre les personnes, la gravité de l’acte explique rarement au même degré l’immoralité de l’agent. Une tentative de meurtre, des violences poussées jusqu’à l’effusion du sang, accusent des passions fortement excitées plutôt que l’habitude du mal. Les atteintes portées au droit de propriété, lorsqu’elles se répètent, annoncent l’oubli de tous les principes ; celui qui vit de vol ou d’escroquerie est un criminel de profession qui a déclaré la guerre aux lois. Partout où les délits contre la propriété augmentent, la partie corrompue de la société s’accroît aux dépens de la partie saine, et voilà quelle est aujourd’hui la situation des districts manufacturiers.

Il faudrait une assurance peu commune pour affirmer que la débauche fait dans les campagnes les mêmes ravages que dans les grands centres d’industrie. L’ivrognerie est de tous les jours à Manchester ou à Londres ; on ne s’enivre guère à la taverne du village que le dimanche ou le lundi. Les mœurs peuvent être relâchées dans les campagnes, mais la prostitution, ce mal particulier aux populations agglomérées, y est à peu près inconnue. M. Baines, opposant le comté de Lancastre et la partie occidentale du comté d’York aux comtés agricoles de Norfolk et de Hereford, fait remarquer que la proportion des enfans naturels n’est que de 3 sur 1,000 habitans dans les premiers, tandis qu’elle est de 6 sur 1,000 dans les seconds. M. Baines aurait pu choisir un meilleur terme de comparaison que le comté de Norfolk, district industriel autant qu’agricole, mais où l’industrie est en pleine décadence, et dont la corruption soit morale, soit politique, est proverbiale dans le royaume-uni. J’admets au surplus qu’il naisse dans les comtés agricoles un plus grand nombre d’enfans hors mariage que dans les comtés manufacturiers ; mais je n’en repousse pas moins les inductions que l’on prétend tirer de ce fait. Les relations entre les sexes commencent plus tard dans les campagnes et sont plus accidentelles ; je n’en veux d’autre preuve que la rudesse et la vigueur des femmes qui travaillent aux champs. La débauche affaiblit le corps en dépravant le caractère, et partout où l’on rencontre une population robuste, on peut en conclure hardiment que les mœurs n’ont pas perdu toute retenue.

Au reste, cette controverse touchant la moralité relative des manufactures et de l’agriculture en Angleterre ne peut s’agiter qu’entre les intéressés. Pour un étranger, pour un observateur impartial, le débat serait sans objet. Les ressemblances en effet doivent le frapper beaucoup plus que les différences ; l’Angleterre doit lui apparaître ce qu’elle est, une vaste manufacture s’appliquant tantôt au sol, et tantôt aux produits du sol, mais suivant le même principe à travers ces diverses applications. Dans les états du continent européen, l’industrie agricole et l’industrie manufacturière procèdent généralement de deux principes opposés : l’une concentre les capitaux, les hommes, la puissance mécanique ; l’autre divise les capitaux, isole les familles, et préfère la main-d’œuvre aux machines. Les races d’hommes y diffèrent comme les industries ; au physique comme au moral, rien ne ressemble moins à un ouvrier des filatures qu’un paysan. En Angleterre, ces différences tendent de plus en plus à s’effacer. Les habitans des campagnes n’ont plus de costume qui les distingue ; on voit les laboureurs, vêtus de la défroque des populations urbaines, mener la charrue en habit noir. Leur existence a cessé d’être sédentaire ; loin de s’attacher à la terre qui les nourrit, ils contractent les habitudes errantes des ouvriers de fabrique, émigrant comme eux de comté en comté[29], en quête de travail. Ils ne connaissent plus ce sentiment qui localise les souvenirs, qui concentre les affections autour d’un clocher ; nulle part les occupations ne sont moins héréditaires, et l’esprit de tradition, en se fixant dans les régions supérieures, semble avoir abandonné les classes inférieures de la société.

Même dans les contrées de l’Europe où la terre est partagée en grands domaines et possédée par un petit nombre de propriétaires fonciers, on trouve peu de journaliers travaillant pour un salaire et sans autres moyens d’existence que ce salaire. Ce sont des fermiers à prix d’argent ou des métayers qui cultivent, participant les uns et les autres, dans quelque mesure, aux fruits du sol. Le travail se fait en famille ; la petite ou la moyenne culture coïncide ainsi avec la grande propriété. En Angleterre, la grande propriété a fini par entraîner la grande culture. Les fermes sont de vastes exploitations, vivifiées par des capitaux considérables, qui associent au travail de l’homme celui des machines ainsi que des animaux. Le fermier a de nombreux domestiques, et, dans l’occasion, il emploie des légions d’ouvriers. En un mot, tandis que dans l’agriculture du reste de l’Europe le travail salarié est l’exception et le travail indépendant la règle, en Angleterre le travail salarié est la règle, et le travail indépendant l’exception. Pour traduire ce fait en chiffres précis, il suffira de rappeler que dans le comté de Bedford on compte, suivant le dernier recensement, 9 journaliers pour 1 fermier ; le comté de Berks présente la même proportion. Dans le comté de Buckingham, le rapport des fermiers aux simples journaliers est celui de 13 à 87 ; dans le comté de Cambridge, il est de 17 à 83 ; dans le comté de Lincoln, de 1 à 3 ; dans le Gloucester, de 1 à 6, et dans le comté de Northampton de 1 à 7.

On le voit, le caractère essentiel des deux industries est le même. La ferme et la manufacture emploient également un grand nombre d’ouvriers qui n’ont pas d’autre ressource que le salaire de la journée, et les campagnes ont, comme les villes, leurs prolétaires à nourrir. Dans les mauvais jours, ces masses flottantes doivent nécessairement tomber à la charge de la société. Alors le manufacturier continue à produire, même en produisant à perte ; le travail est une aumône forcée qu’il fait à ses ouvriers. Le propriétaire et le fermier, au lieu d’occuper les journaliers dans les champs, leur ouvrent les ateliers de la maison de charité : c’est la taxe des pauvres dans les deux cas.

Les districts agricoles de l’Angleterre n’ont pas toujours présenté cet aspect. La grande propriété date de loin, elle est aussi ancienne que la conquête ; mais ce n’est que depuis environ un demi-siècle que la grande culture est venue compléter l’œuvre de la grande propriété, en faisant de l’occupation du sol le privilége de quelques hommes, maîtres ou fermiers. Cette révolution s’est accomplie dans les campagnes à la même époque où s’élevait la grande manufacture. Pendant que l’industrie remplaçait les ouvriers par des machines et le travail en famille par celui des ateliers, l’agriculture convertissait les champs en pâturages, agrandissait les fermes, et détruisait les chaumières. Dans les deux cas, on diminuait la nécessité de la main-d’œuvre en augmentant la puissance de production ; c’étaient deux opérations analogues, et qui supposaient, bien qu’on ne l’ait pas reconnu d’abord, une commune impulsion.

L’agriculture est passée dans la Grande-Bretagne à l’état manufacturier ; il ne faut donc pas s’étonner, quand on voit les populations agricoles subir les conséquences de cette transformation, qui sont l’élévation des salaires, l’agglomération des habitans, l’emploi des femmes et des enfans, le travail par bandes substitué au travail individuel, le servage et la démoralisation des travailleurs. Si un journalier dans les champs ne gagne pas autant qu’un ouvrier dans les manufactures, il obtient un salaire généralement supérieur à celui de l’ouvrier tisserand. Dans les comtés de l’Angleterre où les journaliers se trouvent le plus maltraités, le salaire est encore de 8 à 10 sh. ou de 10 fr. à 12 fr. 50  cent. par semaine. La journée de travail rapporte moins en France, même dans les environs de Paris. Mais dans les comtés du centre et du nord, le salaire est de 11 à 12 sh. par semaine (13 fr. 75 c. à 15 fr.), ce qui représente exactement le double du prix de la journée dans nos campagnes, et un revenu au moins égal à celui de nos ouvriers dans les villes et dans l’industrie. Dans quelques comtés et près des centres industriels, il s’élève à 14 ou 15 sh. (17 fr. 50  cent. ou 18 fr. 75  cent.).

La commission des pauvres a publié, en 1843, sur l’emploi des femmes et des enfans dans l’agriculture, un rapport[30] qui contient les faits les plus curieux. L’impression morale qui résulte de cette lecture ne diffère pas beaucoup de celle que laissent dans l’esprit les descriptions les plus lamentables des districts manufacturiers. On y voit que les travaux de la campagne pèsent aussi sur les femmes et sur les enfans. Sans doute, la journée agricole est plus courte que la journée industrielle, et, si l’on excepte les époques de la fenaison ou de la moisson, la tâche qu’il s’agit d’accomplir n’excède pas la mesure des forces que chacun peut avoir à dépenser entre le lever et le coucher du soleil ; la santé des femmes et des enfans, qui dépérit dans les manufactures, se fortifie, selon le témoignage unanime des commissaires, dans la culture des champs ; mais si une pareille existence endurcit les muscles, elle n’est pas faite pour développer l’intelligence ni le sentiment moral. Là où les femmes partagent avec les hommes les soins de la culture, la famille se détruit ; car il faut abandonner les plus petits enfans à eux-mêmes et souvent fermer la maison. Là où les enfans passent de bonne heure au service des étrangers, aucune éducation n’est possible ; c’est en vain que l’on multiplie les écoles et que l’on perfectionne les méthodes d’enseignement, l’enfant du laboureur ne peut pas mettre à profit ces largesses de la civilisation. Dès l’âge de six ans, le fermier l’emploie, en sentinelle perdue, à faire peur aux oiseaux qui dévorent la semence ou le grain des épis ; il reste ainsi dix ou douze heures par jour éloigné de la maison paternelle, seul au milieu des champs, à un âge où la solitude n’éveille pas encore la réflexion, et pour le modique salaire de 8 p. par semaine ou de 1 sh. À dix ans, il peut déjà garder les troupeaux ou abreuver le bétail. À quatorze ans, c’est un garçon de ferme associé à tous les labeurs de l’homme fait.

La condition toute manufacturière de l’agriculture britannique se révèle principalement par deux usages qui prévalent, l’un dans les comtés du sud, et l’autre dans les comtés du nord, je veux parler du système de l’apprentissage (parish apprenticeship), et du travail par compagnies (gang system).

En France, l’administration des hospices place dans les familles des cultivateurs les enfans trouvés et les orphelins qui sont à sa charge ; en cela, elle exerce le droit de tutelle que les circonstances lui ont déféré, mais elle ne crée pas ce droit, et ne se substitue qu’à des parens inconnus ou qui ont cessé d’exister. L’apprentissage des enfans pauvres est tout autre chose en Angleterre. Lorsqu’une famille a le malheur de tomber dans la détresse et de s’inscrire sur la liste des secours, les gardiens de la paroisse peuvent enlever aux parens leurs enfans dès l’âge de neuf ans, sans consulter l’inclination des uns ni des autres. La séparation s’accomplit en vertu de la loi, et par une décision qui est sans appel. La puissance paternelle, cette autorité d’institution divine, cette base de la famille et de la société, est entièrement supprimée. À partir de la mise en apprentissage jusqu’à la majorité de l’enfant, le père n’a plus de juridiction sur lui ; tout lien, souvent même toute relation est brisée, car il dépend du maître auquel on a confié l’apprenti de permettre ou d’interdire les communications. Il faudrait que l’apprenti fût en butte à un traitement cruel pour que les parens eussent le droit d’intervenir ; encore leur intervention ne saurait-elle être directe : ils doivent porter plainte devant les tribunaux.

Dans l’origine des manufactures, les apprentis étaient dirigés par les paroisses vers le comté de Lancastre ; on les entassait dans des tombereaux qui les portaient par troupes à ce grand marché du travail. Aujourd’hui, les apprentis sont placés généralement dans les fermes ; on ne peut pas les envoyer à une distance qui excède quarante milles, en sorte que, si on les sépare toujours de leur famille, du moins on ne les dépayse plus. L’effet de ce système dans l’agriculture est nécessairement le même que celui de l’emploi prématuré des enfans dans les manufactures et dans les mines. On rend les enfans indépendans de la famille, on les affranchit de cette tutelle salutaire, pour leur imposer un servage contre nature. On apprend au père à se décharger sur la paroisse, c’est-à-dire sur la société, de l’obligation d’entretenir et d’élever sa famille ; on apprend au fils qu’il n’a pas besoin de faire le moindre effort pour parvenir ni pour diminuer les charges domestiques, et que la paroisse répond de tout. Le père cesse ainsi d’être un homme libre, et le fils ne peut pas le devenir ; l’un et l’autre perdent le sentiment de leur responsabilité.

Dans les manufactures, l’enfant se démoralise parce qu’il dispose de son salaire avant l’âge de raison ; dans l’agriculture, l’apprenti, n’ayant pas la disposition de son salaire avant l’âge de vingt-un ans, nourri, vêtu et logé par le maître, se révolte contre cette perpétuelle enfance, ou devient inhabile à la vie. M. Austin[31] cite comme une merveille l’exemple d’un fermier qui, pour apprendre à son apprenti l’usage de l’argent, lui donnait du moins un champ de pommes de terre à cultiver. On n’a pas de plus mauvais procédés pour les esclaves des Antilles françaises, où chaque noir obtient son carré de légumes et un jour de la semaine pour le soin de ses intérêts personnels.

L’apprentissage est une véritable traite, la traite des enfans pauvres, que l’on vend ainsi pour un terme de douze et quelquefois de quatorze années. Ce servage de l’enfance paraît d’autant plus odieux, que le peuple qui le pratique jouit dans ses institutions de la plus grande liberté. Au reste, il a porté en Angleterre les mêmes fruits que l’esclavage dans les colonies, et il y devient à peu près également impossible. Les apprentis, n’ayant pas l’excitation de l’intérêt personnel, ont pris le travail en dégoût ; ne voyant pas l’autorité de leurs maîtres revêtue d’un caractère moral, ils ont manifesté un penchant habituel à la révolte. Les fermiers, de leur côté, ont fini par trouver que le travail rétribué leur revenait moins cher que le travail gratuit. Aussi l’usage, au lieu de s’étendre, va-t-il aujourd’hui en diminuant.

Il n’en est pas de même du travail par compagnies. Dans tous les comtés de l’Angleterre, les travaux qui demandent une certaine rapidité d’exécution, tels que la moisson des blés, la récolte des foins ou des houblons, appellent un grand concours d’ouvriers étrangers aux localités. C’est ainsi que des bandes d’Irlandais s’abattent sur l’Angleterre au mois de juillet, pour repartir ensuite au moment où la maturité plus tardive des grains s’annonce dans leur propre pays ; mais il y a des comtés, entre autres le comté modèle de Lincoln, où tous les travaux se donnent à l’entreprise et sont exécutés par des troupes d’ouvriers enrégimentés dans chaque district sous la bannière d’un entrepreneur, ainsi que cela se pratique dans les travaux publics pour les terrassemens et pour la maçonnerie. Un propriétaire veut-il faire sarcler un champ de pommes de terre, défoncer une prairie ou relever des fossés, il s’adresse à un entrepreneur (gang-master), avec lequel il traite de l’ouvrage à forfait. Dès que celui-ci s’en est chargé, il réunit tous les ouvriers qu’il peut trouver, hommes, femmes et enfans, et les envoie sur le terrain avec un contre-maître qui les surveille et qui dirige l’opération. Quand la distance à parcourir est trop considérable, on les transporte sur des charrettes, et on les fait coucher pêle-mêle dans des granges, pour ne les ramener chez eux qu’au terme du travail. Des jeunes filles demeurent ainsi pendant une semaine loin de leur famille, et comme, en choisissant les travailleurs, on a égard à leur vigueur bien plus qu’à leur moralité, elles se trouvent exposées à la contagion des plus mauvais discours, ainsi que des plus mauvais exemples. Il n’y a donc pas à s’étonner quand on lit dans la déposition d’un contre-maître : « Sur 100 de ces jeunes filles, 70 sont des prostituées. »

On conçoit que ce système convienne aux propriétaires et aux fermiers, car le travail se fait plus promptement, avec plus de précision et à meilleur marché. Pour le journalier, il a certains avantages, principalement celui de l’employer avec plus de certitude et plus de régularité. Cependant par combien d’inconvéniens et de souffrances ne doit-il pas acheter cette apparente amélioration de son sort ? D’abord le système du travail par entreprise est un moyen d’extorquer à l’ouvrier la plus grande somme de travail pour la moindre somme d’argent. Chaque journalier, bien qu’il soit payé à la journée, s’engage envers l’entrepreneur à faire une certaine quantité d’ouvrage, en sorte que la troupe tout entière se trouve contrainte de travailler avec autant d’énergie que si chacun travaillait à la tâche pour son propre compte, et que cette énergie additionnelle, qui ne profite qu’à l’entrepreneur, est dépensée en pure perte pour l’ouvrier[32]. C’est la tâche d’un homme libre accomplie par un forçat. Un autre effet de ce système consiste dans l’emploi des plus petits enfans ; on les met à l’œuvre dès l’âge de cinq ou six ans, et en excédant ces pauvres petits de fatigue, on leur interdit encore toute instruction. À quel âge les enverra-t-on à l’école, si le travail quotidien commence pour eux aussitôt que leurs jambes peuvent les porter ? Enfin les populations, transportées ainsi un jour dans une paroisse, un jour dans une autre, n’ont plus de domicile ni de foyer ; elles deviennent des espèces de tribus errantes comme ces navigateurs qui creusent les canaux et qui construisent les chemins de fer, ou comme ces ouvriers des manufactures qui changent d’atelier toutes les semaines et de ville tous les mois.

Le système du travail par compagnies me paraît la conséquence directe de la grande propriété et de la grande culture. Si le cours naturel des choses vient à développer cette tendance encore en germe, c’en est fait dans les campagnes du repos des familles, de la vigueur corporelle et des bonnes mœurs. On verra l’agriculture la plus avancée coïncider avec l’abaissement le plus complet de la population, et, la race des campagnes dégénérant, les villes n’auront plus où se recruter. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point ; je crois en avoir dit assez pour montrer que, si les habitans des districts ruraux participent à la dégradation des districts manufacturiers, c’est que l’agriculture tend à se constituer en Angleterre sur les mêmes bases que l’industrie. Il faut ajouter que dans les comtés les plus agricoles les travaux industriels occupent autant d’ouvriers que les travaux des champs. Il n’y a pas de chaumière de laboureur où les enfans ne soient employés ici à fabriquer des boutons, là aux ouvrages de passementerie ou de mercerie ; et quant aux hommes faits, ceux qui ne trouvent pas d’emploi dans les fermes se livrent au tissage de la toile ou de la bonneterie. M. F. Doyle fait mention d’un district, connu dans le comté d’York sous cette désignation générique « les Vallons (Dales), » où la charrue ne pénètre pas, et qui n’est qu’une immense prairie. À l’exception d’un petit nombre d’ouvriers qui exécutent les travaux d’assèchement et d’irrigation, il n’y a point dans ce district de journaliers proprement dits, et les domestiques attachés à chaque ferme suffisent aux soins que réclame l’éducation des bestiaux. Les habitans des vallées sont donc réduits, pour subsister, à fabriquer des bas et des capes de matelots. Cet état de choses est, à quelque degré, celui du royaume entier. L’industrie agricole et l’industrie manufacturière dans la Grande-Bretagne ressemblent à deux fleuves inégaux qui, partant de points différens, finissent par se confondre ; celui qui a le plus de force et de volume donne son nom au courant. Le courant de l’Angleterre est aujourd’hui industriel et commercial ; c’est par là qu’elle marque dans le monde, le reste ne lui compte pas.


Léon Faucher.


  1. « Yorkshire presents an epitome of the whole kingdom. » (Mac’culloch’s Statistical illustrations.)
  2. 3,669,150 statute acres.
  3. 65 1/2 mètres de largeur sur 120 mètres de longueur.
  4. Voici les termes numériques de la comparaison entre le Lancashire et le West-Riding du Yorkshire, tels qu’ils résultent du recensement de 1841 :

    Étendue. Maisons. Lancashire. West-Riding. Population.
    acres.
    Habitées
    289,184 227,357
    habitans.
    Lancashire 
     1,117,260
    Non habitées
    23,639 18,896
    Lancashire 
     1,667,054
    Westriding 
     1,622,840
    Manufactures et édifices publics.
    3,680 2,293
    Westriding 
     1,154,102

  5. La population de Leeds proprement dit était :

    En 1801, de
    30,069 habitans.
    En 1811
    35,951
    En 1821
    48,603
    En 1831
    71,602
    En 1841
    87,613

  6. Hand-loom weavers report, passim.
  7. Report on the condition of Hand-loom weavers.
  8. Political state of the british empire.
  9. Hand-loom weavers inquiry. — Report of M. Miles on the west of England.
  10. Le tissage mécanique est installé dans la plupart des grands établissemens. Une seule fabrique, près de Leeds, compte 200 métiers marchant à la vapeur. Quelques manufacturiers unissent le tissage mécanique au tissage à la main. Dans les fabriques de Bradford et de Halifax, la révolution a été rapide. En 1836, ce district ne comptait que 2,768 métiers marchant à la vapeur ; à la fin de 1841, il en avait 11,458, et 16,870 à la fin de 1843. On a dû en monter 2,000 de plus dans les premiers mois de 1844.
  11. Hand-loom weavers inquiry. — Report of M. Chapman on Yorkshire.
  12. La moyenne du salaire dans la maison Bramley est de 18 shell.d. par semaine.
  13. « Child’s wages prevail. » Chapman’s report.
  14. Selon ce rapport, les seules fabriques de laine, de coton et de lin dans le West-Riding renfermaient, en 1843, 86,601 ouvriers.
  15. Lettre à M. le ministre du commerce.
  16. Il n’y a que 5,000 Irlandais dans le bourg parlementaire de Leeds sur 152,000 habitans.
  17. Sur 18,279 maisons, 13,603 sont d’un loyer au-dessous de 10 liv. st., et 1,272 au-dessous de 5 liv. st.
  18. Sanitary condition of labouring classes.
  19. « A great many of the privies of the cottages are built in small passages, between clumps of houses, which are different properties, others with the ash intrance open to public streets ; whilst some streets are entirely without. The inhabitants, to use the language of an old woman, say that they do as they can, and make use of the street itself as the common receptacle. In three streets which contain a population of between 400 to 500 persons, there is not a useable privy for the whole number. »
  20. Inquiry on trades and manufactures.
  21. Children employment commission, Trades and Manufactures.
  22. Un homme de mérite, un Français, m’adresse de Leeds les observations suivantes, qui tendent à réconcilier l’opinion de M. Symons avec celle de M. Chapman : « On doit considérer l’état moral de Leeds par rapport à deux classes distinctes d’ouvriers, hommes et femmes, qui vivent sous le régime flottant de l’industrie. La première race est celle des individus régulièrement employés, qui forment une classe rangée, tranquille et en général respectable ; ceux-là n’ont besoin ni de fêtes, ni de bals, ni de lundis, et ne recherchent aucune distraction : ils sont réguliers comme les machines qu’ils dirigent, depuis le 1er  janvier jusqu’au 31 décembre. Ils acceptent leur destinée sans regarder plus haut, et ils s’en contentent. S’ils ont une faiblesse, c’est celle de s’enivrer le soir après le travail, et cela au meilleur marché possible, ce qui ne les empêche pas d’être sur pied le lendemain dès cinq heures du matin. Il est une autre race d’ouvriers, moins habiles ou moins rangés, qui ne trouvent d’ouvrage que dans l’état prospère du commerce, et qui vivent au jour le jour. Voilà ceux qui remplissent les prisons et les maisons de charité. Parmi eux se concentrent l’ivrognerie la plus avilissante et la prostitution la plus éhontée. Je doute que l’on puisse trouver dans nos villes manufacturières du même genre un état de dégradation pareil. Il me semble que l’ouvrier français est soutenu moralement, dans sa plus grande misère, par un sentiment d’honneur et de dignité que je crois inconnu à l’ouvrier anglais. »
  23. Trades and Manufactures.
  24. « Boys and girls, old people and married of both sexes go-up two by two, as they can agree, to have connexion. » (Trades and Manufactures.)
  25. Baines on Manufacturing districts.
  26. Hand-loom weavers report, p. 42.
  27. « Dans les comtés classés comme agricoles, la population rurale, d’après le cens de 1831, représentait de 56 à 45 pour 100 du nombre des habitans ; dans les comtés classés comme manufacturiers et mixtes, la proportion de la population rurale n’était plus que de 96 à 71 pour 100. (Tables criminelles de 1842 : England and Wales.)
  28. En France, l’inégalité qui existe entre les départemens manufacturiers et les départemens agricoles est beaucoup plus tranchée. En 1840, la moyenne des crimes et des délits présentant 1 accusé sur 4,077 habitans, on a compté dans le département manufacturier de la Seine 1 accusé sur 1,245 habitans ; dans celui du Haut-Rhin, 1 accusé sur 2,014 habitans ; dans celui de la Seine-Inférieure, 1 accusé sur 2,030 habitans ; dans celui de la Marne (Reims), 1 accusé sur 2,342 habitans, et dans celui du Rhône, 1 accusé sur 3,766 habitans. Les départemens agricoles ont offert les proportions suivantes : celui de l’Isère, 1 accusé sur 13,037 habitans ; celui de la Creuse, 1 accusé sur 9,869 habitans ; celui de l’Ain, 1 accusé sur 8,877 habitans ; celui des Hautes-Pyrénées, 1 accusé sur 8,720 habitans ; celui de la Haute-Saône, 1 accusé sur 8,373 habitans ; celui du Jura, 1 accusé sur 8,283 habitans ; celui de l’Orne, 1 accusé sur 7,047 habitans, et celui de la Haute-Loire, 1 accusé sur 7,385 habitans.
  29. Parmi les habitans de chaque comté, la proportion des étrangers aux indigènes est en moyenne de 1 sur 6, et quelquefois de 1 sur 4.
  30. Reports of special assistant poor law commissioners on the employement of the women and children in agriculture, in-8o.
  31. Employment of women and children in agriculture.
  32. Employment of women and children in agriculture, p. 224.