Études poétiques (Lacaussade)/Les deux Corbeaux

Études poétiquesAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 1 (p. 151-152).

XII

LES DEUX CORBEAUX


 
Un jour morne et blafard s’éteignait dans la nue ;
À l’horizon brumeux grondait le flot des mers.
Des arbres dépouillés la flèche aride et nue,
Squelette au noir profil, se dressait dans les airs.

Sur la grève lugubre où rampait la lumière
J’errais et j’entendis se parler deux corbeaux.
L’un à l’autre disait : « Où dînons-nous, mon frère ?
L’espace est nu, la neige a durci les tombeaux. »


Et l’autre : « Un chevalier immobile et sans âme,
Frais égorgé, là-bas est gisant pour toujours.
Nul ne sait qu’il est là, nul, excepté sa dame,
Son faucon et son chien, ses uniques amours.

« Le faucon dans le ciel poursuit l’oiseau sauvage,
Par la plaine le chien chasse joyeusement,
La dame endort aux bras d’un autre son veuvage ;
De sa chair nous pouvons dîner tranquillement.

« Toi, d’un ongle tranchant fouille dans sa poitrine ;
Moi, du bec je ferai sortir ses grands yeux bleus ;
Puis de ses cheveux blonds, toison épaisse et fine,
Arrachons les fils d’or pour notre nid frileux. »

Sa maison vainement guettera son passage ;
Ses grands bois au printemps refleuriront en paix :
Tout l’oublie… et les vents désolés de la plage
Sur ses blancs ossements soufflent seuls à jamais !

Imité d’une vieille ballade anglaise.