Études nouvelles sur Grégoire VII et son temps/02

Études nouvelles sur Grégoire VII et son temps
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 104 (p. 613-645).
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ETUDES NOUVELLES
SUR
GREGOIRE VII ET SON TEMPS

I. Histoire de Grégoire VII, précédée d’un discours sur l’histoire de la papauté jusqu’au onzième siècle, par M. Villemain, 2 vol. in-8o ; Paris 1872. — II. Ponlificum romanorum vitæ ab æqualibus conscriptæ ; edidit J.-M. Watterich, 2 vol. gr. in-8o ; Lipsiæ 1862. — III. Monumenta gregoriana ; edid. Phil. Jaffé, in-8o maj. ; Berlin 1865. Du même auteur : Regesta pontificum romanorum, de 1 à 1198, in-4o ; Berlin 1851. — IV. J. Voigt, Hildebrand als Papst Gregor VII, 2 vol. in-8o ; Halle 1815. — V. H. Floto, Kaiser Heinrich IV und sein Zeitalter, 2 vol. in-8o ; Stuttgart 1855-56. — VI. Gfrörer, Papst Gregorius VII und sein Zeitalter, 7 vol. in-8o ; Schaffouse 1859-61. — VII. H. Stenzel, Geschichte Deutschlands unter den Fränkischen Kaisern, 2 vol. in-8o ; Leipzig 1828. — VIII. W. V. Giesebrecht, Geschichte der deutschen Katserzeit, 4 vol. in-8o ; Brunswick 1864-72. — IX. M. Mignet, La lutte des papes contre les empereurs d’Allemagne, 1861 à 1865


II.
LE MOINE HILDEBRAND[1]

On n’a pu déterminer encore la date de la naissance du moine Hildebrand, devenu plus tard Grégoire VII ; mais on est généralement d’accord d’en rapporter l’époque entre les années 1013 et 1024[2]. Le lieu de sa naissance est même contesté ; Hugues de Flavigny le fait naître à Romej mais d’autres témoignages le font naître avec plus de vraisemblance à Soano en Toscane. La légende s’est attachée à ses premiers ans, et M. Villemain a judicieusement réfuté plusieurs fables de ce genre, entre autres celle du songe d’Henri III, relatif aux futurs périls que le jeune Hildebrand réservait à la postérité de ce monarque. Il est difficile, surtout au moyen âge, qu’un homme frappe vivement l’imagination des peuples sans que l’exagération ou le merveilleux se mêlent de la partie. Le nom d’Hildebrand a fait croire à l’origine germanique de sa famille : rien ne l’indique dans les monumens qui nous restent ; tout porte à croire plutôt à une origine italienne, natione Tuscus, mais on ignore en l’honneur de qui ou pourquoi lui fut donné au baptême le nom d’Hildebrand, qui, prononcé différemment, a été pour les uns interprété en pure flamme, et pour les autres en tison d’enfer. Il est certain que son père Bonizo était d’humble condition : charpentier, peut-être chevrier, vir de plebe sans aucun doute. L’abbé de Saint-Arnulphe de Metz lui en faisait un titre d’honneur au moment de son élévation au pontificat. « La sagesse divine, lui disait-il, ne pourvoit jamais plus utilement aux choses humaines que lorsque, choisissant un homme du peuple, elle l’élève à la tête de la nation, comme un modèle dont la vie et la conduite montrent aux plus humbles où peuvent, tendre leurs efforts[3]. » Ainsi se manifestait par les moines la démocratie religieuse au moyen âge.

Hildebrand n’était pas d’une taille héroïque, et ses adversaires n’ont pas oublié de nous l’apprendre. L’évêque Benzo et Guillaume de Malmesbury[4] l’appellent homuncio exilis staturœ, et le premier ajoute qu’il était ventre lato, crure curto. C’est par l’esprit qu’il devait remuer le monde. Son teint était brun et ses cheveux noirs ; fuscus erat, disent les annales de Palith[5], dont l’indication n’a pas été relevée, à ma connaissance. Il est assuré qu’il a été attaché de bonne heure, et à Rome même, au monastère de Sainte-Marie-Majeure sur le mont Aventin. C’est dans ce couvent, où il a reçu la première éducation, que l’a pris l’affection du pape Grégoire VI, auquel Hildebrand a voué une reconnaissance éternelle, et c’est une des singularités de ce grand personnage d’avoir dû sa fortune, lui qui a été l’exterminateur inexorable de la simonie dans l’église, à un pape simoniaque, déposé pour ce fait, et de lui avoir conservé dans le malheur une inviolable fidélité. Il est vrai que rien n’a été plus touchant que l’humilité repentante de Grégoire VI, acceptant sa déposition par ces chrétiennes paroles prononcées au synode de Sutri, et qu’on lit dans Bonizon en la collection d’Œfele : « Moi, Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, je me confesse indigne du pontificat romain, à cause de la honteuse simonie et de la vénalité qui, par la perfidie du démon, l’antique ennemi des hommes, s’est glissée dans mon élection au saint-siège. » Hildebrand suivit dans l’exil son bienfaiteur, qui mourut sur les bords du Rhin, probablement en 1047. Hildebrand dut à cette circonstance d’avoir une première idée de l’état des esprits en Allemagne. Il vint ensuite s’enfermer à Cluny[6], l’une des grandes métropoles des monastères de l’Occident, et c’était là où, comme dit M. Mignet, « soumis à l’autorité de la règle monastique, nourrissant dans son âme des sentimens pieux et amers, il s’indignait des désordres de l’église, et il gémissait en pensant que la ville des apôtres était devenue la servante des princes. La violence, la cruauté, les passions effrénées des hommes de guerre, qui ne reconnaissaient aucune règle au-dessus de la force et qui opprimaient partout les pauvres et les faibles, le pénétraient de douleur et de tristesse. Il était encore plus troublé par la dégradation du sacerdoce. L’achat des dignités ecclésiastiques, les mœurs violentes et désordonnées des évêques féodaux et des prêtres incontinens, soulevaient tous ses sentimens chrétiens. Il rêvait dans le cloître de Cluny la régénération de l’église, l’indépendance et la grandeur du pontificat. Il souhaitait de voir arriver le jour où la loi chrétienne pourrait réprimer la puissance militaire, où le pape, son interprète, dominerait l’empereur, où l’on imposerait le frein de la morale aux rois, le respect de la faiblesse aux puissans, et l’habitude du sacrifice aux prêtres. »

Oui, voilà bien, tracé d’une main ferme, le plan de réforme de Grégoire VII ; il porte l’empreinte austère du cloître, aussi le cloître sera-t-il l’un des puissans instrumens de son exécution. Une circonstance spéciale a dû contribuer à la conception de ce profond dessein pendant les deux années (1047 et 1048) que Hildebrand a passées à Cluny. L’habile Henri III, fatigué des embarras que lui donnait la tutelle de la papauté, a pris à cette époque la résolution de placer sur la chaire de saint Pierre des évêques allemands qui lui inspiraient plus de confiance que les Italiens. Il y nomma Clément II, après la déposition de Grégoire VI, et le prit sur le siège de Bamberg, en Franconie. Clément II ne régna qu’un an, et Henri III désigna pour le remplacer Poppon, évêque de Brixen, en Tyrol, et natif du Norique : aussi l’appela-t-on le Bavarois. Damase ne régna que six mois, et l’empereur désigna en décembre 1048 Brunon d’Egisheim, descendant d’Étichon d’Alsace et son parent, lequel fut pape sous le nom de Léon IX : teutonicum natione et stirpe regali progenitum, dit le moine du Mont-Cassin. Selon la chronique française d’Aimé, « cestui pape Lyon estoit chéri de lo impéreor, estoit moult bel et estoit roux, et estoit de stature seignoriable. » Par une nouvelle bizarrerie de la fortune, ce fut ce pape allemand, parent de l’empereur, qui produisit Hildebrand, ardent patriote romain, sur la scène du monde. Beaucoup de versions ont couru dans les chroniques au sujet de cette mémorable et providentielle rencontre. Je ne crois pas à celle qui fait trouver Hildebrand à Worms, au moment de l’élection de Léon IX ; je ne crois pas davantage à celle qui fait passer Léon IX par Cluny, en allant à Rome. Si l’on pèse attentivement la valeur et la probabilité des témoignages, on doit s’arrêter à ceux qui nous montrent Léon IX arrivant de Worms à Besançon et y recevant l’abbé de Cluny accompagné du moine Hildebrand, accourus pour lui rendre hommage[7]. Quoi qu’il en soit, il est de tradition bien établie qu’à partir du moment où Hildebrand eut entretenu Léon IX il exerça sur l’esprit du pape élu l’ascendant d’un esprit supérieur ; mais encore ici la légende a sa bonne part, elle nous dépeint Léon IX voyageant de Worms à Rome avec un luxe oriental, revêtu de riches habits pontificaux et mitre ou tiare en tête, comme s’il était déjà pape consacré, lui qui n’avait encore que la nomination impériale, ce qui lui aurait attiré une vertueuse remontrance d’Hildebrand. M. Watterich a déjà signalé l’invraisemblance de ce fait, présenté par des légendaires préoccupés comme le premier acte public de l’agression grégorienne contre le pouvoir impérial. Hildebrand était trop habile pour entamer à ce moment des hostilités intempestives contre un prince irréprochable, investi d’un pouvoir émané de ce décret de Léon VIII, dont nous avons parlé. Le génie d’Hildebrand choisissait mieux son temps pour engager la lutte. Des monumens irrécusables nous le montrent très soigneux de ménager le pouvoir électif de l’empereur, et dans sa correspondance il nous apprend lui-même qu’il a eu les meilleures relations avec l’empereur Henri III[8]. La légende a donc ici au moins exagéré, bien qu’il soit permis de croire à quelque fond de vérité dans cette affaire. Hildebrand, zélé Italien[9], aura probablement réclamé pour l’intervention du clergé romain dans l’élection ou dans la consécration religieuse qui jusqu’à son accomplissement devait suspendre l’effet de la nomination impériale. Les Indices Vaticani, cités par Baronius-Theiner, ne parlent que de la consécration romaine. Tel paraît être le sentiment de Jaffé. C’était en effet dans un synode à Worms, sous la présidence de l’empereur et avec la participation des députés de la ville et clergé de Rome, que Léon IX avait été proclamé pape, et non par un acte purement arbitraire de l’empereur. Il est certain du moins que le moine Hildebrand fut emmené par Léon IX à Rome[10], où immédiatement il fut créé cardinal sous-diacre de l’église romaine. Il n’a point empêché cependant Léon IX de commettre des fautes, et notamment celle de la guerre contre les Normands, où le pape conduisit de sa personne ses troupes à la bataille et fut fait prisonnier. Il n’y a pas trace de l’opposition qu’aurait faite Hildebrand à cette témérité politique compliquée d’une irrégularité canonique contre laquelle Pierre Damiani ne craignit pas de lever la voix pour la blâmer. Hildebrand était à coup sûr du même avis que Pierre, mais la prudence a dû lui fermer la bouche. Le moment où il exerça la plénitude de son influence dirigeante n’était pas encore venu en 1053.

C’est un type original et remarquable dans l’histoire que celui de Léon IX, et M. Villemain lui a consacré une étude particulière, qu’il a ornée de tout l’éclat de son talent d’écrivain. Léon IX était un saint dans la vie privée. Nul chrétien n’a plus vivement été pénétré de la foi. Son approche de Rome, ses appréhensions de responsabilité, la pureté de ses mœurs, sont de la primitive église et fournissent les scènes les plus édifiantes ; puis, dans la vie publique, Léon apporte les habitudes guerrières des prélats féodaux et notamment des évêques d’Allemagne, presque tous enfans de maisons nobles et puissantes, possesseurs de vastes domaines en leur église, habitués à les défendre par les armes, et souvent par nécessité, contre le brigandage de l’époque. Les mœurs guerrières des évêques du moyen âge sont un trait de caractère. Léon IX en montra l’exemple dans sa campagne contre Robert Guiscard, où l’habile et rusé Normand triompha du pontife, très saint homme, mais malhabile capitaine. Il paraît qu’il confia spécialement à Hildebrand la réforme et la surveillance des monastères romains, où s’étaient glissés le relâchement et même la corruption. Il faut lire dans l’ouvrage de M. Villemain le tableau animé de cette décadence et la relation de l’œuvre réparatrice d’Hildebrand. Le mélange singulier d’une naïve dépravation, de visions merveilleuses et de scènes touchantes de résipiscence donne à ce récit un intérêt que rehausse l’éclat de la plume du brillant écrivain. « On concevra sans peine, dit- il, combien dans un siècle d’ignorance et de barbarie cet exercice du gouvernement monastique devait donner de ressources et d’expédiens pour subjuguer les esprits, et l’on ne s’étonnera pas de voir, à cette époque et longtemps après, sortir d’un cloître presque tous les hommes qui exercent le plus de pouvoir sur leurs contemporains. Ils n’étaient pas seulement prêtres, ils étaient moines, et la vie du cloître, ce mélange de méditation et d’activité, la pratique de l’obéissance et du commandement parmi des égaux, leur avaient donné quelque chose de plus habile ou de plus calme. » La réforme accomplie par le sous-diacre Hildebrand dans le monastère de Saint-Paul de Rome n’était point d’ailleurs une œuvre isolée. Elle était essayée par Léon IX partout où son autorité pouvait commander l’obéissance, et d’ardens apôtres de rénovation en portèrent l’entreprise à cette époque sur tous les points de la chrétienté par une sorte d’élan général qu’a très bien saisi et signalé M. Guizot dans son cours de 1828. Tous les esprits éminens dans le clergé avaient compris que la dissolution des ecclésiastiques devait affaiblir leur crédit[11], et que les concussions impies les rendirent odieux. Pierre Damiani, à qui M. Villemain consacre des pages aussi curieuses qu’éloquentes, a été l’un des organes les plus autorisés et les plus écoutés de cette opinion, et ses ouvrages renferment l’indication la plus complète des vices et des qualités dominantes dans cette période mémorable de l’histoire. Il est plus chrétien quelquefois qu’Hildebrand. Hildebrand est plus politique, il domine, il est le grand homme d’action de la réforme en même temps que son puissant organisateur.

Je ne saurais quitter Léon IX sans parler de sa mort, qui fournit à M. Villemain un épisode poétique et hagiographique à la fois du plus émouvant caractère. Le pieux pontife voulut mourir dans son église même, au son du glas funèbre, au pied de l’autel, y fit transporter son lit mortuaire aux yeux du peuple accouru pour se repaitre du spectacle d’un pape agonisant, bénissant la tombe ouverte qui va le recevoir, et rendant enfin le dernier soupir après une lutte fantastique de la vie et de la mort, où la naturel l’exaltation spirituelle déploient, pendant plusieurs jours leur étrange puissance. C’est une scène de Shakspeare dont notre illustre écrivain a tiré le parti qu’on pouvait attendre de son talent, et qui n’a d’analogue dans aucune littérature. L’histoire de Léon IX est pleine de singularités de ce genre, et non moins curieuse est la relation de sa captivité chez les Normands, pendant laquelle il releva par une austère et sainte piété la dignité de son caractère compromise et déchue par sa défaite à la guerre[12]. A part cette fatale entreprise, Léon IX redonna au siège pontifical son ancien caractère. « Il fut le premier pape, dit M. Mignet, qui agit de nouveau en pasteur universel. »

A la mort de Léon IX (avril 1054), Henri III, poursuivant son système, désigna, pour succédera Bruno d’Egisheim, un autre Allemand de grande maison, très cher à son cœur et son parent, neveu même de Léon IX, Gebehard de Calw, Souabe d’origine, évêque d’Eichstadt, proposé au concile de Mayence en mars 1055, et accepté à Rome avec applaudissement. Ce fut le sous-diacre Hildebrand[13] lui-même qui fut député par les Romains pour en faire la demande instante à l’empereur[14] qu’il fut chercher à Goslar, ce qui prouve bien que son génie savait se plier aux circonstances. L’élu de l’empereur fut le pape Victor II, lequel n’eut pas le temps d’accomplir tout le bien qu’on attendait de son crédit et de sa vertu. Muratori, d’après un chroniqueur, a cru que Victor II se fit réélire par le peuple romain et le clergé, comme on a dit qu’avait fait Léon IX ; mais je crois que l’indication du Bonizo ad amicum est erronée, et pour s’en convaincre il n’y a qu’à lire son récit, qui fourmille d’inexactitudes. Tous les autres biographes de Victor II, recueillis par Watterich, ne parlent que de la consécration romaine. Baronius-Theiner ne mentionne pas de réélection, et M. Jaffé suit le même sentiment. La politique d’Hildebrand justifie cette conduite, car Victor II donna plus de confiance encore que Léon IX à Hildebrand dans la direction de l’église. C’est lui qui l’a investi pour la première fois d’une grande mission de réforme, en Renvoyant comme légat a latere dans les Gaules, pour expulser les simoniaques et les concubinaires de leurs charges et dignités d’église. Hildebrand avait conservé un profond souvenir de cette légation, dont Pierre Damien nous a transmis quelques détails touchans et curieux qu’il tenait d’Hildebrand lui-même[15]. Baronius-Theiner, en ses Annales (1055, § 15), nous donne le récit complet de cette croisade réformiste, qui fut marquée par des prodiges, à laquelle le légat associa l’abbé de Cluny, son ancien supérieur, et qui fit au sous-diacre romain une immense réputation dans le monde chrétien. Victor II revint en Allemagne visiter l’empereur Henri III (1056), et s’y trouva à point nommé pour recevoir les derniers soupirs du monarque mourant à trente-neuf ans[16]. Le pape accompagna son cercueil à la cathédrale de Spire[17], fondée par Conrad II pour recevoir les sépultures impériales, et il mourut lui-même, jeune encore, l’an d’après (1057) en Toscane, après avoir régné deux ans et trois mois. Ces deux décès, presque simultanés, ont changé la face des choses dans l’empire et dans l’église.

Le tableau de l’état intérieur de l’Allemagne, qui termine notre première étude, explique la situation compromise où la fin prématurée d’Henri III a laissé la dynastie franconienne malgré les qualités éminentes de ce prince et les actes glorieux de son règne. L’influence qu’avait prise à cette époque le moine Hildebrand dans le gouvernement de l’église explique les événemens qui vont se développer après la mort d’Henri III. Ce dernier eût réformé l’église au profit de l’empire. De son vivant, l’œuvre de Grégoire VII était impossible ; ce n’eût été qu’une intrigue, au plus une conspiration. Henri III mort, Hildebrand était délivré d’un concurrent redoutable. C’était d’ailleurs dans un autre dessein que Grégoire VII devait agir, et l’occasion s’en présenta tout d’abord pour l’élection du successeur de Victor II. Hildebrand, le vrai directeur depuis plusieurs années de la papauté vacillante encore dans son allure de rénovation, était le promoteur d’une forte opinion romaine sur laquelle il s’appuyait, et qu’il avait su s’attacher[18] par la revendication des anciens privilèges de la ville éternelle, même par des caresses d’habile chef de parti, aux héritiers des factions de Tusculum[19], qu’il devait réduire plus tard à l’impuissance définitive. Hildebrand allait profiter adroitement de la minorité débile du fils d’Henri III pour faire franchir un degré de plus à la réforme qu’il méditait. Cette grande œuvre était multiple et compliquée ; en affronter d’un seul coup tous les points attaquables eût été folie. L’audace d’Hildebrand est méthodique et prudente. Les difficultés s’accumuleront certes assez tôt pour précipiter les acteurs dans les hasards d’une explosion formidable. Hildebrand n’est pas prêt encore à la bataille universelle ; cependant les opérations préliminaires peuvent être essayées. Il va préparer le terrain par une entreprise isolée, mais hardie.

A peine Victor II avait fermé les yeux, en Toscane, à la suite d’une courte maladie due aux fatigues de son voyage d’Allemagne, qu’à l’instigation d’Hildebrand le peuple et le clergé romain, sans s’occuper de ce qu’en dirait la cour impériale, procédèrent à l’élection directe du pape qui devait succéder à Victor II ; dans les vingt-quatre heures même la consécration lui fut donnée. Le pape élu était un moine qui, après avoir été cardinal chancelier de l’église romaine du choix de Léon IX, s’était retiré dans le cloître célèbre du Mont-Cassin, où il méditait depuis trois ans sur les misères humaines. Nous dirons bientôt quel était ce personnage ; insistons ici sur la forme de son élection. L’empereur avait nommé le pape jusqu’à ce jour, et l’avait fait accepter par les Romains. Hildebrand fait nommer directement par le peuple et le clergé de Rome, et par une sorte de mouvement populaire, le successeur de Victor II, réduisant à l’approbation du fait accompli la fonction de l’empire, c’est-à-dire que les rôles sont renversés ; c’est le retour au droit carlovingien, en tenant comme non avenu le droit ottonien. L’élu était sans doute un saint homme, mais son élection n’en était pas moins une élection politique au point de vue électoral ; elle l’était encore au point de vue de la personne de l’élu et de ses dispositions à l’endroit des désordres de l’église. Il était aussi fort attaché aux intérêts italiens, presque Italien par adoption de patrie.

Le nouveau pape, qui fut Etienne IX, était de fort grande maison, comme ses derniers prédécesseurs. Il était de la noble maison d’Ardennes ou d’Anvers, issue d’un maire du palais, et troisième fils de Gothelon dit le Grand, duc de la Basse-Lorraine, lequel, grand agitateur sous Conrad II et visant à l’empire, avait légué son ambition à son fils aîné Godefroi le Barbu, qui s’attira des coups très rudes de la part d’Henri III, contre lequel il s’était révolté. C’est sur les ruines de la fortune de Godefroi le Barbu que s’étaient élevées les maisons d’Alsace-Lorraine et de Luxembourg (1038-1048) ; mais Godefroi, privé de son duché, avait été chercher fortune ailleurs. Parent de Léon IX, il fut lui offrir sa bonne épée dans la guerre contre les Normands, et se fit un nom en Italie, où il épousa, vers 1053, Béatrix, veuve de Boniface, marquis de Toscane, mère et tutrice de la fameuse et grande comtesse Mathilde, dont nous aurons bientôt à parler. Léon IX, qui avait réparé les affaires du Barbu, s’occupa aussi de celles de son frère Frédéric, le fit d’église et cardinal, et en légua la protection à Victor II, qui lui confia une importante mission à Constantinople, où il s’acquit tant d’honneur et d’où il rapporta tant d’argent qu’il devint suspect à Henri III, toujours très méfiant à l’endroit de cette race active et entreprenante. C’est alors que, dégoûté d’un monde injuste et soupçonneux, Frédéric s’était retiré au Mont-Cassin, dont bientôt il avait été nommé abbé. Poursuivant sa bonne œuvre, Victor II avait réconcilié Godefroi et le moine son frère avec Henri III, et dissipé les ombrages de la maison de Franconie à l’endroit d’une compétition, pendant le dernier voyage qu’Henri fit en Allemagne (1056-1057), et Frédéric était entré pendant ce temps dans l’intimité d’Hildebrand, dont il partageait la passion pour la réforme de l’église[20] — Lorsque l’évêque d’Albano vint annoncer à Rome la nouvelle imprévue de la mort de Victor II, les amis d’Hildebrand, lequel était auprès du pape mort, se réunirent aussitôt chez le cardinal Frédéric à Rome. Il y fut dit que, l’empire étant vacant par le décès d’Henri III, ils pouvaient procéder directement d’eux-mêmes à l’élection d’un pape, sans attendre les ordres de la cour de Germanie. L’argument était subtil, mais il y avait apparence de droit, le successeur d’Henri III n’ayant pas encore été couronné empereur. La délibération conclut à passer outre à l’élection immédiate. Frédéric proposait Hildebrand au choix des Romains, mais ceux-ci, entraînés par les amis d’Hildebrand lui-même, proclamèrent à l’instant Frédéric, qui prit le nom d’Etienne parce que c’était le jour commémoratif de la mémoire de ce saint apostolique.

Le nouveau pape dépêcha Hildebrand à Ratisbonne pour expliquer l’affaire avec les ménagemens convenables à la cour de Germanie, où l’on sentit le coup, mais où l’on avait des préoccupations plus particulières qui imposaient la réserve et l’attente du moment opportun. M. Villemain a quelques pages excellentes sur cette mission délicate. Brûlant de zèle pour la réforme, Etienne IX signala de son côté son avènement par deux grands actes, la promotion du respectable Pierre Damiani à l’évêché d’Ostie, et l’entreprise de la réforme du clergé de Milan, où les plus grands déréglemens déshonoraient l’église. « On y voyait, dit Baronius d’après un contemporain, des prêtres passant leur vie à chasser au chien ou à l’oiseau ; d’autres hantaient les tavernes et les maisons suspectes, d’autres étaient connus comme usuriers déhontés ; presque tous vivaient publiquement en concubinat réglé ou avec des filles perdues, tous pratiquaient scandaleusement la simonie, du plus humble au plus grand, nul n’était exempt de reproche. » Tel était l’état déplorable où était tombée l’église de saint Ambroise[21]. Etienne, dirigé par Hildebrand, assembla des conciles et frappa de coups répétés le diocèse de Milan. Arrêté par une fin trop prompte après quelques mois de pontificat, Etienne IX réunit les évêques et les grands autour de son lit de mort, et leur enjoignit, sous peine d’anathème, de ne pas lui nommer un successeur avant le retour d’Hildebrand de son voyage d’Allemagne, — ce qui n’empêcha pas la nomination d’un antipape éphémère de la part de la faction, de Tusculum, persistante à reconquérir sa vieille et pernicieuse domination[22]. Cet antipape, subrepticement intronisé, « siégeait depuis quelques mois, dit M. Villemain, lorsque le redoutable Hildebrand revint de la cour d’Allemagne, où il avait déjà reçu les plaintes des hommes attachés à son parti. Il s’arrêta dans Florence, et de là il écrivit aux Romains pour leur reprocher une élection faite en son absence, au mépris d’un décret du dernier pontife. Il parut même qu’il invoquait alors le droit de l’empire à l’élection des papes. » Un grand nombre d’évêques se joignirent à lui, et le profond politique fit élire dans leur assemblée un évêque de Florence, Gérard, né sujet de l’empire, natione Allobros, qui alio vocabulo Burgundio dicitur[23], candidat sur lequel s’accordèrent les suffrages germaniques et les suffrages romains, in quem et Romanorum et Teutonicorum studia consenserant, dit le chroniqueur bien informé Lambert d’Aschaffenbourg.

En effet, Hildebrand avait rencontré chez Agnès d’Aquitaine, veuve de Henri III et tutrice du jeune Henri IV âgé de huit ans, un esprit vif et sympathique, prompt à saisir les difficultés de la situation, et disposé à céder ce qu’elle ne pouvait plus retenir, à savoir la haute direction de l’église romaine, que son royal époux avait si fermement gardée en main. Elle voulait d’ailleurs ménager le futur couronnement de son fils comme empereur à Rome, et le concours d’Hildebrand lui était nécessaire pour compléter la transmission des couronnes que Henri III avait si noblement portées. Jusqu’à ce couronnement, son fils n’était que roi de Germanie et roi d’Italie. Elle crut avoir captivé Hildebrand, qui crut à son tour avoir captivé l’impératrice, tous deux ayant besoin l’un de l’autre pour arriver à leurs fins diverses. Agnès se hâta même de renvoyer Hildebrand en Italie, dès qu’elle apprit la mort du pape Etienne et la nomination frauduleuse de son prétendu successeur par la faction éternelle de Tusculum. Le très érudit Saint-Marc[24], qui a si profondément traité l’histoire de la querelle des investitures, et M. Villemain après lui, travaillant sur les mêmes documens, ont très bien déroulé, chacun avec le caractère qui le distingue et avec des nuances diverses, le fil de cette négociation particulière d’où sortit l’élection de Nicolas II, qu’Hildebrand obtint encore, par le bénéfice des circonstances, du suffrage direct de la saine partie du peuple et du clergé romain (1059), soutenus spécialement en cette occurrence par l’intervention du redouté Godefroi le Barbu, jaloux de sceller du sceau de ses armes sa réconciliation avec la cour de Germanie, et nourrissant peut-être sous le masque du dévoûment quelque ambitieux dessein exploité par Hildebrand. Ce dernier présida la cérémonie de la consécration pontificale, où pour la première fois, dit-on, une double couronne fut posée sur la tête de l’élu, l’une portant inscrits ces mots : corona de manu Dei, l’autre portant ces mots : diadema imperii de manu Pétri.

Hildebrand avait fait en apparence les affaires de l’empire, qui par son adhésion sembla diriger encore la nomination papale ; en réalité, Hildebrand n’avait fait que les affaires de la papauté, en consacrant par une nouvelle application la reprise de l’élection directe, en obtenant, pour occuper le saint-siège, un pape dont il était sûr, et qui ne marchanderait pas son concours à la grande œuvre de la réforme, enfin en donnant à la papauté en Italie un appui militaire autre que celui des Allemands ; mais cette élection, tout heureuse qu’il la croyait, n’avait été emportée que par un habile tour de main, et par une sorte d’expédient politique. Hildebrand et Nicolas II se hâtèrent d’assurer pour l’avenir l’indépendance de l’élection romaine en la purgeant de la turbulence compromettante du suffrage universel. Par lui, Hildebrand avait obtenu l’émancipation ; mais autre chose était la conservation de la liberté acquise. Hildebrand était peu curieux d’en remettre le sort aux factions dont était travaillée la cité romaine. Pour aviser à ce péril, un concile fut réuni dans l’église de Latran, où le système électoral de la papauté fut réglé par un décret célèbre, dont la durée s’est perpétuée à travers les siècles en ses points principaux parce que la sagesse politique en était la base essentielle. Le texte de ce décret a fourni matière à discussion ; il faut lire à ce sujet Baronius et Saint-Marc. Le choix du pape devait appartenir désormais au collège des cardinaux-évêques, auxquels s’adjoindraient les cardinaux-diacres, curés de Rome, et un petit nombre de laïques. Le choix serait pourtant soumis à l’approbation du peuple et du clergé réunis. Le pape devait être choisi de préférence dans le sein de l’église de Rome ; mais, si l’on n’y trouvait pas de sujet digne de cette élévation, il pouvait être pris ailleurs, « sauf, était-il ajouté, l’honneur et le respect dus à notre cher fils Henri, présentement roi, et qui, s’il plaît à Dieu, sera bientôt empereur, comme nous le lui avons accordé, et comme le seront ses successeurs, auxquels le siège apostolique accordera le même droit. »

Ce décret, dit M. Mignet[25], devait mettre un terme aux anciennes élections démocratiques, qui avaient pris un caractère féodal depuis la fin du IXe siècle, et aux nominations impériales, qui s’étaient établies sur la ruine de l’élection féodale. « Il concentra l’élection des papes dans une petite assemblée de hauts dignitaires de l’église romaine, lesquels, plus éclairés, plus sages, plus religieux, furent plus disposés à faire des choix habiles. Il en exclut en quelque sorte le pouvoir intéressé de l’empereur et le pouvoir tumultueux du peuple, car être simplement appelé à confirmer, comme l’un, ou à approuver, comme l’autre, c’était avoir l’obligation de consentir et non le droit d’élire. Cette institution, qui se compléta par la cessation assez prompte des confirmations impériales et un peu plus tardive des consentemens populaires, fonda dans le collège des cardinaux un corps électoral religieux et aristocratique, qui devint le sénat de la nouvelle Rome, et donna des maximes suivies à son gouvernement. »

Ainsi la campagne de la réforme et de la liberté de l’église était partout vivement engagée, dans l’administration intérieure de l’église avec résolution, dans les rapports avec la couronne impériale avec modération. Ce n’était déjà plus une aspiration simple, c’était une cause presque gagnée. La question des mœurs, du célibat sacerdotal, du trafic des charges de l’église, était mûre dans l’opinion, c’était celle de la rénovation morale de l’église, de la révolution politique de son gouvernement, c’était une révolution sociale tout entière. Légalement accomplie, il lui restait la difficulté pratique, et sur ce point la lutte allait se produire avec tous les caractères des habitudes contemporaines, Plans et moyens devaient se ressentir du conflit passionné des intérêts humains et des dispositions de l’esprit au moyen âge, Si plus tard on put au concile de Trente, si de nos jours, au XIXe siècle, on peut discuter avec calme sur la controverse du célibat des prêtres, il n’était pas permis de le faire impunément au XIe siècle. Vainement les prêtres mariés invoquèrent des traditions de la primitive église. La corruption d’autres prêtres compromit la question pure du mariage, qui fut taxée d’hérésie détestable et poursuivie sans miséricorde comme telle, avec l’inexorable logique de l’époque et la conscience inébranlable de la foi. La lutte tourna même bientôt à la forme de parti, religieux et politique à la fois, et, arrivée à cette condition ; l’ardeur passionnée des adversaires ne respecta plus aucune limite. Mais n’anticipons pas sur cette triste phase de la querelle du sacerdoce et de l’empire.

On se demande naturellement si la cour de Germanie a dû rester silencieuse devant cette prise de possession d’indépendance qu’assurait à la papauté le décret de Nicolas II. Hildebrand avait pu se convaincre par ses observations personnelles et par les informations qu’il avait recueillies pendant ses deux derniers voyages d’Allemagne de l’état des esprits en ce pays et de la situation difficile, non soupçonnée en Italie, de la royauté franconienne. Il ne s’y était pas trompé. La mort de Henri III avait jeté le désarroi dans le gouvernement de l’empire. Une femme spirituelle et digne de respect, mais inexpérimentée et jeune encore, étrangère enfin, parlant à peine la langue du pays, se trouvait en face de complications inextricables : une aristocratie puissante, revêche, avide, séditieuse, ingouvernable, sinon par l’autorité des populations divergentes d’intérêt, indociles, soumises à des influences suspectes, au nord et au sud de l’Allemagne ; une armée de moines entre les mains desquels était la force morale du pays, et complètement soumise aux lois et à l’impulsion d’un pouvoir étranger ; un corps épiscopal riche et princier, uni sans doute d’intérêt avec l’empire, mais profondément imprégné d’institutions féodales par la possession d’immenses territoires et par la condition personnelle des évêques, et flottant, par suite d’une situation équivoque, entre le respect de l’empire, l’autorité de l’église et les entraînemens féodaux ; telle était la situation compromise de l’impératrice Agnès et de son gouvernement. C’était pourtant dans le corps épiscopal que Henri III et Agnès avaient placé leur espérance. L’épiscopat allemand dut conseiller à l’impératrice-mère, de s’entendre avec Hildebrand. Elle parut suivre une inclination naturelle en se rapprochant de lui, à la mort du pape Etienne ; mais par les concessions que l’entente exigeait, la grande loi ottonienne était sacrifiée, l’autorité impériale était ébranlée, la domination de l’empire sur la papauté se trouvait sapée par la base. Il ne fallait plus qu’une occasion pour émanciper complètement l’église, et dès lors le règne des Allemands en Italie était sérieusement menacé. Hildebrand sut épier cette occasion, l’attendre, la provoquer secrètement peut-être ; elle ne tarda pas à se présenter.

La mort de l’empereur ; avait surpris tout le monde, et personne n’était prêt pour une entreprise subversive. On put donc organiser sans résistance une administration nouvelle. Le gouvernail ne fut disputé par personne à la régente, ainsi qu’il était advenu lorsque l’impératrice Théophanie prit la tutelle d’Otton III. L’impératrice put même prendre paisiblement possession du duché de Bavière, qui lui avait été adjugé à la mort du duc Conrad (1056). La présence du pape Victor II facilita l’inauguration du gouvernement d’Agnès, dont la sollicitude maternelle fut bientôt mise à l’épreuve par les Saxons, qui essayèrent de s’insurger pour enlever la couronne à un enfant (1057) chez lequel ils craignaient de rencontrer un jour la main ferme de son père. Cette tentative échoua, mais elle donna l’éveil à d’autres desseins criminels. Du nord, les complots passèrent au midi de l’Allemagne. Henri III avait promis naguère au puissant Berthold de Zäringhen de lui donner le duché de Souabe après la mort du duc régnant Otton de Schweinfurt, et à titre de gage lui avait remis son anneau. Cet engagement était-il connu de l’impératrice ? On l’ignore. Tant il y a qu’Otton étant mort (1057), elle disposa du duché de Souabe en faveur de Rodolphe de Rhinfelden, auquel elle donna de plus sa fille en mariage à la suite d’un enlèvement qu’on crut avoir été simulé pour tromper les Zäringhen. Cette affaire fit du bruit. Il fallut apaiser Berthold avec le duché de Carinthie, dont il ne parut pas satisfait, et les princes allemands eurent l’œil ouvert sur les périls du gouvernement d’une femme non suffisamment prémunie contre les surprises, et qu’on accusait de s’abandonner sans réserve à la direction de l’évêque d’Augsbourg, soupçonné d’une intimité suspecte avec la jeune veuve d’Henri III. Vainement l’impératrice essaya-t-elle de satisfaire l’ambition des Nordheim et des Brunswick, et de Tanger à son parti des évêques influens, tels qu’Annon, archevêque de Cologne, personnage très considéré, fort influent dans la région rhénane, et en très bonnes relations avec Rome ; une entreprise malheureuse contre les Hongrois acheva de perdre dans l’opinion le gouvernement de l’impératrice Agnès, et tous s’entendirent pour tramer contre elle un pernicieux projet.

C’était vers l’an 1062. La cour était dans l’île de Saint-Suibert, sur le Rhin, non loin de Neuss. Auprès d’elle se trouvaient Otton de Nordheim, le margrave Ekbert de Brunswick, l’archevêque de Cologne, accompagnés d’autres prélats et princes. Un jour, après un grand festin, l’archevêque en gaîté proposa au jeune roi, alors âgé de douze ans à peine, de lui montrer un des bateaux de l’évêché, qu’il avait fait richement décorer. L’enfant, confiant et entraîné, accepta l’offre du prélat, et, accompagné des seigneurs qui étaient d’accord avec Annon, il monta dans le bateau épiscopal ; mais soudain les rameurs gagnèrent le large, et l’enfant, surpris d’une manœuvre où il discernait bien l’attentat dirigé contre lui, se jeta bravement dans le Rhin pour échapper à la violence dont il était l’objet. Le margrave Ekbert s’élança promptement après le roi pour le sauver de la rapidité du courant, et, non sans péril pour lui-même, il le ramena dans le bateau, qui poursuivit sa route vers Cologne, et où à force de caresses on parvint à lui faire oublier l’enlèvement qui l’arrachait à la tutelle de sa mère. L’évêque et les princes alléguèrent l’intérêt public pour se justifier d’avoir violé la majesté royale en saisissant de force la régence de la personne du roi, et l’impératrice, après avoir éclaté en une vive indignation, dédaignant de se plaindre davantage, fut demander à Dieu, dans un cloître, des consolations contre les outrages et l’injustice des hommes.

Agnès ne trouva ni sympathie ni protection en cour de Rome, car à l’occasion du fameux décret de Nicolas II elle avait montré des dispositions inquiétantes. L’évêque d’Augsbourg l’avait même poussée à une manifestation qui, dans les circonstances présentes, était une témérité, — manifestation qui devait se perdre en actes vains, n’étant soutenue par aucune entreprise en Italie, et qui toutefois, justement blâmée par Pierre Damien, excita de l’irritation chez Hildebrand ; M. Villemain en a dévoilé les détails avec intelligence[26]. Agnès avait fait plus encore. Nicolas II étant mort en juillet 1061, l’impératrice sollicitée par les évêques de Lombardie, la plupart simoniaques et concubinaires, fit élire, dans une réunion d’évêques et de princes convoqués à Bâle, l’évêque de Parme Cadalous, homme de médiocre réputation, qui se posa rival et antipape de l’élu des cardinaux romains, Anselme évêque de Lucques, couronné le 30 septembre 1061 sous le nom d’Alexandre II. Ce schisme engendra beaucoup de troubles malgré l’activité d’Hildebrand et la condamnation des conciles. Annon, archevêque de Cologne, aussitôt après son coup d’état, se hâta de donner des preuves de son attachement pour la cour romaine en assemblant un synode dans le château d’Osbor (28 octobre 1062), où de nombreux évêques d’Allemagne et d’Italie condamnèrent l’antipape Cadalous et donnèrent raison au décret de Nicolas II. Aussi l’église de Rome montra-t-elle beaucoup de faveur à la régence d’Annon, qui pourtant a été fatale à l’Allemagne et surtout à Henri IV. Si l’acte de violence de ce prélat a été prémédité avec Hildebrand, on ne saurait le dire ; ce qui est certain, c’est que ce dernier en a profité. A partir de 1062, l’indépendance romaine n’a plus eu rien à craindre de l’Allemagne, et la nouvelle constitution électorale de la papauté a eu le temps de se raffermir. Une bonne cause a été servie par un détestable coup de main. Une meilleure politique concilia l’appui des Normands de l’Italie inférieure à la papauté, qui plus tard put regretter de s’être livrée à de si rusés et intéressés amis ; mais l’Italie et spécialement les états de l’église étaient désolés par le brigandage. Rome ne pouvait se passer d’appui militaire ; elle ne le trouvait plus dans l’empire depuis la mort d’Henri III. Godefroi le Barbu avait quitté l’Italie pour retourner dans la Basse-Lorraine ; Hildebrand et Nicolas II négocièrent avec l’ennemi intime des Allemands et des Lombards, avec Robert Guiscard, la papauté n’ayant pas sous sa disposition une puissance temporelle assez imposante pour réprimer l’audace de la féodalité italienne, favorisée par les mécontentemens des prêtres simoniaques et concubinaires.

La papauté semblait ne pouvoir se passer de l’empire et ne pouvait vivre cependant avec son protecteur. Vainement le pape et les évêques prononçaient chaque jour des excommunications contre les ravisseurs et violateurs des choses saintes, l’autorité pontificale se perdait en retentissemens inutiles pour le rétablissement de l’ordre et de la sécurité. « Les prêtres inventaient des récits de merveilles et d’apparitions pour effrayer les consciences. C’était, dit M. Villemain, le texte le plus fréquent des prédications en langue latine et en langue vulgaire. Hildebrand le traitait surtout avec une vive éloquence dont les contemporains gardèrent le souvenir. Ils nous ont même transmis un passage d’un sermon sur ce sujet qu’il prononça dans l’église d’Arezzo. On y sent ces terreurs d’imagination dont le Dante fut inspiré un siècle plus tard, et l’on conçoit aisément que les fictions de la Divine Comédie soient venues à la pensée du poète dans un pays où la religion entretenait sans cesse le peuple de semblables images. » L’Italie était donc profondément agitée et par les circonstances politiques et par le mouvement de la réforme religieuse. Alexandre II, soutenu par le génie inébranlable d’Hildebrand, avait peine à tenir le timon des affaires. La papauté résista cependant à l’orage.

L’Allemagne n’était pas moins agitée. Le jeune roi Henri était un enfant qui donnait de grandes espérances aux uns et de grandes craintes aux autres. La nature l’avait bien traité sous tous les rapports ; elle lui avait donné, avec un corps sain et vigoureux, de belles dispositions d’esprit. Il y avait en lui beaucoup du génie de son père, mais un sort cruel et fatal le poursuivit depuis l’enfance jusqu’au tombeau. L’amour maternel s’était montré indulgent pour ses caprices d’enfant, et les calculs des courtisans favorisèrent ses volontés mal dirigées. Lorsqu’il revint de son douloureux étourdissement après l’enlèvement de Saint-Suibert, il se trouva dans un monde qui lui était étranger et qui lui parut hostile. Il pénétrait à peine le fond des choses, et, ne pouvant deviner le but final de la cruauté exercée envers lui, sa jeune âme en était déchirée. Elle flottait entre la méfiance et le soupçon, l’entêtement et la dissimulation, l’indifférence pour l’opinion du monde et le mépris des hommes. Les germes de religion et de moralité que la nature et la première éducation avaient développés en son cœur furent broyés, presque étouffés. Quel sentiment pouvait-il avoir pour l’archevêque Annon, réputé saint pourtant aux yeux du grand nombre ? Il paraît qu’après de premières et inutiles caresses l’enfant royal fut traité avec une sévérité tout aussi inutile pour le plier au joug d’une direction nouvelle. Le crime vulgaire et presque sauvage dont il avait été victime ne pouvait sortir de sa mémoire ; il n’y songeait qu’avec effroi, et les princes de l’empire eux-mêmes qui l’avaient exécuté se trouvèrent bientôt en face de grands embarras. Ce qui avait paru facile tant qu’on était resté au projet fut reconnu difficile après le succès, à savoir l’administration de l’empire et le contentement de chacun. Aucun prince ecclésiastique ou laïque, aucun vassal puissant ou faible, ne se montra disposé non-seulement à l’obéissance, mais encore au moindre sacrifice dans l’intérêt général de l’empire ou de la royauté. Nul ne voulut reconnaître l’autorité d’une régence conquise si violemment. Toute situation devint précaire ou équivoque, et chacun chercha ses avantages ou sa sûreté dans la ruse, l’artifice et la menace. Il n’existait plus, à vrai dire, de police publique, témoin la scène atroce des vêpres de Goslar, où bataille fut livrée dans l’église sous les yeux du jeune roi, entre deux dignitaires ecclésiastiques soutenus par leurs suppôts. De l’Eyder aux Alpes, de la Meuse à l’Oder, le pays fut en proie à la discorde, aux guerres privées, à la violence.

Le jeune roi avait été ramené à Goslar, ou s’établit un centre de gouvernement. Annon de Cologne et le duc Otton de Nordheim s’en posèrent les chefs. Une cour était rétablie pour le jeune prince, et Adalbert, archevêque de Brème, fut spécialement préposé à son éducation. La raideur étroite de l’archevêque de Cologne[27] était déjà une calamité pour la royauté franconienne, bien qu’il fût Saxon et qu’il eût des liens avec la ville de Goslar, où tout l’esprit de la Saxe semblait concentré[28] ; mais le choix d’Adalbert était plus déplorable encore. On peut voir dans Fleury de quelle manière ce prélat traitait les affaires de l’église[29] en général ; il traita celle de l’éducation du prince d’une manière plus singulière, et obtint sur son esprit une influence de suspecte origine et de funeste conséquence. Annon avait au moins pour lui la pureté des mœurs ; la vie privée d’Adalbert était assez compromise, ce qui n’empêcha pas la cour de Rome de lui conférer le titre de légat dans les pays septentrionaux. Il était dévoué au pape, et malgré cela les chroniques monastiques lui sont hostiles[30]. Pour capter l’affection de son royal élève, Adalbert ne trouva rien de mieux que de lâcher la bride à ses passions et d’en favoriser même les écarts. Un autre archevêque, celui de Mayence, partage sa responsabilité devant l’histoire à propos de cette éducation princière. C’était Sigefroi d’Eppenstein, abbé de Fulde avant d’être évêque, issu d’une grande famille de Wettéravie dont l’archevêché de Mayence semble avoir été le patrimoine. Le gouvernement de la personne du roi et des choses de l’empire était donc entre les mains des évêques ; educatio régis atque ordinatio omnium rerum publicarum penes episcopos erat, dit Lambert d’Aschaffenbourg[31]. Ils avaient livré les confidences et la familiarité de l’enfant à un jeune chevalier, Werner, parent de l’évêque de ce nom à Strasbourg, pernicieux ami dont l’influence et le crédit valurent bientôt au prince la haine du peuple et à lui le mépris universel. Adalbert et le comte Werner disposaient de tout à la cour au grand scandale des honnêtes gens. Hi duo pro rege imperitabant, dit Lambert ; ab his episcopatus et abbatiœ, ab his quidquid ecclesiasticarum, quidquid secularium dignitatum, est, emebatur.

Ce fut dans cette misérable condition que se développa, au physique comme au moral, l’adolescence d’Henri IV. La cour du jeune roi était, selon la coutume, transportée tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, et les grandes fêtes de l’église étaient célébrées successivement dans des localités différentes. Cet usage, qui avait pour mobile la pensée de propager le respect et l’amour du souverain, n’aboutissait qu’à la désaffection du prince et au respect de ses conseillers. Sans doute, dit Luden, ceux-ci pouvaient surveiller le jeune roi, l’entourer d’un jaloux espionnage, empêcher par tout moyen que rien n’arrivât à ses oreilles ; mais l’enfant avait été poussé plus avant que ne comportait son âge ; il était devenu pénétrant par la crainte de nouvelles violences. Il se jeta par distraction dans les ébats qu’on offrait à son ardeur pour la chasse et les plaisirs ; mais il voyait de trop près les vices et les passions pour n’en pas garder le mépris de l’humanité. Les chagrins concentrés, des excès qu’on peut supposer, les crises de l’âge, déterminèrent chez lui, de 1067 à 1068, une grave maladie dont il eut peine à se relever. Il atteignait alors l’âge de dix-huit ans. Ce fut après sa guérison que l’attention publique fut attirée sur un caprice du prince qui prit facilement le caractère d’une affaire politique. Dès l’âge de cinq ans, son père avait disposé de lui pour un mariage, et l’avait fiancé à la fille du puissant marquis de Suse, qui tenait en ses domaines les passages d’Allemagne en Italie par les Alpes. La jeune Berthe avait été conduite à la cour de Germanie, et, d’un âge à peu près égal à l’âge d’Henri, elle avait grandi à côté de lui, sans inspirer, ce qui n’est pas rare en cas pareil, d’autre sentiment à son fiancé que celui d’un attrait médiocre. Lors donc que, l’âge propice arrivant, on voulut les unir par le lien religieux et naturel des époux, Henri subit la volonté que lui imposèrent les évêques régens, mais ni son cœur ni ses sens ne se prêtèrent, paraît-il, aux vœux de ses tuteurs. Les choses en étaient là, lorsqu’en 1069, ayant recouvré la santé, acquis de l’expérience et pris quelque hardiesse par l’émancipation politique qu’il venait de recevoir en revêtant l’armure de l’âge viril, Henri parla de divorce avec son épouse Berthe, et montra la résolution de satisfaire son désir. Ses ennemis lui ont reproché cette pensée comme un acte de dépravation. Ce n’est point à dix-neuf ans, et après tant de contraintes morales, qu’une pareille corruption se glisse dans le cœur humain. Le langage et les motifs que lui prêtent les chroniques non passionnées ont le caractère d’une naïveté pour laquelle on éprouve de l’indulgence[32]et qui porte l’empreinte de la vérité. Les archevêques de Mayence et de Brème se montraient complaisans pour la volonté du jeune roi, mais ils n’osèrent prononcer la dissolution du mariage sans prendre avis de la cour de Rome, où l’affaire apparut sous un aspect tout différent. En effet, parmi les services que la papauté a rendus à la moralité européenne au moyen âge, il faut compter son inexorable sévérité pour maintenir l’indissolubilité du mariage. Elle a plié la barbarie au respect de ce lien, qui est une des conditions de la sociabilité humaine. L’église s’était surtout montrée inflexible à comprimer les fantaisies des princes sur ce point, et, soit qu’elle y trouvât le moyen d’étendre sur eux son autorité, soit plutôt que ses motifs fussent d’une irréprochable pureté, rien ne put la faire dévier de sa voie à cet égard. Les enfans de Charlemagne l’avaient éprouvé les premiers ; tout récemment, le fils de Hugues Capet avait dû se soumettre, à Paris, à la loi canonique, et donner l’exemple du respect pour la grande loi morale de la catholicité. La papauté fut aussi rigoureuse pour le roi de Germanie Henri IV. Ce jeune prince inquiétait déjà le pape, Alexandre et son directeur Hildebrand. Ils redoutaient les représailles de la violence de Cologne, qui étaient attribuées au parti papal du pays allemand ; ils auraient peut-être obtenu, en cédant, une transaction avantageuse sur le droit impérial, toujours debout, à l’endroit de l’élection pontificale ; mais tel n’était point le caractère de l’altier et religieux Hildebrand. Sur la nouvelle des dispositions du roi de Germanie, le pieux cardinal Pierre Damien fut envoyé en Allemagne et déploya toutes les ressources de son éloquente charité pour détourner le jeune Henri IV du scandale qu’il était prêt à donner à la chrétienté. Le roi céda devant l’onction puissante du légat, et M. Villemain a transporté dans son récit de cette scène religieuse la simplicité sympathique des documens contemporains. La jeune reine Berthe montra dans cette occasion solennelle un esprit et une délicatesse au-dessus de son âge, et par son affection habile autant que par sa sincère résignation, elle fit la conquête de son époux, auquel elle donna toujours les preuves d’un attachement dévoué. Des historiens mal informés ont attribué à cette princesse des aventures et des dissentimens qui appartiennent à un second mariage d’Henri IV.

Dès cette époque de 1069 commence à poindre dans les chroniques des couvens allemands une malveillance calomnieuse envers le jeune roi, qui, victime politique du clergé, laissait probablement échapper des sentimens peu tendres pour les ordres monastiques dévoués aux Romains. Ainsi nous lisons dans les Annales Palidenses, que nous avons déjà citées, d’absurdes et impossibles accusations d’idolâtrie, de magie, de monstrueuses débauches et cruautés[33] dirigées, sous l’an 1068, contre un enfant de dix-huit ans, privé de sa mère, et odieusement gouverné par des évêques, chez lequel la compression de la crainte et de perfides provocations ont pu développer des vices, mais que les gens d’église moins que personne avaient le droit de lui reprocher. L’œuvre de désaffection s’accomplissait cependant, et une explosion ne tarda point à se produire. Elle éclata vers 1070, tout à la fois en Thuringe, où l’archevêque de Mayence ruinait les peuples par ses exactions, et en Saxe, où l’archevêque de Brême soulevait les passions locales, et où le jeune roi suscitait par ses étourderies des mécontentemens fomentés et exploités par la grande noblesse. La révolte prenait le caractère de la guerre civile ; ses soutiens étaient Otton de Nordheim, maladroitement converti en séditieux déclaré, les Billung plus cauteleux, et le margrave Thedi[34] de Misnie. C’était l’ancienne opposition dynastique qui se réveillait les armes à la main, et il paraît bien qu’on en voulait à la vie du roi. Celui-ci était d’âge à payer de sa personne ; il le fit avec bravoure et résolution. Les révoltés n’en furent que plus acharnés. Il se commit des horreurs. M. Villemain a trop glissé peut-être sur cette guerre civile de 1070, qui est le début de la grande lutte entre Henri IV et la papauté. Giesebrecht et Gfrörer lui ont rendu dans l’histoire l’importance que Mascov, Struve et Saint-Marc lui avaient déjà reconnue et assignée. Il y a même eu à ce sujet peut-être une légère confusion de dates dans la savante mémoire de M. Villemain. Les Annales Palidenses ont avec exactitude constaté la révolte des Saxons et des Thuringes en 1070. Les Annales d’Hildesheim[35], une des sources les plus précieuses pour cette époque, malgré la prévention antifranconienne qui les inspire, nous fournissent d’amples détails, et Lambert d’Aschaffenbourg les complète avec son exactitude ordinaire. Il nous représente l’épouse du margrave Thedi de Vettin comme très ardente à la sédition : elle avait, paraît-il, quelques griefs particuliers contre le jeune roi. La révolte fut réprimée. Les Billung, si puissans, furent réduits à la soumission, et Otton de Nordheim paya sa révolte du prix de son duché de Bavière, qui fut donné à son gendre Welf d’Italie, par lequel s’est propagée en Allemagne la seconde maison des Guelfes, entée par mariage et par adoption sur la première qui venait de s’éteindre, celle des Guelfes carlovingiens d’Altorf. De là sont parties, comme nous l’avons indiqué dans la première partie de ce travail, les deux maisons de même souche, de Hanovre en Allemagne, et d’Esté en Italie.

La royauté de Germanie, quoique victorieuse, resta pourtant très affaiblie, car la révolte avait laissé un levain vivace ; une conspiration nouvelle était près d’éclater, et les moines se mettaient sourdement de la partie, irrités contre le luxe et les concussions des évêques de la cour. Henri, trompé par ses conseils, ne voyait dans les réclamations contre des évêques agréables que la rébellion contre sa personne, continuée sous un autre prétexte. Son inexpérience le conduisit à d’inévitables fautes. Il n’en a pas, à vrai dire, la responsabilité morale, car il avait vingt ans, et Adalbert de Brême était encore en plein crédit. L’archevêque de Mayence excommuniait les récalcitrans, et Annon de Cologne administrait souverainement les affaires. Adalbert n’est mort qu’en 1072, et Annon ne s’est démis qu’en 1073, pour se retirer dans un couvent. Ces dates sont précieuses à recueillir[36]. On ne peut douter qu’Henri ne regardât la cour de Rome comme la secrète instigatrice de ses embarras. Il faisait remonter jusqu’à elle sa tragique aventure du Rhin, et, la légèreté de la jeunesse aidant, les mécontens de la sévérité romaine avaient appui auprès de lui. De son côté, la cour de Rome avait l’œil ouvert sur les dispositions du jeune roi, dont la fierté se développait. Les fauteurs de Cadalous troublaient encore l’Italie, où ce suppôt d’intrigue s’était posé en représentant du droit impérial[37]. Les rapports personnels du jeune roi avec Alexandre II étaient donc fort tendus, et Hildebrand, tout-puissant auprès du pape, se montrait irrité de certaines velléités d’opposition germanique. Les simoniaques et les concubinaires relevaient la tête en Allemagne, et l’autorité supérieure du pape y était sérieusement contestée. Deux abbés, ceux de Fulde et d’Hersfeld, grands et riches monastères, ayant été condamnés pour refus de prestations à l’archevêque de Mayence, dans un synode provincial, appelèrent de la décision en cour de Rome, et Henri, voyant dans cet appel un attentat contre l’autorité impériale, promit d’en empêcher l’exécution. Lorsqu’on apprit à Rome cette résolution, le pape en fut fort offensé. À ce grief se joignait celui de nourrir les soldats avec les biens des couvens, et de vendre les bénéfices ou d’en favoriser le trafic. Hildebrand n’en parlait qu’avec indignation. Il résolut de frapper un grand coup et de démasquer la dernière batterie de son plan d’attaque contre la corruption du siècle. Il ne suffisait pas d’avoir entrepris la réforme morale de l’église et d’avoir rendu la papauté indépendante, il fallait encore soumettre l’état à l’église ; ce troisième point était le complément nécessaire et la garantie des deux premiers. Il fallait à tout événement demander le plus pour s’assurer du moins. L’Angleterre résistait, et Guillaume n’était pas d’humeur à céder. En France, les Capétiens raffermis s’étaient relevés de la docilité du roi Robert. Pour l’Allemagne, l’occasion était belle. On avait affaire à un enfant, l’empire était miné par la révolte. Il fallait s’attaquer vivement à lui, et par lui imposer aux autres rois la suprématie de la papauté. Le but était-il chrétien[38] ? Peut-être, mais les moyens furent marqués du sceau des passions humaines. Le pape Alexandre, inspiré par Hildebrand, cita le jeune roi (1072) à comparaître à Rome pour s’y justifier des actes qui lui étaient imputés. C’était une procédure inouïe encore dans les fastes de l’église. Il y avait eu des condamnations ecclésiastiques contre des princes régnans, mais le pape n’avait point encore mandé de roi devant son tribunal. L’entreprise parut excessive à de sages esprits. Ce n’était pas au pape Alexandre qu’il appartenait de la mener à bout ; il mourut le 21 avril 1273, avant qu’Henri IV eût répondu à la sommation.

Sa succession ne pouvait échoir qu’à Hildebrand. Il était élu par l’opinion avant de l’être par les cardinaux, aux termes du décret organique de Nicolas II. Il fut acclamé presque au moment même où Alexandre expirait. « Il semble, dit avec raison M. Villemain, qu’après tant de pontificats créés et dirigés par lui son tour de régner était naturellement venu. D’ailleurs, par cela seul que les affaires se brouillaient du côté de l’Allemagne, le plus hardi défenseur de l’église en devenait le chef nécessaire. Le récent décret d’Alexandre II, qui mandait Henri IV à Rome, ne laissait plus en réalité pour l’église romaine d’autre pape qu’Hildebrand, intrépide conseiller de cette audacieuse démarche. Il n’y avait que lui placé assez haut pour frapper l’empereur. » Le Registrum de Grégoire VII contient le procès-verbal de cette mémorable élection. Elle n’était pas encore obtenue qu’Hildebrand en éprouva un sincère et profond effroi, ce qui ne l’empêcha pas de se prêter à l’intronisation immédiate. M. Villemain croit que ce fut par une modération affectée qu’il refusa la consécration jusqu’à l’approbation du chef de l’empire, dont l’honneur et le droit avaient été réservés par le décret de Nicolas II. Je pense que ce motif consacré par la légende n’est pas admissible. Hildebrand n’était pas prêtre lorsqu’il fut élu pape ; il n’était que diacre. Il fut ordonné prêtre le 22 mai et consacré le 30 juin[39]. Quant à la lettre hautaine de notification de l’élection à l’empereur, avec avis que, si l’empereur approuvait l’élection du pape, le pape ne laisserait pas impunis les crimes de l’empereur[40], cette lettre encore citée partout aujourd’hui est purement imaginaire ; elle eût été insensée au moment où l’on en rapporte la date. Grégoire s’est exprimé au contraire avec une parfaite convenance à l’égard de l’empereur dans ses lettres du 6 mai à Godefroi le Bossu, duc de la Basse-Lorraine[41], et aux princesses Béatrix et Mathilde. Il n’y a pas trace dans le Registrum de notification, électorale à l’empereur. Le seul écrivain qui en parle est Bonizo, évêque de Sutri, dont le livré Ad omicum est rempli d’histoires fausses ou invraisemblables[42]. M. Villemain a raison de croire cette fameuse lettre supposée. Je ne dois pas dissimuler pourtant que Muratori et après lui M. Mignet admettent la lettre comme véritable, mais avec les expressions adoucies du cardinal d’Aragonia, écrivain hagiographe du XIVe siècle seulement.

Quoi qu’il en soit, on peut considérer la guerre entre l’empire et la papauté comme ouvertement déclarée par l’avènement de Grégoire VII. Les contemporains ne s’y trompèrent pas. Lambert d’Aschaffenbourg constate qu’à la nouvelle de l’élection d’Hildebrand, un sentiment général et profond d’appréhension pénétra tous les esprits. Le personnage était bien connu ; on s’attendait à tout de sa part. « Après la mort du pape Alexandre, dit-il, les Romains élurent inconsulto rege, pour lui succéder, Hildebrand, virum sacris litteris eruditissimum, et connu depuis longtemps par la pratique de toutes les vertus ; mais, comme ce personnage était bouillant de zèle pour les intérêts de Dieu, les évêques de Germanie furent sur-le-champ saisie d’une ; grande- crainte, epiticopi protinus grandi scrupulo permoveri cæperunt, appréhendant que cet homme d’un génie véhément, ne vir vehementis ingenii, et d’une foi ardente en Dieu, et acris erga Deum fidei, ne les traitât trop rigoureusement pour leurs négligences, et ne discutât leur conduite avec trop de sévérité. Ils se réunirent donc et, d’un commun accord ; communibus omnes consiliis regem adorti, vinrent prier le roi, orabant, de tenir comme non avenue l’élection pontificale, faite sans son ordre à Rome, ut éiectionem, quæ ejus injussu facta fuerat, irritam fore decerneret, affirmant que, si le roi ne prenait les devans sur l’impétuosité du nouveau pape, nisi impetum hominis prævenire maturaret, le mal deviendrait irrémédiable, et le roi lui-même s’en ressentirait, in ipsum regem redundaturum esset. À ces conseils, qui ne manquaient pas de valeur politique, que répondit ce jeune roi que les moine » saxons qualifient déjà de Néron nouveau[43] et d’être si pervers que les crimes des plus grands scélérats ne sauraient être comparés aux siens[44] ? Il sursit à prendre aucune résolution, et envoya le comte Éberard à Rome, pour voir les choses par ses yeux et lui en faire rapport. L’envoyé royal fut bien reçu par le pape, auquel il donna de rassurans renseignemens, et de si bonnes relations s’établirent entre le pape élu et le jeune roi, que Grégoire VII en témoigna lui-même sa satisfaction en une lettre que nous lisons au Registrum, — de tout quoi l’on peut conclure encore que la lettre fulminante dont parle Bonizon est apocryphe. Quant à ce qu’ajoute Lambert au sujet de la consécration retardée, il n’est évidemment que l’écho d’un bruit qui fut répandu en Allemagne par les amis de la paix, et ce qui le prouve, c’est qu’il dit qu’en effet le pape retarda sa consécration jusqu’à l’année suivante, tandis qu’il : est bien établi qu’il fut consacré au mois de juin 1073[45].

Quelles qu’aient été ces premières communications de l’empereur Henri IV avec le pape Grégoire VII, un fait est assuré, c’est qu’il y eut un sursis apparent d’hostilités entre les deux potentats, et qu’avant la fin de l’année une nouvelle et formidable insurrection éclata dans la Saxe. Les deux grands personnages qui semblaient se mesurer de l’œil avant d’entrer en lice corps à corps se préparaient à la bataille dans des conditions bien différentes. On a vu depuis lors Frédéric II et Innocent IV entrer en champ-clos presque avec armes égales ; entre Boniface VIII et Philippe le Bel ; l’avantage est resté au roi ; mais entre Grégoire VII et Henri IV les situations étaient fort inégales, et pour la qualité des personnes et pour la cause en litige. D’un côté, c’était un jeune prince de vingt-trois ans, mal élevé peut-être, ignorant à coup sûr, n’ayant que la fierté d’un sang illustre, dépourvu d’expérience politique, mais pénétré du sentiment des échecs infligés à sa majesté souveraine ; battu en brèche par les moines, qui étaient les maîtres des entraînemens populaires, trahi par la grande noblesse d’un pays de féodalité, n’ayant pour lui que le corps épiscopal, intéressé au maintien des abus, et par cela même odieux dans l’opinion ; dépourvu du prestige qui commande l’obéissance et le respect. En face de ce champion royal, indécis, impuissant, à demi découronné, se posait un pape énergique et redouté, armé des foudres de la foi, rompu aux affaires et au maniement des hommes, résolu à tout pour triompher des obstacles, disposant de la puissance formidable de la conscience humaine, et obéi par une armée admirablement disciplinée. Quant à la cause en litige, la fatalité avait mis le mauvais rôle du côté du roi ; c’était la résistance des simoniaques et du clergé concubinaire qu’il protégeait, et la question de l’indépendance politique de l’état disparaissait sous le masque hideux des concussions impies et de l’immoralité publique du clergé féodal. Aussi penserais-je volontiers que Grégoire VII, sentant sa force et connaissant la faiblesse de son adversaire, que je veux croire présomptueux et dissimulé, a cru n’avoir pas besoin de croiser le fer avec Henri IV, et qu’il suffisait de le livrer à la révolte d’un peuple mutiné pour en avoir raison. C’est, à mon avis, ce qui explique la temporisation de Grégoire et l’espèce de magnanimité dont il s’est donné le mérite au début de son pontificat. Il me semble entendre un de ses successeurs regardant passer des hautes tours de Viterbe l’armée de Conradin, et s’écriant avec une douteuse pitié : le malheureux jeune homme, il court à la boucherie. Le justicier du pape était alors Charles d’Anjou ; au temps de Grégoire VII, c’est le peuple de Saxe et l’ordre monastique d’Allemagne. La grande révolte de 1274 a eu ses historiens contemporains et passionnés[46]. Les chroniques de cinquante couvens nous ont transmis les impressions populaires de l’époque avec les infamies que les partis se renvoyaient avec un infatigable acharnement, et tel a été l’effet de ces calomnies qu’elles ne sont point encore effacées de la mémoire des hommes. Au XVIIIe siècle même, un respectable moine de Saint-Blaise, dans la Forêt-Noire[47], ressentait l’influence des violentes accusations du moine de Reichersperg et reculait d’horreur devant les abominations dont on avait cru le roi capable. Pour le gros des lecteurs, qui ne regarde pas aux dates en une époque si obscure et si lointaine, il reste que le jeune Henri IV était un monstre enfanté par Lucifer ; mais, quand on examine le fond des choses, on ne trouve aucun fait grave à lui reprocher, sinon de représenter une cause mauvaise en plus d’un point, et l’on n’a devant soi que l’animosité violente des partis, et les mœurs à demi sauvages de pays encore plongés dans l’ignorance et la barbarie.

Lambert nous apprend que la Saxe, la Thuringe et la Bavière furent conduites par Otton de Nordheim, que le duc de Saxe, Magnus de Billung, quoique retenu en captivité, soutint la révolte par ses amis, et que les évêques de Zeitz, d’Halberstadt et de Brême furent expulsés par les Saxons, lesquels sommèrent tous les peuples d’Allemagne de s’unir à eux pour élire un nouvel empereur. Otton poussa l’insolence jusqu’à provoquer le jeune roi au combat judiciaire. Il ne resta dans le parti du roi que la Basse-Lorraine, la France orientale et la Souabe, encore avec peu de zèle. Henri IV vint passer à Worms les fêtes de Noël (1074), et y fut réduit à une telle pénurie qu’il était obligé d’acheter au marché ce qui était nécessaire à son entretien et à celui de sa cour, pour remplacer les redevances et prestations féodales, que personne n’acquittait plus. Les Saxons s’acharnèrent surtout à la démolition des châteaux et forteresses nouvellement construits pour contenir les populations. Ils imposaient des conditions humiliantes pour déposer les armes, exigeaient que le roi chassât ses conseillers et ses maîtresses, qu’il renonçât à résider en Saxe. Les conférences de Gerstungen et de Corwey n’amenèrent aucun résultat. Ils détruisirent de fond en comble les maisons de plaisance de l’empereur, sans ménager les églises ni les tombeaux ; ils jetèrent au vent les os d’un enfant royal mort en bas âge, et le pape fit la sourde oreille pour frapper de si odieux excès des censures ecclésiastiques. Au lieu de venir en aide à Henri, qui invoquait son secours, il présidait (mars 1074) un concile, le premier des conciles grégoriens qui ont été si multipliés, et anathématisait la simonie et le concubinat, enjoignant aux évêques sous les menaces les plus effrayantes de faire exécuter ses décrets. Ces ordres furent portés en Allemagne par des légats spéciaux qui s’apprêtaient à convoquer un concile national aux fins d’appliquer les canons du synode romain ; mais ils durent s’arrêter devant les résistances locales. Sigefroi d’Eppenstein, archevêque de Mayence, tint pourtant un synode à Herford, au mois d’octobre (1074), pour obéir au décret du pape et obliger les clercs à opter entre le mariage et le service de l’autel ; mais sa proposition fut très mal reçue, le synode fut dispersé par une émeute armée, et l’archevêque, menacé en sa personne, n’osa plus se montrer. L’évêque de Passau, ayant suivi l’exemple de celui de Mayence, n’échappa qu’avec peine à l’emportement tumultueux de la faction des prêtres mariés[48] Grégoire annonça qu’il ne reculerait devant aucune extrémité[49] pour avoir raison de ces désordres.

L’année 1075 ne vit pas la fin de la guerre civile et des soulèvemens. Henri IV, déployant des facultés qu’on ne soupçonnait pas, organisa une résistance efficace et régulière. Rodolphe de Rhinfelden, son beau-frère et duc de Souabe, battit et dispersa les Saxons en Thuringe. La révolte parut un instant étouffée. Henri convoqua une diète à Goslar, et crut avoir pacifié la Saxe ; mais les légats du pape se présentèrent à la diète, et citèrent de nouveau l’empereur devant le pape pour se justifier. En présence d’un acte aussi ouvertement hostile, Henri ne garda plus de mesure ; retournant en hâte sur le Rhin, où il était en force, il convoqua un concile à Worms, où sous sa présidence les évêques de la contrée condamnèrent et déposèrent le pape pour avoir osé se constituer juge de son souverain. D’un autre côté, une conspiration éclata dans Rome, fomentée par les amis d’Henri IV et les Cenci, et dans la nuit de Noël 1075, Grégoire, qui officiait à Saint-Pierre, fut enlevé de l’église par des hommes armés et renfermé dans une tour, d’où le tira non sans peine la population, soulevée à la nouvelle de cet attentat. Il faut lire, dans l’ouvrage de M. Villemain, le récit de ce dramatique événement, où tout le talent de l’éminent écrivain s’est déployé à plaisir. En janvier 1076, le pape lance contre Henri l’anathème dont il l’a menacé, le déclare déposé de la dignité royale et impériale, et délie ses sujets du serment de fidélité à son égard. Les assemblées tumultueuses se multiplient alors en Allemagne. La grande féodalité croit le moment venu d’écraser la royauté. Dans les pays même restés sous l’obéissance de l’empereur, à Utrecht, à Oppenheim, à Tribur, les princes réunis proposent de déposer l’empereur, juxta palatinas leges, s’il refuse de se purger des accusations qui pèsent sur lui et de se faire relever de l’excommunication. La fidélité de Rodolphe de Rhinfelden est ébranlée par le mirage de la couronne impériale qu’on présente à ses regards ambitieux, et le pape est invité à se rendre à Augsbourg pour être juge et médiateur entre les états d’Allemagne et le souverain. Les peuples sont entraînés dans le parti de la révolte, et la plupart des évêques eux-mêmes qui avaient participé au concile antipapal de Worms reculent devant les anathèmes de Grégoire[50]. Tout le monde rejeta sur Henri seul le crime de la simonie et le désordre du concubinat. L’excommunication impériale glaça d’effroi l’Allemagne tout entière, et le malheureux Henri en fut terrifié lui-même.

Paralysé dans tous ses actes, il perdit le calme d’esprit qui seul pouvait le sauver. Les prières de sa pieuse mère, les larmes de son épouse, réconciliée avec lui, l’entraînèrent à une résolution qui faillit ruiner sa cause, celle d’aller à tout prix se faire relever de l’excommunication. On était au cœur de l’hiver, et au printemps la diète générale des princes allait se réunir à Augsbourg, où le pape devait se rendre pour prononcer. La Souabe s’entendait avec la Bavière pour fermer les communications du roi avec l’Italie, où le parti impérial avait en Lombardie de nombreux adhérens. Un seul passage restait ouvert à Henri, celui du Saint-Bernard, mais en tout temps de bien difficile accès, et en cette saison de l’année presque impraticable. Frappé de crainte en vue du terme fatal, cédant à une sorte de vertige, Henri n’hésita pas à se jeter presque seul dans les neiges des Alpes, accompagné de sa courageuse épouse, qui portait dans ses bras un enfant en bas âge. Il fallait encore obtenir le passage de sa belle-mère, la comtesse de Suse, marquise de Turin, qui lui fit payer du prix de trois comtés la traversée sur ses terres d’Aoste, et, après d’incroyables difficultés, Henri pénétra en Lombardie. Les évêques et les seigneurs du pays le reçurent avec enthousiasme, croyant que par une audacieuse manœuvre il venait surprendre ses ennemis et s’attaquer au pape, que la révolte des Romains avait à son tour expulsé de l’Italie centrale ; mais, hélas ! quelle ne fut pas la déception des Lombards quand ils apprirent qu’Henri venait, humble et soumis, demander seulement au pape l’absolution de ses fautes et la levée de l’excommunication ! La considération de l’empereur en éprouva un rude coup, et jamais sa cause ne parut plus compromise que par cette humilité. Ce qui s’est passé à Canosse, dans cette forteresse de la comtesse Mathilde, cousine de l’empereur, où le pape avait pris refuge et où Henri vint chercher son pardon, est écrit partout, connu de tout le monde, et je ne veux pas le raconter encore. M. Villemain en a fait l’objet d’un des plus beaux récits de son ouvrage. Les deux adversaires y commirent une faute qui pèse encore sur leur mémoire, l’un par sa prostration, l’autre par son orgueil. Grégoire voulut avilir l’empereur ; plus modéré, plus sensé, il eût mieux assuré la victoire. L’empereur et le pape se trompèrent l’un l’autre par une inévitable nécessité. Les grandes causes ne se décident pas ainsi d’un seul coup et par surprise. Ce n’était plus la cause de la réforme des mœurs et de l’église, c’était la cause de l’assujettissement des rois au sacerdoce, la cause de la subordination de la société civile à la société religieuse. Ce n’était plus l’église qui était dans l’état, comme l’avaient proclamé les pères d’un autre siècle, c’était l’état qui était dans l’église, l’église était l’état lui-même, et son pontife était le monarque universel. Telle était la signification de la scène de Canosse, dont le retentissement dure encore[51].

Henri avait reçu l’absolution à la condition qu’il se soumettrait au jugement des princes et des évêques d’Allemagne, et qu’il ratifierait leur sentence, fût-ce même sa déposition ; là se borne l’engagement, sur les détails duquel il a été publié beaucoup d’erreurs. Si le pape voulait passer en Allemagne, Henri lui donnait toutes les sécurités désirables, soit pour aller, soit pour revenir. Cet acte indigna les Italiens, et Henri faillit perdre l’empire par la soumission même à l’aide de laquelle il avait cru le sauver. Les Lombards parlaient de le déposer et d’élire à sa place son fils Conrad. L’empereur, échappé de Canosse, fut donc bientôt livré à tous les regrets de sa fausse terreur et de son humiliation. Il éluda l’exécution de sa parole, et reprit son attitude, en présence des encouragemens italiens. De son côté, Grégoire ne dissuada point de leur dessein les princes et seigneurs allemands qui persistèrent après l’absolution dans leur révolte, et ces princes se réunirent à la diète de Forcheim, au pays de Darmstadt, où ils déposèrent Henri IV, élurent à sa place Rodolphe de Rhinfelden, duc de Souabe, beau-frère de Henri, et lui firent jurer le maintien des libertés germaniques. Grégoire confirma l’élection, et prit ainsi le rôle inverse de la papauté jusqu’à ce jour. Naguère c’était l’empereur qui confirmait l’élection du pape ; aujourd’hui c’est le pape qui confirme l’élection de l’empereur. Informé de l’élection de Forcheim, Henri rétracte la promesse de Canosse, et se prépare à de nouveaux efforts auxquels il est excité par les évêques de Lombardie[52]. Grégoire fut ému de son côté par les manifestations italiennes[53] ; il subissait à son tour un sensible revers de fortune. Les Normands de la Pouille l’inquiétaient ; seule en Italie, la grande-comtesse Mathilde, oublieuse du lien du sang qui l’unissait à l’empereur, soutenait la cause de Grégoire avec une inébranlable constance, méprisant les mauvais propos que la malice n’épargnait pas à son dévoûment[54], car les henriciens en Italie et en Allemagne n’étaient point en reste de calomnies avec les grégoriens. La pureté de Grégoire est sortie intacte de ce conflit des passions ; plût à Dieu que la réputation de Henri fût aussi bien vengée par l’opinion !

Cependant plusieurs princes de Lorraine et de Souabe furent joindre Henri en Italie. — L’empereur assembla une armée contre Rodolphe, et l’obligea par deux batailles gagnées à se retirer dans la Saxe. Sur un autre point, le duc de Bohême, fidèle à l’empire, prit la révolte à revers, et défit un gros détachement de l’armée de I’anticésar. Grégoire vint à l’appui de la cause ébranlée de Rodolphe en renouvelant l’excommunication de Henri IV avec des formes terribles. C’étaient les apôtres saint Pierre et saint Paul qui cette fois intervenaient dans la querelle et dictaient l’anathème à Grégoire. De cette excommunication célèbre, le texte se trouve partout[55]. M. Villemain en fait ressortir le caractère avec un grand bonheur d’expression. Aux foudres du synode de Rome et de Grégoire VII, Henri répondit par une nouvelle manifestation de l’épiscopat contre le pape. Il assembla trente évêques à Brixen dans le Tyrol, sur la fin de juin 1080, et il y proposa pour la seconde fois la déposition de Grégoire, cette fois pour crime de simonie ; puis il fit élire pape Guilbert, archevêque de Ravenne, qui prit le nom de Clément III. C’était le même que Grégoire avait excommunié pour ses déportemens, et qui poussait Henri dans la voie des représailles. À ce moment, les deux armées de Rodolphe et de Henri étaient de nouveau en présence en Thuringe. Une bataille décisive fut livrée à Volksheim, près Mersebourg, le 12 octobre 1080. L’armée impériale était commandée par un habile capitaine qui fondait en ce jour la grandeur de sa famille, Frédéric de Hohenstaufen, et l’étendard impérial était porté par le preux Godefroi de Bouillon, qui en frappa, dans une lutte corps à corps, le rebelle Rodolphe, et lui coupa la main droite. Ce malheureux se souvint, dit la chronique, que c’était la main dont il avait faussé le serment de fidélité à son roi, et mourut en regrettant sa révolte. Le destin semblait alors se prononcer pour Henri ; mais l’intrépide Grégoire n’en fut pas troublé ni détourné de sa voie. Comme compensation à ces revers, la comtesse Mathilde fit donation de ses terres au saint-siège. Ce fut une source nouvelle de disputes entre les papes et les empereurs, car la donation pouvait être valable pour les alleux de la comtesse, mais elle était nulle pour les fiefs mouvant de l’empire.

Henri IV, après avoir soumis l’Allemagne, revint en Italie pour affermir l’antipape Guilbert sur le siège pontifical. Il assiégea Rome, que les grégoriens défendirent énergiquement. L’empereur fut obligé de se retirer en Lombardie après un vain effort contre la ville. Au printemps suivant, il retourna devant la place avec aussi peu de succès ; un dernier siège fut plus heureux. Henri gagna par argent le peuple de Rome, et fut introduit dans la ville, où il intronisa l’archevêque de Ravenne dans la chaire de Saint-Pierre, et reçut de ses mains la couronne impériale en compagnie de son épouse. Grégoire était resté maître du château Saint-Ange ; il appela Robert Guiscard à son secours, et l’habile Normand délivra le pontife, qui eut beaucoup de peine à se délivrer à son tour de ses libérateurs. Il se retira, craignant de tomber au pouvoir des troupes impériales, dans la ville de Salerne, où, consumé d’ardeur pieuse et de chagrins amers, il mourut après une courte maladie, le 25 mai 1085, en prononçant les célèbres paroles qu’on connaît. Grégoire avait régné douze ans ; mais il devait survivre en la personne de ses successeurs, et le triomphe momentané d’Henri IV ne pouvait être de longue durée. Dans la cathédrale de Salerne, en une chapelle du fond sur la droite, fut enterré Grégoire VII. On restaura son tombeau vers 1578, et le cercueil où il reposait fut ouvert. Le corps était encore enveloppé dans ses habits pontificaux. Sur l’autel même de cette chapelle, on voit aujourd’hui la statue assise du pontife, de grandeur naturelle et d’un travail médiocre. Il a rêvé une société humaine organisée comme un couvent. Moine lui-même, il a eu pour soldats tous les moines de l’univers : il a mis le pontife au-dessus du roi. « Une dignité, dit-il, inventée par des hommes qui ignorent Dieu, ne doit-elle pas être soumise à une dignité que la Providence à créée pour son honneur, et qu’elle a donnée au monde en sa miséricorde ? » A quoi Bossuet a répondu : « La société humaine, la subordination des hommes, l’empire des rois sur leurs sujets, ce n’est pas l’orgueil qui les a établis, c’est la raison ; ce n’est pas le diable, c’est Dieu[56]. » Et cependant l’œuvre de Grégoire a été dans son temps une œuvre de civilisation, car, réduite à son expression modérée et vraie, sa cause était celle de l’esprit et de la liberté contre l’empire de la violence et de l’immoralité.


CH. GIRAUD, de l’Institut.

  1. Voyez la Revue du 15 mars.
  2. Sur cette question, débattue par les Bollandistes (6e vol. de mai, p. 107), sur laquelle Voigt s’est abstenu, qu’a examinée M. Jaffé dans ses Monum. gregoriana, p. 433, voyez la discussion nouvelle de M. Rocquain, Journal des Savans, avril 1872.
  3. Voyez le texte dans les Bollandistes, vol. cité, et dans le livre de M. Villemain, I, p. 261.
  4. Dans Pertz, XI, p. 659-60, et X, p. 474.
  5. Annales Palideuses, dans Pentz, XVI, p. 69. On y trouve, sur la jeunesse d’Hildebrand d’autres détails, la plupart légendaires, qu’il faut conférer avec les Bollandistes et avec Watterich.
  6. Voyez, sur Cluny, la Bihlioth. Cluniacensis de Marrier et Duchesne, Paris, 1674, in-f°, et l’Hist. de l’abbaye de Cluny, par M. Lorain, Paris, 1845, in-8o.
  7. Voyez la collection de Watterich, t. Ier, et Jaffé, Regesta, p. 367.
  8. Heinricus imperator, inter italicos in curia sua speciali honore me tractavit. Registr., I, 19. — Imperator Heinricus, pater tuus, dit-il à Henri IV, ex quo me cognovit, pro sua magnitudine honorifice, et prœ ceteris sanctœ romanœ ecclesiœ filiis caritative habuit. Registr., II, 44.
  9. Jam ab ineunte œtate terram vestram et libertatem hujus gentis valde dileximus, etc., dit-il aux Romains, dans le Registrum, II, 39.
  10. M. Villemain et d’autres avec lui ont cru que Hildebrand était à ce moment abbé de Cluny. C’est une erreur démontrée aujourd’hui ; il parait même qu’il y a eu deux moines du nom d’Hildebrand dans ce monastère, ce qui amène des confusions dans les chroniques et légendes. Voyez l’article de M. Rocquain dans le Journal des Savans de 1872 déjà cité.
  11. Dans un ouvrage spécial adressé à Léon IX, Pierre Damien dénonce énergiquement des vices infâmes dont étaient infectées les églises chrétiennes d’Italie. Voyez dans l’ouvrage de M. Villemain, t. Ier, p. 303, de curieux détails sur une correspondance ouverte à cet égard entre Pierre et le pape. Dans un concile de cette époque, on décréta que toute femme convaincue de s’être prostituée à un prêtre serait adjugée comme esclave, soit au palais de Latran, soit au profit de l’évêque. Labbe, XMI, p. 59.
  12. Voyez Leo der Neunte und seine Zeit, de X. Hunkler ; Mayence 1851, in-8o. On voit encore non loin de Rouffach, sur les pitons des Vosges, les ruines du château d’Egisheim, où naquit Léon IX. Il en subsiste trois tours qu’on nomme les dreien Exen, et qui remontent au Xe ou XIe siècle.
  13. Sur le sous-diaconat d’Hildebrand, il a été publié un ouvrage savant qui doit être recommandé aux érudits : De Hildebrando subdiacono ecclesiœ romanes, auct. Jul. Schirmer, Berlin 1860, in-8o.
  14. Voyez Watterich, loc. cit., t. Ier, p. 183 et suiv.
  15. Voyez les Epistolœ de Pierre Damien, p. 23, édition de 1610.
  16. Quelques auteurs, Luden entre autres, font mourir Henri III à trente-trois ans ; c’est une erreur. Voyez Struve, Corp. hist. german., I, p. 302, et Stenzel, loc. cit.
  17. Les empereurs saxons ont été enterrés un peu partout : Henri Ier dans l’abbaye de Quedlinbourg, Otton Ier à Magdebourg, Ottou II à Rome, Otton III à Aix-la-Chapelle, Henri le Saint à Bamberg ; la dynastie franconienne tout entière a été ensevelie à Spire. Les cendres des Hohenstaufen ont été disséminées : Conrad III à Bamberg, Frédéric Ier à Tyr, Henri VI et Frédéric II à Palerme, Philippe à Spire, Conrad IV à Foggia, Conradin à Naples. Les deux premiers Habsburg, Rodolphe et Albert Ier, reposent aussi à Spire avec quelques autres empereurs.
  18. Omnem populum ad sequendum quidquid diceret promptissimum. Texte d’un contemporain dans Baronius-Theiner, XVII, p. 132.
  19. Albericus et Cincius… ab ipsa pene adolescentia in romano palatio nobiscum enutriti. Reg. greg., VII,, lib. I, I, et Giesebrecht, D. K., t, III, p. 1050,
  20. Sur toute cette affaire d’Etienne IX, voyez Gfrörer, t. Ier, passim ; — l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 101, et t. I", p. 178 ; Baronius-Tlieiner, XVII, passim, et Saint-Marc, Abrégé chronologique de l’histoire générale d’Italie, t. III, p. 236 et suiv.
  21. Voyez Baronius-Theiner, t. XVII, p. 132, et Watterich, t. Ier, p. 199.
  22. Voyez Giesebrecht, loc. cit., p. 20 et 1052. L’historien allemand appelle Etienne X celui que l’Art de vérifier les dates nomme Etienne IX.
  23. Voyez Watterich, loc. cit., t. Ier, p. 204.
  24. Voyez le tome III de son Abrégé chronologique de l’histoire d’Italie, p. 262. C’est un livre illisible que ce prétendu Abrégé ; mais je ne connais pas de plus savant livre d’histoire au XVIIIe siècle, et les bénédictins l’avaient apprécié à sa valeur. Voyez le tome III de l’Art de vérifier les dates.
  25. Voyez M. Mignet, loc. cit., janvier 1861, p. 23.
  26. Histoire de Grégoire VII, t. Ier, p, 336-337.
  27. Sur le caractère et l’histoire d’Annon, voyez la longue notice de l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 265 ; Fleury, loc. cit., t. LX, p. 48, et surtout M. Linder, Anno II der Heilige, etc. Leipzig 1862, in-8o.
  28. Voyez les Antiquit. Goslarienses, dans les Rer. germanic. script. de Heineccius et Leuckfeld, 1707, in-fol.
  29. Fleury, loc. cit., LX, 57.
  30. Voyez par exemple les Annales Corbeienses, dans Leibniz, Rer. Brunsw. script., t. II, p. 305.
  31. Voyez pour les détails ce chroniqueur dans Pistorius-Struve, t. Ier, p. 330-332.
  32. « Rex ad publicum refert, dit Lambert (loc. cit., p. 338), sibi cum uxore sua non convenire, diu oculos hominum fefellisse, ultra fallere nolle, nullum ejus crimen quo juste repudium mereatur offerre, sed se, incertum quo fato, quo Dei judicio, nullam cum ea maritalis operis coplam habere, proinde per Deum orare ut se male ominata compede absolvant. » Dans la lettre de l’archevêque de Mayence au pape, nous lisons :
    « ille retulit nobis, ea de causa se velle ab ea separari, quia non posset ci tam naturali, quam maritali coitus fœdere copulari. » Voyez Mascov, p. 20, note 5, et Labbe, Concil., t. IX, p. 1200.
  33. « Per immoderatam autem carnis petulantiam in tentum a Deo fuit alienatus quod etiam quandam imaginem ad mensuram digiti, ex Egypto allatam, venerabatur, ab illa quotiens oracula quæsivit, — necesse habebat aut christianum immolare, aut maximam fornicationem in summa festivitate procurare. » Pertz, t. XVI, p. 70. De semblables imputations se lisent dans d’autres chroniques de ce temps, comme dans celles de Reichersperg et dans les Annales sax., ce qui prouve que ces turpitudes étaient colportées d’un cloître à l’autre par les préposés à la chronique.
  34. Sur ce marquis Thedi ou Dedi, voyez Eccard, Hist. généal. sax., p. 63, sous le nom de Dedo III, et l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 422.
  35. Voyez Leibniz, Rer. Brunsw. script., t. Ier, p. 731, et Pertz, t. III, p. 103 et suiv., sous la date de 1070. Le marquis Dedi donne le signal de l’insurrection. Lambert raconte l’accusation de complot contre la vie du roi imputée, à tort probablement, à Ottou de Nordheim.
  36. Voyez Mascov, p. 29-31, et l’Art de vérifier les dates, t. III, aux archevêques de Cologne.
  37. Voyez la scène du concile romain, racontée par Saint-Marc, t. III, p. 406, où Cadalous attaqua la légitimité pontificale d’Alexandre II, et où le cardinal Hildebrand s’emporta si vivement contre le pape intrus et contre le droit électoral de l’empire invoqué par ce dernier.
  38. Voyez pourtant M. Laurent, ouvrage cité, p. 54 et suiv.
  39. Voyez Jaffé, Regesta, etc., p. 406.
  40. Nunquam ejus nequitiam portaturum. Watterich, t. Ier, p. 309.
  41. Voyez Jaffé, Registrum, p. 19 et 22.
  42. Le livre de Bonizo est imprimé in extenso dans la collection d’Œfele, t. II, et par extraits dans la collection de Watterich. Les manuscrits de Munich (le seul qu’ait connu Potthast) et du Vatican donnent des leçons très différentes.
  43. Brunon de Magdebourg, De bello saxonico ; Pertes t. V ; — Paul de Berneried, dans Watterich t. Ier ; — Albert de Stade, dans Pertz, XVI.
  44. « Henricus archipirata… consuetudinariis criniinibus, a seculis inaudita excogitabat, etc. » Conrad. d’Ursperg, dans Struve, t. Ier, p. 305.
  45. Voyez la Chronica Sancti Benedicti, dans Pertz, t. III, p. 203, et Bonizon lui-même, dans Watterich.
  46. Voyez le De Bello saxonico, du moine Brunon, dans Ereher (Script, rer. german., I, p. 171. et suiv.), qui a réuni tous les pamphlets relatifs à cet événement.
  47. Voyez dom Gerbert, De Rudolpho Suevico, 1785, in-4o, p. 13, et les extraits du fougueux Gerhoh, dans Pertz, XVII, p. 446-47.
  48. Voyez Lambert, édit. citée, p. 328-29. Il faut lire ces deux pages pour avoir une idée juste des déportemens ecclésiastiques de l’époque.
  49. Il disait dans une lettre que nous lisons au Registrum : Tutius nobis est defendendo veritatem… ad usque sanguinem nostrum resistere, quam iniquitatem consentiendo… ad interitum ruere.
  50. On en trouve un exemple remarquable dans deux lettres épiscopales, échappées à l’attention des historiens, et qu’on peut lire dans la Collectio monumentorum de Hahn, t. Ier, p. 199 et suiv.
  51. Voyez le célèbre engagement signé à Canosse, la promissio canusina, dans le texte du Registrum, collationné, au Vatican par Giesebrecht et publié par Jafifé. Il diffère peu de celui qu’avait publié M. Perte dans le second volume des Leges, de sa collection, p. 50.
  52. Voyez Giesebrecht, Deutsche Kaiserzeit, t. III, passim.
  53. Voyez Pfeffel, Abr. de l’hist. d’Allemagne, sur 1977-1080, et Gfrörer, t. III.
  54. « Tanquam patri, dit Lambert (p. 418), sedulum exhibebat officium. Unde nec eradere potuit incesti amoris suspicionem, passim jactantibus regis fautoribus, et precipue clericis, quibus illicita et contra scita canonum contracta conjugia probibebat, quod die et nocte impudenter papa in ejus volutaretur amplexibus, et illa furtivis papæ amoribus præoccupata, post amissum conjugem ultra secundas contrahere nuptias detrectaret. Sed apud omnes sanum aliquid sapientes luce clarius constabat, falsa esse quæ dicebantur. »
  55. Voyez le remarquable travail de M. Langeron sur Grégoire VII, Paris 1871, in-8o.
  56. Defensio declarationis, etc., lib. I, sect. 1, ch. 10.