Études nouvelles sur Grégoire VII et son temps/01

Études nouvelles sur Grégoire VII et son temps
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 104 (p. 437-457).
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ETUDES NOUVELLES
SUR
GREGOIRE VII ET SON TEMPS

I. Histoire de Grégoire VII, précédée d’un discours sur l’histoire de la papauté jusqu’au onzième siècle, par M. Villemain, 2 vol. in-8o ; Paris 1872. — II. Ponlificum romanorum vitæ ab æqualibus conscriptæ ; edidit J.-M. Watterich, 2 vol. gr. in-8o ; Lipsiæ 1862. — III. Monumenta gregoriana ; edid. Phil. Jaffé, in-8o maj. ; Berlin 1865. Du même auteur : Regesta pontificum romanorum, de 1 à 1198, in-4o ; Berlin 1851. — IV. J. Voigt, Hildebrand als Papst Gregor VII, 2 vol. in-8o ; Halle 1815. — V. H. Floto, Kaiser Heinrich IV und sein Zeitalter, 2 vol. in-8o ; Stuttgart 1855-56. — VI. Gfrörer, Papst Gregorius VII und sein Zeitalter, 7 vol. in-8o ; Schaffouse 1859-61. — VII. H. Stenzel, Geschichte Deutschlands unter den Fränkischen Kaisern, 2 vol. in-8o ; Leipzig 1828. — VIII. W. V. Giesebrecht, Geschichte der deutschen Katserzeit, 4 vol. in-8o ; Brunswick 1864-72. — IX. M. Mignet, La lutte des papes contre les empereurs d’Allemagne, 1861 à 1865


I.
L’EMPIRE ET LA PAPAUTE AVANT GREGOIRE VII.

Grégoire VII a fait du pontificat romain la grande souveraineté du moyen âge, et de nos jours le génie de cet homme extraordinaire plane encore sur la papauté. La curiosité de l’esprit moderne s’est donc attachée avec une application particulière à l’étude de ce personnage célèbre, qui, après avoir exercé une si considérable influence sur son siècle, agite encore et partage en jugemens si divers les sentimens de la postérité. L’histoire de Grégoire VII est en effet un des sujets les plus élevés à la fois et les plus épineux qui puissent exercer la sagacité de l’historien. Nul pontife, depuis la propagation du christianisme, n’entreprit de plus grandes choses ; nul ne s’est plus vivement attaqué aux conditions morales du gouvernement de la vie humaine et de la chrétienté ; nul n’en a porté plus haut les exigences et les attributions. Nul n’a conçu de plus profonds, de plus vastes, de plus mémorables desseins. Ses successeurs ne sont que justes en honorant en lui le réformateur du régime de l’église et le plus considérable représentant de la papauté au moyen âge, et nul cependant n’a soulevé contre lui de plus ardentes passions, soit dans la polémique des contemporains, soit dans celle des temps postérieurs. Sa hardiesse a même effrayé de grands chrétiens comme Pierre Damiani et Bossuet, et les rois ont proscrit sa mémoire comme celle d’un ennemi de la société politique dans l’Europe civilisée. La passion seule a-t-elle inspiré ces accens discordans ? Est-il possible à un esprit impartial de porter un jugement plus équitable sur le caractère et sur l’œuvre de Grégoire VII ? Je le crois, sans m’abuser sur les obstacles, car la seule recherche de la vérité matérielle est une première et immense difficulté. Il est moins facile quelquefois de découvrir le fait que de l’apprécier avec justice. Il connaissait bien ces difficultés, l’illustre écrivain dont l’ouvrage vient, après sa mort, d’être livré à la publicité ; on peut même assurer que la considération de ces difficultés est la cause principale qui a retenu son esprit dans l’hésitation malgré la confiance que lui devaient inspirer les qualités si brillantes de son talent, et qui a suspendu pendant tant d’années la publication de l’Histoire de Grégoire VII, dont les amis de la belle et bonne littérature peuvent jouir aujourd’hui, grâce à un acte de piété filiale dont les lettres françaises garderont le souvenir reconnaissant.


I

M. Villemain avait tracé le premier dessein de ce livre en 1827. Il venait d’être destitué de son emploi de maître des requêtes au conseil d’état, et suspendu de son enseignement à la Sorbonne, pour avoir accepté la charge de rédiger, au nom de l’Académie française, en compagnie de MM. de Lacretelle et Michaud, une adresse de doléance au roi relativement au célèbre projet législatif connu sous le nom de loi de justice et d’amour. Sur l’annonce du livre, une souscription fut ouverte et sur-le-champ remplie, pour témoigner à l’éminent littérateur la sympathie qui l’accompagnait dans sa disgrâce ; mais l’œuvre n’était pas de celles que peut accomplir en peu de mois l’esprit le plus fertile en ressources. Les aspects littéraires du sujet, les tableaux qu’il offrait à une imagination féconde et à une plume habile, avaient probablement décidé la rapide détermination de M. Villemain plutôt que l’attrait spéculatif du grand problème de critique historique caché sous les noms de Grégoire VII et d’Henri IV. Quelque intérêt politique du moment n’était peut-être aussi pas étranger au choix de l’objet d’étude promis au public. Les données générales de M. Villemain en cette matière étaient plutôt alors celles de M. Daunou que celles d’une autre école historique qui, plus libre en ses allures, mieux instruite du fond des choses, plus dégagée envers un passé qui n’est plus à craindre, ouvrait à l’esprit du XIXe siècle, soit en France, soit en Allemagne, des horizons nouveaux sur l’histoire des siècles écoulés. Quelques lumières qu’il ait acquises plus tard par une étude persistante et approfondie, son esprit, pourtant si souple, si vif, si indépendant, n’a pu se détacher complètement de ces premières impressions, dont la trace subsiste dans le bel ouvrage que nous avons sous les yeux, et qui d’ailleurs en France ont été celles de plusieurs générations d’érudits, de publicistes et d’historiens, depuis les temps reculés jusqu’à nos jours.

Des notions plus exactes et plus vraies sur l’histoire de Grégoire VII datent en Allemagne de la publication du livre de Voigt (1815) ; elles datent chez nous du cours célèbre de M. Guizot, en 1828. Il faut juger l’ouvrage de Voigt par l’original allemand et non par la traduction qui l’a familiarisé dès 1837 avec le public français. Voigt est un historien sincère, dont la vue n’est pas toujours complète, mais dont l’intention est toujours droite et la direction historique généralement impartiale, quand elle est parfaitement éclairée ; il a introduit dans l’histoire de Grégoire VII des élémens d’information jusqu’alors négligés. Le traducteur français a souvent détourné la pensée de Voigt de sa portée primitive pour en faire un livre agréable à certains esprits prévenus, et, qui pis est, il a plus d’une fois, dans ses annotations, péché par ignorance de l’histoire du temps. M. Guizot, en 1828, a donné magistralement, suivant son habitude, la note véritable du caractère historique de Grégoire VII ; il a tracé le sillon, la grande culture est venue après lui. Nul homme éclairé ne saurait confondre à cette heure le Régistrum de Grégoire VII avec le Syllabus de 1864. « Nous sommes accoutumés, disait M. Guizot, à nous représenter Grégoire VII comme un homme qui a voulu rendre toutes choses immobiles, comme un adversaire du développement intellectuel, du progrès social, — comme un homme qui prétendait retenir le monde dans un système stationnaire ou rétrograde. Rien n’est moins vrai : Grégoire VII était un réformateur par la voie du despotisme, comme Charlemagne et Pierre le Grand. Il a été à peu près dans l’ordre ecclésiastique ce que Charlemagne en France et Pierre le Grand en Russie ont été dans l’ordre civil ; il a voulu réformer l’église, et par l’église la société civile, y introduire plus de moralité, plus de justice, plus de règle ; il a voulu le faire par le saint-siège et à son profit, soumettre le monde civil à l’église, et l’église à la papauté, dans un esprit de réforme et de progrès, non dans un esprit stationnaire et rétrograde. »

Ces paroles furent alors une nouveauté grande ; si le parlement de Paris avait encore existé, M. Guizot eût peut-être été mandé pour s’en expliquer à sa barre. Elles excitèrent en 1828 un mouvement de surprise dans le brillant auditoire de la Sorbonne. M. Victor Leclerc, M. Villemain, n’en furent-ils pas étonnés eux-mêmes ? M. Guizot protestant abdiquait le langage des centuriateurs de Magdebourg ; il s’éloignait de la doctrine parlementaire des Talon, des Bignon, des Daguesseau, qui s’était imposée à la science historique ; il s’éloignait de la voie classique tracée par M. Daunou soit dans son Cours d’histoire, si autorisé alors, soit dans son Essai sur la puissance temporelle des papes, qui était en si grand crédit ; mais ce jugement nouveau du célèbre professeur, réintégré par M. de Martignac, a été le point de départ de l’appréciation de plus en plus juste, parmi nous, du grand pontife du XIe siècle. Le point de vue de M. Guizot était même plus caractérisé que celui de Voigt, et à une époque récente un autre éminent historien, M. Mignet, est arrivé, par sa réflexion puissante et par une connaissance profonde des personnes et des choses, à des conclusions analogues, exprimées avec une éloquente autorité, lorsqu’il nous a montré, « en passant par Cluny, l’homme extraordinaire à l’aide duquel devait s’accomplir la grande réforme vainement essayée jusqu’alors, et qui exigeait les profonds desseins d’un génie aussi entreprenant que celui de Grégoire VII, la fermeté d’une âme aussi altière et aussi religieuse, la grandeur d’un caractère aussi indomptable. » Deux esprits supérieurs se sont ainsi rencontrés dans le même jugement en arrivant au but par des chemins divers.

Je pourrais douter à bon droit que telle fût la direction dans laquelle M. Villemain entreprit ses études sur Grégoire VII, et je n’en voudrais pour preuve que l’esprit général de la docte et brillante introduction, dont le plan remonte à coup sûr aux premiers temps de ses travaux. Hallam avait jugé Grégoire VII avec une extrême sévérité. Un philosophe éminent de notre époque, M. de Rémusat, a suivi ce courant, dans son livre sur saint Anselme, malgré la haute impartialité qui honore son caractère. Les tentatives contemporaines de deux grands écrivains, J. de Maistre et Lamennais, pour faire admettre à l’état de dogme invariable et absolu la doctrine purement relative et historique aujourd’hui autorisée des maîtres de la science, maintenaient dans l’ancienne voie gallicane beaucoup d’esprits peu disposés pour les opinions ultramontaines. A Dieu ne plaise que je veuille moi-même m’écarter de la ligne traditionnelle de nos docteurs, ni abjurer la foi gallicane, que je crois conforme à la vérité comme aux grands intérêts de mon pays ; mais, comme l’a dit un historien qui est mon garant en histoire, « tout ce qui s’accomplit s’explique, et tout ce qui prévaut a sa raison d’être. » Eh bien ! malgré les obstacles de tout genre et les passions déchaînées, Grégoire VII a prévalu sur l’empereur Henri IV ; la papauté a triomphé de l’empire dans la plus grande lutte dont l’histoire ait gardé le souvenir[1]. C’est le phénomène historique dont l’explication est agitée depuis tant d’années, et dont l’investigation sera l’objet de ces études. Remarquons toutefois que, dans cette longue et dramatique lutte du sacerdoce et de l’empire, si les fidèles furent pour le pape contre l’empereur dans la période grégorienne, si sous Innocent III l’opinion publique força Philippe-Auguste à céder, si sous l’empereur Frédéric II Grégoire IX et Innocent IV eurent encore assez de puissance pour détacher les peuples d’une race illustrée par le génie et l’héroïsme, au XIVe siècle au contraire nous voyons les rois prendre appui sur les peuples contre les prétentions politiques du saint-siège. Tout cela s’explique et se justifie. A la doctrine de Boniface VIII et du livre célèbre de Regimine principum s’est substituée la doctrine qui a eu pour organe, dans l’ordre civil, le Traité de l’autorité des rois de Denis Talon, et dans l’ordre ecclésiastique la déclaration du clergé de France de 1682, si admirablement défendue par Bossuet[2] ; mais la cause de Grégoire VII n’en fut pas moins la meilleure en son temps, du moins parce qu’elle empêcha le triomphe de la cause opposée, et le grand pape put dire avec tristesse, en rendant le dernier soupir : Dilexi justitiam et odivi iniquitatem ; ideo morior in exilio.

Lors donc que, le but sérieux et réel de la lutte étant atteint et l’œuvre de Grégoire VII accomplie par la conquête de l’indépendance de l’église, pro libertate ecclesiœ decertare, la papauté, voulant obtenir après la liberté la domination, a franchi les limites d’une équitable défensive pour entrer dans la voie contestable des ambitions mondaines, alors la lice a changé d’aspect et le combat de nature. Alors l’esprit humain s’est ému et ravisé ; les sages, qui avaient été circonspects, ont passé à la résistance, et les pouvoirs légitimes, se mettant en garde à leur tour contre des prétentions excessives, ont engagé une nouvelle lutte pour rétablir l’équilibre entre les puissances qui se disputaient le monde. Le gouvernement de l’église avait dévié de sa mission et compromis son autorité ; alors de nouveaux conflits se sont élevés, au grand dommage de la chrétienté, et cette fois avec des échecs nombreux et irrémédiables pour la papauté. Le spectacle affligeant des ardeurs de la lutte contre les Hohenstaufen avait rendu réservé le sage Louis IX lui-même. L’intempérance intempestive de Boniface VIII détermina les manifestations gallicanes, et les abus de l’administration spirituelle, joints aux schismes et aux scandales des papes politiques du XVe et du XVIe siècle, ont suscité la réforme de Luther et provoqué la scission de la chrétienté européenne.

La prudence et la mesure sont donc bien difficiles à garder, même par le génie, même par la vertu, dans la conduite des meilleures causes. C’est une loi de la vie humaine, et tous en ont subi plus ou moins la fatale destinée. L’adversaire de Grégoire VII, l’empereur Henri IV, a été moins encore à l’abri des reproches et des fautes. Il a été la première et déplorable victime de la lutte entre l’empire et la papauté. La même animosité est restée attachée à sa mémoire. Les contemporains ont mis à sa charge les plus odieuses imputations ; s’il n’a pas été toujours et définitivement défendu avec le même zèle que Grégoire VII, il a été attaqué avec la même passion, et les ultramontains modernes l’ont voué à l’infamie. Rétablir la vérité historique est quelquefois aussi difficile à l’égard de l’un qu’à l’égard de l’autre. Au milieu des récriminations et des accusations des partis déchaînés, la notion du vrai a souvent disparu de la controverse. M. Villemain s’est étudié à la rechercher avec une patiente et consciencieuse application. Détourné de son œuvre laborieuse par sa réintégration dans le grand enseignement littéraire qui a fait sa gloire, les distractions de la politique ont ajouté, après 1830, un nouvel obstacle à l’accomplissement immédiat de la tâche qu’il s’était imposée. Il n’en a jamais pourtant abandonné la poursuite : entraîné pendant plus de dix ans dans le mouvement actif de la vie parlementaire et des agitations ministérielles, il n’en a pas moins continué ses recherches et ses travaux historiques, souvent interrompus, toujours repris avec un constant attachement. Il avait presque terminé sa grande composition lorsqu’il daigna m’en montrer le manuscrit en 1843 et me demanda mon impression, — non que son esprit supérieur eût besoin de mes humbles avis, mais parce qu’une vague incertitude planait encore dans ses informations et résolutions sur certains points demeurés obscurs à ses yeux. Depuis sa retraite du monde politique en 1845 jusqu’à sa mort, il n’a cessé d’élaborer son ouvrage, remis vingt fois sur le métier ; il en donna même quelques extraits dans la Revue, entre autres le récit du célèbre et dramatique enlèvement du pape Grégoire VII dans la nuit du 25 décembre 1075[3]. Il a lu maintes fois des fragmens de son œuvre dans le sein de l’Académie française, et M. Mîgnet, en 1861, annonçait dans le Journal des Savans la prochaine publication de ce livre tant attendu.

Mais ce qu’il apprenait à chaque instant de publications sur le même sujet, qu’il ne pouvait plus facilement contrôler, lui donnait sérieusement à penser. Il avait étudié à fond les sources qui étaient à sa disposition. Toutefois il avait suivi, à travers les préoccupations politiques et d’un regard presque inquiet, la rénovation dont la science historique était l’objet en France et surtout en Allemagne, et une certaine hésitation scientifique augmentait l’indécision qui lui était presque naturelle. La perfection littéraire, à laquelle il était si sensible, ne le consolait donc pas de ce qui semblait manquer aux instrumens de son travail. S’il avait pu se faire une idée juste de la valeur de l’ouvrage de Voigt, il n’a pas été aussi favorisé en ce qui touche les œuvres capitales de Gfrörer et de Giesebrecht, sans compter une foule de productions secondaires qui sont d’une certaine considération pour des détails particuliers.

Les savantes et décisives recherches de Giesebrecht sur le Registrum de Grégoire VII ont tranché la question, douteuse pour les savans qui l’avaient précédé et pour M. Villemain après eux, relativement à l’authenticité du célèbre Dictatus. Les maximes qui composent le Dictatus se retrouvent dans la correspondance du pontife, mais la composition isolée de ces pages fameuses n’est pas de Grégoire VII. Une autre œuvre de Giesebrecht a non moins d’importance, je veux parler de son essai de restitution des vieilles annales perdues de la célèbre abbaye bavaroise d’Altaha, celles qui sont arrivées jusqu’à nous ne datant que du XIIIe siècle. Il est regrettable que M. Pertz et M. Jaffé, qui après M. Böhmer nous ont donné les annales d’Hermann, abbé d’Altaha, et leur continuation, n’aient pas cru pouvoir insérer dans la collection des Scriptores rerum germanicarum le travail d’érudition de Giesebrecht, qui aurait ainsi servi d’introduction aux annales consignées. Réunissant tous les souvenirs des contemporains et toutes les indications éparses dans les monumens dispersés, M. Giesebrecht s’est identifié avec le chroniqueur primitif, s’est pénétré de l’esprit qui dirigeait sa plume, a cousu habilement les traditions subsistantes dans d’autres chroniqueurs de ce temps, qui avaient puisé à la même source que le moine anonyme d’Altaha, et du tout a fait un livre du plus haut intérêt pour l’histoire du XIe siècle. Enfin le talent mûri de M. Giesebrecht, l’un des plus ingénieux et des plus savans historiens formés à l’école de M. Ranke, s’est exercé dans un ouvrage de haute portée, lentement élaboré et non encore achevé, l’Histoire de l’empire allemand (Geschichte der deutschen Kaiserzeit), dont le troisième volume tout entier (de 1,224 pages) est consacré à l’histoire du conflit de l’empire avec la papauté sous les deux derniers empereurs franconiens. Ce remarquable volume laisse loin de lui le livre de Luden[4], qui mérite toujours cependant une lecture attentive, et qui donne sur l’époque franconienne des conclusions si précieuses. Luden et Giesebrecht ont fait oublier les compilations de Mascov et de Struve[5], sans ébranler la réputation acquise des histoires spéciales de Stenzel et de Floto. Enfin la volumineuse et très savante histoire de Grégoire VII et de ses contemporains, composée par l’érudit Gfrörer, professeur d’histoire à Fribourg en Brisgau, est un immense répertoire où les événemens qui ont agité l’Europe pendant le siècle grégorien sont retracés quelquefois avec un enthousiasme partial, toujours avec un savoir profond. Les sept volumes de ce livre sont un monument historique d’une grande valeur. Tous ces trésors ont manqué à M. Villemain, et l’on ne s’en doute que rarement en le lisant.

Les textes améliorés ou nouveaux insérés dans la grande collection de M. Pertz ne pouvaient plus être qu’entrevus par lui à l’époque où ils ont été livrés à la publicité. Les Monumenta gregoriana de M. Jaffé lui sont restés inconnus. Il n’avait pu même faire usage de la belle publication des œuvres de Gerbert, de M. Olleris, quoiqu’il ait tiré dans son introduction grand parti des actes du synodus remensis, où Gerbert a joué un rôle si marqué. N’ayant pas disposé des abondans documens récemment mis au jour sur l’histoire de la dynastie franconienne, les agitations intérieures de l’Allemagne pendant le XIe et le XIIe siècle laissaient des doutes dans son esprit, et cependant il avait saisi avec une remarquable habileté le rôle que doit jouer l’histoire d’Allemagne dans une étude approfondie de Grégoire VII. Hâtons-nous de le dire, cet inventaire des desiderata du livre de M. Villemain n’a pour objet que d’expliquer ses scrupules et le long espace de temps qu’il a mis à couver son œuvre de prédilection, dont il ne fut jamais complètement satisfait malgré l’assurance qu’il tirait de la méditation de Baronius, du volume[6] des Bollandistes relatif à Grégoire VII, des principaux annalistes ou chroniqueurs connus, pour le XIe siècle, et par-dessus tout de son admirable intelligence des situations et de sa belle faculté de manier la grande langue de nos chefs-d’œuvre littéraires. Son talent est tout entier, brillant d’éclat et de fraîcheur, dans ces deux volumes dont nos mains ont peine à se détacher. L’introduction qui précède l’histoire proprement dite de Grégoire VII est à elle seule un beau morceau d’érudition et d’éloquent langage. L’esprit général est peut-être trop empreint des impressions de jeunesse de M. Villemain, car, chose singulière, le brillant écrivain français s’est rencontré généralement d’accord avec le manifeste éclatant du parti catholique libéral en Allemagne, publié sous le pseudonyme de Janus, mais sorti pour la meilleure part de la plume savante et respectée de M. Döllinger, presque au moment où mourait M. Villemain. La prépondérance obtenue par le parti ultramontain en 1869 a rejeté beaucoup de talents distingués vers les appréciations sévères d’une autre époque.

Nous avions sincèrement applaudi, avec la génération libérale de 1828, au jugement équitable et vrai de M. Guizot sur le grand personnage et sur l’époque mémorable dont il s’agit. Nos impressions étaient fondées sur des raisons d’une nature trop élevée pour céder à de petites et accidentelles objections : aussi, malgré l’abus qu’un parti rétrograde a voulu faire de l’impartialité de notre grande école historique du XIXe siècle, nous suivrons l’exemple de M. Mignet, que nulle autre considération n’a détourné de la voie de justice dont est marquée son érudite et supérieure appréciation de la lutte du sacerdoce et de l’empire sous les Franconiens et sous les Hohenstaufen. Nous serions cependant moins rigoureux que lui pour la maison de Souabe, que M. Huillard-Bréholles a trop maltraitée peut-être dans un monumental ouvrage, et dont M. de Raumer nous semble avoir mieux compris le génie et l’ambition que M. de Cherrier lui-même ; mais là n’est point la question dont il s’agit aujourd’hui. Restons dans ce grand sujet de Grégoire VII ; la matière est assez ample pour mériter un cours d’exploration approfondie. Je ne veux point toutefois refaire par le menu l’histoire du pontife, reprendre toutes les questions d’érudition aujourd’hui résolues, ni même discuter à nouveau toutes celles qui sont encore contestées, en un sujet dont la littérature est à cette heure si abondante et si riche. Un simple coup d’œil sur les deux excellens articles de M. Rocquain, dans le Journal des Savans de 1872, donnera la mesure de l’état des connaissances et des controverses de détail admises à cet égard. C’est sur des points de vue particuliers, ou non encore suffisamment éclaircis, que je voudrais diriger l’attention et faire ainsi franchir un pas de plus à la science, déjà si avancée en cette partie. L’exposition de quelques recherches personnelles sera donc l’objet principal de ces études en même temps que l’examen critique de certaines idées actuellement en circulation.


II

Il est tout d’abord acquis et convenu qu’une histoire de Grégoire VII ne saurait se borner à l’histoire des douze années de son pontificat, de 1073 à 1085. Il a été dans la destinée de ce grand personnage de régner sur l’église bien longtemps avant d’être pape, et de prolonger son empire bien longtemps après sa mort. Je considère comme une véritable lacune du bel ouvrage de M. Villemain de s’arrêter et de couper court à la mort de Grégoire VII. En isolant même le conflit de la papauté avec la maison de Franconie du conflit ouvert plus tard avec la maison de Souabe, ce qu’avec raison s’est abstenu de faire M. Mignet, il est impossible d’avoir une idée juste du premier et d’en fixer le caractère sans en poursuivre l’histoire jusqu’au traité de 1122, qui a mis fin à la célèbre querelle des investitures, sous l’empereur Henri V ; on n’en aurait même qu’une imparfaite notion, si l’on s’arrêtait à la mort tragique et misérable de l’empereur Henri IV (1106). Qu’on juge par ce seul et premier mot de l’étendue historique du sujet ! Eh bien ! l’ombre de Grégoire VII plane sur cette époque entière, son souffle anime tout jusqu’à la fin de la lutte ; il en a la gloire et la responsabilité. C’est ainsi que l’ont compris Gfrörer et Giesebrecht, et, envisagée sous cet aspect, la lutte est une vaste épopée qui est marquée souvent de l’empreinte fatidique des temps antiques et primitifs[7]. Le conflit est même devenu plus ardent et plus acharné, après la mort de Grégoire VII, qu’il ne l’était de son vivant. Les grandes misères d’Henri IV sont postérieures à 1085 ; mais la pensée, les ordres, la résolution de Grégoire VII, dominent tous les événemens ; ses successeurs ne reculent devant aucune extrémité. Grégoire est incomplet, si on le sépare de la principale conclusion de son entreprise, qui est l’émancipation de la papauté ; or l’affranchissement n’est obtenu qu’à l’extinction de la maison de Franconie. La transition de la liberté à la domination est à la vérité dans le programme, mais elle marque une autre phase de la lutte, tout en s’enchaînant avec elle. L’histoire spéciale de Grégoire VII commence donc nécessairement à l’époque où le moine Hildebrand part de Cluny ou de Worms avec le pape Léon IX, en 1049, et se prolonge jusqu’au premier quart du siècle suivant. Telle est la carrière à parcourir pour arriver seulement au dénoûment du premier acte de ce grand drame.

Mais, avant de prendre la voie qui nous y mène, il faut connaître quelle était la condition de la papauté antérieurement à cette époque, afin d’apprécier la profondeur de l’abîme d’où Grégoire VII a retiré l’église et le pontificat. Il est juste pourtant d’avouer, ce qu’on a trop oublié de constater, que l’empire avait été le premier sauveur de la papauté. Sans parler de l’empire franc, qui, dans la personne de Charlemagne, a délivré les pontifes romains de la tyrannie lombarde et du joug de l’arianisme italien en assurant au saint-siège une indépendance protégée[8] par l’empire, la papauté a été redevable aux Ottons d’être purgée des abominables souillures dont l’avaient couverte les factions féodales des comtes de Tusculum et autres châtelains établis dans les quartiers fortifiés de la Rome des césars ou dans sa banlieue. Les désordres commencent à l’époque où décline et s’éteint la descendance masculine de Charlemagne sur le trône de l’empire. Pendant cette période de désorganisation où tout a tourné au fief, resté la seule garantie d’ordre social au milieu de la décomposition de la société carlovingienne, le démembrement féodal, que n’avait pu empêcher ni maîtriser la maison de Spolète, héritière nominale de l’empire, fit passer la papauté de la protection canonique des empereurs à la sujétion des petits dominateurs seigneuriaux de la campagne romaine[9]. La papauté comme l’épiscopat tombèrent en régime féodal, et les feudataires latins exploitèrent comme un fief l’élection papale, qui jadis était l’attribut de la municipalité romaine et du clergé, sous l’approbation ou confirmation impériale, comme on le voit dans les annales d’Éginhard et dans le continuateur de Paul Diacre[10].

Les scandales inouïs dont la dépravation féodale a souillé la papauté, les déportemens de tout genre dont Rome a été le théâtre à cette époque et qui se sont prolongés pendant trois quarts de siècle, sont connus de tout le monde : ils sont écrits partout, et ma plume se refuse à les écrire encore. Sans recourir à Baronius, qui n’a pu ni voulu les voiler, un simple coup d’œil sur les notices des papes du monument bénédictin de l’Art de vérifier les dates, ou mieux encore le tableau indigné que la vérité arrache à l’impartialité de M. Mignet[11], en fourniront le récit aux curieux. M. Villemain en a retracé les principaux détails avec l’accent éloquent de l’honnêteté révoltée. La dissolution de la Rome des césars n’a pas donné le spectacle de plus odieux débordemens que la Rome des papes du Xe siècle. Si quelques âmes timorées sont affligées de ces paroles, ceux qui savent les choses me trouveront prudent et réservé de n’en pas dire davantage. On se demande comment la papauté a pu survivre à une telle crise, et la grande image de durée par laquelle Macaulay a exprimé la vitalité de cette institution se présente spontanément à l’esprit. Le péril que courait la papauté n’a point échappé aux contemporains : aussi, lorsqu’à la fin de ce Xe siècle s’assembla dans les Gaules le concile célèbre de Saint-Basle près Reims, convoqué pour juger un prélat accusé de prévarication, en présence des deux rois Hugues Capet et Robert, un évêque éloquent et irréprochable, celui d’Orléans, s’écriait douloureusement :

« Oh ! déplorable Rome, qui, après avoir éclairé nos aïeux de la lumière des saints pères, as versé sur nos temps agités de noires ténèbres qui seront diffamées dans les siècles à venir ! nous avons appris qu’il exista jadis sur ton siège des Léon, des Grégoire, des Gélase, des Innocent. Elle est longue, la suite de tes pontifes qui remplirent l’univers de leur doctrine, et c’est avec justice que l’église universelle était confiée à la direction de tels hommes qui, par leur science et leur vertu, surpassaient tous les mortels, et cependant, même à une si heureuse époque, le privilège de la suprématie te fut contesté par les évêques d’Afrique, redoutant, je le crois, les misères que nous souffrons aujourd’hui, — car que n’avons-nous pas vu dans ces derniers ans ? Nous avons vu Jean Octavien, vautré dans le bourbier de la débauche[12] ;… des dynasties de femmes perdues disposant du pontificat, occupé par des monstres remplis d’ignominie[13]et dépourvus de la science des choses divines et humaines ! .. Et au milieu de ces vices, Rome est devenue une ville vénale, qui pèse ses jugemens dans la balance au poids des écus… O temps infortunés où l’église est frustrée d’un si grand soutien ! A quelle source faut-il désormais recourir pour y trouver la science et la doctrine ? Rome, après la chute de l’empire romain, a perdu l’église d’Alexandrie, celle d’Antioche, ces lumières des temps apostoliques. Ne parlons de l’Afrique pas plus que de l’Asie. Voilà que maintenant Constantinople s’est séparée d’elle, et que l’Espagne s’éloigne de son giron. L’Europe chrétienne se déchire ; les mystères d’iniquité du temps final sont-ils près de s’accomplir[14] ? »

Le rédacteur de ces doléances était le célèbre Gerbert, qui fut pape plus tard sous le nom de Sylvestre II. Eh bien ! c’est de cet abaissement que les Ottons ont relevé la papauté. Appelé en Italie par les papes eux-mêmes pour mettre à la raison la faction puissante des comtes de Tusculum et pour imposer le frein d’une règle tutélaire aux élections pontificales de la municipalité romaine, Otton le Grand, par son énergie rétablit la papauté dans son ancienne dignité, et s’érigea en réformateur de l’église, aux applaudissemens de la chrétienté. L’empire d’Occident fut rétabli en son honneur et à son profit après une longue interruption, et les anciens droits de patronage sur l’église, qu’avaient exercés Constantin et Charlemagne, furent ravivés en l’honneur et au profit de la maison impériale de Saxe. Otton le Grand fut provoqué à se poser comme arbitre de la papauté. Afin d’assurer le triomphe des bonnes mœurs à Rome, et la sincérité de l’élection du pape, le puissant roi de Germanie fut non-seulement invité à reprendre l’ancien droit carlovingien de la confirmer, mais encore à exercer le droit nouveau d’y pourvoir. Léon VIII, qu’Otton le Grand avait fait élire en remplacement de Jean XII, lequel fut déposé, proposa dans un concile convoqué à Rome et décréta le canon qui suit, en 963 : « Nous Léon évêque, episcopus, servus servorum Dei, assisté du clergé romain et avec l’adhésion de tout le peuple de la ville, à l’exemple de ce que notre prédécesseur Adrien avait établi en faveur du roi des Francs et des Lombards, Charles le Grand, nous concédons, établissons et confirmons en faveur d’Otton Ier, victorieux roi des peuples teutoniques, et de ses successeurs dans le royaume d’Italie, la perpétuelle faculté d’élire et d’ordonner nos successeurs pontifes, du siège apostolique romain, et par conséquent aussi les archevêques et évêques de ses états, sauf aux élus à obtenir l’investiture et consécration des mains de qui il appartiendra[15]. » Léon VIII ajoutait l’excommunication contre tout contrevenant à son décret. Il mit l’épiscopat et la papauté à la discrétion de l’empereur Otton le Grand et de ses héritiers dans l’empire. Le pape n’était plus qu’un fonctionnaire impérial.

Quelque énorme qu’il paraisse aujourd’hui, cet acte a été le salut de la papauté au Xe siècle malgré les obstacles qu’en a rencontrés l’exécution. La maison de Saxe était une famille religieuse, fort attachée au catholicisme, et qui fut secondée par tous les hommes persuadés de la nécessité d’une réforme dans le régime de l’église. Grâce à la terreur de l’empire, les grands scandales de Rome disparurent ; mais la turbulence féodale et municipale ne put être définitivement comprimée, les violences locales se reproduisirent, et la dynastie saxonne s’éteignit avec Henri le Saint, sans avoir rétabli l’ordre dans la succession et l’administration régulière du pontificat romain. Un seul point était acquis, c’était le droit politique de l’empereur sur l’élection pontificale, droit reconnu salutaire alors par la papauté, qui par là fut préservée du retour des événemens détestables du Xe siècle. L’assujettissement de la papauté à l’autorité des Saxons était en effet un mal moindre que sa dégradation morale sous l’influence dez Marozie et des Theodora ; seulement un autre abus se fit jour, protégé par l’action persistante de l’oligarchie féodale, la simonie appliquée à toutes les charges de l’église et spécialement au pontificat romain. Benoît IX vendit la papauté à Grégoire VI. Le commerce des dignités de l’église remplaça les désordres de la débauche dans l’administration de la chrétienté. On acheta un évêché comme on achète aujourd’hui une charge de notaire.

Telle était la situation à l’avènement de la maison de Franconie au trône impérial, en 1024. La simonie était le fléau de l’église ; de l’Italie, elle se répandit en Allemagne et partout. Le dernier des Ottons et Henri le Saint eurent la main trop faible pour la réprimer ; la pratique en devint universelle. Les premiers Franconiens avaient la main forte, ils pouvaient remédier au mal, étant d’accord avec le saint-siège ; mais Conrad III n’eut que des intentions : il était trop affairé en Allemagne par l’établissement de sa dynastie pour se laisser détourner à des réformes difficiles et même à celles de l’église romaine. Son fils Henri III, plus heureusement placé, porta vers l’un et l’autre objet l’attention d’un esprit vigoureux et droit, car les choses de l’église avaient alors une importance politique dont on se rend difficilement un compte exact aujourd’hui. En ce faisant, non-seulement l’empereur agissait en habile politique, il agissait encore en souverain armé de la force des lois. Il était évêque extérieur et plus encore, d’après les décrets d’Adrien Ier et de Léon VIII, et l’intérêt de l’état exigeait son intervention. En effet, le relâchement de la discipline religieuse n’avait plus de limite ; de la simonie, le sacerdoce passait au concubinat. La plupart des évêques et une bonne part du clergé séculier donnaient cet exemple déplorable. Au Xe siècle, la corruption était à Rome plutôt que dans l’épiscopat ; on se souvient du langage de l’évêque, d’Orléans au synode de Saint-Basle. Au XIe siècle, la régularité se rétablissait à Rome, mais la corruption avait pénétré dans les degrés inférieurs de la hiérarchie. L’Allemagne et l’Italie en étaient le plus infectées en Europe. L’administration de Henri III est sous ce rapport un modèle de sagesse, de prévoyance et de fermeté. Ce prince éclairé avait compris son temps et son intérêt. Notre époque est travaillée à cet égard de bien des chimères que ne partage point la masse des populations, la philosophie étant une vertu privée et non une condition sociale. Le désintéressement de l’état en matière de religion est un appel à une révolution religieuse, et l’état ne peut qu’y perdre, à moins qu’il ne fasse lui-même la révolution.

Ces maximes n’auraient pu être politiquement contestées au XIe siècle. L’esprit religieux était l’esprit général du temps, l’objet de toutes les préoccupations, et non-seulement toute force sociale en émanait, mais le destin de la civilisation en dépendait, car c’était l’unique correctif de la violence féodale et militaire qui débordait partout. Dans l’église d’ailleurs étaient alors les lumières de l’esprit humain, et l’organisation ecclésiastique concentrait en ses mains toutes les ressources morales de la société. L’église apparaissait en tout et partout, et les armées nombreuses de l’ordre monastique mettaient à sa disposition des moyens d’action incomparables, car chez les peuples la foi était vive, profonde[16], et la disposition à l’admission du merveilleux était universelle. L’histoire de la propagation monastique en Europe est une étude du plus haut intérêt pour l’histoire de la civilisation elle-même ; elle a fait depuis longtemps l’objet des travaux érudits des hommes les plus éclairés, et dans ces derniers temps elle a été traitée avec un grand talent par un illustre écrivain auquel je ne reprocherai que d’y avoir porté une préoccupation moderne qui entache les conclusions de ses recherches historiques. En Allemagne, la fondation et la multiplication des monastères avaient été l’œuvre de Pépin et de Charlemagne, puis des Ottons, qui avaient fait, comme on l’a dit, de la Saxe jadis si rebelle une école de christianisme[17]. Les moines et les seigneurs avaient pris partout possession de la propriété territoriale, mais les premiers la défrichaient, tandis que les seconds en négligeaient le soin et souvent la dévastaient. Les monastères et les châteaux-forts couvraient le sol de l’Europe, et les moines, jadis les soldats des évêques, affranchis plus tard de leur juridiction, devenaient insensiblement d’actifs auxiliaires de la suprématie romaine, qui s’appuyait sur eux. Ces résultats s’étaient produits en Allemagne plus qu’ailleurs encore. Les moines y formaient la démocratie du christianisme ; l’épiscopat en était l’aristocratie, par les mœurs, la naissance et l’autorité, qui se confondait avec l’autorité féodale, car nulle part l’épiscopat n’était plus riche en fonds de terre qu’en Allemagne, où la sécularisation des évêchés a payé bien des révolutions. Le pontificat papal et épiscopal relevait de l’empire par le droit d’élection, mais le couvent ne relevait que de l’église, c’est-à-dire du pape. Les empereurs étaient donc obligés par la nécessité des choses à se mêler beaucoup du gouvernement de l’église, qui s’identifiait avec le gouvernement de l’état, en un siècle où l’église était tout et partout. C’était un grand écueil.

Ces difficultés se compliquaient de circonstances nouvelles et critiques qui se manifestaient dans l’église et dans l’état. Dans l’église, il était malaisé d’éviter l’envahissement des passions et des abus de la féodalité, et le concours de l’autorité impériale à la réforme ecclésiastique suscitait le conflit ainsi que la rivalité du saint-siège lui-même, amoindri par l’action impérative et coercitive du souverain, lequel était en réalité pape autant qu’empereur ; si le souverain n’était pas habile, religieux et circonspect, la tutelle impériale se transformait en un joug oppressif, insupportable pour l’église. Ainsi le mal de l’église était grave, et le remède aussi périlleux que le mal. En ce qui touche l’empire, l’immixtion du pouvoir politique dans la discipline religieuse pour réprimer la simonie et le concubinat sacerdotal exposait l’empereur à la haine d’une classe puissante, à une époque où le pouvoir impérial éprouvait un affaiblissement notable par l’hérédité des fiefs arrachée au fondateur de la dynastie franconienne, à Conrad III. L’unité, l’efficacité du pouvoir impérial était ébranlée par cette conquête de la féodalité allemande, et la discipline politique devenait aussi difficile à maintenir que la discipline religieuse à rétablir. A cet embarras administratif se joignait pour les Franconiens un embarras politique, non moins sérieux, par la substitution de leur dynastie à la dynastie saxonne. La prudence de Conrad III et l’habileté ferme d’Henri III avaient conjuré ces dangers divers ; mais la mort prématurée d’Henri III, laissant un enfant de cinq ans pour héritier, détermina l’explosion des orages.

La connaissance de ces embarras politiques de l’Allemagne est indispensable pour expliquer l’entreprise de Grégoire VII. Elle me semble avoir été négligée par les historiens de ce pontife. Voici l’origine et les traits principaux de ces difficultés.


III

A l’extinction de la race masculine de Charlemagne sur le trône de Germanie, par la mort de Louis l’Enfant, en 911, l’hérédité faisant défaut, les peuples germaniques recoururent à l’élection, d’après les anciennes coutumes du pays. Deux peuples ou races et deux maisons princières se trouvèrent en concurrence pour obtenir la couronne. Les peuples alors en lutte de prépondérance étaient les Saxons d’une part, les Francs orientaux ou Franconiens de l’autre. Les deux maisons princières étaient celles qu’on a désignées depuis sous le nom de maison impériale de Saxe et de maison de Franconie. Ces deux maisons, puissantes par l’étendue de leurs domaines, leur influence et le nombre de leurs hommes, descendaient de Charlemagne par les femmes, et à ce titre elles se recommandaient au choix des Allemands, si respectueux pour le sang du grand empereur envers lequel ses descendans avaient eu si peu de respect eux-mêmes ; mais chacune avait des titres particuliers aux yeux des peuples dont ils étaient les candidats. La maison de Saxe descendait aussi par les femmes de Wittikind, l’indomptable champion de l’indépendance saxonne. Elle avait hérité en partie des grands biens que Charlemagne avait abandonnés à ce dernier après sa soumission, et la Saxe, qui comprenait alors presque tout le nord de l’Allemagne, leur était profondément dévouée. La maison conradinique ou de Franconie avait élevé et maintenu la haute estime dont jouissaient les Francs orientaux, qui avaient été l’appui principal de la royauté de Germanie créée par le traité de Verdun, et récemment elle avait frappé l’imagination allemande par sa lutte à toute outrance contre la maison célèbre de Bamberg, dont elle avait triomphé et qu’elle avait obligée de transporter bien loin sa demeure et sa destinée, sur la marche orientale (OEsterreich) où elle a fondé la première maison d’Autriche. L’origine de cette maison, appelée conradinique parce que presque tous ses premiers membres s’appelèrent Conrad, se perdait dans la nuit des temps, mais son siège principal avait été le comté de Worms et pays avoisinans. Le Nassau est un débris de ce patrimoine primitif. Les Francs orientaux, parmi lesquels se confondirent les Thuringes, et les Saxons devenus chrétiens civilisés étaient alors les peuples prédominans en Germanie. Les autres nations, comme elles s’appelaient elles-mêmes, telles que les Lorrains, les Bavarois, les Allemani, n’étaient point en mesure de disputer la prépondérance aux deux premières.

La maison de Saxe avait alors pour chef le duc Otton, dit l’Illustre, gendre de l’empereur Arnoul, vieillard magnanime qui, craignant pour l’Allemagne des divisions fatales, si l’élection était emportée de haute lutte par l’un des compétiteurs, donna l’exemple de la générosité, et conseilla aux Saxons de laisser passer un Franconien à cette prendre épreuve de l’éligibilité du trône. — Sur les conseils et l’impulsion du vénéré duc de Saxe fut donc élu Conrad Ier, dit de Fritzlar, duc de la France rhénane, lequel a inauguré le système électoral qui fut pendant plus de neuf cents ans la loi de l’empire germanique. A la mort de Conrad Ier, fidèles à l’engagement d’honneur qu’il avait contracté, les Francs orientaux portèrent leurs suffrages sur Henri, appelé l’Oiseleur, duc de Saxe, fils d’Otton l’Illustre et père de l’empereur Otton le Grand ; mais, malgré cet échange de procédés et de générosité, les deux peuples et les deux maisons restèrent en froideur. La possession de plusieurs duchés avait paru à la maison de Franconie une compensation incomplète de ce qu’elle avait perdu, et des relations peu affectueuses s’étaient maintenues entre les Francs et les Saxons. Lorsque s’éteignit la dynastie ottonienne, la maison de Franconie se représenta aux suffrages des Allemands réunis dans une plaine près du Rhin, et emporta non sans peine l’élection en 1024. L’élu fut Conrad II, dit le Salique ou de Waiblingen, qui se concilia l’estime par l’extension des limites germaniques en assurant à l’empire allemand la succession du royaume de Bourgogne ou d’Arles, mais qui fut obligé de consacrer l’usurpation de l’hérédité des fiefs de la part de la grande féodalité allemande, enhardie par le rétablissement des grands duchés qu’elle avait obtenu des dernière Ottons.

La Saxe souffrit avec une impatience non déguisée le retour des Franconiens à la couronne de Germanie. Il y avait encore sur son vaste territoire des familles illustres qui étaient du sang de ses ducs, et que la tradition rattachait à la race de Wittikind. De ce nombre étaient la puissante maison comtale de Nordheim et la première maison margraviale de Brunswick, qui descendaient de Henri le Querelleur, frère d’Otton le Grand, — la maison de Billung, titulaire du duché de Saxe depuis l’élévation des Ottons à l’empire, leur égale en influence dans l’Allemagne du nord, et dont les immenses possessions ont formé plus tard les états de plusieurs maisons princières, — les comtes de Vettin, palatins de Saxe, margraves de Misnie, alliés des Nordheim et aïeux de la maison de Saxe d’aujourd’hui. Vainement les Franconiens avaient transporté leur résidence à Goslar, la ville chérie de Henri l’Oiseleur, au centre de la Saxe. Le contact de la race franque n’avait fait qu’aigrir les Saxons, et la translation bienveillante de la demeure royale à Goslar avait été prise comme une insulte. Vainement encore Henri III avait cru satisfaire l’ambition des Nordheim en conférant au chef de leur maison le beau duché de Bavière ; la race querelleuse des Nordheim avait pris pour un exil la collation de ce riche gouvernement. Tous ces grands feudataires n’avaient qu’à lever leur bannière pour entraîner encore les peuples à leur suite, comme avaient fait jadis leurs devanciers les herzogs ou ducs des vieilles bandes teutoniques. L’influence des uns et l’entraînement des autres étaient restés dans les mêmes conditions. Quant aux nombreux monastères de la Saxe, si opulens, si populeux, ils étaient aussi restés fidèles à la mémoire des Ottons, et leur sympathie pour les passions saxonnes n’était douteuse pour personne ; la postérité en garde le témoignage dans les chroniques parvenues jusqu’à nous, par exemple celles d’Hildesheim. Les prélats originaires des bords du Rhin que les Franconiens avaient transférés sur les sièges épiscopaux de l’Allemagne du nord étaient odieux aux populations. L’antipathie populaire accueillait tous les actes de la souveraineté franconienne. Dans le sud de l’Allemagne, des symptômes d’agitation provenant d’autres causes se manifestaient. La société féodale y était plus avancée que dans le nord, où l’on se ressentait davantage de la condition sociale de l’ancienne Germanie. Sur les débris des constructions romaines, la féodalité édifiait des tours menaçantes, des châteaux-forts, et transportait sur les pics des montagnes les centres d’action que la société romaine avait établis dans les cités, dans les plaines fertiles, au bord des fleuves majestueux. Les monastères s’entouraient de moyens de défense contre la violence armée, et tous les intérêts réclamaient la protection des possesseurs de fiefs assez forts, assez redoutés, pour imposer le respect et la subordination. En ces contrées s’agitaient pleins d’ambition, cherchant la fortune et construisant leur puissance, des feudataires passant alternativement de la chevalerie au brigandage, toujours prêts à la révolte ou à la soumission envers la royauté, selon que celle-ci était impuissante à les réduire ou énergique à réprimer leurs désordres. On remarquait dans l’Alemannie ou Souabe les descendans des anciens bénéficiers, des ducs ou Kammerboten supprimés par les Carlovingiens, continuels agitateurs d’une contrée où ils semblaient identifiés avec le sol, et rivaux secrets de tout pouvoir qui s’élevait sur les ruines de leur puissance passée ; la guerre y était prête à éclater à chaque instant suivant les tentations de la passion ou les chances du succès.

Près du Rhin et dans sa longue vallée, ou sur les passages des montagnes, se montraient menaçans les Zäringhen, race turbulente, audacieuse, avide, aspirant à reprendre une domination que, selon la tradition, ses ancêtres avaient perdue, prête à tout entreprendre pour retrouver la puissance et l’éclat, — en Alsace, des dynastes remuans qui tramaient d’intelligentes et hardies intrigues, tantôt dans la Basse-Lorraine, tantôt en Helvétie, tantôt dans l’Alp de Souabe. C’étaient les Rhinfelden, rameau détaché peut-être ou du moins allié de la vieille race de Gontran le Riche, — les comtes de Habsbourg, à qui le puissant évêque Werner de Strasbourg venait de construire leur célèbre forteresse sur les cimes de l’Aar, avec les pierres de Vindonissa, et qui cherchaient à développer sous l’empire de la maison de Franconie l’influence qu’ils avaient acquise sous la maison royale de Bourgogne, — les Kibourg, autre race brave et guerroyante, qui jouissait d’un grand crédit dans la vallée de la Thur, — la maison d’Alsace proprement dite, liée d’affinité à toutes les familles déjà nommées, et dont Henri III venait d’apaiser les désirs en confiant à Gérard, son chef, le duché de la Haute-Lorraine, où ses descendans ont régné pendant tant de siècles avant d’aller s’asseoir sur un des premiers trônes de l’Europe, — les Welfs d’Altorf, qui s’éteignaient à Weingarten, mais en se substituant les Welfs de Modène, qui s’unissaient par mariage aux Nordheim, et qui bientôt allaient, ennemis jurés des Waiblingen, bouleverser l’Allemagne et l’Italie, non moins dangereux ennemis de l’empire d’Occident du moyen âge que l’avait été le Welf lieutenant d’Odoacre pour l’empire romain d’Augustule. Les routes fameuses de Coire, de Bregenz et de l’Adige étaient souvent envahies par des bandes féodales qui entravaient les communications de l’Allemagne et de l’Italie. Sur d’autres points abordables des Alpes, les marquis de Suse ou de Turin, maîtres de passages qu’ils vendaient chèrement à l’occasion, se montraient redoutables à l’empire, et les comtes de Maurienne, issus des Bosonides, étaient du haut de leurs donjons à l’affût des bonnes rencontres et d’une puissance à conquérir. Sous ces chefs accrédités, une multitude belliqueuse de nobles aventuriers suivait le destin des entreprises et les chances des combats.

En Bavière, de vieilles races nationales s’émouvaient de leur côté. Les ducs carlovingiens y avaient été aussi dépossédés jadis, et leurs héritiers ou alliés étaient prêts à passer toujours du mécontentement à la révolte. Les couvens y étaient riches et nombreux, ouvertement hostiles à la maison de Franconie, et leur inimitié est venue jusqu’à nous, dans les fragmens échappés de la très ancienne chronique d’Altaha, et surtout dans la chronique de Reichensperg, où le fougueux moine Gerhoh avait répandu le fiel de la haine et de la calomnie contre l’empereur Henri IV. Au nord comme au midi, la dynastie franconienne était donc sourdement menacée ; il lui restait les vallées de la Meuse, de la Moselle et du Rhin, où la sympathie pour les Francs orientaux était prononcée. L’épiscopat de ces contrées était surtout très favorable aux Franconiens, de même que l’épiscopat de la Haute-Italie. Nonobstant de tels embarras, Henri III avait gouverné d’une main ferme ; il allait réformer l’état et l’église pour son compte et de son autorité, lorsque la mort le surprit à la fleur de l’âge et après onze ans de règne, le 5 octobre 1056, laissant pour lui succéder un enfant de six ans, qui a été l’empereur Henri IV, sous la tutelle d’une mère intelligente, honorée, que l’Allemagne a payée d’ingratitude, peut-être parce qu’elle était originaire d’Aquitaine, et qu’il avait entourée des conseils de l’épiscopat du Rhin. À cette époque apparaît sur la scène de l’histoire le moine Hildebrand.


CH. GIRAUD.

  1. Ce triomphe arrachait à Macaulay les éloquentes paroles que tout le monde a lues avec un sentiment d’émotion profonde dans la Revue d’Edimbourg d’octobre 1840, au sujet de l’Histoire de la papauté de M. Ranke. Voyez Essays, critical and miscellaneous, by T. Babington Macaulay ; Paris, Baudry, 1843, p. 401.
  2. On lit dans le de Regimine principum, dont les premiers livres sont attribués à saint Thomas d’Aquin, et dont les derniers sont d’un continuateur contemporain de Boniface VIII : « La puissance temporelle n’existe que par la puissance spirituelle, de même que le corps ne vit que par l’âme. Dès que la chrétienté fut constituée, un miracle força Constantin à céder la domination du monde au pape, qui la possédait déjà de droit, car Jésus-Christ était tout ensemble roi et prêtre. Depuis lors, les deux pouvoirs n’en font plus qu’un seul dans les mains du souverain pontife, à qui sont soumis tous les rois de la terre. » Au rebours de cette théorie théocratique, on lit dans le livre de Talon ces maximes qui ont été la règle de la monarchie française pendant mille ans : « L’église peut se considérer en deux manières, ou comme un corps politique, ou comme un corps mystique et sacré : comme un corps politique, par relation à l’état, dont elle est un membre ; comme un corps mystique par relation à Dieu. Comme un corps politique, c’est une assemblée de peuples unis sous les mêmes lois et sous un même chef temporel pour contribuer ensemble à la conservation de l’état et à la tranquillité publique ; comme un corps mystique, c’est une assemblée de fidèles unis par une même foi et sous un chef spirituel pour travailler ensemble à la gloire de Dieu et chacun à son salut. Ainsi deux puissances sont associées au gouvernement de l’église : la temporelle, qui est la première dans l’ordre naturel, car, comme dit un fameux évêque (saint Optat, de Milève), c’est l’église qui est dans l’état, et non l’état dans l’église, — et la spirituelle, qui est la première dans l’ordre surnaturel, mais qui ne s’applique qu’aux choses surnaturelles et divines, etc. »
  3. Voyez ; la Revue du 1er octobre 1833.
  4. Luden, Geschichte des deutschen Volkes. Gotha, 9 vol. in-8o.
  5. Corpus historiœ germanicœ, auct. B. G. Struve ; Iena, 1730, 2 vol. in-fol. — I. I. Mascovii, De reb. imperii germamici, sub Henrico IV et V ; Lips. 1748, in-4o.
  6. M. Villemain n’a pas employé non plus la compilation indispensable : Vitæ romanorum pontificum, publiée par M. Watterich. Elle paraissait à peine lorsque M. Villemain achevait de polir son ouvrage. Il est plus regrettable qu’il n’ait pas usé des Regesta pontificum romanorum, que Jaffé avait publiés en 1851. Ils lui auraient épargné quelques erreurs et l’auraient utilement guidé sur bien des points.
  7. Sauf quelques préjugés que je ne partage pas, cette épopée historique a été exposée avec beaucoup de talent par un écrivain belge dont le mérite et les travaux ne sont pas assez appréciés en France. Je veux parler de M. F. Laurent, professeur à l’université de Gand. Voyez ses Études sur l’histoire de l’humanité, t. VI : la Papauté et l’empire, 1865, in-8o.
  8. Voyez les lettres 77 et suiv. d’Adrien Ier dans les Monumenta carolina de Jaffé.
  9. L’histoire des comtes de Tusculum et des Crescenzi est encore à faire. Le Vatican en recèle les matériaux inédits. Cependant Gregorovius en a donné les élémens principaux. Voyez sa Gesch. der Stadt Rom, t. III. — Cf. aussi les Memorie istoriche dell ’ antico Tuscolo, da Dom Barn. Mattei ; Roma, 1711, in-4o
  10. Voyez aussi la constitution d’Adrien Ier, dans le Décret de Gratien, dist. L. XIII. c. 22.
  11. Voyez le Journal des Savans, janvier 1871.
  12. « Vidimus Johannem, cognomento Octavianum, in volutabro libidinum versatum. » Voyez les actes du concile de Saint-Basle dans les œuvres de Gerbert, édit. de M. Olleris, in-4o, p. 173 à 236 (1867), et dans la collection de M. Pertz, t. III, p. 658.
  13. « Succedit Romæ in pontincatu horrendum monstrum, Bonifacius, cunctos mortales nequitia superans. » Ibid., p. 205, Olleris. — Baronius, parlant d’un autre pape de ce temps, l’appelle Sergius ille nefandus. Annal., ad Serg. III.
  14. « O infelicia tempora, quibus patrocinio tantæ frustramur ecclesiæ ! Ad quam deinceps urbiuni confugiemus, cum omnium gentium dominam humanis ac divinis destitutam subsidiis videamus ? .. Fit ergo discessio, non solummodo gentium, sed etiam ecclesiarum… Jam mysterium iniquitatis operatur, etc. » — Ibid., p. 213, Olleris.
  15. L’authenticité de cet acte, dont on trouve le texte dans le fameux Décret de Gratien (Dist. LXIII, c. 23), a été contestée. Voyez le Corp. jur. canonici de Richter, p. 209, Leipzig 1839 ; mais tous les manuscrits de la compilation célèbre du moine bénédictin de Bologne en renferment l’insertion, et le texte a été retrouvé dans d’autres manuscrits antérieurs à l’époque où vécut Gratien (1150), lequel ayant composé son livre dans l’intérêt de la papauté, y ayant donné place à des actes faux, favorables à la cour de Rome, ne peut être tenu pour suspect quand il s’agit d’un décret favorable à l’empire. Ni le savant canoniste Antoine Augustin, ni Baluze n’ont récusé la véracité du décret de Léon VIII, qui concorde avec tous les actes de l’histoire contemporaine. Voy. De amendat. Gratiani, édit. de Riegger, 2 vol. in-12, 1764. Théod. de Niem a publié l’instrumentum complet de l’acte du synode romain, d’où Gratien a extrait le texte dont il s’agit. Voyez les Constit. imper. de Goldast, t. Ier, p. 221 et suiv. (4 vol. in-f°, Francfort 1713).
  16. Elle était quelquefois d’une singulière naïveté. Le respectable Pierre Damiani exhorte un moine à ne pas manquer de réciter le petit office de la Vierge, et rapporte à ce sujet l’exemple d’un clerc qui, étant malade à l’extrémité, fut visité par la sainte Vierge qui lui fit couler de son lait dans la bouche et le guérit à l’instant. Voyez Fleury, Hist. eccl., liv. LX, 54.
  17. J’ai donné, dans le premier volume de mon Histoire du droit français au moyen âge, le tableau de la propagation monastique, pour la France. M. Mignet avait avant moi publié le savant mémoire dans lequel il expose la conversion de l’Allemagne au christianisme et l’établissement de l’ordre monastique en ce pays. Ozanam a traité le même sujet à un autre point de vue, et M. de Montalembert après lui, dans ses Moines d’Occident. Pour les matériaux de l’histoire générale du sujet, voyez Mabillon, Annales ord. S. Benedicti, 6 vol. in-fol., et Acta sanctorum ord. S. Benedicti, 9 vol. in-fol., enfin Cf. la Collectio script, rer. hist. monast. eccles. de Kuen, 6 vol. in-fol., Ulm 1753 et suiv.