Études de langue française/De l’Enseignement de notre Langue

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 7-68).

De
l’Enseignement de notre Langue
[1]

I

Le système d’enseignement adopté en France a soulevé, à plusieurs reprises, des critiques qui ne sont point restées infructueuses : notre histoire, trop longtemps négligée, a conquis peu à peu le rang important qu’elle mérite ; les sciences naturelles, considérées dans leurs résultats, fournissent aux jeunes gens un grand nombre de connaissances précises ; les langues étrangères commencent à être mieux connues ; enfin les programmes actuels, malgré leurs imperfections de détail et leur inévitable généralité, répondent assez bien aux principales exigences de la vie moderne.

Au milieu de ce renouvellement des études, une seule, la plus indispensable de toutes, hérissée de difficultés rebutantes, obscurcie par un amas de règles contradictoires, est restée presque stationnaire : celle de la langue nationale.

Depuis le commencement de ce siècle la linguistique s’est constituée comme science, à l’aide d’une série non interrompue de découvertes importantes ; le champ de ses explorations s’est successivement étendu ; sa méthode s’est transformée ; notre langue en particulier a vivement captivé l’attention de l’Europe savante. Mais, tandis que ces progrès s’accomplissaient avec grand éclat dans le domaine de l’érudition, où le public ne s’aventure guère, à côté, ou plutôt au-dessous, les rédacteurs de livres élémentaires continuaient à copier les travaux de leurs devanciers, ou introduisaient dans l’enseignement quelques-unes de ces innovations individuelles qui ne reposent ni sur la philosophie du langage ni sur l’histoire de notre idiome, et n’ont pour base que la fantaisie de ceux qui les imaginent.


L’importance même des découvertes accomplies semble avoir contribué à les empêcher de pénétrer dans l’enseignement élémentaire. On y aurait bien fait passer quelques faits isolés, quelques corrections de détail qui n’eussent pas sensiblement modifié l’ensemble, mais le changement complet de principes et de méthode, qu’il devenait indispensable d’adopter, a découragé beaucoup de gens. D’autres n’ont pas même tenté cette laborieuse transformation : ils ont cru de bonne foi qu’il suffisait d’exposer à tous, sans préparation et dans leur appareil scientifique, les vérités nouvelles ; naturellement ils ont échoué, et ont conclu de leur insuccès que le public s’intéresse peu à ces matières et est d’humeur à étudier indéfiniment la langue française dans la grammaire de Lhomond ou, tout au plus, dans celle de Chapsal.


Tel n’est pas notre avis : nous croyons qu’on s’empressera de faire mieux dès qu’on le pourra.


L’important serait de transformer les ouvrages élémentaires à l’aide des découvertes récentes. Nous l’essayerons pour notre part ; et, si nous ne pouvons y parvenir, peut-être du moins contribuerons-nous à frayer la voie à de plus expérimentés ou à de plus heureux.


Tâchons donc de déterminer :

1o Les conditions indispensables à la connaissance suffisamment approfondie d’une langue ;

2o La manière dont la nôtre a été étudiée jusqu’ici ;

3o La méthode à l’aide de laquelle elle devrait l’être.

II

Pour posséder parfaitement une langue, il faudrait :

1o Connaître tous les mots dont elle se compose ;

2o Se rendre un compte exact des divers rôles que ces mots peuvent jouer dans le discours.

Le Dictionnaire et la Grammaire sont les deux ouvrages destinés à nous faciliter ce double résultat ; mais ils n’y contribuent que fort imparfaitement.

La première des deux conditions est d’ailleurs impossible à remplir dans toute son étendue.

Chaque homme emploie, pour l’usage ordinaire de la vie, un nombre assez borné d’expressions, qui s’étend plus ou moins en raison de ses besoins, de son intelligence, de ses relations avec ses semblables.

Cette langue générale n’est pas d’ordinaire la seule qu’il parle ; il y en a une autre qu’il connaît mieux, dont il se sert avec plus d’exactitude et de justesse, et qui cependant n’est familière qu’à un petit nombre de gens : c’est celle de sa profession.

Le plus grand écrivain ne peut connaître, dans leurs détails infinis, ces nombreux idiomes techniques, qui sont cependant de nature à lui être fort utiles à l’occasion ; et les dictionnaires ne sont presque d’aucun secours pour cette étude.

« On peut trouver… que l’Académie… — dit à ce sujet M. Villemain[2] — a trop épargné certains termes usités des artisans, et qui sont des images ou peuvent en fournir. Il y a là souvent une invention populaire, qui fait partie de la langue, et qui ne change pas, comme les dénominations imposées par les savants. Furetière avait raison de regretter le nom énergique d’orgueil, employé par les ouvriers pour désigner l’appui qui fait dresser la tête du levier, et que les savants appelaient du beau nom d’hypomoclion. Ces emprunts faits, pour un besoin matériel, à la langue morale, ces expressions intelligentes sont précieuses à recueillir, Shakespeare en est rempli dans sa langue poétique et populaire. »

Un de nos poètes, qui voulait étendre, au-delà du nécessaire, les limites déjà si reculées de notre langue, et qui, en faisant au latin et au grec des larcins trop fréquents, ne négligeait pas pour cela nos richesses nationales, Ronsard, s’exprime ainsi dans son Art poétique :

« Tu practiqueras bien souuent les artisans de tous mestiers comme de Marine, Vennerie, Fauconnerie, et principalement les artisans de feu, Orfeures, Fondeurs, Mareschaux, Minerailliers, et de là tireras maintes belles et viues comparaisons auecque les noms propres des mestiers pour enrichir ton œuure et le rendre plus aggreable et parfaict[3]. »

Molière, qui, mieux peut-être qu’aucun poète de son temps, a possédé notre langue dans toute son étendue, a cependant eu à suivre ce conseil de Ronsard, que, selon toute apparence, il ne se rappelait guère : il s’est trouvé dans la nécessité d’avoir un assez long entretien avec M. de Soyecourt, grand veneur de France, afin d’être bien certain d’employer les termes de chasse avec une exactitude complète dans sa comédie des Fâcheux[4] ; et l’on pense que Racine a dû également à un de ses amis les expressions judiciaires qu’il a si abondamment répandues dans Les Plaideurs[5].

Les mots provinciaux, sur lesquels Ronsard attire aussi l’attention du poète, lui recommandant de ne point se soucier « si les vocables sont Gascons, Poiteuins, Normans, Manceaux, Lionnois ou d’autres païs, pourueu qu’ilz soyent bons[6] », sont encore moins généralement compris, même par les gens qui cultivent les lettres avec le plus de succès. Racine, alors fort jeune, à la vérité, nous raconte une petite contrariété qu’il éprouva pour s’être servi d’un mot dans un sens différent de celui qu’il avait à Uzès.

« Ayant besoin — dit-il — de petits clous à broquette pour ajuster ma chambre, j’envoyai le valet de mon Oncle en ville, et lui dis de m’acheter deux ou trois cents de broquettes. Il m’apporta incontinent trois bottes d’alumettes. Jugez s’il y a sujet d’enrager en de semblables mal-entendus[7]. »

Les termes archaïques sont-ils mieux connus ? En aucune façon. Voltaire, cet esprit si net, si ouvert à tant de connaissances diverses, cet écrivain si judicieux et si fin, méconnaissait sur bien des points les nuances de sens propres au xviie siècle ; et, s’étonnant de la meilleure foi du monde de l’ignorance et de la rusticité de Corneille, à l’occasion de ce vers d’Œdipe[8] ;

Le sang a peu de droits dans le sexe imbécille.

Il s’écrie : « C’est une injure très déplacée et très grossière fort mal expriméeThéâtre de P. Corneille, avec des commentaires… — Genève, M.DCC.LXXIV, 8 vol. in-4o, t. V, page 26. » et semble oublier tout à fait qu’imbécile est employé ici dans le sens latin de faible, débile.

Si de tels écrivains, qui ont étudié avec tant de bonheur les secrets les plus délicats de notre langue, ne la trouvent pas tout entière à leur disposition, s’ils en méconnaissent certaines nuances un peu vieillies ou simplement passées de mode, que doit-il arriver aux hommes, même instruits et cultivés, qui ne s’occupent que par plaisir et par goût des questions littéraires ?


La seconde condition que nous avons considérée comme nécessaire pour bien posséder une langue, à savoir la connaissance exacte des divers rôles que les mots peuvent jouer dans le discours, est plus bornée, mieux circonscrite, et semble, par conséquent, assez facile à remplir. C’est l’objet même de la grammaire, que peu de gens savent, mais que du moins tout le monde étudie.

III

Ce double problème une fois posé, voyons comment on s’est efforcé de le résoudre relativement à notre langue.

L’étude régulière et méthodique du français ne date que du xvie siècle. Avant cette époque, on l’apprenait uniquement par la pratique. La langue latine était considérée comme la seule dans laquelle on pût traiter des matières importantes ; et son extrême diffusion parmi toutes les nations de l’Europe, qui en faisait un instrument universel et courant de correspondance scientifique, rendait à certains égards cette opinion fort raisonnable. Quant au français, on ne le regardait guère que comme une sorte de patois commode dans les nécessités de la vie, un jargon d’artisans et de valets (vernacula lingua), dans lequel on aurait dédaigné d’écrire un traité scientifique, ou de se livrer à une discussion sérieuse.

Tout à coup les idées changent : les poètes se lassent du latin et se prennent à penser que notre idiome pourrait bien, avec le temps, n’être pas un instrument par trop inférieur aux langues de l’antiquité ; les réformateurs et les savants, curieux d’être lus, entrevoient le merveilleux parti qu’ils en pourront tirer pour la rapide propagation de leurs opinions et de leurs doctrines ; les étrangers s’appliquent à l’étudier ; enfin il trouve des panégyristes érudits et parfois même éloquents, tels que Joachim du Bellay dans La Deffence et Illustration de la langue Francoyse[9] et Henri Estienne dans le Proiect du liure intitulé De la precellence du langage François[10].

IV

On serait tenté de croire que, dès qu’on s’occupa d’étudier notre langue, on s’efforça d’en constituer l’inventaire. Il n’en est rien : les premiers dictionnaires où elle paraît sont des lexiques français-latins, français-anglais, français-italiens, français-espagnols ; elle n’y sert que de moyen, d’expédient, pour arriver à la connaissance d’un autre idiome. Ce n’est qu’à la fin du xviie siècle qu’on voit paraître des dictionnaires purement français : d’abord celui de Richelet en 1680, puis celui de Furetière en 1690, enfin celui de l’Académie en 1694.

Ces répertoires commodes, qui se sont peu à peu considérablement perfectionnés, rendent aujourd’hui de grands services, non seulement pour la connaissance des verbes difficiles, du genre des substantifs, et de l’orthographe en vigueur, mais aussi pour l’intelligence plus complète des auteurs français, et parfois même, comme dans l’excellent ouvrage de M. Littré, pour l’étymologie et l’histoire des mots. Toutefois leur forme alphabétique, qui facilite les recherches et permet de se renseigner sur le champ à l’égard d’un terme déjà connu, empêche de faire du vocabulaire une étude raisonnée, et de se l’approprier d’une manière générale.

Il faut remarquer néanmoins qu’en 1694 l’Académie française « a jugé qu’il seroit agreable et instructif de disposer le Dictionnaire par Racines, c’est à-dire de ranger tous les mots Derivez et Composez après les mots Primitifs dont ils descendent, soit que ces Primitifs soient d’origine purement Françoise, soit qu’ils viennent du Latin ou de quelqu’autre Langue[11] ».

Cet ordre a plus tard été abandonné sans retour ; et c’est à peine si on s’est livré à quelques essais, pour la plupart assez malheureux, afin de faciliter la connaissance des mots de notre vocabulaire en les rapprochant soit d’après des similitudes de forme[12], soit d’après des analogies de sens[13].

L’ouvrage le meilleur, et surtout le plus pratique, que nous possédions en ce genre, est celui qui a pour titre : Études sur la signification des mots, par L.-C. Michel, professeur à l’École Municipale Turgot[14]. Mais, malgré les avantages qu’il présente, il ne résoud qu’une partie du problème : il indique les faits sans remonter à leurs causes ; et l’excellent enseignement qui y est fort habilement réparti, ne repose pas sur la seule base réelle de toute étude de ce genre : l’histoire de notre langue.

On est donc fondé à dire, même après les consciencieuses tentatives dont nous venons de faire mention, que l’étude régulière et méthodique du vocabulaire français n’est jusqu’ici nullement constituée.

V

Voyons maintenant comment on étudie en France la grammaire française.

Si quelque chose nous manque pour le faire avec succès, ce ne sont point les traités spéciaux.

Je me suis depuis longtemps appliqué à les réunir ; ils sont là, sous mes yeux ; et, bien que j’aie, comme tout amateur, le regret de sentir encore ma collection fort incomplète, ceux que je possède formeraient à eux seuls, une bibliothèque de raisonnable étendue.

Cette abondance est déjà un mauvais présage.

L’examen, même superficiel, d’une bibliographie médicale fait voir que c’est précisément sur les maladies les plus terribles et les moins connues qu’on a surtout écrit. C’est à peine si la fluxion de poitrine dont on sait les causes et la marche, et que, la plupart du temps, on soigne avec succès, a fourni le sujet de quelques brochures ; la peste, le choléra, la rage ont enfanté des milliers de volumes.

Cette longue file de grammaires françaises annoncerait-elle que notre ignorance à l’égard de notre langue est incurable ?

Croyons encore qu’il n’en est rien.


Le plus grand mal vient du point de départ qu’on a cru devoir adopter.

Au xvie siècle ce fut à qui composerait une grammaire française ; mais ces nombreux traités, en apparence si divers, et rédigés par des auteurs d’un mérite fort inégal, ont au fond le même défaut originaire qui persiste encore aujourd’hui dans les ouvrages de ce genre ; ils sont tous calqués sur la grammaire latine.

Comment aurait-il pu en être autrement ?

Quelqu’un s’était-il donné la peine de pénétrer le génie de cette langue jusqu’alors dédaignée, d’en éclaircir les origines, d’en examiner l’histoire ?

À cette époque, de telles études étaient à peine tentées, et encore d’une manière tout à fait générale et superficielle, à l’égard des langues classiques elles-mêmes ; mais personne n’aurait eu un instant l’idée de s’intéresser de la sorte à la nôtre, et d’ailleurs, l’eût-on fait, que les vagues considérations auxquelles on se fût livré n’auraient jamais pu servir de base à des études élémentaires et pratiques.

Tout ce qu’on savait c’est que la langue française est fille du latin ; et l’on trouvait fort simple d’appliquer les mêmes préceptes à l’une et à l’autre.

Chose étrange ! l’habitude fermait si complètement les yeux aux plus clairvoyants, qu’on n’hésita pas à considérer pendant longtemps comme identiques dans les deux langues, jusqu’aux procédés grammaticaux qui les différencient le plus, et qui tiennent au caractère essentiel et fondamental de chacune d’elles.

S’il est en linguistique une division généralement connue et acceptée, c’est assurément celle des langues synthétiques et des langues analytiques.

Les langues synthétiques, comme le latin, tendent à exprimer par des changements de terminaison le rôle des substantifs et leurs rapports avec les mots auxquels ils se rattachent ; au contraire, les langues analytiques, comme le français, expriment le rôle des substantifs par la place même qu’ils occupent dans la phrase, et leurs rapports avec les autres mots, à l’aide de prépositions.

Nous disons : Pierre frappe Paul, et nous ne pouvons intervertir l’ordre des deux noms sans changer complètement la nature du fait que la phrase exprime. La seule circonstance qui nous apprend que Pierre est le sujet du verbe frappe, c’est qu’il le précède ; la seule indication que nous avons que Paul en est le complément, c’est qu’il le suit.

En latin il en était tout autrement ; on disait Petrus verberat Paulum, donnant au nom une terminaison particulière pour le sujet, une autre pour le complément, de telle sorte que rien n’empêchait qu’on mît le sujet à la place du complément et qu’on dît Paulum verberat Petrus ; le rôle du nom, indiqué par sa terminaison, ne faisait de doute pour personne.

C’était encore une terminaison particulière qui exprimait le rapport que nous rendons par la préposition de : liber Pétri, le livre de Pierre ; une autre tenait lieu de notre préposition à : do Petro, je donne à Pierre.

Ces différentes terminaisons s’appelaient cas, c’est-à-dire chutes, inflexions ; et l’on nommait déclinaison le tableau des différents cas.

Eh bien ! qui croirait que nos premiers grammairiens, traduisant à l’aide de prépositions la déclinaison latine, ont fait une déclinaison française de ce qui était la négation de toute déclinaison et qu’ils ont identifié les deux langues précisément sur ce point, où elles diffèrent le plus, et où leur génie est complètement opposé ?

Bélise est donc plus fondée qu’on ne le croit généralement à s’écrier avec admiration, lorsqu’elle a entendu les deux derniers vers de l’épigramme de Trissotin Sur un carosse de couleur Amarante, donné à une Dame de ses Amies :

Ne dy plus qu’il est Amarante,
Dy plûtost qu’il est de ma Rente.

« Voilà qui se décline, ma Rente, de ma Rente, à ma Rente[15]. »

Cela se déclinait en effet alors, et s’est décliné ainsi jusqu’à la fin du xviiie siècle.

Restaut dont la grammaire, publiée en 1730, a obtenu un succès fort grand et à beaucoup d’égards légitime, a persisté jusqu’en ses dernières éditions à donner un modèle de la déclinaison des noms français ; et nos grammaires sont encore aujourd’hui encombrées de paradigmes et de règles, qui n’ont pas plus de raison d’y être, et qui s’y maintiennent par pure routine après avoir été imprudemment copiées, au xvie siècle, dans les grammaires latines.

Par bonheur, dès le commencement du xviie siècle, tandis que de tels ouvrages se trouvaient entre les mains des enfants et des étrangers, les questions littéraires et grammaticales commençaient à être soulevées dans les salons, dans les ruelles, où elles passionnaient autant les dames que la toilette en tout temps et aujourd’hui la musique. Chacun disait son mot : les gens de Cour, les érudits, les auteurs, les femmes surtout ; ainsi s’établissait l’usage, ainsi se réglait la langue, avec instinct, avec goût, mais non sans arbitraire, ni caprice.

Les Remarques sur la langue françoise, vtiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, par Vaugelas, publiées seulement « le huitiesme iour d’Octobre 1647[16] » mais commencées fort longtemps auparavant, devinrent le manuel et le code de ces réunions. Doué d’un jugement sûr et d’un tact exquis, Vaugelas n’employait pas exclusivement ces précieuses qualités à l’examen des questions grammaticales : il savait voir juste en d’autres matières, et appréciait très finement le caractère de notre nation ainsi que les défauts et les qualités du public auquel il adressait son livre. À ceux qui lui reprochaient de n’y avoir pas introduit l’ordre suivi d’ordinaire dans les traités grammaticaux, il répondait d’une façon fort judicieuse :

« Pour en parler sainement, il ne seruiroit qu’à ceux qui sçauent la langue Latine, et par conséquent toutes les parties de la Grammaire ; car pour les autres qui n’ayant point estudié ne sçauront ce que c’est que de toutes les parties de l’Oraison, tant s’en faut que cet ordre leur agreast ny leur donnast aucun auantage, qu’il pourroit les effaroucher, et leur faire croire qu’ils n’y comprendront rien, quoy qu’en effet elles (ces remarques) soient, ce me semble, conceuës d’vne sorte, que les femmes et tous ceux qui n’ont nulle teinture de la langue Latine, en peuuent tirer du profit[17]. »

On est assez porté, sur la foi de l’admiration que Vaugelas inspire aux femmes sçavantes de Molière, à considérer ce grammairien comme un étroit puriste, très absolu dans ses décisions.

Il est impossible de le juger plus mal.

Il faut bien en convenir : lorsque Philaminte réprimande si vertement la pauvre Martine de son impardonnable faute, quand elle lui reproche d’avoir insulté son oreille

Par l’impropriété d’un mot sauvage et bas,
Qu’en termes décisifs condamne Vaugelas,

quand elle l’accuse d’offenser

La Grammaire qui sçait régenter jusqu’aux Rois,
Et les fait la main haute obeïr à ses lois[18],

elle s’écarte de la doctrine du maître, ou du moins, ainsi qu’il arrive toujours aux disciples plus ardents qu’éclairés, elle l’outrepasse et l’exagère.

En réalité Vaugelas n’impose presque jamais de règles absolues et se conforme très fidèlement à ce titre de Remarques qu’il a introduit et qui a été adopté par presque tous les auteurs d’une longue série d’ouvrages, composés à l’imitation du sien, et merveilleusement appropriés à la recherche et à l’examen des moindres particularités de notre langue.

Il a grand soin du reste de le déclarer expressément dès les premières lignes de sa Préface :

« Tant s’en faut que j’entreprenne de me constituer Iuge des différens de la langue, que ie ne pretens passer que pour vn simple tesmoin, qui depose ce qu’il a veu et ouï, ou pour vn homme qui auroit fait vn Recueil d’Arrests qu’il donneroit au public. C’est pourquoy ce petit Ouurage a pris le nom de Remarques, et ne s’est pas chargé du frontispice fastueux de Decisions, ou de Loix, ou de quelque autre semblable. Car encore que ce soient en effet des Loix d’un souuerain, qui est l’Vsage, si est-ce qu’outre l’auersion que i’ay à ces titres ambitieux, j’ay deu esloigner de moy tout soupçon de vouloir establir ce que ie ne fais que rapporter. »

Voici donc qui est parfaitement clair : le souverain que Vaugelas nous impose n’est pas la grammaire, mais l’usage. Toute la difficulté consiste à le bien constater. Cette difficulté devient d’autant plus grande que l’auteur est contraint de nous faire un aveu qui obscurcit un peu les choses :

« Il y a sans doute deux sortes d’vsages, vn bon et vn mauvais. Le mauuais se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n’est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité, mais de l’élite des voix, et c’est véritablement celuy que l’on nomme le Maistre des langues[19]. »

L’avantage principal de cette doctrine, contre laquelle il y aurait plus d’une objection à présenter, est de faire de chaque lecteur, non un disciple satisfait et confiant, mais un curieux plein de zèle pour la recherche des problèmes grammaticaux encore irrésolus.

Quant aux règles que l’usage avait réellement sanctionnées, elles s’établissaient avec une autorité si inévitable que peu à peu elles soumettaient les plus grands écrivains et s’imposaient aux plus fiers génies.

Nous en avons une preuve curieuse dans le soin que Corneille mit en 1660 à revoir ses pièces de théâtre, surtout afin de les mettre plus exactement en rapport avec les Remarques de 1647, et d’assujettir à ces règles nouvelles les passages de ses ouvrages antérieurs qui ne s’y trouvaient pas conformes.

Dans cette même année où Corneille s’inclinait docilement devant l’autorité de l’usage, constaté avec un scrupule si consciencieux par Vaugelas, tandis que les émules et les disciples de l’habile grammairien poursuivaient et complétaient son œuvre, soit en y introduisant les changements que le temps exigeait déjà, soit en l’appuyant d’autorités et d’exemples, soit enfin en l’adaptant aux besoins de l’enseignement élémentaire, on vit paraître un petit livret de 147 pages, imprimé en assez gros caractères, qui malgré sa modeste apparence modifia profondément la méthode suivie jusqu’alors pour l’étude de notre langue. Ce livret, c’était la Grammaire générale et raisonnée des solitaires de Port-Royal[20].

Des Remarques de Vaugelas, qui procèdent par minutieuses constatations de détail et n’osent aborder aucune des théories sur lesquelles reposent les règles de notre idiome, à cette Grammaire générale, qui, méprisant l’examen des faits particuliers, affiche la prétention ambitieuse, et en tout cas fort prématurée, de proclamer les principes universels des langues, la transition est brusque ; et l’on comprend la surprise, et, à certains égards, l’admiration avec laquelle un tel ouvrage fut accueilli.

Aujourd’hui une science nouvelle, la linguistique, s’est définitivement constituée, et cependant la Grammaire comparée commence à peine, après tant de remarquables travaux, à constater les rapports et les différences qui existent entre les idiomes de même famille, sans oser encore prévoir l’époque où ce monument définitif, la Grammaire générale, pourra, non pas être terminé, mais seulement entrepris avec quelque apparence de maturité et de succès. Il ne reste donc plus d’illusion sur l’insuffisance de cette première tentative, et l’on ne s’étonne que de la complète confiance avec laquelle elle a été accomplie.

Si maintenant, laissant de côté le titre de l’ouvrage et le but qu’il se propose, on restreint cette prétendue Grammaire générale, aux proportions, beaucoup plus modestes, d’une grammaire philosophique de notre langue, on doit convenir qu’elle est fort digne d’être étudiée et qu’elle a été, en un certain sens, le point de départ d’un progrès considérable dans l’enseignement du français.

Mais, tout en tenant un juste compte de sa légitime influence, on ne saurait dissimuler que l’abus de la méthode qu’elle a introduite a eu des conséquences déplorables.

Le xviiie siècle, qui avait des philosophes à placer dans toutes les branches des sciences et de la littérature, ne manqua point de grammairiens philosophes. L’amour-propre de ceux à qui étaient échues ces humbles fonctions était flatté d’un titre qui donnait un certain éclat à leurs travaux, et leur paresse se trouvait fort bien d’une méthode qui leur permettait de dicter tranquillement des lois au nom des principes, et d’accuser nos plus grands écrivains de n’avoir pas su le français, sans prendre la peine d’étudier leurs chefs-d’œuvre.

Les élucubrations de ces nouveaux législateurs de notre idiome commencent en général par le compte-rendu des diverses assemblées tenues par quelques-uns de ces sauvages de grand sens que le siècle dernier affectionnait tant.

Ne sachant pas encore dire un mot, une intelligente peuplade n’en sent que plus vivement le besoin de se réunir pour fixer les conventions relatives au langage ; et, après avoir délibéré, sans le moindre embarras, à l’aide d’un petit nombre de gestes expressifs, elle crée, avec la logique la plus irréprochable, chaque espèce de mots précisément dans l’ordre de son utilité relative.

Comme il est facile de le prévoir, les lois de cette langue primitive s’adaptaient merveilleusement à la nôtre.

Ce fut sur de tels principes que s’appuyèrent nos grammairiens pour tracer leurs règles absolues et proclamer leurs décisions infaillibles.

Ils assignèrent à chaque mot un rôle unique, s’appliquèrent à priver peu à peu de ses libertés, de ses antiques franchises, la belle langue si indépendante du xviie siècle, et l’assujettirent enfin jusqu’à l’asservissement.

Ils rencontrèrent dans le cours de ce singulier travail un obstacle qui eût été de nature à décourager des gens moins persuadés de l’infaillibilité de leurs jugements.

Ils avaient bien pu réglementer à leur façon notre idiome, mais non supprimer sa littérature ; et, à chaque ligne de nos chefs-d’œuvre, ils trouvaient quelque infraction à leurs décisions arbitraires.

Nul moyen cependant de proscrire d’un seul coup tous nos classiques. Il était même indispensable de puiser parfois dans leurs œuvres des autorités et des exemples, et de montrer pour quelques-uns d’entre eux un respect qui permît d’attaquer au besoin tous les autres.

Ceux de nos grands écrivains dont le génie est le plus profondément français furent écartés les premiers.

Corneille était archaïque, Molière trivial, La Fontaine incorrect ; on avouait que Bossuet avait de l’élévation et de la noblesse, mais son style était rempli de hardiesses oratoires qui ne pouvaient servir de modèles.

Tout bien examiné, on n’admit guère que deux autorités : Racine dans ses dernières pièces, et Fénelon dans Télémaque.

Prendre pour types de notre langue des œuvres dont le sujet est héroïque et qui sont en grande partie imitées des écrivains de l’antiquité, était un premier moyen d’écarter une bonne partie des expressions proverbiales, des tours populaires et des gallicismes ; mais que de hardiesses de construction et de libertés grammaticales venaient encore choquer les implacables législateurs de notre langue !…

Cela ne les arrêta pas. Ils donnèrent comme des exemples tout ce qui était conforme à leurs règles, et comme des licences permises seulement aux grands écrivains comme des négligences fâcheuses, ou même comme de véritables fautes de langage, tout ce qui s’en écartait.

Telle était leur manière de faire apprécier nos classiques à la jeunesse.

Bientôt d’utiles auxiliaires leur vinrent en aide : les éditeurs de nos auteurs du xviie siècle.

Ceux-ci s’appliquèrent le plus consciencieusement du monde à rectifier, suivant le goût du jour, les incorrections de nos grands écrivains. Ils leur imposèrent une orthographe mixte qui n’a existé à aucune époque, les soumirent aux plus récentes subtilités des règles de participes, changèrent dans leurs œuvres le genre des noms, l’accord des mots ; et l’on dut se trouver bien heureux lorsqu’ils ne s’avisèrent pas de leur prêter de l’esprit.

Ces textes nouveaux facilitèrent beaucoup la besogne des grammairiens, qui purent alors citer Corneille ou Molière à l’appui de règles qui n’existaient pas de leur temps.


Presque tous les livres élémentaires aujourd’hui en usage ne sont que des résumés des ouvrages dont nous venons d’indiquer les tendances.

La grammaire générale et philosophique y est représentée par quelques principes exposés sous une forme métaphysique et en termes très absolus ; les parties techniques de l’œuvre, et en particulier les modèles de conjugaison des verbes, n’ont presque pas varié depuis les grammaires du xvie siècle, transcrites, pour ainsi dire, sur celles de la langue latine ; enfin, souvent les observations, fournies par le recueil de Vaugelas et par d’autres études analogues, n’ont été ni fondues ni mises en ordre, et sont réunies à la fin du volume sous le titre, trop bien justifié, de Remarques détachées.

La plupart des auteurs de ces traités, très animés les uns contre les autres, se querellent pour quelques règles particulières ou pour de minces questions de rédaction, en reproduisant toujours, dans ses moindres parties, le même inévitable programme. D’autres, moins sages encore, voulant innover à tout prix, se précipitent dans le champ sans limites des fantaisies individuelles et des réformes grotesques, sans qu’il résulte de ces tentatives, je ne dirai pas un bon ouvrage, mais seulement un livre original.

VI

En voyant les même traités réimprimés, imités, contrefaits avec une persistance si unanime, on serait tenté de penser que la science grammaticale est faite, qu’elle a atteint son but, qu’elle ne peut aller plus loin.

Qui croirait que, bien au contraire, elle est entrée depuis le commencement de ce siècle dans des voies toutes nouvelles et qu’elle a proclamé un grand nombre de vérités incontestables dont aucune n’a encore pénétré dans l’enseignement élémentaire ?

Ces belles recherches, qui se continuent chaque jour sous nos yeux sans que nous daignions y accorder une attention suffisante, ont changé le principe fondamental de l’étude de notre langue, ou tout au moins l’ont étendu au point de le transformer.

Vaugelas avait proclamé avec raison que l’usage est « le fondement et la reigle de toute nostre langue[21] » et il avait, par cela même établi fort à propos l’examen des faits comme le point de départ de toute étude grammaticale sérieuse ; mais, n’étudiant que l’usage du moment et presque exclusivement celui de la Cour, il négligeait fort la Ville et ne s’occupait à aucun degré des provinces.

Lorsque La Mothe le Vayer disait que « le peuple fait valoir les dictions nouvelles, et decredite celles que bon lui semble[22], » il était très vivement critiqué, et Bouhours n’avait pas assez de railleries contre Ménage quand celui-ci, jetant un coup d’œil en arrière afin de mieux déterminer une règle grammaticale, osait parfois s’oublier jusqu’à citer Coquillart.

Bien éloignés de ces étranges dédains, les érudits de nos jours ont étendu la constatation de l’usage à tous les temps, à tous les points du territoire, enfin à tous les langages spéciaux et techniques, tels que la fauconnerie, la vénerie, la marine, l’art militaire, qui, indépendamment de leur emploi particulier, en ont un autre plus général, par les expressions qu’ils fournissent à la langue commune. Tous les genres de documents ont été mis à profit : poèmes, chroniques, traités spéciaux, chartes, patois divers transmis jusqu’à nous par la seule tradition orale ; et, grâce à tant d’efforts convergeant tous vers un même but, on commence à voir l’histoire de notre langue se dessiner dans son ensemble.

Comme l’histoire des institutions, comme l’histoire littéraire et l’archéologie, cette science nouvelle a son existence propre et concourt à l’ensemble de notre histoire nationale restreinte naguère à la partie militaire et politique ; en outre, ce qui est encore plus important, elle doit fournir, pour l’enseignement de notre langue à tous ses degrés, la méthode infaillible qui, substituant aux explications chimériques les faits évidents et prouvés, fera disparaître les incertitudes et les erreurs accumulées depuis plusieurs siècles.

Nous ne saurions être accusé en tout ceci d’exagération ni d’engouement : nous ne nous passionnons point pour une découverte personnelle, pour un système dont la démonstration n’est point faite. Il s’agit d’une science, parfaitement connue, qui peut être considérée comme une des plus positives et des plus certaines en dehors des sciences dites exactes.

Où gît donc la difficulté ? uniquement à faire passer ces vérités nouvelles du domaine de l’érudition dans l’enseignement journalier.

Là est tout le problème ; et, bien que complexe et assez délicat, il est loin d’être insoluble.


Nous allons rechercher d’abord comment on pourrait rectifier, d’après ces principes nouveaux, l’étude de la grammaire française, qui seule, nous l’avons vu, est à peu près constituée.

Nous examinerons ensuite quel ensemble de faits l’histoire de notre langue apporte à l’étude générale du vocabulaire, et dans quelle mesure cette étude pourrait être introduite dans l’enseignement pratique, où elle n’existe point.

VII

L’enseignement grammatical pratique comporte généralement deux degrés, représentés par deux livres différents.

L’un, s’adressant aux commençants, contient les éléments de notre langue ; l’autre, plus développé, se substitue au premier lorsque celui-ci a été complètement étudié.

Cette marche est bonne, et l’on aurait grand tort d’y rien changer ; mais, si la matière des deux traités est à peu près la même, ils doivent différer par l’étendue et par le mode d’exposition.

La plupart du temps nos éléments de grammaire ne sont que l’abrégé d’un ouvrage plus complet dont ils reproduisent le plan, les divisions et jusqu’aux termes mêmes.

Nous ne saurions approuver une semblable méthode : la même disposition ne convient pas à deux ouvrages de force différente.

Dans le traité élémentaire, où les faits doivent être exposés de la manière la plus simple, l’explication des termes scientifiques, et l’indication de quelques notions succinctes, immédiatement nécessaires, intervertiront parfois l’ordre absolu.

Dans le second ouvrage, au contraire, il est indispensable que les diverses connaissances grammaticales soient rigoureusement disposées selon la théorie de la science.

VIII

Tout le monde convient qu’il faut que la grammaire destinée aux commençants soit d’abord fort claire, ensuite extrêmement courte.

Elle sera claire, même pour les jeunes intelligences à qui elle s’adresse, s’il ne s’y trouve pas un mot inexpliqué, pas une assertion qui ne soit le développement et la conséquence de ce qui précède.

Elle sera courte, si, bornée au strict nécessaire, elle ne contient que des affirmations et des résultats.

L’étendue du traité élémentaire de Lhomond est suffisante ; seulement certains chapitres réclament une place plus considérable, tandis que d’autres sont susceptibles d’être abrégés.

On peut réduire les parties du discours de dix à huit, par la suppression de l’article et du participe, en ne faisant qu’appliquer au plan de la grammaire les principes fort sages reconnus depuis longtemps par les meilleurs grammairiens.

Jadis ce, cet, était appelé pronom démonstratif, mais on a remarqué ce qu’il y avait d’illogique à considérer comme pronom un mot qui, loin de remplacer le nom, ne marche jamais sans lui. Lorsqu’on eut bien constaté que ce était un mot ajouté au nom, on le classa parmi les adjectifs ; puis, comme il sert à faire connaître qu’il est question de telle personne ou de tel objet, on lui donna, fort à propos, le nom d’adjectif déterminatif, et, le retranchant de la liste des pronoms, on le plaça dans le chapitre des adjectifs.

Il faut opérer à l’égard de l’article un changement du même genre.

L’article a été longtemps défini : « Un petit mot qui se place devant les substantifs dont il sert à déterminer le genre et le nombre. »

Cette définition prêtait beaucoup à la critique.

Dire que l’article est un « petit mot », ce n’est pas le distinguer, le séparer, c’est au contraire le confondre avec une foule d’autres termes qui sont aussi de petits mots, et dont on n’a jamais eu, à cause de cela, l’idée de faire une partie du discours. D’ailleurs, rendons-leur cette justice, les grammairiens n’eurent pas le courage de se montrer fidèles à leur principe, et de classer, ce qui eût été logique, tous les mots de notre langue d’après leur longueur.

En examinant attentivement la seconde partie de la définition, on ne la trouve pas plus juste que la première. L’article ne sert pas à déterminer le genre et le nombre des mots qu’il accompagne. Le singulier le, la, pourrait à la rigueur faire illusion, mais il en est tout autrement du pluriel. Comment croire que lorsqu’on dit les hommes, les femmes, ce mot les, qui ne change pas, sert pourtant à indiquer le genre ? Et si l’on accepte un instant une pareille définition de l’article, comment l’appliquer à l’anglais the, qui ne prend aucun signe de nombre ni de genre ?

L’article a donc nécessairement une autre fonction que de faire connaître le genre des noms qu’il accompagne : ce qu’il détermine, c’est l’étendue de leur signification ; par conséquent, il est, comme ce, un véritable adjectif déterminatif. C’est chose reconnue depuis longtemps ; mais, à l’exception de M. Lucien Leclair[23], les auteurs de grammaires élémentaires ont eu le tort de ne le point classer parmi les autres adjectifs déterminatifs, et de continuer à en faire une partie du discours.

Le participe mérite moins encore peut-être que l’article d’être considéré comme une des parties du discours.

Tous les grammairiens, sans exception, le reconnaissent comme mode impersonnel du verbe et lui donnent place, à ce titre, dans la conjugaison. Sous quel prétexte peuvent-ils ensuite en faire un chapitre à part au lieu d’en parler simplement dans celui du verbe ?

Le pronom exigera, au contraire, un peu plus de développements qu’il n’en reçoit d’ordinaire.

Le chapitre qui lui est consacré est enseigné aux enfants avant qu’ils sachent à aucun degré ce que c’est qu’un sujet ou un complément : il, le, lui, leur dit-on, sont des pronoms de la troisième personne ; mais on se garde de leur faire comprendre l’usage si différent de ces trois mots.

Qui ne voit que dans cette phrase : « Il le lui a dit » le pronom de la troisième personne est employé successivement d’abord comme sujet, ensuite comme complément direct, enfin comme complément indirect, et qu’il importe de faire connaître ces divers emplois ?

Le latin a trois genres : le masculin, le féminin et le neutre ; le français n’a conservé que les deux premiers, dans les noms et dans les adjectifs, mais dans les pronoms il les a gardé tous les trois : celui-ci, celle-ci, ceci ; celui-là, celle-là, cela. Celui-ci, celui-là remplacent les noms masculins, celle-ci, celle-là les noms féminins ; il n’en est pas de même de ceci, cela, qui ne peuvent remplacer ni le mot homme ni le mot femme, mais qui s’appliquent à un objet dont on ignore la nature : qu’est-ce que cela ? ou à quelque chose qu’on veut rappeler : je lui ai dit cela, ceci prouve que

Ceci, cela, ne sont, par conséquent, ni masculins, ni féminins, chacun de ces deux mots n’est ni l’un ni l’autre, il est neutre (neuter) car tel est précisément le sens de cette expression en latin.

Parfois la forme neutre du pronom français se confond avec la forme masculine ; mais les sens particuliers aux deux genres n’en restent pas moins distincts. Ainsi, dans cette phrase : « Je le vois », si l’on vient de demander : « Voyez-vous Charles ? » le tient lieu du pronom masculin illum ; si au contraire « je le vois » répond à une question générale comme : « Voyez-vous ce qu’amènera cette démarche ? » le remplace toute une proposition et équivaut, par conséquent, au pronom neutre illud.

Cette remarque a déjà été faite par M. Philarète Chasles, qui a formellement proposé d’admettre le neutre dans les pronoms français[24].

C’est là une nouveauté légitime tirée de la constitution même de notre langue. Indiquée dans la grammaire élémentaire, et développée dans la grammaire historique, elle fera disparaître plusieurs singularités apparentes.

Avec un tel point de départ on résout sans peine la question si longtemps controversée : une femme, à qui l’on demande si elle est malade, doit-elle répondre : Je la suis, ou je le suis ?

Il est évident qu’il faut dire je le suis, mais ce pronom le, bien que sa forme se confonde avec celle du pronom masculin, est en réalité neutre et signifie cela, ce que vous ave dit, c’est-à-dire malade.

Si le chapitre du pronom se trouve un peu plus étendu dans notre Grammaire élémentaire que dans les autres ouvrages du même genre, d’autres chapitres sont par contre, assez notablement abrégés et, en particulier, l’un des plus longs et des plus difficiles, celui du verbe.

Dans les verbes latins les divers changements de personne, de temps et de mode de la conjugaison active et de la conjugaison passive, sont exprimés par un même mot dont les terminaisons seules varient : amo (j’aime), amaveram (j’avais aimé), amor (je suis aimé), etc.

Cependant trois temps du passif, le parfait, le plus-que-parfait et le futur passé, manquent tant à l’indicatif qu’au subjonctif de formes particulières ; on y supplée à l’aide du participe passé et des temps du verbe esse (être) : amatus sum (je fus aimé), amatus sim (que j’aie été aimé), amatus eram (j’avais été aimé), amatus essem (que j’eusse été aimé), amatus ero (j’aurai été aimé).

Cet expédient, tout exceptionnel en latin, a pris une grande place dans notre langue ; ce qui est la conséquence de son caractère profondément analytique, que nous faisions remarquer il y a un instant en parlant du substantif[25].

Le verbe passif n’existe pas en français ; l’idée qu’il exprime ne peut être rendue que par des locutions formées d’un participe passé accompagné des divers temps du verbe être : je suis aimé, j’étais aimé, etc.

Quant au verbe actif, bien qu’il renferme un plus grand nombre de temps que le verbe latin dont il est dérivé, il ne possède de formes particulières que pour les principaux d’entre eux ; il y supplée, pour les autres, à l’aide de locutions dans lesquelles le verbe avoir joue le même rôle que le verbe être à l’égard du passif : j’ai aimé, j’avais aimé, j’aurais aimé, etc.

Les temps qui ont une forme qui leur est propre, comme j’aime, j’aimerai, sont appelés par les grammairiens temps simples ; ceux qui ne peuvent être exprimés qu’à l’aide du verbe avoir, comme j’ai aimé, j’aurai aimé, sont appelés temps composés. Je ne vois aucun inconvénient à adopter ces dénominations, pourvu toutefois qu’il reste bien entendu que ces temps composés ne doivent pas être considérés comme une partie intégrante du verbe, mais seulement comme un ensemble de locutions verbales complémentaires.

Nous devons faire ressortir dans l’étude de la grammaire, et surtout de la grammaire élémentaire, le petit nombre de formes synthétiques particulières à notre langue ; quant aux diverses locutions par lesquelles on a remplacé les temps du verbe latin qui n’ont point passé en français, elles ne méritent qu’une mention des plus sommaires.

Après avoir perdu l’habitude de décliner les noms français et de déclarer que de la muse est un génitif et à la muse un datif, on ne peut continuer à affirmer sérieusement que j’ai aimé est une forme active et j’ai été aimé une forme passive.

Pour le passif nos grammairiens se sont montrés accommodants ; ils ont eu la discrétion de n’en donner qu’un modèle : être aimé, et de ne point nous indiquer ceux des autres conjugaisons : être averti, être reçu, être rendu ; ce qui ne serait cependant pas plus absurde que de conjuguer les verbes actifs comme ils le font.

En effet, les temps composés n’ont été répétés dans tous les modèles des diverses conjugaisons, bien qu’ils n’offrent jamais ni le plus petit changement ni la moindre irrégularité, que pour conserver intact le paradigme du verbe latin.

Ayons le courage de ne pas nous astreindre éternellement à cette routine, et de faire quelque chose de plus court, de plus clair et de plus scientifique à la fois. Bornons la conjugaison française aux temps simples, les seuls qui la constituent réellement ; donnons les verbes avoir et être à leur rang, parmi les irréguliers de la troisième et de la quatrième conjugaison ; enfin ayons grand soin d’indiquer que ces deux verbes, se dépouillant de leur sens propre et particulier, qui consiste pour avoir à exprimer la possession « j’ai une terre », pour être, à exprimer l’existence » je pense, donc je suis », prennent souvent une signification beaucoup plus générale et affaiblie, et qu’employés alors dans les temps composés des autres verbes à titre de simples auxiliaires, ils servent l’un, avoir, à compléter l’actif : j’ai aimé, j’aurai aimé, l’autre, être, à composer le passif tout entier : je suis aimé, etc.

Si l’on veut ensuite être un peu plus complet et plus exact dans l’examen des temps composés de la langue française, il faut remarquer qu’avoir et être ne sont pas les seuls auxiliaires qu’elle emploie.

Aller, suivi de l’infinitif, sert d’auxiliaire pour former le futur : je vais partir. Il est évident que dans cette phrase aller n’a pas plus sa signification ordinaire qu’avoir et être dans j’ai aimé ou je suis aimé. Enfin, venir de, suivi d’un autre verbe, sert à indiquer un temps passé qui ne s’est écoulé que depuis peu. Ce sont là des locutions verbales, indispensables à signaler et dont l’explication, donnée dans la Grammaire de Condillac[26], n’a point passé dans celles qui lui ont succédé.

Un seul motif a fait négliger ces tournures si dignes d’attention ; elles ne se trouvent point dans le latin classique, elles ne figurent pas dans sa grammaire.

Il faut employer avec circonspection les expressions si souvent répétées dans nos grammaires, de temps primitifs, temps dérivés, formation des temps, qui donnent aux enfants des idées fausses.

Un temps n’est pas plus ancien qu’un autre et ne saurait en être ni le patron ni le modèle : ils ont tous été créés à la fois et parallèlement. Les meilleurs et les plus instruits des grammairiens modernes le savent et même le disent ; mais ils n’en continuent pas moins à se servir des termes que nous voudrions voir disparaître.

L’un d’eux, M. Guérard, dont les ouvrages sont fort supérieurs à ceux qui les ont précédés, après avoir employé ces dénominations dans sa Grammaire élémentaire et les avoir répétées dans sa grammaire complète, est pris d’un fort légitime scrupule et fait en note la déclaration suivante :

« Les règles de dérivation que nous indiquons ici sont purement artificielles ; c’est un moyen mécanique d’aider l’élève à former les temps[27]. »

Nous sommes tout disposé à savoir beaucoup de gré à M. Guérard de cet aveu ; mais n’est-il pas de nature à surprendre les élèves, qui apprennent ainsi, tout à coup, que la théorie étudiée par eux depuis plusieurs années ne repose sur rien, et que tous leurs efforts n’ont abouti qu’à se surcharger la mémoire de notions arbitraires, jugées telles par celui qui les leur a enseignées ?

Puisque tout le monde tombe d’accord de l’inexactitude de ces règles, il est inutile de les considérer dans leur principe ; mais il n’est peut-être pas sans intérêt d’examiner, en prenant pour guide l’ouvrage de M. Guérard, si elles ont du moins de l’efficacité comme moyen mécanique et si elles apportent en réalité quelque aide aux élèves.

La grammaire que nous venons de citer nous signale, comme la plupart des traités analogues, cinq temps primitifs « qui servent à former les autres dans les quatre conjugaisons. »

De ces cinq temps primitifs, nous n’en reconnaissons que deux :

1o Le participe passé, qui forme avec avoir les temps composés du verbe actif, et avec être le verbe passif tout entier.

2o L’infinitif qui sert à former le futur et le conditionnel ; mais à l’aide d’un procédé tout particulier, exclusivement propre aux langues néo-latines et qui n’a rien de commun avec ceux qu’indiquent les grammaires élémentaires[28].

Ces réserves faites, il nous reste trois temps primitifs destinés à former quatre temps dérivés, ce qui est, pour un moyen mécanique, un résultat assez médiocre ; encore le fonctionnement en est-il imparfait et compliqué: ainsi, le présent de l’indicatif, mis cependant au nombre des temps primitifs, ne peut former ses trois personnes plurielles qu’à l’aide du participe présent; et, malgré cette intervention inattendue, on ne peut rendre compte de la formation de la troisième personne plurielle du type même de la troisième conjugaison : ils reçoivent, considérée, en désespoir de cause, comme irrégulière.

Enfin la règle suivante nous paraît plus extraordinaire encore que tout le reste :

« Du présent de l’indicatif, on forme l’impératif en ôtant les pronoms, je, nous, vous.

Indicatif Impératif
J’aime ....... aime
Nous aimons ..... aimons
Vous aimez ..... aimez. »

Comme on nous prévient d’autre part, à l’impératif, dans la conjugaison même, que ce mode n’a point de première personne, c’est faire croire à l’élève que par la suppression du pronom je on peut métamorphoser une première personne en seconde personne, transformation grammaticale à coup sûr assez curieuse.

Telles sont les merveilles de la mécanique !

C’est là encore un des résultats de l’application inconsidérée des procédés de la grammaire latine au français.

Fausse relativement aux deux langues, la théorie de la formation des temps a, pour le latin, l’avantage d’aider la mémoire, puisque quatre temps primitifs y servent à former huit temps dérivés ; mais, pour le français, cet amas de règles de fantaisie ne présente que des inconvénients et peut être remplacé par deux ou trois observations exactes et courtes sur les rapports et les différences des terminaisons des temps.

Sans donner lieu à des changements aussi importants, les chapitres consacrés aux mots invariables contiendront toutefois un bon nombre de modifications de détails sur lesquelles il est inutile d’insister ici.

IX

Quant à la grammaire du degré supérieur, qui doit, suivant nous, être une véritable grammaire historique, il ne suffit pas qu’ainsi qu’il arrive aujourd’hui dans la plupart des ouvrages de ce genre, elle contienne plus de règles particulières et d’exceptions que la grammaire élémentaire, qu’elle soit en un mot, suivant la naïve expression de certaines gens, qui considèrent ce terme comme un éloge, plus compliquée.

Son but principal doit être de faire comprendre, aussi bien que le permet l’état de la science, les principes des règles données dans le premier ouvrage, d’en faire connaître avec plus d’étendue et de détails les diverses applications d’indiquer les vraies causes des exceptions et des irrégularités apparentes.

Mais il importe de ne point confondre la grammaire historique de notre langue avec l’histoire de la formation de notre vocabulaire ou avec la grammaire de l’ancien français, ainsi qu’on l’a fait dans quelques ouvrages récents, fort remarquables d’ailleurs.

Une grammaire historique pratique doit prendre notre grammaire actuelle telle qu’elle est, indiquer l’origine et parfois la date précise des règles aujourd’hui reconnues et observées, enfin, expliquer et résoudre les anomalies et les exceptions en les signalant comme des vestiges et des débris de divers états de la langue.

Ainsi entendue, elle devient le complément naturel et nécessaire de l’excellent dictionnaire de M. Littré, qui n’est pas non plus le vocabulaire complet de notre langue à toutes les époques, mais seulement celui du français de notre temps, éclairci par le rapprochement des formes et des sens actuels avec ceux qui ont été employés jadis.

La nécessité, indispensable même pour l’enseignement primaire, de ne plus avancer de faits sans en indiquer la cause, commence à frapper tous les bons esprits ; et nous ne saurions mieux faire, pour donner plus de poids et d’autorité aux idées que nous défendons, que de citer cette page excellente, et parfaitement appropriée à notre sujet, d’un livre tout récent, où M. Bréal, l’éminent professeur du Collège de France, réclame avec autant d’ardeur que de logique une réforme générale de l’enseignement.

« Il est certain qu’une règle ainsi formulée : Gens est féminin quand l’adjectif précède, masculin quand l’adjectif suit, n’a rien qui stimule l’esprit. C’est un cas de tératologie grammaticale devant lequel l’intelligence est invitée à s’incliner. Mais si, lisant La Fontaine avec un de mes élèves, je trouve ces vers :

Je suis Oyseau : voyez mes aisles
Vive la Gent qui fend les airs ![29]

et que, expliquant ce mot, j’y rattache le pluriel gens et les expressions : les vieilles gens, les bonnes gens, voici que l’élève commencera à réfléchir. Je lui dirai alors que le sens du mot gens étant devenu de plus en plus semblable à celui du mot homme, il a été fait masculin, excepté dans ces quelques locutions qui étaient trop bien établies par l’usage pour qu’on pût les modifier. L’élève aura une vue sur le passé de la langue et il n’en retiendra que mieux la règle[30]. »

Ajoutons que, par suite d’une assimilation du même genre entre homme et personne, ce dernier mot a lui-même été suivi assez fréquemment chez les auteurs du dix-septième siècle d’un pronom masculin :

« On rend une personne insensible quand on le reprend trop[31]. »

« C’est de ces sortes de personnes que le Seigneur a prédit qu’ils seroient sauvés difficilement[32]. »

Un seul fait incontestable allégué à propos, résoudra souvent d’une manière définitive plusieurs questions depuis longtemps controversées :

J’obtiens lettres royaux, et je m’inscris en faux.
dit Chicaneau dans Les Plaideurs[33], en racontant à la comtesse les diverses phases de son procès. Là-dessus les commentateurs sont fort empêchés et les grammairiens très perplexes : ils font à ce sujet les plus singulières suppositions du monde ; et Charles Nodier lui-même, assez versé cependant pour l’époque où il écrivait, dans la connaissance de notre ancienne langue, ne sachant comment se tirer de cette difficulté, avance que lettres « est… masculin au pluriel dans ce solécisme de chancellerie : lettres royaux[34]. »

Les expressions grand messe, grand ville, grand place, grand mère, n’ont guère paru moins embarrassantes.

À bout de conjectures, les grammairiens se sont imaginé qu’il y avait dans ces adjectifs un e élidé qu’ils ont remplacé par une apostrophe, dont toutefois ils n’ont osé affubler la mère grand du Petit-Chaperon rouge.

L’explication de ces prétendues bizarreries est des plus simples.

En latin les adjectifs de la première et de la seconde déclinaison ont une terminaison particulière pour le masculin et une autre pour le féminin : bonus, bona ; et ces deux terminaisons ont persisté en français : bon, bonne.

Généralement au contraire ceux de la troisième déclinaison n’ont qu’une seule terminaison pour le masculin et pour le féminin : regalis, regalis ; grandis, grandis.

L’ancien français, calqué sur le latin, n’avait aussi qu’une seule terminaison pour ces adjectifs : on disait le palais royal, la maison royal ; le grand père, la grand mère, etc.

Lorsque par analogie, on a ajouté dans ces adjectifs, ainsi que dans tous les autres, un e muet au féminin, les locutions populaires et celles qui, comme lettres royaux, appartenaient à une langue technique, ne furent point modifiées et conservèrent la trace de l’ancien usage.

Cette curieuse observation n’est point du reste aussi nouvelle qu’on le croit et nos grammairiens auraient pu en profiter depuis longtemps, car Patru, ce connaisseur si délicat de notre langue, l’avait déjà faite, mais sans y insister, dans ses notes sur les Remarques de Vaugelas[35].

En lisant avec soin les ouvrages de ces observateurs attentifs et minutieux, on s’aperçoit qu’ils avaient assez profondément étudié l’histoire de notre langue ; mais, comme ils ne s’y étaient pas appliqués particulièrement, on n’a pas employé d’abord le petit nombre de matériaux utiles qu’ils auraient pu fournir, et qui ne nous frappent que depuis qu’on les a retrouvés par une autre voie, et mis en lumière dans leur ensemble.


Vaugelas a, beaucoup plus fréquemment qu’on ne serait disposé à le croire, de ces aperçus heureux, au milieu desquels, indifférent en apparence, ou plutôt intimidé par la crainte de paraître pédant, il s’arrête tout à coup, mais qui, vérifiés par l’érudition moderne, ont leur place nécessaire dans une grammaire historique.

Cette tendance curieuse de notre langue qui a fait succéder le lendemain à l’en demain et qui pousse encore invinciblement les cuisinières à dire le levier au lieu de l’évier, a été ainsi indiquée par lui avec beaucoup de justesse dans sa remarque intitulée :

« S’il faut dire landy ou landit. »

« Il est certain qu’hedera, cette feüille tousjours verte s’est longtemps appellée en François hierre, il ne faut que lire les vieux Autheurs pour en estre asseuré, et mesmes l’Abbaye d’Hierre, s’appelle en latin hedera ; on a donc esté long-temps, que l’on disoit l’hierre, pour la hierre, à cause que l’e et l’a de l’article masculin et du féminin se mangent, comme chacun sçait, deuant la voyelle du mot suiuant ; mais depuis on en a fait vn seul mot lierre ; et alors il a fallu luy donner vn nouvel article et dire le lierre.

« Ie sçay qu’il y en a d’autres exemples indubitables en nostre langue, qui ne se présentent pas à point nommé, quand on en a besoin, mais ie suis asseuré qu’il y en a. Et cela est si familier à la langue Espagnole, que ce n’est pas vne merueille si la nostre en fait autant, car en tous les mots que les Espagnols ont pris de l’Arabe, qui commencent par al, comme alcoua, alguazil, almohada, alcalde, alcayde, et une infinité d’autres, quoy que cet al, soit l’article Arabe, on n’a pas laissé d’y adjouster l’article Espagnol et de dire, el alcoua, el alguazil, el almohada, etc. »[36].

À cette liste de mots arabes introduits dans l’espagnol et dont quelques-uns sont entrés dans notre langue, on peut ajouter alcoran, dont on s’est avisé, seulement à partir du dix-huitième siècle, de supprimer l’article arabe pour en faire le Coran, ce qui faisait dire avec raison à Charles Nodier, fort opposé à toute innovation dans le langage : « Doit-on reléguer l’ancien nom de l’alcoran, au nombre des mots passés de mode ? oui, si l’on étend ce principe aux mots alambic, algèbre, almanach, et à leurs codérivés, autrement ce sera là une réforme inutile, comme toutes les réformes partielles[37]. »

Parfois d’ailleurs l’addition de al ajoute au mot primitif une nuance toute particulière : ainsi l’alchimie et la chimie sont deux sciences fort différentes.

Nous avons déjà vu que les pronoms français ont en réalité trois genres, comme en latin, et qu’ils conservent des traces de déclinaison. Il importera d’insister dans la Grammaire historique sur toutes ces particularités et d’expliquer par là beaucoup de faits importants qu’on ne remarque pas, ou dont on ne peut se rendre compte.

Autre peut s’employer, soit comme sujet, soit comme complément ; mais autrui est toujours complément d’un verbe ou d’une préposition, et n’est jamais sujet d’une phrase. Cette forme indique un cas régime de notre ancienne langue ; et, malgré les révolutions que celle-ci a subies, la persistance de son génie est telle que l’emploi du mot n’a pas sensiblement varié, et que le plus ignorant n’oserait dire : « Autrui m’attaque, autrui me blâme. »

Le pronom indéfini on n’est point tiré d’un pronom appartenant à la langue latine. On dit y était exprimé, soit par la troisième personne du singulier de l’indicatif passif : dicitur (il est dit) ; soit par la troisième personne plurielle de l’indicatif actif, en sous-entendant homines : dicunt (ils disent ou les hommes disent).

L’allemand rend cette locution en plaçant avant le verbe le mot homme employé au singulier, mais d’une façon complètement indéterminée : man sagt, mot à mot homme dit ou on dit, ce qui est exactement la même chose, car on ou om est une des plus anciennes formes de notre mot homme.

Cette excellente étymologie a été fort judicieusement défendue par Vaugelas, qui combat ceux de ses contemporains qui tiraient on de omnis[38]. Elle explique très bien le l qui précède souvent le mot on ; les grammairiens se sont longtemps obstinés à considérer cette lettre comme purement euphonique : il est plus naturel d’y voir l’adjectif déterminatif ou article, qui précédait le mot on, lorsqu’il gardait encore quelque chose de sa nature de substantif.

L’étude historique de la grammaire facilitera singulièrement la connaissance approfondie du verbe français.

Après l’avoir comparé au verbe latin, d’où il est presque partout tiré, elle nous fera connaître le petit nombre de points par lesquels il en diffère.

Le futur n’a aucun rapport avec le futur latin. Nul ne songerait à tirer d’amabo, j’aimerai, ou de legam, je lirai. Il a été créé avec beaucoup de régularité, mais par un procédé différent et tout particulier. Nous avons dit[39] qu’il se forme de l’infinitif français. C’est là un fait réel et non une invention grammaticale. Quand nous disons : j’ai à marcher, j’ai à lire, j’ai à recevoir, j’ai à rendre, il y a dans ces phrases une idée de futur ; elles sont la transcription dans un ordre inverse du futur français qui se compose tout simplement du présent du verbe avoir ajouté à un infinitif :

Je marcher ai, je lir(e)ai, je recev(oi)rai, je rendr(e)ai.

Le conditionnel, qui n’est point tiré non plus des langues classiques, s’est formé par un procédé analogue.


La connaissance de l’origine et de l’histoire des autres parties du discours, notamment des prépositions et des adverbes, en précisera le sens, et guidera dans l’emploi qu’on en doit faire.

Sans multiplier ici outre mesure les exemples des applications de détail, contentons-nous d’indiquer la théorie de la négation, si obscure dans nos grammaires françaises, mais complètement élucidée par un excellent traité de M. Schweighæuser[40] ; mis à profit dans une large mesure par M. A. de Chevallet[41].

Il en résulte qu’il n’y a en français que deux mots réellement négatifs de leur nature : ne et non.

Tous ceux qui s’y trouvent ordinairement joints et auxquels on est porté à donner aussi une signification négative, ne la renferment pas en réalité en eux-mêmes.

Pas, point, dont nous nous servons tous les jours, goutte, qui s’emploie dans la locution familière ne voir goutte, mie, que La Fontaine nous a conservé dans le dicton picard qui termine Le Loup, la Mère, et l’Enfant[42] :

Biaux chires leups n’écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.

sont de purs substantifs qui désignent un espace fort restreint, une très petite quantité de substance, et qui, à cause de cela, ont été choisis comme compléments de la négation.

Personne signifie originairement quelqu’un, tout le monde le sait ; mais ce qu’on sait moins généralement, bien que dès le xvie siècle Robert Estienne l’ait fait remarquer dans son Traicté de la Grammaire françoise[43] c’est que rien ne signifie pas nulle chose, mais tout au contraire, quelque chose. Il est dérivé de l’accusatif latin rem, chose, et l’on disait fort bien dans l’ancien français une rien pour une chose[44].

Ces notions et d’autres du même genre, dont nous ne donnons que quelques rapides échantillons, seront présentées avec des développements suffisants, et accompagnées de preuves, qui en démontreront la complète exactitude et permettront d’en profiter en toute sûreté de conscience.

X

L’orthographe aura son traité à part.

Elle a d’ailleurs dans notre pays une importance capitale, et elle est, aux yeux de bien des gens, le seul signe certain d’une bonne éducation. Faciles et indulgents pour tout le reste, ils se montrent intraitables sur ce point. Ils ne se contentent pas de voir un mot écrit suivant l’usage habituel ; ils tiennent à ce que cet usage soit sanctionné par le Dictionnaire de l’Académie française ; encore ne font-ils cas que de la dernière édition de ce livre.

Ne craignez pas d’ailleurs qu’ils poussent la chose plus loin et entreprennent de discuter cette orthographe si chaleureusement imposée ; ils ne connaissent même pas les principes sur lesquels elle repose ; tout ce qui touche à la philosophie du langage, à son histoire, leur est étranger ; leur pédantisme est, comme presque tous les pédantismes, celui de l’ignorance. Ce n’est que depuis peu que cette singulière intolérance trouve occasion d’éclater.

Au xviie siècle on pouvait, sans crime, écrire et même faire imprimer un mot de plusieurs manières ; et l’orthographe était encore tellement flottante, entre plusieurs systèmes divers et parfois opposés, que beaucoup d’écrivains avaient soin d’indiquer en tête de leur ouvrage celui qu’ils désiraient suivre.

Quelques-uns des plus illustres prirent même l’initiative de certaines réformes importantes.

En 1663, Corneille, dans la belle édition in-folio qu’il donne de son théâtre, distingue l’u du v, et l’i du j ; il accentue tous les e fermés, qui ne l’étaient jusqu’alors qu’à la fin des mots ; et ce n’est pas sans quelques précautions préliminaires qu’il annonce ces utiles innovations, que nous serions portés à croire plus anciennes, et qui ne furent cependant généralement adoptées que beaucoup plus tard[45].

Vers le dernier quart du xviie siècle, en 1674, l’Académie française, résolue à travailler sérieusement au Dictionnaire qu’elle avait entrepris depuis si longtemps et qui ne parut pour la première fois que vingt ans après, désigna plusieurs de ses membres afin de déterminer l’orthographe qu’on adopterait dans cet ouvrage. Corneille, dont le nom figure sur la liste de cette commission, n’en partagea point les travaux ; Bossuet et Pellisson, au contraire, y prirent une part active et présentèrent de judicieuses observations ; mais, moins influents en ces matières que ne l’était alors le grammairien Doujat, ils virent adopter, contre leur avis, beaucoup de règles absolues et mal fondées dont plusieurs, encore en usage aujourd’hui, jouissent par malheur du bénéfice de la prescription[46].

On le voit, l’orthographe illogique et capricieuse que nous subissons (et que nous ferons bien, après tout, de conserver, par le seul motif qu’elle est en vigueur), n’a commencé à se constituer d’une façon quelque peu uniforme qu’après l’apparition de nos plus grands chefs-d’œuvre, et malgré l’opposition de nos meilleurs écrivains ; tronquée encore pendant tout le xviiie siècle, elle ne mérite à aucun point de vue l’importance quasi superstitieuse qu’on lui accorde, et n’indique point ainsi qu’on le croit, chez celui qui la pratique avec exactitude, une connaissance satisfaisante de notre langue.

Dans nos écoles primaires, il est impossible aux élèves et même aux maîtres, de remonter, à l’aide des livres actuels d’enseignement élémentaire, aux véritables principes des règles ; ce qui en rend l’application aussi difficile qu’incertaine.

Dans les collèges, l’étude des langues anciennes est censée conduire à la connaissance de la nôtre. Cela serait vrai si ces langues étaient étudiées historiquement ; mais, avec l’état actuel des choses, on peut avancer, sans exagération ni paradoxe, que nos bacheliers ès-lettres ne sont pas tous parvenus à cette correction orthographique inconsciente et routinière, apanage assuré des bons élèves de nos écoles.

Pour remédier à de tels inconvénients et rendre ces études plus faciles, chaque grammairien a proposé à son tour sa réforme orthographique ; et, actuellement encore, des tentatives fort érudites et consciencieuses ont lieu en ce sens[47].

Quant à nous, nous contentant d’expliquer de notre mieux les irrégularités de notre orthographe, nous en ferons connaître les origines, nous en indiquerons les courants contraires ; mais, tout en montrant qu’elle est également insuffisante pour peindre la prononciation et pour rappeler l’étymologie, nous l’accepterons comme un fait, et nous nous garderons d’y rien changer, de peur d’augmenter encore la confusion que nous avons pour tâche de dissiper.

XI

L’enseignement de la prononciation jette beaucoup de jour sur l’orthographe.

Ces deux études sont si intimement liées qu’il est parfois difficile de savoir où l’une finit et où l’autre commence.

Savoir comment on doit prononcer ce qu’on écrit, savoir comment on doit écrire ce qu’on prononce : ce sont au fond deux faces différentes d’un même problème.

La prononciation, du reste, tend à se rapprocher de plus en plus de l’écriture, parfois de la manière la plus fâcheuse.

Ce même scrupule, qui, de notre temps, a fait regarder comme une faute indigne de pardon l’oubli, dans l’écriture, de la moindre lettre parasite, s’est étendu peu à peu à la langue parlée, par une conséquence fatale mais logique ; et l’on a cru faire preuve d’instruction en prononçant toutes les lettres de chaque mot, et en faisant sonner, sans aucune exception, toutes les consonnes finales, devant toutes les voyelles initiales.

Respect se prononçait d’abord respè[48] ; La Fontaine l’a fait rimer avec bec[49], ce qui prouve que dans son temps on commençait à dire respec ; aujourd’hui il ne manque pas de beaux parleurs pour prononcer respect comme l’impératif de respecter : respecte.

Jusqu’à ces derniers temps on ne faisait sonner la lettre n qu’à la fin des adjectifs immédiatement suivis d’un nom commençant par une voyelle ou par un h non aspiré : ancien ami, vilain homme ; aujourd’hui l’on prononce de même les finales des substantifs, au risque de tomber dans l’obscurité : on dit la nation narmée, la population nest grande ; et, dans ce dernier cas, il faut que la fin de la phrase vienne rectifier le sens auquel notre oreille nous avait d’abord préparés, car en entendant la nation n’est, nous pensions tout naturellement que la phrase était négative. Il serait grand temps de s’arrêter sur cette pente, et même de rebrousser quelque peu chemin, s’il était possible.

Comme les habitudes dont il s’agit, bornées jusqu’à présent à une seule classe de personnes, n’ont point pénétré dans le peuple, et ne sont pas encore transformées en règles écrites, le mal n’est peut-être pas irréparable ; si par bonheur il en est ainsi, un coup d’œil historique sur les principes de notre prononciation, peut devenir le remède le plus sérieux et le plus efficace. M. Littré a indiqué dans la préface de son excellent Dictionnaire[50] le programme à suivre à cet égard ; sans songer à le remplir dans toute son étendue, nous chercherons du moins à éclaircir la prononciation de notre temps par celle des époques antérieures, et à en bien préciser le caractère et la véritable tradition.

XII

La ponctuation est peut-être de toutes les parties de la grammaire celle sur laquelle on est le moins d’accord.

Si nous lisons la même page de Bossuet, de Pascal ou de Fénelon, dans plusieurs de ces belles éditions publiées, sous le premier Empire ou pendant la Restauration, chez nos meilleurs imprimeurs, nous sommes frappés des différences considérables que présente la manière dont elle est ponctuée.

Si maintenant nous comparons l’une de ces éditions aux éditions originales, les différences, encore plus nombreuses, ne portent plus seulement sur de menus détails, mais sur l’ensemble tout entier et sur le principe même qui a servi de point de départ.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est qu’au xviie siècle on répétait les signes beaucoup moins souvent que de nos jours ; et, bien qu’autrefois, comme aujourd’hui, l’arbitraire et la fantaisie de chacun jouent en cette matière un rôle considérable, on ne se trompera guère en disant qu’en thèse générale l’ancienne ponctuation est plus faite pour la voix et le débit, la nouvelle pour l’œil et pour la lecture silencieuse et personnelle.

La première marquait largement les divisions principales, la seconde fait ressortir jusqu’aux moindres incidentes.

Enfantée par les grammairiens du xviiie siècle, elle peut, sans inconvénient, s’appliquer aux petites phrases incisives et morcelées de cette époque, et convient pour le langage à courte haleine du pamphlet et du journal ; mais c’est un véritable contre-sens de la transporter aux orateurs du xviiie siècle et surtout aux chroniqueurs et aux historiens des époques antérieures. En effet, elle découpe et détaille trop, et donne indiscrètement, comme en une photographie, un relief exagéré à des portions secondaires, tandis que les grandes lignes s’atténuent et s’effacent, et que, par suite, l’ensemble s’obscurcit.

Nous avons donc à rechercher ce qu’il y a de mieux à faire pour le présent ; à guider le lecteur au milieu des divers systèmes proposés, et en même temps à insister vivement sur la nécessité de conserver à notre ancienne littérature, en cela comme en tout le reste, sa véritable physionomie.

XIII

Tout cela n’a trait qu’à l’enseignement grammatical.

Le plus important, le plus difficile, et surtout le plus neuf, serait de créer l’étude pratique du vocabulaire.

Pour y parvenir par la bonne et véritable route, il faudrait se livrer à un examen général et rapide de l’histoire de la formation de notre langue depuis son origine jusqu’à la fin du xvie siècle.


Au commencement de ses Commentaires, César signale en Gaule, dans la vaste étendue de pays qui n’était pas encore soumise aux Romains, trois peuples également divers par leur langue, leurs institutions et leurs lois : les Belges, les Aquitains, et les Celtes appelés Gaulois par les Romains.

Il nous fait connaître avec précision la position respective de chacun d’eux : les Gaulois étaient séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Seine et la Marne.

Bientôt la langue du vainqueur pénètre profondément ces divers idiomes, qui se modifient et se confondent sous l’action puissante de l’élément latin et se développent ensuite dans ce sens nouveau.

Plus tard viennent les Francs ; ils soumettent à leur tour une portion du pays auquel ils auront la gloire de donner un nom définitif, et pourtant ils introduisent dans la langue quelques mots isolés, sans rien changer à son ensemble.


Il est intéressant et vraiment philosophique d’examiner la nature des mots celtes ou germaniques qui ont persisté jusque dans notre français moderne :

Les mots Celtes sont, en général, des noms d’animaux, de plantes, de productions naturelles, des termes d’agriculture ;

Les mots germaniques sont des noms d’armes, des termes de guerre.

Tout cela ne va pas bien loin : c’est toujours le latin qui est la vraie et principale source.

On a cherché à établir d’une façon mathématique la part de chaque élément dans la formation de notre langue. M. A. de Chevallet, qui a tenté de dresser cette curieuse statistique, a soigneusement examiné l’origine de chacun des termes contenus dans nos plus anciens textes français ; voici le résultat auquel il est arrivé :

« Si l’on juge d’après ces textes, les mots dérivés du germanique ne formaient qu’environ un quinzième de notre langue dans la première période de son développement, et les dérivés du celtique n’y figuraient que pour à peu près un quatre-vingt-deuxième ; le reste était de provenance latine. Il est bien entendu que je ne donne ces calculs que sous toute réserve, et comme une simple approximation[51]. »

En tenant compte de quelques erreurs de détail qu’une critique plus rigoureuse a constatées dans ce travail, le résultat général ne se trouve pas sensiblement modifié, l’influence latine est seulement un peu accrue.

Lorsqu’on accorde au latin une part si étendue dans le développement de notre langue, il importe de bien caractériser cet élément. Au-dessous du latin classique, de celui qu’on nous a enseigné au collège et qu’on nous y a conseillé de reproduire et d’imiter, il y en avait un autre, qui se devine dans les plus anciens textes, se trahit plus fréquemment chez les auteurs comiques, et se montre à découvert dans la plupart des inscriptions : c’est le latin familier en usage parmi le peuple et dans les armées.

Ce parler courant des légions romaines est devenu la matière principale de notre vocabulaire.

Lorsque les Gaulois répétaient les mots latins, ils en altéraient profondément la prononciation, et créaient ainsi une langue nouvelle, en croyant adopter celle du vainqueur.

M. A. de Chevallet a fait à ce sujet une observation curieuse. Il a recueilli, dans ces listes toutes modernes de mauvais langage corrigé que des grammairiens pratiques destinent à rectifier les altérations populaires, l’indication des syllabes qui sont le plus souvent estropiées, et il a établi qu’en faisant subir à certains mots latins ces mêmes altérations on obtient nos mots français correspondants[52].

Ainsi le peuple, aveuglément attaché à ses habitudes, garde encore les traditions de la prononciation gauloise ; et s’il ne parvient plus à modifier le français dans le sens où il a jadis modifié le latin, c’est seulement à cause de la résistance opiniâtre que lui opposent l’enseignement public, le langage des gens instruits et surtout les livres imprimés.

Si le fond de notre langue s’est formé de la sorte par un travail inconscient, il en est tout autrement de la partie érudite de notre vocabulaire : elle ne tire pas son origine du langage du peuple, mais des œuvres d’imagination et des livres des savants. Lorsque ceux-ci francisaient un mot latin, au lieu de lui faire subir une altération semblable à celle qu’avaient éprouvée les termes de création populaire, ils se contentaient de le transcrire en modifiant sa terminaison aussi peu qu’il était possible, et seulement dans la mesure indispensable pour lui donner, en quelque sorte, le costume de la langue dans laquelle ils l’introduisaient.


Ces deux procédés de formation, l’un populaire et tout spontané, ne s’exerçant qu’à l’origine de la langue, l’autre artificiel et érudit, relativement récent mais commençant à se manifester bien plus tôt qu’on ne serait tenté de le croire, ont eu fréquemment des résultats très bizarres.

Parfois ils se sont exercés tous deux sur un même mot latin qui a fourni deux mots français, également différents par la forme et par le sens, bien qu’ayant une même origine.

Potio, par exemple, a d’abord produit poison, forme populaire, puis potion, forme savante.

Souvent, au contraire, deux mots français intimement liés par leur sens, tels qu’un substantif et un adjectif de signification analogue, dérivés du latin, chacun par un procédé particulier, présentent dans leur forme une notable différence. C’est ainsi que schola a fait eschole, école, dont l’adjectif correspondant est scolaire, formé plus tard dans les collèges et transcrit directement du primitif latin.

Cette double formation des mots, dont la constatation a passé d’abord pour une découverte toute moderne, était déjà connue au xviie siècle.

Un érudit protestant qui a eu quelque part à l’éducation du Dauphin, Jean Rou, parle, en passant, de ce fait curieux dans ses Mémoires[53], et Nicolas Catherinot, conseiller au présidial de Bourges, compose dès 1683 un petit traité spécial, longtemps oublié, sur ce qu’il appelle d’un nom bien français et fort digne d’être définitivement adopté : les doublets de la langue françoise[54].

Les mots à forme savante ont été d’abord regardés comme des créations de la Renaissance, et c’est en effet à cette époque qu’il s’en est le plus introduit : mais peu à peu une étude plus attentive a permis de préciser davantage les faits. Deux thèses intéressantes, l’une sur Nicole Oresme[55], l’autre sur Pierre Bersuire[56], nous ont indiqué la très large part que les traducteurs ont prise, au xive siècle, à la formation du langage oratoire et poétique ; il importe toutefois de remarquer que la plupart des mots qu’ils créaient, ou plutôt qu’ils transcrivaient du latin, sont demeurés fort longtemps en dehors de la langue et que plusieurs d’entre eux ne sont entrés dans nos dictionnaires qu’à la fin du xviiie siècle[57].

Du reste, bien que les érudits du xive siècle méritent d’être étudiés de très près par qui veut bien connaître l’origine de la plupart des mots à forme savante, il faut rechercher les premières traces de ces expressions à une date beaucoup plus reculée : elles apparaissent déjà, en petit nombre il est vrai, dans la traduction des Quatre Livres des Rois, et même dans la Cantilène de sainte Eulalie, c’est-à-dire à l’origine de la langue.

Toutefois, malgré l’ancienneté des premiers termes transcrits du latin, les deux courants de langage, qui résultent de la formation populaire et de la formation savante, sont restés distincts à certains égards, comme les eaux de deux rivières qui se réunissent sans se confondre.

Le peuple continue, même de nos jours, à n’employer que les mots qu’il a faits ; à peine comprend-il les autres, et jamais il ne s’en sert. Les beautés les plus délicates de nos grands écrivains demeurent par là lettres closes pour la majeure partie de la population, qui ne saurait saisir les raffinements et les allusions savantes d’une langue un peu artificielle.

On commence à entrevoir ces faits ; mais, en général, on n’en aperçoit point la cause première, ou du moins, l’on ne s’en préoccupe pas. Bien au contraire, nos divers gouvernements, si opposés pourtant dans leurs principes et dans leurs doctrines, poussés par je ne sais quel besoin de mystérieux prestige, semblent s’entendre de la façon la plus singulière pour parler à tous, précisément dans les circonstances décisives et solennelles, un langage qui ne peut être compris que de quelques-uns.

Croit-on que ce ne soit pas sans étonnement, ni même parfois sans une sorte d’appréhension, que les habitants de quelque petit hameau perdu lisent à la porte de la chaumière de Monsieur le maire qu’ils vont être convoqués dans leurs comices ? et l’administration n’aurait-elle point tout avantage à parler une langue plus simple et plus généralement compréhensible ?

On s’étonne qu’à intelligence à peu près égale, un homme ignorant ait plus d’action sur les masses qu’un autre qui lui est supérieur en instruction.

Cela provient de causes très complexes. Mais une des principales est assurément que ce harangueur improvisé parle avec d’autant plus d’aisance la langue du peuple qu’il n’en connaît point d’autre, tandis qu’un orateur de profession ne se doute même pas de l’immense distance qui sépare ce langage du dialecte propre aux gens lettrés, et n’essaye point, par conséquent, de faire la difficile séparation, le laborieux triage, qui rendrait sa parole claire pour tous, et empêcherait seul que le discours le plus populaire, quant à l’intention, fût, en fin de compte, un morceau fort aristocratique.

XIV

L’étude historique de notre langue, la détermination rigoureuse du moment où chaque forme nouvelle se produit, la constatation précise des lois de permutation des lettres font aujourd’hui de l’étymologie une science exacte. Comme toute autre, elle peut, sur un point particulier, se trouver entachée d’erreur ; mais du moins elle ne donne plus rien à l’imagination, à la conjecture, et ne repose que sur des principes certains.

Ce sont ces principes que nous tâcherons d’exposer dans un traité de courte étendue.

Nous ferons voir que les simples rapports de sons ne peuvent plus être des prétextes suffisants pour établir entre deux termes une prétendue parenté, tandis qu’au contraire des mots très différents doivent être considérés comme venant l’un de l’autre lorsque la série des formes intermédiaires peut être établie sans incertitude ni lacune.

Nous essayerons de faire bien comprendre aussi que la linguistique procède à l’analyse de chaque partie des mots avec autant de rigueur que la chimie à celle des corps.

Il n’y a dans les mots rien d’inutile : leurs moindres parties sont profondément significatives ; chacun de leurs tronçons, réduit à une syllabe, parfois même à une lettre, fournit son contingent au sens total ; et l’analyse de ces divers éléments est si naturelle, si instinctive, qu’il n’est personne qui ne la fasse, mais souvent, il faut en convenir, à la façon dont M. Jourdain disait de la prose : sans le savoir.

Le verbe raffermir, par exemple, contient dans les trois syllabes dont il se compose quatre éléments bien distincts : d’abord, la portion qui donne au mot sa signification principale, le radical FERM qui, suivant la terminaison qu’on y joint peut former :

Un adjectif ... Ferm e
Un adverbe ... Ferm ement.
Un substantif .. Ferm été.

Ensuite, la désinence ir, qui communique ici à ce radical la valeur d’un verbe ; enfin, deux préfixes R et AF : AF, qui donne au radical le sens de rendre ferme, et R, qui indique la répétition de l’action.

Du moment qu’on donne aux mots leur véritable sens, on a en soi-même une sorte d’intuition vague de ce que nous venons de dire ; mais il y a loin de là à une analyse complète et raisonnée.

XV

Après avoir étudié rapidement la formation de notre langue, après avoir établi les principes essentiels de l’étymologie, il ne sera peut-être pas sans intérêt d’observer, siècle par siècle, depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, les changements principaux survenus dans le vocabulaire.

Chaque événement de notre histoire, chaque évolution de notre littérature, chaque fantaisie nouvelle de la nation, a laissé dans notre langue des traces ineffaçables.


Le xvie siècle est l’époque où elle prend hardiment la parole sur toutes choses, discute la religion, prononce des arrêts judiciaires, traite de toutes les sciences et se substitue au latin, qui jusque-là était demeuré consacré à la théologie, au droit et à l’érudition ; mais, en le renversant, elle s’en pénètre, et ne se trouve digne de le remplacer qu’en l’imitant d’un peu trop près.

Dans le dialogue de l’écolier limousin avec Pantagruel[58], ce travers nous est plaisamment signalé par Rabelais, qui, lui-même, ne s’en est pas toujours montré exempt.

Ce courant d’imitation n’est pas le seul auquel ait cédé cette époque. On vit succéder aux guerres d’Italie l’emploi abusif d’une telle quantité de termes empruntés à ce pays qu’Henri Estienne crut devoir critiquer cet engoûment dans ses Deux dialogues du nouveau langage françois, italianizé, et autrement desguizé, bien propres à nous garantir, si nous avions pu l’être, contre les entraînements de la mode.

Au xviie siècle, à partir de 1615, date du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, commencent les influences espagnoles, à qui notre littérature doit le Cid. C’est à ce moment que la langue jouissant encore de toutes les franchises du xvie siècle, mais plus sage et mieux pondérée, atteint son point de perfection.

Il faut toutefois savoir se garantir contre un enthousiasme irréfléchi, et prendre soin d’examiner de près tous les styles divers, et de valeur fort inégale, qui ont cours pendant cette belle époque.

Nos orateurs religieux et nos poètes tragiques, qui s’expriment d’un ton si noble, et savent se montrer si profondément créateurs en imitant les livres saints et l’antiquité grecque et latine ; nos admirables comiques, qui s’abandonnent sans scrupule à la veine populaire et gauloise ; les écrivains burlesques, dépourvus de toute valeur littéraire, mais qui ont un mérite, le seul, celui de nous conserver une portion du vocabulaire que tous les autres dédaignent ; les Jansénistes, qui inventent une terminologie mystique, pour subtiliser sur le libre arbitre et sur la grâce ; les protestants, qui conservent le plus fidèlement qu’ils peuvent, par esprit de secte, le style du xvie siècle ; les Précieuses enfin, dont le jargon, si ridiculisé, est encore imparfaitement connu et mérite un examen sérieux et sincère ; tels sont les artisans divers, architectes ou manœuvres, qui ont contribué, chacun pour sa part, et dans une mesure bien différente, à élever cet impérissable monument : la langue française du xviie siècle.

Le xviiie siècle éclaircit la phrase et la dégage de ses moindres obscurités, de ses plus petites incertitudes, non sans l’énerver et l’appauvrir ; il introduit dans le langage la philosophie, qui en enlève la poésie. Les sciences enrichissent le vocabulaire de quelques termes nouveaux, de certaines expressions heureuses ; mais le néologisme érigé en système et la phraséologie politique et révolutionnaire achèvent de le corrompre.

Comment parler du xixe siècle, qui, par bonheur, n’a pas dit encore son dernier mot ?

Sous le premier Empire, la langue timide et appauvrie se borne pendant quelques années à l’imitation mesquine de nos classiques du xviie siècle compris d’une façon étroite et fausse.

La Restauration voit surgir toute une génération d’écrivains et de poètes qui répudient l’époque classique de notre littérature, croient ressusciter le Moyen-Âge en imitant la Renaissance et copient les Anglais et les Allemands sous prétexte d’art national.

Il y avait là toute une armée vaillante et résolue. Elle n’avait qu’un tort : celui de ne savoir où elle allait ; aussi n’est-elle arrivée nulle part, mais elle a parfois semé des chefs-d’œuvre sur son chemin. On ne saurait nier, sans injustice, que notre langue se soit alors singulièrement enrichie et renouvelée : on forgeait des mots, on en reprenait dans les siècles passés, on en importait du dehors, tout n’était pas or dans ces richesses, il y avait de l’argent, du billon, voire même de la fausse monnaie, mais le moule de convention était rompu, et les écrivains, rentrés en possession de leur liberté, sentaient qu’il fallait renouer la tradition française et étudier le passé.

Mentionnons les vocabulaires bizarres des Saint-Simoniens et des Fourriéristes, les importations anglaises des amateurs du turf, la terminologie barbare du régime parlementaire, les termes arabes que nos troupiers ont rapportés d’Afrique, et nous aurons indiqué les points principaux que nous aurons plus tard à développer.

XVI

Cette histoire chronologique de notre langue ne clôt pas encore le programme que doit s’imposer toute personne qui se propose de la bien connaître.

Les érudits, qui se sont appliqués avec tant d’ardeur à son étude, ne se sont pas contentés de la considérer historiquement dans ses phases successives et à ses époques diverses : ils en ont suivi les branches éparses et quelquefois jusqu’aux moindres ramifications, sur toutes les parties du territoire français.

Prenant alors pour base, non plus le temps, mais le lieu, ils ont abordé tour à tour nos patois et dialectes[59].

Nous indiquerons leur classement géographique ; nous montrerons quel degré d’évidence ils donnent à diverses étymologies, incertaines sans ce précieux secours ; enfin, examinant dans quelle mesure ils peuvent, ainsi que le voulait Ronsard, venir en aide à l’écrivain et au poète, nous rechercherons quel parti en ont parfois tiré nos meilleurs auteurs et principalement nos comiques.

XVII

Dans l’immense exploration de notre langue, entreprise depuis le commencement de ce siècle, et dont nous venons de tracer la trop rapide esquisse, il y a eu bien des tâtonnements, des défaillances et des erreurs ; encore aujourd’hui beaucoup de portions de cette tâche importante restent à accomplir ; une observation plus attentive et plus délicate mettra en lumière des filons inconnus ou à peine soupçonnés. Néanmoins l’essentiel est fait ; et il est grand temps d’introduire dans l’enseignement pratique et journalier les notions incontestables qui, exposées dans des ouvrages volumineux, ou mêlées à de longues polémiques, sont difficiles à étudier pour la plupart des lecteurs et surtout pour les jeunes gens.

Nous tâcherons de remédier à ces inconvénients à l’aide d’une suite de petits traités, rédigés sur un plan commun. Ils contiendront pour chaque sujet particulier : le résumé de l’état actuel de la science, les principes essentiels, les conséquences qu’on en peut tirer, et ils feront connaître, par des exemples bien caractéristiques, sinon tous les faits de détail, du moins leurs séries diverses et leurs catégories principales.

Nous aurons soin d’ailleurs de donner à la fin de chaque ouvrage à partir de l’Histoire de l’origine et de la formation de la langue française, une bibliographie étendue du sujet traité, afin que les esprits curieux, mis en goût plutôt que rassasiés par ces études encore nouvelles, puissent facilement vérifier nos assertions, contrôler notre travail, et pousser leurs recherches au delà des limites relativement restreintes que nous serons forcés de nous imposer.

Si on allègue qu’un enseignement de ce genre n’est pas absolument nécessaire dans toutes ses parties pour la simple intelligence de la langue actuelle, on ne saurait nier du moins qu’il aura l’avantage considérable de la rattacher plus étroitement à celle de nos grandes époques littéraires, et qu’il contribuera peut-être en quelque chose à discréditer les phrases banales, les métaphores inexactes et les expressions exagérées. Il sera surtout de nature à rendre plus intelligibles les étrangetés apparentes de langage et de style des grands écrivains du xvie siècle et du xviie siècle, il en expliquera les motifs ; et l’on ne sera plus exposé à croire, sur la foi des grammairiens, que nos plus illustres auteurs classiques ne savaient pas le français.

S’il en est ainsi, qui trouvera là de la superfétation et du luxe ? Qui sera tenté de soutenir que savoir bien parler sa langue, être capable de l’écrire suivant la portée de son intelligence, enfin entrer en communication directe et absolue avec les plus beaux génies de son pays, ne devrait pas être le but principal d’une éducation vraiment nationale ?

  1. Cet opuscule, publié en 1873, formait l’Introduction d’un Cours historique de Langue française qui ne fut pas continué. M. Marty-Laveaux donna seulement la Grammaire élémentaire et la Grammaire historique.
  2. Préface du Dictionnaire de l’Académie française, sixième édition, publiée en 1835, p. XX.
  3. Abbrégé de l’art poétique François. À Alphonce Delbene, abbé de Hautecombe, en Savoye. — Paris, G. Buon, 1565, in-4o, feuillet 4, verso.

    Dans toutes les citations de notre Cours historique de langue française nous reproduisons scrupuleusement l’orthographe, l’accentuation et la ponctuation adoptées par chaque auteur, et, pour les œuvres posthumes, celles de l’édition où elles ont paru pour la première fois.

  4. Histoire de la Vie et des Ouvrages de Molière, par M. J. Taschereau, 3e édition, page 41.
  5. Œuvres de J. Racine, édition de M. P. Mesnard, tome II, page 133.
  6. Abbrégé de l’art poétique François, feuillet 4, verso.
  7. Cette lettre, adressée par Racine à La Fontaine, a paru pour la première fois au tome III (p. 324), des Œuvres diverses de ce dernier. (Paris, Didot, M.DCC.XIX.)
  8. Acte I, scène iii.
  9. Imprimé à Paris pour Arnoul l’Angelier, 1549, in-8o. — Cet ouvrage se trouve au commencement du tome I de notre édition des Œuures françoises de Joachim du Bellay.
  10. À Paris, par Mamert Patisson, M.D.LXXIX, in-8o.
  11. Préface de : Le Dictionnaire de l’Académie françoise, dédié au Roy. — Paris, Coignard, M.DC.LXXXXIV, 2 vol. in-fol.
  12. Abrégé d’un Cours complet de lexicographie, à l’usage des élèves de la cinquième classe de l’École polymathique (Abrégé d’un Cours complet de lexicologie, à l’usage des Élèves de la quatrième classe de l’École polymathique) par P. R. F. Butet (de la Sarthe), Directeur de cette École. — Paris, Renouard, 1801, 2 vol. in-8o.

    Dictionnaire des racines et dérivés de la langue française, dans lequel on trouve tous les mots distribués par familles… par Frédéric Charassin, avec la collaboration de Ferdinand François. — Paris, A. Hévis, 1842, gr. in-8o.

    Vocabulaire raisonné des principaux éléments créateurs de la langue française… par F. Poulet-Delsalle. — Lille, E. Vanackere (1853). In-8o.

  13. Dictionnaire mnémonique universel de la langue française, par Léger Noël — Boulevard Poissonnière, 14. 1857. In-8o (non terminé).

    Dictionnaire idéologique, recueil des mots, des phrases, des idiotismes et des proverbes de la langue française, classés selon l’ordre des idées, par T. Robertson — Paris, Derache, 1859, in-8o.

    Dictionnaire analogique de la langue française, répertoire complet des mots par les idées et des idées par les mots… par P. Boissière. — Paris, Larousse, 1862, gr. in-8o.

  14. Paris, Dezobry, 1858, in-12.
  15. Les Femmes sçavantes, acte III, sc. ii.
  16. À Paris, chez Augustin Courbé, in-4o.
  17. Préface, § XII.
  18. Les Femmes sçavantes, acte II, scène vi.
  19. Préface, § II.
  20. À Paris, chez Pierre le Petit, M.DC.LX, in-12.
  21. Préface, § 4.
  22. Considérations sur l’Éloquence françoise de ce temps. — Paris, S. Cramoisy, M.DC.XXXVIII, in-8o, p. 43.
  23. Grammaire de la langue française ramenée aux principes les plus simples. — Paris, Belin, 1860, in-12, p. 3 et 15.
  24. De la grammaire en France, en tête de la Grammaire nationale, par MM. Bescherelle et Litais de Gaux, 4e édition. — Paris, Simon, 1847, gr. in-8o, p. 6.
  25. Voyez ci-dessus page 18.
  26. Œuvres de Condillac. Paris, Houel, 1798 t. IV, p. 211.
  27. Court complet de langue française, par M. Guérard, deuxième partie. Grammaire et compléments, 15e édition, 1867, p. 41, note 1.
  28. Voyez, ci-après, pages 76 et 77.
  29. Livre II, fable 5.
  30. Quelques mots sur l’Instruction publique en France, par Michel Bréal. — Paris, Hachette, 1872, p. 46.
  31. Racine. Livres annotés, tome VI, p. 307, édition de M. Mesnard.
  32. Racine. Des saints Martyrs d’Alexandrie, tome V, p. 590.
  33. Acte I, sc. vii.
  34. Examen critique des Dictionnaires de la langue françoise. — Paris, Delangle frères, 1829, in-8o, p. 248.
  35. « Nos ancêtres disoient grand avec un t, tant au féminin qu’au masculin… ils dirent grand avec un d aussi bien que grant avec un t et les joignoient ensemble avec les substantifs féminins sans apostrophe. »

    Œuvres diverses de M. Patru, 4e édition. — Paris, N.-P. Armand, M.DCC.XXII, in-4o, tome II, p. 584.

  36. Édition de 1647, pages 517 et 518.
  37. Examen critique des dictionnaires de la langue françoise. — Paris, Delangle frères, 1829, in-8o, p. 29.
  38. Édition de 1647, p. 12.
  39. Voyez p. 39.
  40. De la négation dans les langues romanes du midi et du nord de la France. — Paris, Didot, 1852, in-8o.
  41. Origine et formation de la langue française. — Paris, 1853–1857, 3 vol. in-8o, t. III, p. 334 et suivantes.
  42. Liv. IV, Fable XVI.
  43. A l’Oliuier de Robert Estienne (1557), in-8o.
  44. Par toi, fet-il, ce croi-geo bien,
    Car nus estuet fère vne rien.
    (Poésies de Marie de France, publiées par B. de Roquefort. — Paris, Chasseriau, 1820, 3 vol. in-8o, t. I, p. 290.)
  45. Voyez notre édition des Œuvres de P. Corneille, t. I, p. 4.
  46. Cahiers de Remarques sur l’orthographe françoise, pour estre examinez, par chacun de Messieurs de l’Académie, publiés par Ch. Marty-Laveaux. — Paris, Gay, 1863, in-18, pages XIV–XXIII.
  47. Observations sur l’orthographe française, suivies d’un exposé historique des opinions et des systèmes sur ce sujet depuis 1527 jusqu’à nos jours, par Ambroise-Firmin Didot. — Paris, Ambroise-Firmin Didot, 1867, in-8o.
  48. Le vil troupeau de ce grossier vulgaire
    Qui à l’honneur d’vn faux respet fait scorte.
    (Pontus de Tyard, Erreurs amoureuses, livre III, pièce XXI. p. 317 de notre édition.)

    « Il lui a pleu auoir respet non sulemant a mon eage mais a mon desir. » (Montaigne, Lettre du 18 janvier 1590 à Henry IV.)

  49. Ce peuple cependant, fort souvent en furie
    Pour la Dame étrangère ayant peu de respec,
    Luy donnoit fort souvent d’horribles coups de bec
    (La Perdrix et les Cocs. — Livre X, fable vii.)
  50. Page XII–XV.
  51. Origine et formation de la langue française, tome I, p. 214.
  52. Origine et formation de la langue française, tome II, p. 33.
  53. Mémoires inédits et opuscules de Jean Rou, publiés par Francis Waddington. — Paris, 1857, tome II, page 209.
  54. Voyez Dictionnaire des doublets ou doubles formes de la langue française, par Auguste Brachet. — Paris, Franck, 1868, in-8o, pages 7 et 49.
  55. Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme, par Francis Meunier. — Paris, Durand, 1857, 8o. — Thèse soutenue devant la Faculté des lettres de Paris.
  56. Pierre Bersuire et sa traduction de Tite-Live considérée comme monument de la formation savante de la langue française au XIVe siècle, par Léopold Pannier (dans les positions des thèses soutenues par les élèves de l’École des Chartes, de la promotion 1867–1868). — Paris, S. Raçon, 1868, in-8o.
  57. Je l’ai prouvé par quelques exemples dans un compte rendu que j’ai fait de l’ouvrage de M. Menier. (Bibliothèque de l’École des Chartes, 19e année, p. 97.)
  58. Œuvres de Rabelais, publiées par Ch. Marty-Laveaux. Paris, Lemerre, tome I, page 241.
  59. Voyez Recueil de rapports sur l’état des lettres et les progrès des sciences en France. Sciences historiques et philologiques. Progrès des études classiques et du moyen-âge (par M. Guigniaut) Paris, 1868, 8e, pages 118–121.