Études de langue française/Ch. Marty-Laveaux

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 1-4).

Ch. MARTY-LAVEAUX

L’un de nos plus anciens confrères. M. Charles-Joseph Marty-Laveaux, vient de nous être subitement enlevé, le 11 juillet 1899, à Vitry-sur-Seine. Il était né à Paris, le 15 avril 1823. Ses funérailles ont eu lieu le 13 juillet dans la plus stricte intimité. Telle avait été la volonté formelle du défunt. L’École des Chartes et la Société de l’École ont vivement regretté de n’être pas représentées à cette triste cérémonie. Je l’ai tout particulièrement regretté. J’aurais voulu rendre un dernier hommage à la mémoire d’un camarade, d’un collègue et d’un ami, près duquel j’ai vécu et travaillé pendant plus de cinquante années.

Cet hommage doit, sans plus tarder, lui être rendu dans un recueil auquel il a jadis donné plusieurs travaux remarquables.


Charles Marty-Laveaux, par un excès de modestie, s’est toujours tenu sur les seconds plans : mais les services de genres très variés qu’il a rendus, pour n’être pas connus d’un grand public, n’en sont pas moins réels et ne sauraient être oubliés.

L’École des Chartes s’honore de l’avoir compté parmi ses élèves, et la Société de l’École n’a pas eu, pendant bien des années, de membre plus actif et plus dévoué.

Marty-Laveaux appartenait à celle promotion de l’École dont les études furent profondément troublées par un fâcheux concours de circonstances. Les jeunes gens qui avaient suivi en 1846 le cours de paléographie de Guérard ne purent guère profiter des bienfaits de l’ordonnance du 31 décembre 1846, qui avait réorganisé l’École sur des bases beaucoup plus larges que par le passé. Les cours de deuxième année commencèrent à la mi-mai 1847 et se terminèrent à la fin de juillet. Quant à ceux de troisième année, ouverts au mois de novembre, ils s’interrompirent à la fin de février 1848 et furent à peine repris de temps à autre pendant le printemps et l’été qui suivirent. L’enseignement de l’École n’en exerça pas moins une influence salutaire et durable sur l’esprit de Marty-Laveaux et sur la direction de ses travauux.

Nourri dès son enfance des souvenirs de son grand-père maternel, le grammairien Laveaux, il était encore sur les bancs quand il donna une nouvelle édition du Dictionnaire des difficultés de la langue française. Le goût inné qu’il avait pour les études grammaticales s’affermit et s’affina grâce aux conseils et aux encouragements d’un de ses professeurs, François Guessard, dont il devint bientôt l’un des plus intimes amis, et auquel il a payé depuis sa dette de reconnaissance en retraçant, dans une notice émue, le caractère d’un maître bien-aimé, et en rappelant les travaux qui lui avaient valu une juste célébrité. Il n’avait cependant pas encore trouvé sa voie quand il sortit de l’École au mois de janvier 1849, après avoir soutenu une thèse sur le grammairien Virgilius Maro.

Appelé à prendre part en 1852 a la rédaction du Catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, il se fit remarquer par des habitudes d’ordre et de précision dont tous ses travaux portent l’empreinte. Il devint bientôt le chef-adjoint du bureau du Catalogue, et il serait à coup sûr arrivé à un grade plus élevé s’il ne s’était pas décidé, en 1862, à quitter la Bibliothèque, pour se ménager un peu de liberté et de loisir, de façon à poursuivre des travaux sur la littérature française, qui avaient toujours eu pour lui un attrait particulier.

En 1853, il avait donné dans la Bibliothèque de l’École des Chartes un Essai sur la langue de La Fontaine, prélude d’une édition très soignée des œuvres du grand fabuliste et conteur, qui parut de 1856 à 1860. Il remporta en 1858 le prix que l’Académie française avait proposé pour un Lexique de la langue et du style de Corneille. Il s’était ainsi préparé de longue main à publier la monumentale édition des œuvres de P. Corneille qui a pris place dans la Collection des Grands écrivains de la France.

La Littérature du XVIe siècle n’était pas moins familière à Marty-Laveaux que celle du XVIIe. Il l’a prouvé par les soins qu’il a donnés à une édition de Rabelais et surtout par l’exécution de cette belle édition des Poètes de la Pléiade, à laquelle il a joint, en 1896 et 1898, un appendice intitulé : La Langue de la Pléiade. Le meilleur juge d’un tel travail l’a loué dans des termes qu’il faut citer pour n’en pas affaiblir la portée :

« La belle édition des Poètes de la Pléiade, disait récemment M. Gaston Pâris, vient de recevoir son couronnement par ces deux volumes consacrés à la langue de la Pléiade. On ne peut concevoir sur cet intéressant sujet un travail plus satisfaisant, mieux compris, plus facile à consulter, plus sobre et en même temps plus complet… Ce livre apporte à l’histoire du français littéraire, pour le XVIe siècle, une contribution de premier ordre… ; il fait autant d’honneur au jugement et au goût de l’auteur qu’à sa conscience et à son savoir[1]. »

Les labeurs qu’exigeaient la préparation et l’impression d’œuvres aussi considérables et aussi consciencieuses n’empêchèrent jamais M. Marty-Laveaux de remplir avec ponctualité les devoirs que lui imposaient les missions dont il fut chargé depuis sa sortie de la Bibliothèque : à l’École des Chartes, dont il fut secrétaire-trésorier de 1868 à 1872 ; — au Comité des travaux historiques, pour lequel il rédigea de nombreux rapports, toujours très étudiés, sur diverses communications relatives à l’histoire littéraire du XVIe et du XVIIe siècle ; — dans les Commissions d’examen à l’Hôtel de Ville et dans une chaire de littérature instituée pour les aspirantes au brevet supérieur.

L’Académie française, qui l’avait choisi comme auxiliaire et archiviste, conservera le souvenir de la collaboration qu’il a apportée aux dictionnaires et à l’édition des procès-verbaux du XVIIe et du XVIIIe siècle ; elle lui restera reconnaissante de la générosité avec laquelle il lui abandonna de précieux matériaux amassés en partie par Raynouard et par Guessard.

On voit tout ce qu’a produit sans bruit et avec une sage lenteur, le confrère dont une mort soudaine vient de nous séparer.

Puisse la famille de Ch. Marty-Laveaux, digne d’un chef dont elle était justement fière, trouver quelque consolation dans la pensée que son deuil est partagé par de nombreux amis, et que la vie dont j’ai simplement esquissé quelques traits sera citée comme exemple d’une carrière noblement et utilement remplie !


LÉOPOLD DELISLE.

Extrait de la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LX, 1899.
  1. Journal des Savants, 1898, p. 318.