ÉTUDES
D’HISTOIRE COMPARÉE
SUR L’AFRIQUE.[1]

iii
L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

Je veux rechercher dans les œuvres de saint Augustin les traits du caractère moral et politique de l’Afrique au IVe et au Ve siècle, et surtout les traits généraux qui sont propres à l’Afrique de tous les temps et qui peuvent nous servir à mieux comprendre ce pays, qui doit être notre étude de tous les jours, puisqu’il est désormais notre patrimoine.

S’il y a dans l’histoire du monde un temps qui puisse être appelé le règne de l’église chrétienne, c’est assurément le IVe et le Ve siècle après Jésus-Christ. Au Ve siècle, les hérésies, les disputes théologiques, les travaux de saint Jérôme ou de saint Augustin, l’éloquence et les disgraces de saint Chrysostôme préoccupent les esprits plus que les épouvantables malheurs de l’invasion barbare. Alaric et Attila frappent et exterminent les hommes plus encore qu’ils ne les occupent, et ceux même qui semblent tourner leurs pensées vers de pareilles catastrophes, ne les considèrent que comme les signes précurseurs du jugement dernier[2]. Ils s’inquiètent plus de rechercher si les soixante-dix semaines de Daniel, qu’ils appliquent au second avénement du Christ, sont près d’être accomplies, que de raconter les malheurs de l’empire. Ils ne citent ces malheurs qu’en passant et comme une vérification des paroles de l’Évangile[3]. Enfin, les calamités du monde servent d’argumens théologiques plutôt que de sujets de plaintes et de lamentations.

L’Afrique, à cette époque, était moins affligée que les autres provinces de l’empire, et elle servait de refuge aux familles romaines chassées de l’Italie par les barbares. Jusqu’à l’invasion des Vandales, en 424, elle échappa aux malheurs qui désolaient le monde. Elle avait ses barbares intérieurs, les Maures, les Garamantes, les Austuriens, qui, de temps en temps, venaient piller les riches domaines que les citadins d’Hippone, de Carthage ou de Leptine avaient dans l’intérieur des terres ; mais ces courses de pillards ne ressemblaient pas à ces invasions des barbares du Nord qui chassaient devant eux les habitans des provinces de l’empire ou les réduisaient en esclavage. Ç’a été d’ailleurs de tout temps le caractère de l’Afrique septentrionale d’avoir dans son sein la barbarie à côté de la civilisation, et de les faire vivre l’une à côté de l’autre, sans que jamais la barbarie des tribus du désert ou des montagnards de l’Atlas ait pu anéantir la civilisation des villes des bords de la mer, sans que jamais non plus les Carthaginois et les Romains aient pu vaincre ou aient pu corrompre la barbarie africaine.

Ce qu’ils n’ont pu faire, n’espérons pas que nous le ferons ; ne l’essayons même pas. Sous la France, comme sous Rome et sous Carthage, la civilisation aura les villes de la côte ; elle aura autour de ces villes une ceinture plus ou moins large de terres cultivées ; au-delà commencera la vie barbare ou la vie nomade. Au bord de la mer, les citadins, et là, l’industrie, le luxe, l’administration et la police européennes ; plus loin, entre la côte et les montagnes ou le désert, les colons européens plus ou moins simples, plus ou moins rudes, dans leur genre de vie, selon qu’ils seront plus voisins du littoral ou des montagnes, population intermédiaire entre la civilisation et la barbarie, qui sera la force ou la faiblesse du pays, et dont l’organisations est, selon moi, le secret de la Providence. Dans les montagnes, les Cabyles et les Arabes, tantôt commerçant avec les colons et tantôt pillant leurs terres, payant le tribut quand ils ont peur de nos soldats, et reprenant le tribut par le vol quand nous paraissons sommeiller ; enfin, plus loin et sur la lisière du désert, des tribus trop éloignées ou trop mobiles pour offrir une prise à la conquête, fanatisées de temps en temps par quelque marabout ou par quelque chef ambitieux, et nous faisant la guerre sainte : voilà les diverses populations qui ont été et qui seront de tout temps distribuées dans l’Afrique septentrionale, ayant chacune leur zone, mais une zone qui tantôt s’élargit et tantôt se rétrécit selon le temps et selon les occasions. L’art du gouvernement, c’est d’établir entre ces diverses populations les rapports que comporte leur état différent et de se garder de viser à l’unité.

Dans les villes, l’administration européenne est à sa place, quoi qu’il soit à propos peut-être de la rendre un peu moins paperassière. Le papier administre passablement bien les intérêts des vieilles sociétés, qui sont lentes et compliquées, où il y a beaucoup de droits acquis ; et où il s’agit plutôt de maintenir que de faire. Or, le papier a l’avantage de ne rien faire et de ne rien déranger. Il discute, il examine, il est très favorable au statu quo. Mais dans les jeunes sociétés, qui sont simples et actives, et où il s’agit de créer plutôt que de conserver, le papier nuit plus qu’il ne sert.

Hors des villes et quand on arrive à la zone des colons européens, c’est là surtout qu’il faut oublier les traditions de l’administration européenne. Il n’y a là rien qui ressemble à une commune de la Beauce ou de la Picardie, ayant son maire et son adjoint. Les colons doivent former un camp plutôt qu’un village et être moitié cultivateurs et moitié soldats. Si nos colons sont une population purement agricole et qui croit qu’il y a à Alger, à Bone, à Oran, des troupes chargées de les protéger et de les défendre, ou bien s’ils sont, ce qui est pis, une population de spéculateurs qui vendent et revendent les terres, et qui s’occupent peu de les cultiver, ou bien encore si les colons ne sont que des cabaretiers et des brocanteurs à la suite de l’armée, cette population sera une cause de faiblesse, au lieu d’être une cause de force. Il faudra la défendre, et la défendre çà et là, partout où elle sera établie, si bien que la guerre sera faite au gré des fantaisies ou des calculs de la spéculation, et que nos soldats iront se faire tuer, non pour occuper une position stratégique, mais pour défendre un domaine acheté hier pour être vendu demain. Ce seront les notaires et non les généraux qui décideront de la marche de l’armée. Point de colons de ce genre ; il faut des colons qui sachent faire le coup de feu et qui l’aiment, des colons qui, comme ceux dont Cooper dans ses romans nous a raconté un peu longuement les aventures, soient toujours prêts à être éveillés par le cri de guerre des Arabes, non moins terrible que celui des Indiens.

Ces colons n’auront ni la vie, ni les idées, ni les mœurs des citadins ; ils auront les mœurs que leur feront le climat, le travail et le danger. Mais ce sont eux qui serviront d’intermédiaires entre les Européens de la côte et les Cabyles ou les Arabes. Ne croyez pas d’ailleurs que cette vie mêlée de travail et de péril, ne croyez même pas que ce voisinage et peut-être cette imitation de la vie barbare soient antipathiques au caractère français. J’ai lu dans l’histoire du Canada, de cet empire que la France avait fondé presque sans y penser et sans s’en occuper, laissant les colons à eux-mêmes et aux ressources que crée la nécessité, j’ai lu qu’il y avait des officiers français qui s’étaient fait adopter par les Indiens et qui vivaient parmi eux. Il n’y avait dans cette résolution aucun caprice de misantropie ou de mélancolie factice ; ils s’étaient laissé prendre à ce qui dans les habitudes de la vie sauvage s’accorde avec les penchans du caractère français, le goût de l’aventure et de l’expédition. Ces penchans peuvent encore beaucoup aider à l’œuvre de la colonisation en Afrique ; et pourvu que le gouvernement en Afrique ne prétende pas à trop d’uniformité, pourvu que nous laissions les choses et les hommes suivre quelque peu leur train naturel, nous aurons aussi nos pionniers parmi les colons, c’est-à-dire nos éclaireurs et nos gardes avancées, qui auront un genre de vie moitié arabe et moitié européen ; et, sachons-le bien, moins ces éclaireurs tiendront de l’Europe, plus les Cabyles et les Arabes seront tentés de se rapprocher d’eux et de former ainsi, en s’unissant à eux, une population mixte qui sera le véritable boulevard de l’Afrique civilisée contre les tribus tout-à-fait barbares du désert ou de la montagne.

Je trouve dans une lettre adressée à saint Augustin par Publicola, qui habitait le pays des Arzuges[4], quelques renseignemens qui montrent le genre de rapports que les Romains des Arzuges avaient avec les barbares. Publicola, chrétien fort scrupuleux, avait des inquiétudes sur le mélange perpétuel des colons avec les barbares, qui étaient idolâtres, et sur les péchés que pouvait commettre un chrétien en les prenant à son service ou en faisant commerce avec eux. Il consulte saint Augustin sur ce cas de conscience, et cette consultation devient un curieux tableau des mœurs de cette population intermédiaire que la nécessité crée toujours dans les colonies entre la barbarie indigène et la civilisation étrangère. Dans les Arzuges, les barbares servaient aux colons de commissionnaires et d’expéditeurs pour transporter leurs denrées ou leurs marchandises ; ils étaient les conducteurs des caravanes, comme le sont encore aujourd’hui particulièrement les habitans du Fezzan ; souvent aussi ils s’engageaient à défendre les récoltes des colons contre les incursions des tribus tout-à-fait barbares[5], ou bien ils conduisaient le voyageur et le garantissaient de toute insulte. Ces conventions se faisaient ordinairement entre les barbares et les colons, sans l’intervention d’aucune autorité publique ; parfois aussi le tribun ou le décemvir chargé de la garde de la frontière[6] faisait lui-même la convention, soit que le tribun traitât, pour ainsi dire, au nom des colons avec une tribu indépendante qui s’engageait à défendre la terre des Romains, soit que ce tribun fût lui-même le gouverneur et le préfet de tribus qui s’étaient soumises ou alliées aux Romains. Tel était, en effet, selon saint Augustin[7], l’état des populations barbares limitrophes de l’empire. Les unes étaient restées indépendantes et païennes ; les autres avaient reçu un préfet romain, et, parmi ces tribus, il y avait souvent quelques chrétiens.

Quand les barbares faisaient leurs conventions avec les colons, ils juraient par le nom de leurs dieux ou de leurs démons, et c’est là ce qui inquiète la conscience de Publicola. Un chrétien peut-il, sans péché, prendre part à une convention consacrée par un serment de ce genre ? Le voyageur que les païens conduisent, les marchandises qu’ils ont transportées, les récoltes qu’ils ont défendues, ne sont-ils pas souillés ? Dans ses scrupules, Publicola irait jusqu’à interrompre toute relation avec les barbares, parce qu’ils sont idolâtres ; il ne voudrait manger ni du blé qu’ils ont moulu ou plutôt écrasé (area trituratoria), ni de l’huile qu’ils ont pressée (aut torculari), ni de la viande qu’ils apportent au marché, parce qu’ils en ont peut-être offert une partie à leurs idoles ; il ne voudrait même pas, dans le désert, boire à la source ou au puits qu’ils ont consacré à leurs dieux. Saint Augustin éclaire et rassure sa conscience sur ces divers point : « Je plains le barbare qui jure par les faux dieux, dit saint Augustin, mais je le plains surtout s’il manque à son serment, et j’aime mieux le serment fait aux faux dieux, s’il est respecté, que le serment fait au vrai Dieu s’il est violé… Vous craignez de pécher en jouissant de la paix que font avec vous les barbares, parce qu’ils la consacrent par un serment ; mais, avec ce scrupule, je ne sais pas dans quel coin de la terre nous pourrons vivre ; car ce n’est pas seulement sur la frontière des Arzuges que nous avons une paix consacrée par le serment des idolâtres, c’est dans tout l’empire. Si nous croyons à la souillure des récoltes qu’ils ont juré de défendre, croyons aussi alors à la profanation de tous les biens de la paix, car la paix est fondée partout sur leurs sermens… Ne craignez pas non plus de boire au puits où les barbares ont pris de l’eau pour leurs sacrifices : craignez-vous de respirer l’air ? et pourtant l’air reçoit la fumée de tous les sacrifices qui se font sur les autels des démons. N’honorons pas les faux dieux ; mais, quand nous appliquons à l’usage du peuple ou à l’honneur de Dieu les choses consacrées aux faux dieux, sachons que nous faisons des choses comme des hommes eux-mêmes, que nous convertissons au vrai Dieu, d’impies et d’idolâtres qu’ils étaient auparavant[8]. »

Je cite avec plaisir ces belles paroles de saint Augustin, parce qu’elles montrent que, loin d’interrompre les relations établies entre les colons et les barbares, il les autorisait, en dépit des scrupules de Publicola, comprenant bien, grace à cet esprit de gouvernement que l’église a toujours eu, que les colons ne pouvaient vivre près des barbares que s’ils s’accommodaient à leurs mœurs et à leurs usages. Il visait à la conciliation plutôt qu’à l’extermination, qui est cruelle et impossible. Il savait aussi que dans ce mélange des barbares et des Romains, des païens et des chrétiens, ce n’était pas la barbarie païenne qui l’emporterait sur la civilisation chrétienne. Le christianisme et la civilisation devaient attirer peu à peu les barbares. Tout aidait à ce but. La guerre elle-même et les incursions des tribus tout-à-fait indépendantes sur les terres des Romains n’empêchaient pas les progrès du christianisme. Souvent les prisonniers que faisaient les barbares servaient d’apôtres à leurs vainqueurs ; les esclaves convertissaient les maîtres. Saint Augustin raconte à ce propos l’histoire d’une femme de Sétif qui fut emmenée captive par les barbares, et qui d’abord fut très maltraitée ; mais les trois fils du Maure dont elle était l’esclave étant tombés malades, deux moururent, et leur mère, qui voyait son esclave prier Dieu sans cesse avec une ferveur qui lui adoucissait les tourmens de la servitude, lui demanda, puisque son Dieu était si puissant, de l’implorer pour qu’il sauvât son dernier enfant. La chrétienne se mit en prières, et, l’enfant ayant guéri, toute la famille se convertit.

Voilà donc, au Ve siècle de l’ère chrétienne, la vie des colons qui sont voisins des barbares. Ils vivent avec eux, voyagent sous leur garde, les prennent pour soldats et pour défenseurs, souvent aussi pour ouvriers ou pour messagers, et ils reçoivent sans scrupule les sermens que ceux-ci leur font au nom de leurs faux dieux. Parfois une incursion des Maures indépendans vient troubler ce régime de paix. Alors les champs sont pillés, les femmes et les enfans sont emmenés captifs. Ce sont là les accidens de la vie des colons, accidens qui sont de tous les temps de la domination romaine, des jours d’Auguste comme des jours de Constantin, et qui durèrent tant qu’a duré la possession romaine, parce qu’il y a en Afrique un vieux fonds de barbarie que rien n’a jamais pu dompter. Les Romains, désespérant de le vaincre, avaient pris le parti de le supporter, tantôt faisant une guerre vive et acharnée à ces tribus indépendantes quand elles devenaient trop incommodes par leurs courses, tantôt traitant avec elles et rachetant les femmes et les enfans prisonniers. Ainsi nous voyons, en 401, au concile de Carthage, les évêques de la Mauritanie demander s’il fallait baptiser les enfans qu’on rachetait des barbares, ne sachant pas s’ils avaient été baptisés autrefois. L’Afrique romaine rachetait sans scrupule ses captifs de l’Afrique barbare, comme l’Europe chrétienne a long-temps aussi racheté les esclaves que faisaient les pirates barbaresques.

En faisant le tableau de la vie des colons en Afrique dans le Ve siècle de l’ère chrétienne, sous saint Augustin, après plus de cinq cents ans de domination romaine, je ne veux pas donner cet état de choses pour un modèle qu’il faille désespérer de surpasser. Je veux seulement, à l’aide des conseils de l’histoire, calmer les plus impatiens de nos civilisateurs. Je veux montrer que la sécurité de la vie européenne est une chimère en Algérie, après douze ans à peine de domination française, puisqu’après cinq cents ans de domination Rome avait encore des colons pillés, des femmes et des enfans emmenés captifs. Nous pouvons faire mieux que les Romains ; mais, pour faire mieux qu’eux, il faut d’abord faire comme eux ; il faut, pour les surpasser, commencer par les imiter, et les imiter surtout dans cette sagesse qui ne veut pas l’impossible.

Les détails que nous trouvons dans les œuvres de saint Augustin sur l’Afrique civilisée ne sont pas moins curieux que ceux que nous trouvons sur l’Afrique barbare, et ils sont plus nombreux. Nous ne prendrons que ceux qui nous sembleront caractériser la nature africaine, telle qu’elle se montre sous l’enveloppe de la civilisation romaine. En effet, ce n’est pas la civilisation du monde au Ve siècle que nous voulons étudier, c’est l’Afrique, tantôt sous sa forme barbare, tantôt sous sa forme civilisée.

Carthage n’a jamais eu rien de la Grèce : la Grèce en Afrique n’avait jamais été au-delà de Cyrène ; c’est là qu’elle s’était arrêtée, et cette civilisation grecque si vive et si remuante, qui s’était partout installée sur les côtes de la Méditerranée, depuis la Gaule jusqu’à la Crimée dans le Pont-Euxin, n’avait pas pu, en Afrique, s’avancer au-delà de la grande Syrte. Carthage, soit par ses anciens fondateurs, soit par ses nouveaux (Auguste l’avait rebâtie vingt-neuf ans avant Jésus-Christ), Carthage était tout-à-fait étrangère aux idées et aux mœurs de la Grèce ; elle était aussi latine par le langage ; peu de personnes y savaient le grec : « Nous n’avons pas, nous autres Africains, dit saint Augustin, assez d’habitude de la langue grecque pour être capables de lire et d’entendre les livres que les Grecs ont écrits sur la Trinité[9]. » Cette ignorance de la langue grecque a donné aux doctrines religieuses et aux hérésies venues de l’Afrique un caractère tout particulier.

Construite par les Romains au plus beau moment de la civilisation romaine, Carthage n’avait point eu les tâtonnemens des villes naissantes ; elle n’en avait pas non plus la physionomie. Ses rues et ses places étaient larges et alignées, bâties avec uniformité et symétrie, comme bâtissent les peuples civilisés[10] ; elle avait aussi le genre d’industrie des peuples civilisés : elle était manufacturière et fabriquait des étoffes précieuses ; ses plaisirs étaient aussi ceux d’une vieille société plutôt que d’un peuple encore récent. Elle aimait passionnément le spectacle ; c’était un goût qui lui venait de Rome, sa fondatrice, et les spectacles qu’elle aimait surtout étaient, comme ceux de Rome, des combats de gladiateurs et des combats d’animaux. Les Carthaginois assistaient à ces jeux avec une avidité incroyable ; les spectateurs prenaient parti tantôt pour un gladiateur, tantôt pour un danseur, et le spectacle finissait parfois par une émeute[11]. Saint Augustin avait ressenti l’empire que ce goût du spectacle avait sur les Africains. Jeune, il avait suivi le théâtre avec ardeur, et même il aimait aussi à jouer la comédie[12]. Vieux, le spectacle faisait parfois concurrence à ses sermons, et le peuple quittait l’église pour aller au théâtre. « Vous êtes venus en petit nombre aujourd’hui, dit-il dans un sermon prononcé un jour de spectacles, mais, si vous avez bien entendu, le nombre est assez grand[13]. » Dans cette population, avide de plaisirs, les jeunes gens du cirque qui donnaient le ton à la folie publique et qui étaient à la fois les plus licencieux et les plus élégans, avaient, comme toujours, pris ou reçu un sobriquet dont ils tiraient vanité : ils s’appelaient les renverseurs, eversores. Ce sont les ancêtres des roués et des lions.

Il n’y avait à Carthage qu’une chose qui balançât le goût du plaisir, c’était le commerce. Le vieil esprit carthaginois semblait revivre dans ses murs. La mer tentait et excitait toujours l’activité des habitans de Carthage. Auguste, son fondateur, avait fait creuser un port excellent, plein de sécurité[14], et ce port attirait de tous côtés, à Carthage, les vaisseaux qui craignaient les naufrages redoutés de la mer d’Afrique, et cette côte sans ports[15]. Les objets du commerce de Carthage étaient les étoffes qu’elle fabriquait ou qu’elle teignait, les bestiaux, les esclaves, les fruits et le blé[16]. Comme le blé de l’Afrique était destiné à nourrir le peuple de Rome et de Constantinople, ce commerce était assujéti à des règles très sévères. Une société particulière (navicularii) avait l’entreprise du transport du blé, et elle répondait des naufrages, à moins qu’elle ne justifiât que la perte avait été causée par la violence de la tempête et non par la faute de l’équipage. Mais alors les déclarations des matelots étaient vérifiées à l’aide de la torture. Quand un des membres de la société des naviculaires mourait, ses héritiers étaient forcés d’entrer dans la même charge, et ce fut la rigueur de ces conditions qui décida saint Augustin à répudier la succession de Boniface, habitant d’Hippone, un des plus riches naviculaires du temps, qui avait laissé tous ses biens à l’église. « Je n’ai pas voulu, dit saint Augustin, faire de l’église du Christ une actionnaire de la compagnie ; je n’ai pas voulu, s’il y avait un naufrage, qu’elle fût obligée de livrer à la torture les matelots à peine échappés à la mort[17]. » Malheureusement les prêtres n’avaient pas tous les scrupules de saint Augustin. Ainsi nous voyons un évêque, Paul de Cataqua, faire de grandes entreprises avec le trésor public, protégé par Bathanaire, comte d’Afrique, beau-frère de Stilicon, et c’était Bathanaire qui lui avait fait adjuger ces entreprises. Cependant, soit qu’à cette époque Dieu ne bénît pas les fournisseurs, soit qu’alors, comme de nos jours, il ne fût pas toujours commode de faire des affaires avec l’état, Paul se ruina, et le scandale de sa faillite le força de se démettre de son épiscopat, qu’il avait gardé malgré les sévères admonitions de saint Augustin. Il y avait aussi des prêtres qui se faisaient receveurs du trésor public, d’autres intendans des grandes familles[18]. Ces exemples montrent combien l’esprit de négoce était puissant en Afrique, et surtout dans les villes maritimes, comme Carthage et Hippone, puisque le clergé même ne s’en défendait pas.

Les esclaves étaient, alors comme toujours, un des principaux objets du commerce de l’Afrique, et cela seul eût suffi à saint Augustin pour éloigner l’église de toute espèce de trafic. L’église chrétienne, dans les premiers siècles, n’a jamais proclamé l’abolition de l’esclavage, car l’esclavage était une des formes de la propriété, mais elle a tout fait pour discréditer ce genre de propriété ; elle n’a pas prêché l’abolition de l’esclavage aux esclaves, mais elle a prêché l’affranchissement aux maîtres. Quiconque entrait dans le clergé devait affranchir d’abord ses esclaves. Ainsi nous lisons, dans un de ces comptes-rendus de son administration épiscopale, que saint Augustin faisait de temps en temps devant le peuple d’Hippone, nous lisons tantôt que tel ou tel laïque a émancipé ses esclaves devant toute l’assemblée, avant de prendre le diaconat, tantôt que les esclaves d’un autre sont entrés avec lui dans le monastère, comme ses frères et non plus comme ses esclaves, mais qu’il va aujourd’hui les émanciper solennellement par l’autorité de l’évêque. Ailleurs, il y avait un sous-diacre qui avait encore des esclaves ; mais saint Augustin se hâte d’expliquer au peuple que ces esclaves dépendent d’une succession dont le partage n’est point encore fait. Une fois le partage fait, les esclaves seront affranchis, et ils entreront, comme libres, dans le monastère, qui les nourrira[19].

L’église, en effet, ne s’inquiète pas seulement d’affranchir les esclaves, elle s’occupe aussi de les nourrir : elle sait que la liberté sans pain est un triste présent. Aussi, quand d’une main elle essaie d’ouvrir les chambres ou les prisons des esclaves (ergastula), ou plutôt quand elle persuade aux maîtres de les ouvrir, de l’autre elle ouvre aux esclaves l’asile des monastères. Ils y trouvent la liberté, car ils ne sont plus assujétis qu’à Dieu et à la loi qu’ils ont acceptée. Ils y trouvent l’égalité avec leurs maîtres, car ils vivent avec eux sous la même règle ; ils y trouvent enfin le pain sans humiliation. Voilà l’affranchissement comme l’entend l’église, sage, régulier, qui ne jette pas tout à coup dans la société une population indigente et factieuse, qui ne fait pas que l’esclave, dépourvu plutôt qu’affranchi, se plaint de ne trouver que la misère sous le nom de liberté, et regrette l’abondance que lui faisait la servitude. Les monastères ont servi d’asiles aux esclaves affranchis : « La plupart de ceux, dit saint Augustin, qui entrent dans l’esclavage de Dieu, sortent de l’esclavage des hommes ; ce sont ou d’anciens affranchis ou des esclaves que leurs maîtres ont affranchis ou doivent affranchir dans cette intention ; ce sont des laboureurs ou des ouvriers, des hommes enfin habitués au travail du corps… Gardons-nous de ne pas les admettre dans les monastères : combien en effet parmi eux ont mérité de servir de modèles par leurs vertus !… C’est donc une bonne et sainte pensée de les recevoir sans chercher quel est le sentiment qui les amène : la volonté de servir Dieu, ou l’envie de fuir une vie de pauvreté et de travail, l’espoir d’être nourris et vêtus sans rien faire, et surtout d’être honorés par ceux qui auparavant les écrasaient de leur mépris[20]. »

Ces paroles de saint Augustin jettent beaucoup de jour sur l’histoire de l’esclavage dans les derniers temps de l’histoire ancienne. Le grand mouvement d’affranchissement commencé à Rome dans le dernier siècle de la république, comme le meilleur moyen peut-être de prévenir de nouvelles guerres serviles, et continué sous les empereurs, fut singulièrement augmenté par le christianisme qui fit des affranchissemens un devoir de conscience, tandis qu’il n’était peut-être auparavant qu’un calcul de prudence. Ce mouvement fut favorable surtout aux esclaves domestiques qui, placés près des maîtres, pouvaient profiter de leurs fantaisies même de bonté. Ce sont aussi ces esclaves qui entrèrent en grand nombre dans les monastères avec les anciens affranchis, les uns pour y trouver la liberté, les autres ne sachant que faire de cette liberté qu’ils avaient rachetée ou qu’ils avaient reçue. Beaucoup d’esclaves attachés à la terre ou aux métiers entrèrent aussi dans les cloîtres, et saint Augustin énumère d’une manière curieuse tous les motifs qui pouvaient attirer dans les cloîtres cette population indigente et jalouse : le dégoût du travail, l’espoir du repos et de l’abondance, et surtout l’idée de devenir les égaux de leurs maîtres ; avec ce triple attrait, les monastères devaient se peupler d’esclaves fugitifs.

Ces monastères, peuplés d’esclaves affranchis ou fugitifs, devaient être pauvres, et cette pauvreté est un des motifs qui faisaient que saint Augustin exhortait les moines au travail ; mais ces monastères s’enrichirent peu à peu par les legs et les donations qui leur furent faits. Les biens de ces grandes familles romaines, qui entretenaient autrefois dans leurs maisons et dans leurs terres tant d’esclaves et tant d’affranchis, tombaient souvent entre les mains de veuves ou de filles qui, s’éprenant de zèle pour l’église chrétienne, donnaient aux monastères quelques-uns des domaines de leurs aïeux ; de cette manière, les richesses qui servaient naguère à l’entretien des esclaves servaient à l’entretien des moines. La forme de la distribution était changée, mais la destination était presque la même.

Au Ve siècle de l’ère chrétienne, la distribution de la propriété changeait de forme de deux manières, par l’expropriation barbare et par les donations ecclésiastiques. L’expropriation que firent les barbares fut une épouvantable secousse. Les donations ecclésiastiques qui précédèrent cette expropriation, et qui eurent le mérite de conserver à l’ancienne société une part considérable dans la propriété, ces donations, loin de causer aucun désordre, remédièrent aux désordres de l’affranchissement en enrichissant les monastères, où accouraient les esclaves et les affranchis. Il était juste qu’en prenant à sa charge les prolétaires de la société romaine, l’église héritât du patriciat romain. Cette succession semblait naturelle. Aussi le peuple applaudissait-il aux héritiers des grandes familles romaines qui se faisaient prêtres et qui donnaient leurs biens à l’église. Souvent même il les y forçait. Ainsi Pinien, riche Romain qui avait quitté Rome pour venir en Afrique s’entretenir avec saint Augustin, étant arrivé à Hippone, le peuple d’Hippone, qui savait ses grands biens et qu’il avait déjà fondé deux riches monastères à Tagaste, voulut le faire prêtre d’Hippone, afin de profiter de ses richesses ; et un jour que Pinien était dans l’église avec saint Augustin, le peuple demanda à grands cris qu’il fût fait prêtre. Saint Augustin, entendant les cris du peuple, alla le haranguer ; mais le peuple, un instant calmé, recommença bientôt ses clameurs. C’était une véritable émeute. On craignait même qu’à la faveur de cette effervescence, les méchantes gens de la ville ne se missent à piller. Il fallut, pour apaiser la sédition, que Pinien promît de se faire ordonner prêtre à Hippone et de ne point quitter la ville. Il y resta, mais sainte Mélanie, sa belle-mère, qui l’avait accompagné, disait que le peuple d’Hippone avait cherché dans Pinien, non un prêtre, mais un bienfaiteur riche et généreux, et saint Augustin avoue lui-même, en essayant de justifier le peuple d’Hippone, qu’il y avait en effet dans la foule qui avait fait l’émeute bien des pauvres et des mendians qui espéraient que Pinien leur ferait de larges aumônes[21].

Tantôt saint Augustin avait, comme à Hippone, à contenir le peuple, qui hâtait et pressait trop le bienfaiteur ; tantôt il avait à contenir le bienfaiteur lui-même, trop pressé de se dépouiller. C’étaient surtout les femmes qu’il avait à préserver de cet empressement irréfléchi. Il y en avait qui, si leurs maris s’absentaient de la maison, donnaient aux moines qui venaient demander l’aumône tout ce qu’elles avaient de plus précieux. Saint Augustin blâme sévèrement cette prodigalité indiscrète. Il ne veut pas que l’église s’enrichisse aux dépens des familles ; il ne veut pas accepter les biens qu’un père, dans sa colère contre son fils, donne à l’église, plutôt pour punir son fils que pour honorer l’église. Le peuple, qui aimait à voir grossir la fortune de l’église, murmurait de sa générosité. « Je sais bien, dit-il dans un de ses sermons, que vous dites souvent entre vous : Pourquoi personne ne donne-t-il rien à l’église d’Hippone ? Pourquoi les mourans ne la font-ils pas leur héritière ? Parce que l’évêque Augustin est trop bon, parce qu’il rend tout aux enfans, parce qu’il n’accepte rien. Je l’avoue, je n’accepte que les donations qui sont bonnes et pieuses… Quiconque déshérite son fils pour faire l’église son héritière, qu’il cherche quelqu’un qui veuille accepter ses dons ; ce n’est pas moi qui le ferai, et, grace à Dieu, je l’espère, ce ne sera personne… Oui, j’ai refusé beaucoup de donations, mais j’en ai aussi accepté beaucoup. Faut-il vous les énumérer ? Je ne citerai qu’un exemple : j’ai accepté l’héritage de Julien ; pourquoi ? parce qu’il est mort sans enfans[22]. »

Nous avons vu l’Afrique telle qu’elle était dans les villes, à Carthage surtout ; nous avons vu l’esprit de négoce des habitans, et comment parfois l’église s’était laissé gagner à cet esprit ; nous avons jeté un coup d’œil en passant sur les esclaves et les affranchis de la vieille société romaine et sur le sort nouveau que l’église leur faisait. C’est un coin important du tableau de la société ecclésiastique. Il nous reste à considérer de plus près cette société ecclésiastique telle qu’elle était en Afrique sous saint Augustin, ses dissensions, ses hérésies, ses dogmes de prédilection, et comment, dans ses hérésies et dans ses dogmes, perçait la nature de l’esprit africain, car au IVe et au Ve siècle c’est là surtout que je retrouve l’Afrique.

Je prendrai pour sujets des remarques que je veux faire, d’une part le donatisme, et de l’autre la doctrine de la grace, que saint Augustin défendit avec tant de force contre Pélage.

Sous Dioclétien, pendant la persécution, les chrétiens avaient été sommés de livrer leurs livres sacrés. Plusieurs évêques d’Afrique, cédant à la crainte, les avaient livrés ; d’autres s’y étaient refusés. Après la persécution, ceux qui avaient livré leurs livres aux magistrats furent appelés du nom de traditeurs[23]. Cela fit deux partis dans l’église : le parti des hommes sages, qui blâmait la faiblesse des traditeurs, mais qui ne voulait pas qu’on les recherchât pour les flétrir ; le parti des zélés, qui était inexorable, et, dans ce parti, les plus violens étaient, comme toujours, ceux qui, sous la persécution, avaient été faibles, mais qui croyaient racheter la faiblesse d’hier par la violence du lendemain. En 312, Mensarius, évêque de Carthage, étant mort, Cécilien fut élu pour lui succéder ; il avait des compétiteurs, et, de plus, il avait pour ennemie une femme puissante et riche, Lucile, qu’il avait blâmée de la dévotion qu’elle avait aux fausses reliques. Lucile et les compétiteurs de Cécilien firent dans le clergé de Carthage un parti contre Cécilien ; ils lui reprochèrent d’avoir été ordonné par un traditeur, Félix, évêque d’Aptonge, et soutinrent que son élection était nulle. Aussi élurent-ils un autre évêque à la place de Cécilien. Il y eut donc à Carthage un évêque catholique et un évêque schismatique ; le premier de ces évêques schismatiques fut Majorin, et le second fut Donat, dont le parti prit le nom.

Le donatisme n’est point une hérésie, c’est un schisme, car les donatistes croient ce que croit l’église catholique ; seulement, selon eux, les traditeurs ont souillé la pureté du caractère épiscopal ; ils ont interrompu la descendance spirituelle des apôtres. Ne cherchez ici aucune des subtilités familières aux hérésies de la Grèce ou de l’Orient. L’esprit africain est à la fois simple et violent, et il ne va pas jusqu’à l’hérésie : il s’arrête au schisme ; mais il met dans le schisme un acharnement singulier. Il y a peu d’hérésies qui soient nées en Afrique. L’arianisme n’y vint qu’avec les Vandales, et encore l’arianisme, tel que le professaient les Goths et les Vandales, n’était pas l’arianisme subtil, tel que l’Orient l’avait connu, disputant sur la consubstantialité du père et du fils ; c’était un arianisme plus simple et plus à la portée de l’esprit des barbares, qui faisait du père et du fils deux dieux, dont l’un était plus grand et plus puissant que l’autre. Les hérésies africaines, et elles sont en petit nombre, n’ont jamais rien de subtil et de raffiné. Les célicoles, dont saint Augustin parle quelque part, ne sont qu’une secte qui penche vers le déisme primitif des Juifs, et semblent être en Afrique les précurseurs lointains du mahométisme.

Les donatistes africains n’ont ni avec le judaïsme, ni avec le mahométisme aucune analogie de dogmes, car ils ne contestent aucune des croyances chrétiennes ; mais ils ont avec ces deux religions une grande ressemblance extérieure. C’est la même allure de fanatisme, c’est le même goût pour la force matérielle. Les donatistes ont, comme tous les partis, leurs modérés et leurs zélés : les modérés, qui s’appellent surtout les donatistes ; les zélés, qui sont les circoncellions. Les donatistes sont les docteurs et les diplomates du parti ; ils désavouent l’usage de la violence ; ils font des requêtes aux empereurs, ils inventent d’habiles chicanes pour échapper aux arrêts rendus contre leur schisme ; ils écrivent contre les docteurs catholiques ; ils les calomnient et les insultent. Ils ne sont du reste ni moins obstinés ni moins ardens que les circoncellions. Ils se déclarent les seuls saints, les seuls purs, les seuls catholiques. Les circoncellions sont l’armée et le peuple du parti, et ils représentent dans le donatisme l’Afrique barbare, comme les donatistes représentent l’Afrique civilisée. Les circoncellions sont des bandes nomades qui se mettent sous un chef et parcourent le pays. Ils font, dit-on, profession de continence ; mais le vagabondage amène la débauche dans leurs bandes. Le but de leurs courses est de faire reconnaître la sainteté de leur église ; aussi leur cri de guerre est : louanges à Dieu (laudes Deo), cri redouté, car, partout où il retentit, il annonce le pillage et la mort. Comme les circoncellions sont la plupart des esclaves fugitifs ou des laboureurs qui ont renoncé au travail pour s’enfuir au désert, ils ont les haines qui sont naturelles à cette sorte d’hommes. Ils haïssent les maîtres et les riches, et, quand ils rencontrent un maître monté sur son chariot et entouré de ses esclaves, ils le font descendre, font monter, les esclaves dans le char et forcent le maître à courir à pied ; car ils se vantent d’être venus pour rétablir l’égalité sur la terre, et ils appellent les esclaves à la liberté : tout cela, au nom, disent-ils, des principes du christianisme, qu’ils dénaturent en l’exagérant, et dont surtout ils n’ont pas les mœurs. Otez-leur le fanatisme, ce sont les bagaudes de la Gaule, ce sont les ancêtres de la jacquerie ; c’est la vieille guerre entre l’esclave et le maître, entre le riche et le pauvre ; seulement cette guerre a pris la marque de l’Afrique, ce sont des nomades, — et la marque du temps, — ce sont des bandes fanatiques. C’est le fanatisme en effet qui leur donne un caractère à part. Ils sont cruels contre eux-mêmes et contre les autres ; ils se tuent avec une facilité incroyable, afin, disent-ils, d’être martyrs et de monter au ciel. Ils tuent les autres sans plus de scrupule, en combinant d’affreuses tortures, pleines des raffinemens de la cruauté africaine. Parfois cependant ils s’inquiètent de savoir s’ils ont le droit de se tuer, et alors ils forcent le premier venu à les frapper, afin de ne pas compromettre le mérite du martyre par le péché du suicide. Malheur, du reste, au voyageur qui refuserait de leur prêter sa main pour les tuer ! il périrait lui-même sous les coups de leurs longs bâtons, qu’ils appellent des israélites, à moins qu’il n’ait la présence d’esprit d’un jeune homme de la ville de Madaure, qui rencontra un jour une de leurs bandes. Ces fanatiques avaient résolu depuis plusieurs jours d’être martyrs, et, selon leur usage, imité des gladiateurs, ils s’étaient, avant leur mort, livrés à tous les plaisirs de la vie, et surtout aux plaisirs de la table. Ils cherchaient donc avec impatience quelqu’un qui les voulût tuer. À l’aspect de ce jeune homme, ils coururent à lui avec de grands cris et lui présentèrent une épée nue, le menaçant de l’en percer s’il ne voulait pas les en percer eux-mêmes. « Mais, dit le jeune homme, qui me répond, quand j’aurai tué deux ou trois d’entre vous, que les autres ne changeront pas d’idée, et ne me tueront pas ? Il faut donc que vous vous laissiez lier. » Ils y consentirent, et, une fois bien liés, il les laissa sur le chemin et s’enfuit.

Les circoncellions représentent, dans le donatisme, les mœurs de l’Afrique barbare ; mais il y a dans le donatisme quelque chose qui caractérise l’Afrique en général : c’est l’esprit d’indépendance à l’égard des empereurs ; c’est la haine de l’unité, soit de l’unité temporelle de l’empire, soit de l’unité religieuse de l’église. L’Afrique semble avoir ceci de particulier dans sa destinée, qu’elle ne peut jamais former un empire à part, et qu’elle veut toujours cependant avoir une certaine indépendance dans l’empire dont elle fait partie. Les régences barbaresques exprimaient fort bien ce caractère de l’Afrique ; elles se rattachaient par quelques liens à l’empire ottoman, sans que ces liens altérassent l’indépendance qu’elles gardaient à l’égard de cet empire, et elles semblaient, si je puis parler ainsi, faire plutôt partie de la communion que de la nationalité ottomane. Alger, une fois consolidé par nos armes, voudra aussi, n’en doutons pas, avoir une administration indépendante de l’administration centrale. Les donatistes poussaient jusqu’à l’excès ce goût de l’indépendance et de l’isolement. Ils avaient la prétention de séparer l’église africaine de toutes les autres, comme la plus pure et la plus sainte ; ils rejetaient avec une sorte de colère nationale le joug de l’unité catholique comme un joug étranger, et ils voulaient de même émanciper l’église du pouvoir temporel des empereurs, surtout quand les empereurs n’étaient pas disposés en leur faveur, car les catholiques leur reprochaient vivement d’avoir adressé une requête à Julien l’apostat, et Julien l’apostat les avait favorisés. Il semble même, si nous en croyons saint Augustin dans le psaume ou chant populaire rimé qu’il composa contre les donatistes[24], il semble que les donatistes croyaient que l’église avait perdu son indépendance le jour où les empereurs s’étaient faits chrétiens, et qu’elle avait, ce jour-là, pris un maître plutôt que reçu un néophyte. Qu’y a-t-il de commun entre l’église et l’empereur ? s’écriait Donat. Il est curieux de trouver ainsi, dès le IVe siècle de l’ère chrétienne, ce profond sentiment de l’indépendance de l’église. Les donatistes l’exagèrent, mais la papauté saura plus tard faire à l’église orthodoxe la part d’indépendance qui lui appartient. Grace à la papauté, les empereurs, dans l’Occident, ont été membres de l’église sans pour cela en être les maîtres. Cependant, si nous jetons les yeux sur l’église grecque, les craintes des donatistes semblent s’être vérifiées. À Constantinople et à Pétersbourg, l’empereur règne à l’église comme au palais.

Quand on écarte de la discussion entre les donatistes et les orthodoxes tout ce qui est déclamation et injure, on voit que le principal grief contre le donatisme, c’est qu’il a rompu l’unité catholique. De ce côté, le refrain du chant rimé de saint Augustin résume fort bien les reproches qu’il fait aux donatistes :

Omnes qui gaudetis de pace,
Modo verum judicate
.

La paix, c’est-à-dire l’unité, voilà le sentiment et le principe que saint Augustin atteste contre les donatistes. C’est là en effet le sentiment qui leur répugne, c’est par là qu’ils sont rebelles ; ils n’ont avec les orthodoxes aucun dissentiment dogmatique ; seulement ils veulent faire une église à part. Il n’y a point avec eux de controverse théologique, car ils disputent sur des faits plutôt que sur des opinions. Dans le donatisme, ce n’est point, comme dans la plupart des hérésies, l’indépendance de l’esprit humain qui est en cause, c’est l’indépendance de l’Afrique ; et, ce qui achève de le prouver, c’est que les tentatives de révolte que font quelques gouverneurs d’Afrique, entre autres le comte Geldon en 397, sont appuyées par les donatistes. Ils sont les alliés naturels de quiconque veut rompre l’unité de l’empire dans l’ordre politique, comme ils veulent la rompre dans l’ordre religieux.

Ce n’est pas seulement chez les donatistes que fermente cet esprit d’indépendance africaine. L’église catholique le ressent aussi : elle est décidée à garder l’union avec l’église romaine, mais elle ne veut pas être son esclave. Ainsi, dans le concile tenu à Carthage, en 426, les évêques d’Afrique contestent au pape le droit de recevoir l’appel des jugemens des évêques d’Afrique, et d’absoudre ceux qu’ils ont condamnés, ou de condamner ceux qu’ils ont absous.

Je dois remarquer que l’esprit de schisme ou de liberté que les donatistes d’une part, et les orthodoxes de l’autre, montraient contre l’église romaine, chaque province d’Afrique et même chaque ville et chaque village le montre à son tour contre le métropolitain et contre l’évêque ; car l’esprit d’indépendance tient à l’esprit d’isolement, et c’est l’esprit d’isolement qui domine en Afrique. La société y a de tout temps été organisée en tribus, c’est-à-dire en groupes distincts les uns des autres, toujours indépendans et souvent ennemis. Cette organisation fractionnaire cherchait à prévaloir dans la société religieuse comme dans la société laïque. Je vois qu’en 397 les évêques se plaignent, dans un concile tenu à Carthage, que chaque peuple veut faire de son prêtre un évêque, et que de cette manière les diocèses se morcellent à l’infini. Cette plainte explique d’abord le nombre d’évêques que nous voyons en Afrique, puisqu’en 394 nous trouvons quatre cent dix évêques donatistes, et qu’en 411, dans la conférence entre les donatistes et les catholiques à Carthage, il y avait deux cent soixante-dix-neuf évêques donatistes et deux cent quatre-vingt-six catholiques, en tout cinq cent soixante-cinq évêques. Elle montre ensuite comment l’idée de la tribu, idée de morcellement et de division, avait fini par vaincre l’idée du culte, idée d’union et de communauté. La consanguinité continuait, en Afrique, à être le seul lien des individus et la seule force de cohésion, malgré le lien plus puissant que la religion semblait établir entre tous les hommes.

Cette organisation de la tribu qui a vaincu la hiérarchie de l’église chrétienne, nous la retrouvons debout encore aujourd’hui en Afrique devant notre administration centralisatrice ; curieuse rencontre entre les deux esprits les plus opposés du monde : — d’une part, l’esprit unitaire, qui semble devenir de plus en plus l’esprit dominant en Europe, et qui lie les hommes par des intérêts chaque jour plus généraux, je veux dire la ressemblance des idées ou des habitudes, et la communauté des jouissances de la paix ; l’esprit unitaire, qui tend à substituer partout les rapports administratifs aux rapports naturels, qui a pour science favorite la statistique, qui est l’art d’additionner les individus, et qui a aboli l’usage des généalogies, lesquelles ne servent guère plus à rien dans l’état social de l’Europe ; — et, d’une autre part, l’esprit de tribu et de famille qui rétrécit le cercle de la société autant que l’autre cherche à l’étendre, qui croit que les hommes ne sont unis que s’ils se touchent par le sang, et qui n’en est pas même encore arrivé à la confraternité du langage et du culte, au-delà de laquelle nous sommes déjà entraînés. Voilà les deux esprits qui se rencontrent en Algérie, depuis la conquête française, non pour se heurter, je l’espère, mais pour s’étudier et se corriger l’un l’autre.

Le donatisme est, au IVe et au Ve siècle, un témoignage expressif de l’originalité que l’Afrique a gardée sous toutes les dominations. Dans le donatisme, cette originalité a été jusqu’au schisme en religion, et elle se ralliait volontiers à la révolte en politique. Mais il y a à cette époque un témoignage plus expressif encore de l’originalité africaine. Ce témoignage est la doctrine de saint Augustin sur la grace ou sur la prédestination.

Je ne veux pas ici controverser contre la doctrine de la grace dans saint Augustin ; je risquerais de passer pour pélagien, semi-pélagien, ou, ce qui est pis encore, pour jésuite. Cependant cette doctrine a je ne sais quel penchant involontaire vers la fatalité qui me paraît caractériser l’esprit africain. Sans la grace, en effet, nous ne pouvons rien ; tout, dans l’homme, dépend de la grace, et cette grace dépend de Dieu, qui la donne à qui il lui plaît. Cette grace toute puissante, qui est le libre don de Dieu, cette grace, qui est la cause des bonnes œuvres que nous faisons, prédestine au bien et à la béatitude éternelle ceux à qui Dieu l’envoie, et qui sont ses élus, comme elle semblerait prédestiner au mal et à la damnation ceux à qui Dieu la refuse. Mais la miséricorde de Dieu rassure l’homme sans pourtant lui expliquer le mystère impénétrable de la grace.

La grave et paisible résignation qu’inspire la doctrine de la grace, telle que l’entend saint Augustin, convient au génie de l’Afrique. Le génie africain n’a point l’inquiétude du génie européen, il n’en a pas non plus la vanité ; il n’a pas la prétention que l’homme ne relève que de l’homme et se soutienne par ses propres forces. Il consent aisément à ignorer et à adorer, ou, pour tout dire d’un mot, il est naturellement religieux. En Occident, la foi est un sacrifice que fait la raison, mais qui lui coûte, et on s’en aperçoit aux murmures qu’elle fait entendre de temps en temps. En Orient au contraire, l’homme, soit qu’il sente mieux sa faiblesse parce que la nature y est forte et puissante et qu’elle donne plus qu’elle ne reçoit, ce qui est le contraire de l’Occident, où le travail de l’homme fait au moins la moitié des œuvres nécessaires à la vie ; en Orient, l’homme a une disposition naturelle à croire au gouvernement de Dieu sur la terre et à s’y soumettre. Aussi, tandis que Rome hésitait à condamner Pélage, et que le pape Zozime semblait même pencher vers sa doctrine, l’Afrique et saint Augustin en tête, au concile de Carthage, en 417, proclamait hautement la toute-puissance de la grace divine.

Nous avons essayé de montrer comment le génie de l’Afrique perçait dans les croyances de l’église africaine, et comment, par le donatisme, l’Afrique visait à l’indépendance qui lui convient, et, par la doctrine de la grace, tendait presque déjà vers la fatalité mahométane ; mais, dans ce tableau, nous n’avons vu que l’ardeur de la foi religieuse poussée dans les circoncellions jusqu’au fanatisme le plus cruel. Ce n’est pas encore là toute l’Afrique. En Afrique comme dans le reste du monde romain, pendant le IVe siècle et le commencement du Ve, beaucoup d’hommes flottaient encore entre le paganisme et le christianisme. Les paysans et le peuple défendaient leurs idoles les armes à la main, et les lettrés mêlaient les deux croyances, essayant de se faire une religion éclectique. C’est cette confusion des idées et cette hésitation des croyances qu’il nous reste à peindre, à l’aide des traits que nous trouvons dans saint Augustin. Cette peinture achèvera le tableau de l’Afrique au IVe et au Ve siècle. Bien qu’au premier moment on ne voie pas quelle analogie il peut y avoir de ce côté entre l’Afrique d’aujourd’hui et l’Afrique de saint Augustin, ni de quelle utilité peut être pour nous une pareille étude, j’essaierai cependant de la faire, et un très curieux ouvrage de M. le général Duvivier, intitulé Solution de la question de l’Algérie, nous servira à montrer entre l’Afrique religieuse du Ve siècle et l’Afrique du XIXe quelques traits de ressemblance imprévus et pleins d’enseignemens.


Saint-Marc Girardin.
  1. Voyez les livraisons du 1er mai et du 1er août 1841.
  2. Voyez les lettres d’Hesychius à saint Augustin et de saint Augustin à Hesychius. De fine seculi, lettres 198-199. (Saint Augustin, tome II.)
  3. In uno tempore, dit Hesychius (lettre 198, pag. 4) et signa in caelo et pressuram gentium in terris ab hominibus videri et sustineri manifestum est…… Nullam patriam, nullum locum nostris temporibus non affligi aut humiliari certum est.
  4. La Bysacène, la Tripolitaine, la Subventane et les Arzuges forment aujourd’hui la régence de Tripoli et la partie orientale de la régence de Tunis. Les Arzuges étaient la contrée qui, au sud de cette régence, est la plus voisine du désert.
  5. « Qui ad deducendas bastagas pacti fuerant vel aliqui ad custodiendas fruges ipsas. » (Saint Augustin, lettre 46e.)
  6. « Decurio vel tribunus qui limiti præest. » (Même lettre.)
  7. 199e lettre. — À Hesychius.
  8. « Si barbarus tali juratione promissam fidem custodit, ideo tantum peccasse judicatur, quia per tales deos juravit ; illud autem nemo recte reprehendet, quod fidem servaverit… Sine ulla dubitatione, minus malum est per deum falsum jurare veraciter, quam per Deum verum fallaciter… Alia vero quæstio est, utrum ea pace debeamus uti quæ inter barbaros jurantes facta est. Quod si nolumus, ubi vivamus in terris, nescio utrum invenire possimus. Neque enim tantummodo limiti, sed universis provinciis pax conciliatur juratione barbarica. Undè et illud sequetur, ut non fruges tantum quæ ab eis custodiuntur, qui per Deos falsos juraverunt, sed ubique inquinata sint omnia quæ ipsa pace muniuntur, quam juratio illa confirmat… Fontibus utamur, de quibus hauriri aquam ad usum sacrificiorum certissime scimus. Neque enim spiritum deducere de aere dubitamus, in quem scimus ire fumum ex aris omnibus et incensis demoniorum… Cum in usus communes, non proprios ac privatos, vel in honorem Dei veri convertuntur templa, idola et luci, hoc de illis fit quod de ipsis hominibus, cum ex sacrilegis et impiis in veram religionem mutantur. » (Lettre 47e, pag. 164-165, édit. de Gaume.)
  9. « Græceæ autem linguæ non est nobis tantus habitus ut talium rerum libris legendis et intelligendis ullo modo reperiamur idonei. » (De Trinitate, lib. III, cap. I, tom. VIII, pag. 1218.)
  10. « Carthago dispositione valde gloriosissima constat, quæ in directione vicorum et platearum æqualibus lineis currens. » (Collection des Palimpsestes de Maï, tom. III, no 37.)
  11. « Hoc in Carthagine culpabile reperitur, quod contentiose nimis spectant. » (Ibid., id.)
  12. Confessions, liv. I, ch. XIX.
  13. « Pauci quidem convenistis ; sed, si bene audistis, abundatis. » (Serm. 19, tom. V, pag. 152.) — Ailleurs, dans ses Explications sur les psaumes, psaume 147, no 7 : Propterea hodie non venerunt quia munus est, — parce qu’il y a spectacle public.
  14. « Magnum adhuc super omnia bonum habet in portu qui securitatis est plenus. » (Collect. de Maï, tom. III, no 37.)
  15. Mare importuosum. — Salluste.
  16. « In vestibus negotiatur et in mancipiis ; — frumento multo abundat ; — fructibus abundans ; — negotia habet vestis variæ et animalium optimorum. » (Collect. de Maï, tom. III, no 37.)
  17. « Naviculariam nolui esse ecclesiam Christi… homines ad tormenta daturi eramus, ut de submersione navis secundum consuetudinem quærerentur et torquerentur a judice qui essent de fluctibus liberati ? » (Serm. 355, tom. V, pag. 2040.)
  18. Voir le 17e concile d’Hippone. Tillemont, tom. XIII, pag. 179.
  19. « Diaconus Hipponensis homo pauper est ; quid alicui conferat, non habet : tamen de laboribus suis, antequam esset clericus, emerat aliquos servulos : hodie illos in conspectu vesto manumissurus est episcopalibus gestis… aliqui servuli ei (diacono Haracleo) reliqui fuerant, jam quidem in monasterio viventes, quos tamen gestis ecclesiasticis manumissurus est hodie… adhuc autem mancipia sunt ei (Valenti) similiter cum fratre communia, mondum divisa… Hoc sine dilatatione peragendum est, ut illi servuli dividantur, manumittantur et sic det ecclesiæ ut eorum excipiat alimentum. » (Serm. 356. tom. V, pag. 252.)
  20. « Nunc autem veniunt plerumque ad hanc professionem servitutis Dei et ex conditione servili, vel etiam liberti, vel propter hoc a dominis liberati sive liberandi, et ex vita rusticana, et ex opificum exercitatione et plebeio labore… qui si non admittantur, grave delictum est. Multi enim ex eo numero vere magni et imitandi extiterunt… hæc itaque pia et sancta cogitatio facit ut etiam tales admittantur, qui nullum afferant mutatæ in melius vitæ documentum. Neque enim apparet utrum ex proposio servitutis Dei venerint, an vitam inopem et laboriosam fugientes, vacui pasci atque vestiri voluerint et insuper honorari ab eis a quibus comtemni conterique consueverant. » (Tom. VI, pag. 822-823.)
  21. « Cumque metueretur quidem ne aliqui perditi qui multitudini etiam bononorum plerumque miscentur, occasione seditionis inventa, insaliquam vim sceleratam rapinarum cupiditate prærumperent…

    « … Questa est de Hipponensibus quod aperuerunt cupiditatem suam, et non clericatus, sed pecuniæ causa, hominem divitem atque hujusmodi pecuniæ contemptorem et largitorem apud se tenere voluisse…

    « … Permutti inopes vel mendici qui simulclamabant et de vestra venerabili redundantia indigentiæ suæ supplementum sperabant… » (Lettres 125 et 126, tom. II, pag. 545, etc.)

  22. « Dicunt, aut quare nemo donat ecclesiæ hipponensi aliquid ? aut quare non eam faciunt qui moriuntur hæredem ? Quia episcopus Augustinus de bonitate sua donat totum, non suscipit… Plane suscipio, profiteor suscipere me oblationes bonas, oblationes sanctas… Quicumque vult, exhæredato filio, hæredem facere ecclesiam, quærat alterum qui suscipiat, non Augustinum ; imo, Deo propitio, neminem inveniat… Plurimas devotorum hominum oblationes nolo suscipere. Considerent autem quam multa susceperim. Quid opus est ea numerare ? Ecce unum dico ; Juliani hæreditatem suscepi. Quare ? quia sine filiis defunctus est. » (Sermon 355, t. V, pag. 2049.)
  23. Traditores, qui veut dire aussi traîtres.
  24. Voyez tom. IX, pag. 41.