Études d’histoire comparée sur l’Afrique/04



ÉTUDES
D’HISTOIRE COMPARÉE
SUR L’AFRIQUE.

iv.
L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.[1]

J’ai essayé, dans un précédent article, de faire le tableau de l’état moral et politique de l’Afrique sous saint Augustin ; mais il manque un trait à ce tableau, tant que je n’ai pas décrit l’état des croyances religieuses à cette époque. Le IVe siècle est un temps de ferveur pour ceux qui sont chrétiens ; mais tout le monde, au IVe siècle, n’est pas encore chrétien : beaucoup flottent entre le paganisme et le christianisme ; il y a dans les esprits une grande incertitude et une grande confusion. Cette incertitude n’est pas le caractère particulier de l’Afrique ; elle est partout : c’est en Afrique cependant que je veux l’étudier. Deux raisons m’y engagent : d’abord cet état des esprits au IVe siècle est curieux à examiner, ne fût-ce que par sa ressemblance générale avec l’état des esprits de nos jours ; de plus, aujourd’hui comme au ive siècle, nous pouvons trouver en Afrique quelques-uns des traits de cette incertitude. Nous y avons en effet reporté, après quinze cents ans d’intervalle, d’une part quelque chose de cette indifférence religieuse où se complaisaient beaucoup de contemporains de saint Augustin, et de l’autre quelque chose aussi de cette inquiétude d’esprit qui tourmentait quelques-uns de ses amis.

L’esprit de saint Augustin est, jusqu’à sa conversion, une fidèle image de la confusion et de l’incertitude des croyances religieuses au IVe et au Ve siècle de l’ère chrétienne, et c’est un beau spectacle que celui d’une intelligence comme la sienne en proie aux tourmens du doute et cherchant à en secouer le joug. Ses Confessions sont le récit de ce genre de souffrances ; mais ce que j’aime mieux que le récit même de ses souffrances, c’est le sentiment qu’elles lui inspirent. Il pardonne à l’erreur parce qu’il a long-temps erré ; il compatit aux doutes et aux hésitations parce qu’il a long-temps douté et long-temps hésité. « Que ceux-là s’irritent contre vous, dit-il aux manichéens[2], qui ne savent pas avec quelle peine on trouve la vérité et combien il est difficile de se préserver de l’erreur !… Que ceux-là s’irritent contre vous qui ne savent pas par combien de soupirs et de gémissemens l’ame arrive à comprendre quelque chose de Dieu ! Que ceux-là, enfin, s’irritent contre vous qui n’ont jamais été engagés dans les erreurs qui vous égarent ! Pour moi qui, tant et si long-temps ballotté par l’erreur, n’ai aperçu qu’après bien des aveuglemens la sainte et pure vérité,… non, je ne peux pas m’irriter contre vous. Je dois vous supporter comme j’ai été supporté moi-même. Je dois avoir pour vous la patience que mes proches ont eue pour moi, quand, comme vous, j’étais aveuglé et que, comme vous, je repoussais la lumière avec fureur. » Grâce à ce pieux sentiment d’indulgence, saint Augustin est le meilleur peintre de l’incertitude religieuse de ses contemporains, car il la peint sans l’exagérer par indignation, et il l’étudie avec attention, parce qu’il veut la guérir.

Il y avait autour de saint Augustin un cercle d’amis et de disciples qui l’avaient pris pour guide et pour maître. Ils l’avaient suivi dans les erreurs du manichéisme ; ils le suivirent dans sa conversion chrétienne, mais plus lentement, et quelques-uns même restèrent en chemin. C’est dans le cercle des amis de saint Augustin, tous Africains, tous de Madaure, de Tagaste, d’Hippone ou de Carthage, que je veux d’abord entrer.

Le premier de ces amis est Romanien. Romanien était riche et puissant, plus âgé que saint Augustin, grand ami de son père, et il fut le protecteur de la jeunesse de saint Augustin. Il l’aida de sa fortune, de son crédit, de son affection surtout[3]. Cette façon de traiter un jeune homme, et de le mettre de bonne heure sur le pied d’homme distingué et fait pour être aux premiers rangs, est le plus grand appui qu’on puisse lui donner ; car l’estime est la protection la plus délicate et la plus efficace en même temps, surtout dans les sociétés polies et raffinées, où les rangs se déterminent encore plus par les égards que par les titres. Quand saint Augustin et ses amis, quoique n’étant pas encore chrétiens, formèrent le projet de vivre en commun, projet qui échoua, mais qui témoigne des sentimens et des idées qui fermentaient alors dans les esprits, et qui bientôt enfantèrent les monastères, ce plan de vie cénobitique enchanta Romanien ; il fut le plus ardent de tous à l’accueillir, « et son zèle, dit saint Augustin, avait une grande autorité, car il était aussi le plus riche d’entre nous[4]. » Romanien, cependant, était un homme heureux et puissant selon les idées de son temps ; il avait tout ce qu’il faut pour aimer le monde, et saint Augustin, à ce propos, fait le portrait des puissans du IVe siècle. Ce tableau est curieux. L’homme influent au ive siècle était celui qui donnait au peuple des combats de bêtes féroces, surtout s’il inventait quelque nouveau genre de combats, ou s’il faisait paraître quelque animal qu’on n’eût pas encore vu. Quels cris, quels applaudissemens, quel enthousiasme alors, quand il entrait au théâtre ! L’homme influent avait une inscription en son honneur, gravée sur le bronze et qui lui avait été votée par sa cité, comme à son patron. Souvent les cités voisines s’associaient à ce témoignage, à condition de partager ses largesses. Il avait sa statue sur la place publique ; souvent la cour ajoutait à ces honneurs municipaux un titre de perfectissimus ou même de clarissimus ; alors il était le roi et l’empereur de sa ville. Il avait table ouverte, et à cette table, sans cesse renouvelée, la foule trouvait une nourriture abondante, et ses amis une chère exquise et recherchée. Le soir, après le repas, des acteurs particuliers venaient jouer la comédie dans ses salons. Il avait plusieurs maisons, toutes bâties avec goût ; des habitations avec des parcs et des jardins délicieux dans les environs de la ville, et des bains au bord de la mer, où éclataient le marbre et le bronze. Il était joueur, mais joueur honnête et surtout prodigue ; il était grand chasseur, hôte magnifique ; il avait de nombreux cliens, et personne n’osait se faire son ennemi ; partout enfin dans sa ville, dans sa province, à Rome même on parlait de lui comme du plus généreux, du plus élégant et du plus distingué des hommes. Voilà, au IVe siècle, quel était l’homme influent, l’homme heureux ; voilà quel était Romanien[5].

Romanien avait un fils, Licent, qui aimait beaucoup les lettres, et surtout la poésie ; saint Augustin le prit avec lui, et fut son maître et son précepteur, croyant témoigner assez sa reconnaissance à Romanien, s’il amenait son fils à la sagesse, c’est-à-dire à la vraie religion[6] ; mais Licent, que son goût pour la poésie ramenait vers le paganisme, résistait à ses efforts. Saint Augustin, ayant quitté Milan après sa conversion, se retira dans une maison de campagne et emmena avec lui Licent et quelques amis. Cette maison de campagne, que lui avait prêtée Verecundus, un de ses amis de Milan, était située dans cette contrée mêlée de lacs et de collines qui est pour ainsi dire le premier étage des Alpes du côté de la Lombardie. C’est dans ces beaux lieux, pleins de la sérénité du soleil italien et de la verdure des vallées de la Suisse, que saint Augustin alla vivre pendant près d’un an avec Alype, le compagnon de ses études, de ses erreurs et de sa conversion, son frère Navigius, Trigece, son disciple, qui, las de la vanité des sciences, avait été les oublier pendant quelque temps dans la vie des camps, mais qui bientôt avait quitté les camps pour revenir à l’étude, plein d’une nouvelle ardeur, et qui aimait l’histoire comme s’il était déjà vieux[7] ; Licent, plus fou que jamais de poésie, car il se levait souvent de table avant la fin du repas pour aller faire des vers : il ne mangeait pas, ne buvait pas, et poussait l’enthousiasme jusqu’à chanter des strophes des chœurs de Sophocle et d’Euripide, quoiqu’il ne comprît pas le grec[8] ; Lastidien et Rustique, cousins de saint Augustin ; Adeodat, son fils, et sainte Monique enfin, sa mère, ou plutôt son bon génie, qui ne désespéra jamais de le voir converti à la foi chrétienne, depuis le jour où, conjurant un saint évêque de réprimander son fils, livré alors aux erreurs des manichéens : « Continuez, dit l’évêque, de prier Dieu pour lui, car il est impossible qu’un fils pleuré avec tant de larmes périsse jamais ; » tant l’évêque croyait à l’efficacité des larmes d’une mère !

Saint Augustin, dans sa retraite de Cassiaque (c’était le nom de cette maison), avait aussi quelques livres. Il menait là, avec ses amis et ses disciples, cette vie en commun dont il avait depuis si long-temps le projet : le matin, occupé des soins qu’entraînait la surveillance du domaine, ou par la correspondance, ce fardeau des sociétés civilisées[9] ; mais le soir, quand le ciel était beau et que sa sérénité invitait à la promenade, on sortait, on allait s’asseoir sous l’arbre accoutumé, au milieu des prés, et alors l’entretien commençait, entretiens graves et sérieux sur la philosophie ancienne et sur son impuissance à satisfaire aux doutes de l’esprit humain[10], sur le bonheur[11], sur l’ordre et sur son principe[12], entretiens charmans, pleins du calme et de la fermeté d’esprit que donnait à saint Augustin la foi chrétienne qu’il venait d’embrasser, pleins aussi du calme des champs et de la sérénité du ciel. « Nous sortîmes, dit saint Augustin ; le jour était si doux et si pur, qu’il semblait fait en vérité pour épurer et éclairer nos ames. » Ainsi, tout s’accordait pour enchanter saint Augustin, l’enthousiasme de sa foi nouvelle, la beauté des lieux, la douceur de ces journées passées à s’entretenir avec ses amis et ses disciples, ces repas frugaux, presque plus tôt finis que commencés afin de reprendre l’entretien ; ces promenades que l’hiver même n’interrompit pas, grâce à la douceur du climat ; ces bains où, comme partout chez les anciens, il y avait des portiques pour servir à la promenade et à la conversation, et où saint Augustin et ses amis allaient chercher un abri les jours de pluie ; ces études consacrées avec Trigece et Licent à la littérature ancienne, tout cela faisait à saint Augustin et à ses amis la vie la plus douce et la plus heureuse qu’ils pussent imaginer. Aussi, les souvenirs de Cassiaque leur furent toujours chers, et dix ans après, Licent s’écriait, dans une épître :

« Ô mihi transactos revocet si pristina soles
« Lœtificis aurora rotis, quos libera tecum
« Otia tentantes et candida jura bonorum,
« Duximus Italiæ medio montesque per altos !

« Ah ! pourquoi l’aurore ne peut-elle pas nous ramener sur son char plein de joie ces belles heures passées dans la liberté des gens de bien et dans le loisir de l’étude, au milieu de l’Italie et au sein des montagnes ! »

Les ouvrages que saint Augustin fit dans cette heureuse retraite ont, si je ne me trompe, un caractère particulier de grace et de douceur. Ils se sentent plus que les autres, même dans le style, du commerce de l’antiquité. Occupé à Cassiaque du soin de former à la sagesse chrétienne le cœur de ses deux disciples, Licent et Trigece, et de cultiver leur esprit, il méditait saint Paul ; mais il étudiait aussi avec ses élèves Cicéron et Virgile, et la contemplation de ces belles formes de l’éloquence et de la poésie latines, sans altérer la piété de sa pensée, donnaient à sa phrase un charme et une élégance qu’il n’a pas toujours retrouvés. Ils lisaient l’Hortensius de Cicéron, que nous avons perdu et qui était le livre qui avait le plus aidé Trigece et Licent à revenir à la philosophie[13]. Ils lisaient surtout Virgile que saint Augustin avait tant aimé et qu’il aimait encore[14]. Ils le citaient sans cesse dans leurs pieux entretiens, et saint Augustin ne craignait pas d’appliquer à la foi chrétienne les invocations païennes de son poète favori :

« Sic pater ille deum faciat, sic altus Apollo,
« Incipias !
 »

s’écrie-t-il en commençant son entretien sur l’ordre avec ses élèves. « Oui, c’est Apollon, c’est lui qui nous conduira, si nous savons le suivre ; c’est lui qui nous servira d’auspice, c’est lui qui inspirera nos ames : non pas cet Apollon caché dans les antres des montagnes ou des forêts, et qui, excité par la fumée de l’encens et l’égorgement des victimes, parle par la bouche des insensés ; non, un autre Apollon, croyez-moi, l’Apollon vraiment grand et vraiment saint, ou plutôt la vérité elle-même, la vérité dont les interprètes sont tous ceux qui aiment et suivent la sagesse[15]. » Les lettrés demi-païens de l’Italie au XVe siècle ne sont pas plus imbus que saint Augustin à Cassiaque du parfum de l’antiquité latine.

Il n’y avait qu’une chose qui attristait saint Augustin à Cassiaque, c’était l’hésitation de Licent à embrasser la foi chrétienne. Dix ans plus tard, cette hésitation durait encore. Ni païen, ni chrétien, ni philosophe, las de son incrédulité, et incapable d’arriver à la foi, Licent représente les incertains de son siècle. Seulement il n’est pas parmi les incertains inquiets et agités ; il écrit, il est vrai, à saint Augustin pour lui demander ce qu’il faut croire : « Ordonne, dit-il, j’obéirai[16] ; » mais il lui écrit en vers, et je me défie toujours quelque peu de ceux qui mettent en vers leurs chagrins ou leurs inquiétudes. Je remarque même que, dans cette épître de Licent, l’anxiété religieuse tient beaucoup moins de place que l’amitié qu’il sent pour saint Augustin. C’est cette amitié qui lui inspire ses plus beaux vers et les mieux sentis[17], tandis que son incertitude religieuse, quoiqu’elle fasse sa douleur, dit-il, ne lui inspire qu’une allégorie[18].

Ce qui faisait que beaucoup d’hommes comme Licent supportaient sans trop de peine cette incertitude religieuse, c’est qu’il s’était formé peu à peu, des débris confondus des croyances mythologiques et des opinions philosophiques, un système de paganisme philosophique qui suffisait aux esprits qui n’avaient qu’une médiocre ardeur ou une médiocre élévation. Ce paganisme, corrigé à l’usage de la sagesse du monde, et dont Julien avait essayé un instant de faire la religion officielle de l’empire, servait d’oreiller aux consciences endormies. Cette religion n’avait qu’un malheur. Elle n’était guère plus attaquable que le déisme, mais elle n’était pas plus efficace et plus consolante que le déisme, et elle ne satisfaisait ni à l’imagination du peuple, qui voulait un culte plus sensible, ni à l’inquiétude des intelligences élevées, qui comprenaient que le déisme pur ne répond pas à tous les doutes et à tous les besoins de la raison humaine.

En Afrique, sous saint Augustin, le paganisme philosophique avait pour défenseurs le philosophe Maxime de Madaure et le pontife Longinien ; mais le peuple restait fidèle au vieux paganisme et aux dieux de la mythologie. Voyons tour à tour, dans saint Augustin, ces deux sortes de paganisme.

Le paganisme philosophique, fait pour le beau monde de l’empire, avait les défauts du beau monde : il était froid, sec et moqueur. Il riait volontiers de Mars et de Vénus, et des contes de la mythologie ; mais il prenait avec malice les noms grossiers de quelques martyrs sortis du peuple, et de même que Voltaire, quinze cents ans plus tard, opposait ironiquement aux images gracieuses de la mythologie ce qu’il appelait la grossièreté des légendes chrétiennes :

Et le chien de saint Roch et la guimpe d’Ursule,

le philosophe Maxime raillait saint Augustin[19] sur les martyrs Mygdon, Sanaé et Namphanion, noms puniques qui avaient sans doute quelque sens trivial et grotesque[20], et, idoles pour idoles, puisque les chrétiens adorent les tombeaux de ces grossiers martyrs, il aime mieux les idoles de la Grèce. Puis, faisant succéder aux sarcasmes de l’homme du monde les raisonnemens du philosophe : « Oui, dit-il, le forum de Madaure est rempli des images de nos dieux, et j’approuve cet usage ; mais ne croyez pas qu’il y ait personne d’assez fou pour ne pas comprendre qu’il n’y a qu’un seul dieu suprême, qui n’a ni origine ni descendance, unique et inépuisable créateur de la nature entière. Nous adorons, sous le nom des dieux divers, ses vertus répandues dans l’univers pour l’entretenir et le conserver, car nous ignorons tous le vrai nom qui lui appartient, et c’est ainsi qu’en offrant un hommage différent aux différens attributs de la divinité, l’homme parvient à l’adorer tout entière[21]. » Cette apologie du paganisme, moitié sérieuse et moitié railleuse, a un ton de liberté et de hardiesse qui s’explique par le temps où elle fut faite. C’était en 390. À cette époque, saint Augustin n’était pas encore évêque ; Valentinien II était sur le trône. Le paganisme était encore toléré ou même protégé, et rien ne gênait Maxime, ni l’autorité des lois, ni le respect dû à la dignité de saint Augustin. Le second défenseur du paganisme, Longinien, est moins à son aise. Il écrivait à saint Augustin vers l’an 406 ; alors saint Augustin était évêque depuis dix ans, et le paganisme était interdit. De là la réserve et la circonspection de Longinien dans son apologie[22]. Sa lettre est triste et touchante. Longinien était déjà vieux sans doute, et il voyait mourir avant lui ou avec lui le culte dont il était prêtre[23]. Comme tous les défenseurs des systèmes déchus, il insiste bien plus sur les analogies que le paganisme a avec les idées nouvelles que sur les différences, et, comme Maxime, il essaie aussi de faire croire que toutes les religions ont le même fonds, et que toutes peuvent conduire à Dieu, car c’est là la question que lui adressait saint Augustin. « Vous voulez que je vous dise, répond Longinien, quelle est, selon moi, la route qui conduit le plus sûrement à Dieu ; écoutez donc ce que m’ont enseigné nos pères : la piété et la justice, la pureté et l’innocence, la vérité des actions et des paroles, la persévérance en dépit de l’instabilité des temps, l’assistance protectrice des dieux, l’appui des puissances divines ou plutôt des vertus du Dieu unique et universel, incompréhensible et inexprimable, ces vertus que vous appelez les anges, les rites solennels des anciens sacrifices, et les expiations salutaires qui purifient l’ame et le corps des mortels, voilà, selon les leçons de nos aïeux, voilà la route assurée qui conduit l’homme à Dieu[24]. La pensée de Longinien est moins hardie que celle de Maxime, mais elle est plus religieuse et plus pratique. Longinien veut que l’homme observe les commandemens de la religion. Pour arriver à Dieu, l’homme, outre la vertu, doit avoir la foi, car qu’est-ce que cette nécessité des sacrifices et des expiations, sinon la nécessité du culte et de la foi ? Il ne suffit donc pas de vivre selon la morale, il faut croire. Tel est le principe de Longinien, et je dirais volontiers que tel est le principe de toute religion. Elles ne prescrivent pas seulement de bien vivre, elles prescrivent aussi de bien croire, et je suis presque épouvanté de la hardiesse d’esprit avec laquelle saint Augustin prétend que la vertu dans l’homme peut suffire pour arriver à la possession de Dieu, sans l’aide des sacrifices, comme si, dit-il, l’accomplissement des pratiques sacrées faisait essentiellement partie de la vertu, et que ce ne fût pas autre chose de vivre vertueusement, autre chose de vivre pieusement[25]. Maxime parlait en philosophe, Longinien en prêtre ; que dirai-je de saint Augustin ? Rassurons-nous : il parle en homme dont la raison puissante et ferme ne craint pas les petits écueils où vont échouer les intelligences faibles. Quand saint Augustin dit hardiment que la vertu dans l’homme n’a pas besoin de l’aide des pratiques sacrées, il a l’air d’attaquer la religion elle-même ; mais ne craignez rien, sonder plus profondément sa pensée : il vous dira bientôt, et l’église avec lui, que, sans la grace, la vertu humaine ne suffit pas plus que les pratiques pieuses sans la vertu, car à cette prépondérance de la grace divine il soumet, sans hésiter, la vertu humaine, la vertu qui vaut mieux que les sacrifices et les expiations, mais qui ne peut rien sans la grace de Dieu. Ainsi, comprenons bien toute la pensée de saint Augustin, qui, comme toutes les grandes pensées chrétiennes, est hardie et ferme, sans être téméraire. Non, les pratiques pieuses ne remplaceront jamais ni la vertu humaine, ni la grace divine. La grace de Dieu d’abord, comme cause de tout bien ; la vertu de l’homme émanant de la grace de Dieu ; les pratiques religieuses enfin, qui aident la vertu, mais qui n’en tiennent jamais lieu, voilà l’ordre et la suite des pensées de saint Augustin[26]. À côté du paganisme philosophique de Maxime et de Longinien, il y avait aussi en Afrique le paganisme populaire ; celui-là était ardent et obstiné. Il ne défendait pas les dieux de la mythologie comme des dieux plus élégans et de meilleur ton que les martyrs chrétiens ; il les défendait avec une foi pieuse, et son fanatisme allait aisément jusqu’à la persécution quand le paganisme triomphait à la cour des empereurs, et jusqu’à la révolte quand le paganisme était disgracié. Les empereurs, en effet, n’abolirent pas brusquement le paganisme. Tantôt un édit permettait aux propriétaires de temples et d’idoles de fermer, s’ils le voulaient, les temples et de briser les idoles ; tantôt, par un retour de faveur, l’empereur donnait lui-même de l’argent pour réparer un temple ou pour orner une idole. Les dieux subissaient les vicissitudes de la politique ; ils avaient leurs jours de popularité et leurs jours de disgrace. Il y eut à Carthage un Hercule qui, sous un proconsul de son parti, fut décoré d’une barbe d’or, qu’il perdit l’année suivante, sous un proconsul du parti contraire. Hercule était le dieu de prédilection de l’Afrique, et on eût dit que le vieil Hercule tyrien y avait gardé son crédit. À Suffecte, petite ville de la Bysacène, il avait une statue qui fut brisée par les chrétiens en 399. Les païens irrités attaquèrent alors les chrétiens et en tuèrent soixante. Ce massacre affligea vivement saint Augustin ; mais il ne se dissimulait pas non plus que les chrétiens avaient eu tort de briser la statue d’Hercule. En effet, les lois défendaient de briser les idoles sans le consentement du propriétaire, et le droit romain, avec son esprit de finesse et de discernement, protégeait les statues des dieux, non plus comme dieux, mais comme propriété mobilière. Aussi saint Augustin, dans la lettre qu’il écrit aux habitans de Suffecte pour leur reprocher leur cruauté, leur promet en même temps de leur rendre leur Hercule, puisqu’ils prétendent que c’était leur propriété. « Nous avons, dit l’évêque chrétien avec une ironie pleine d’indignation, nous avons des métaux, de la pierre, des marbres de toute sorte, des sculpteurs en grand nombre, et nous sommes en train de vous faire fabriquer votre dieu : on le taille, on le tourne, on le peint, vous l’aurez bientôt…… Mais nous, qui nous rendra jamais nos frères que vous avez tués[27] ? » Ainsi, dans les campagnes et dans les petites villes, le paganisme luttait avec énergie contre le christianisme. Dans les grandes villes, et à Carthage particulièrement, la lutte était moins vive. Le peuple y faisait un singulier mélange des deux religions : il se rendait à l’église chrétienne, et, en sortant de l’église, il allait sacrifier dans le temple de la grande déesse Céleste[28]. Personne surtout ne refusait de s’asseoir aux tables que les citoyens riches faisaient dresser dans les temples après les sacrifices, et où étaient servies les viandes offertes aux dieux. Les évêques chrétiens avaient beau représenter que c’était un sacrilége ; on aimait mieux croire qu’il ne s’agissait que d’une invitation à dîner qu’il eût été malhonnête et maladroit de refuser. Aussi, quand le culte païen fut aboli, le peuple de Carthage laissa changer en église, sans murmurer, le temple de la déesse Céleste ; mais il garda beaucoup des habitudes du paganisme, celles surtout qui servaient à ses fêtes et plaisirs, car c’est le propre du peuple des grandes villes, qui voit passer beaucoup de choses, d’être à la fois indifférent et curieux, et d’aimer surtout les cérémonies. Les fêtes du paganisme étaient belles, nombreuses et mêlées de repas, les hécatombes solennelles offertes aux dieux par les ambitieux ou les magnifiques de la cité étant des distributions de vivres faites dans les temples, au lieu d’être faites sur la place publique. Ces fêtes étaient aussi mêlées de danses, destinées peut-être dans l’origine à représenter quelque symbole ou quelque allégorie mystérieuse ; mais peu à peu l’idée symbolique avait disparu : la danse seule était restée, avec la gaieté et la licence qu’elle entraîne. Grace à ces repas et à ces danses, le peuple aimait donc beaucoup les fêtes païennes, et les évêques, qui le savaient, ne voulurent pas d’abord, en supprimant les idoles, supprimer en même temps les fêtes. Ils les conservèrent en les consacrant à la mémoire des martyrs[29]. Aussi bien ç’a toujours été la politique de l’église, de ménager les habitudes et même les plaisirs des idolâtres qu’elle voulait convertir[30]. Comme l’église avait d’abord toléré ces fêtes et qu’elles plaisaient beaucoup au peuple, puisqu’elles lui donnaient en même temps un repas et un spectacle, les évêques eurent beaucoup de peine quand ils voulurent plus tard les abolir. À Hippone, par exemple, le peuple avait coutume de tenir table ouverte dans l’église le jour de l’Ascension. Saint Augustin résolut de faire ses efforts pour l’en dissuader, et il le harangua vivement à ce sujet deux jours d’avance. Le peuple pleura beaucoup, ému par l’éloquence de saint Augustin ; mais deux jours après, le matin de la fête, ceux qui avaient le plus pleuré vinrent pour dresser leurs tables dans l’église. Saint Augustin y courut et les harangua de nouveau ; le peuple lui répondait qu’à Rome même, dans l’église Saint-Pierre, il y avait des festins, et des festins moins décens que les leurs[31]. On contait même qu’une dame romaine, sainte Pauline, étant morte, son mari avait fait dresser en son honneur, dans la basilique de Saint-Pierre, des tables servies pour les pauvres avec grande abondance. Saint Augustin fit de nouveaux efforts d’éloquence, et il réussit à les persuader. Comme il était surtout important d’occuper le peuple pendant cette journée, il l’engagea à revenir à l’église dans l’après-midi ; et là, faisant de saintes lectures, qu’il interrompait par d’éloquentes digressions, chantant les psaumes qu’il avait choisis et qui répondaient à son intention, il tenait le peuple attentif et charmé, quand tout à coup les chansons et les cris des donatistes, qui célébraient dans leur église les festins et les débauches accoutumées, retentirent jusqu’au milieu de l’assemblée, et vinrent ébranler les bonnes dispositions de la foule. Alors saint Augustin, reprenant la parole : « Les joies grossières et sacriléges des hérétiques vont rehausser encore, aux yeux de Dieu, la joie sainte et pure de notre réunion : ici le banquet spirituel de la foi chrétienne ; là, les appétits gloutons stupidement rassasiés. Quelle distance entre eux et vous, quoique vous entendiez leurs chansons impies ! quelle séparation qui durera jusqu’au dernier jour ! car c’est d’eux que l’apôtre a dit : « Malheur à ceux qui font un dieu de leur ventre ! la nourriture appartient au ventre, le ventre à la nourriture, et tous deux au néant ! » Ces paroles ramenèrent le peuple, et la journée s’acheva à chanter des hymnes au Seigneur. Je sens bien qu’en racontant ces luttes de saint Augustin contre le paganisme et contre ses pratiques, je m’éloigne un peu du sujet de mes études, car il n’y a rien là qui puisse servir par comparaison à mieux connaître et à mieux comprendre l’Afrique moderne ; mais je ne puis résister, je l’avoue, au plaisir de montrer au IVe et au Ve siècle de l’ère chrétienne le mouvement et la vie de ces villes de l’Afrique, oubliées pendant si long-temps et presque ensevelies dans les déserts, ou devenues au bord de la mer des nids de pirates et maudites par l’Europe, qui les avait autrefois bâties et peuplées à son image. En lisant dans saint Augustin le récit de ses entretiens avec le peuple pressé autour de sa chaire, l’idée de la longue solitude d’Hippone et de Carthage se mêle aux images de la vie du Ve siècle, et les rehausse par le contraste. J’ajoute comme dernière excuse que, si ce n’est pas l’Afrique que j’étudie, au moins c’est l’homme, et il me semble même qu’il y a entre l’habitant de Carthage ou d’Hippone au IVe siècle et l’homme de nos jours des traits de ressemblance qu’il est curieux de remarquer. C’est un de ces derniers traits que je veux montrer, en finissant le tableau de la confusion et de l’incertitude des idées religieuses en Afrique au IVe et au Ve siècle. Nous avons vu en Afrique les incertains représentés par Licent, les philosophes par Maxime et par Longinien ; nous n’avons pas vu les superstitieux. La superstition fait partie de l’esprit humain, et elle a sa place dans les sociétés incrédules. Seulement la superstition des incrédules a un caractère tout-à-fait particulier. L’incrédule ne croit à rien de divin, mais il transporte aisément aux hommes la toute-puissance qu’il refuse aux dieux. Il croit volontiers aux astrologues et aux magiciens ; mais l’astrologie et la magie sont pour l’incrédule des secrets de la science humaine : les dieux n’y sont pour rien. L’incrédule rit des augures, mais il croit que l’homme, à l’aide de certaines combinaisons de nombres, peut connaître l’avenir. Il rit des dieux qui sont immortels, il raille l’éternelle beauté de Vénus et l’éternelle jeunesse d’Hébé ; mais il croit qu’à l’aide de certains secrets de la médecine, l’homme pourra éterniser sa vie. Le propre enfin de la superstition des incrédules, c’est d’ajouter à la puissance de l’homme tout ce qu’elle ôte à la puissance de Dieu. Les temps d’incrédulité sont les temps où abondent les fausses religions, où pullulent les faiseurs de choses mystérieuses et extraordinaires, où éclatent enfin, sous mille formes, les tentatives de l’homme pour se passer de Dieu ou pour le remplacer. Telle était l’Afrique sous saint Augustin. Carthage avait ses devins, qui lui disaient la bonne aventure ; elle avait ses mathématiciens, qui tiraient l’horoscope des gens ; et la croyance à la magie était tellement répandue parmi ces hommes qui ne croyaient ni à Jupiter, ni à Jehovah, que, lorsqu’on leur parlait des miracles du Christ, ils ne les niaient pas, mais ils disaient qu’Apollonius de Thyanes et Apulée de Madaure en avaient fait d’aussi grands. Le grand devin de Carthage au temps de saint Augustin était Albicere. Avait-on perdu quelque chose, on allait voir Albicere, et dès qu’il vous apercevait, il vous disait ce que vous aviez perdu, et où vous le retrouveriez. Albicere savait surtout le compte de l’argent qu’on lui apportait. Un jour, quelqu’un lui envoya de l’argent par un esclave sans le prévenir ni de l’envoi, ni de la somme : l’esclave pensa qu’il pouvait, sans danger, en voler une partie. Dès qu’il entra : « Tu m’apportes de l’argent, lui dit Albicere, et tu en as volé. » L’esclave restitua son larcin, et s’enfuit épouvanté. Un jour, Flaccien, un des principaux citoyens de Carthage et des plus éclairés, qui se moquait fort d’Albicere et de ceux qui le consultaient, allait acheter un domaine, et, rencontrant Albicere, il voulut l’éprouver : Dis-moi ce que je vais faire ? lui demanda-t-il, et Albicere lui répondit sans hésiter qu’il allait acheter un domaine, et il lui dit même le nom de ce domaine, quoique ce nom fût très bizarre. « Et moi-même, dit Licent, qui raconte dans les Académiques les traits que je viens de citer[32], je vis un de nos amis, qui dit un jour au devin, voulant le tenter : À quoi pensé-je en ce moment ? — À un vers de Virgile, dit Albicere. — Notre ami convint que c’était vrai. — Mais quel vers ? dit-il ; et Albicere, qui était le plus ignorant des hommes, et qui n’avait jamais vu l’école des grammairiens qu’en passant dans la rue, cita le vers, sans se tromper d’un seul mot. » Ces histoires ressemblent trait pour trait aux histoires des magnétiseurs et des magnétisés de nos jours. Ne nous étonnons donc pas de la vogue qu’avait Albicere à Carthage vers l’an 380 de l’ère chrétienne. Albicere était l’homme merveilleux que la nature avait doué d’un don particulier de pénétration ; les mathématiciens étaient des savans : aussi l’esprit de système se mêlait à leurs prédictions. Ils consultaient les astres pour prédire l’avenir ; mais ils croyaient aussi que les astres réglaient la conduite des hommes et maîtrisaient leurs actions. De là un système commode de morale que saint Augustin combat vivement. Le libertin n’en peut mais de ses péchés, il est né sous l’influence de Vénus ; le voleur s’excuse sur l’ascendant de l’astre de Mercure, et le sanguinaire sur celui de Mars. C’est le système de la monomanie moderne transporté dans le ciel. « Pensez-vous, dit saint Augustin dans une lettre à Lampade, qui croyait à la science des mathématiciens, pensez-vous qu’un de ces interprètes des astres, quand il quitte ses tablettes d’ivoire pour s’occuper de sa maison et de son ménage, s’abstienne de gronder ou même de battre sa femme s’il l’a surprise, je ne dis pas à jouer trop librement, mais seulement à regarder à la fenêtre avec trop de curiosité ? — Ne me battez pas, dirait en vain la pauvre femme, ou plutôt battez Vénus, si vous pouvez, dont l’ascendant me force à agir ainsi. Vaines paroles ! les astres sont bons à consulter pour vendre aux riches leurs horoscopes, mais il n’est pas d’ascendant qui puisse empêcher un mari de battre sa femme. » J’ai montré le singulier état des esprits en Afrique sous saint Augustin, l’incertitude des uns, l’éclectisme des autres, la superstition du grand nombre, et je me suis promis de faire quelques comparaisons entre cet état de choses et les idées de M. le général Duvivier dans son ouvrage intitulé : Solution de la question d’Algérie. J’avoue qu’au moment de faire ce parallèle, j’hésite beaucoup. Ce n’est point à Alger, en effet, ce n’est pas dans les rangs de l’armée, que nous rencontrerons Licent, qui s’inspire de son incertitude religieuse encore plus qu’il ne s’en afflige. N’espérons pas non plus retrouver dans l’ouvrage du général Duvivier la raillerie sceptique de Maxime ou l’éclectisme poli de Longinien. De superstition, pas l’ombre ; et quant aux mathématiques, quoique M. Duvivier les adore, il les emploie beaucoup mieux assurément que Lampade. Il ne s’agit donc pas ici d’une ressemblance exacte ; il s’agit seulement de quelques rapprochemens de sentimens. M. Duvivier n’est point, en matière de religion, de la race des incertains, des éclectiques, des railleurs ou des superstitieux ; il est d’une race plus forte et plus élevée. Il est du nombre des hommes qui veulent une loi ferme et décisive, une loi qui maîtrise et qui fortifie les sentimens de l’homme, une religion enfin ; il est du nombre de ceux qui, lorsque la religion s’est affaiblie dans une nation, croient que cet affaiblissement de la foi est un signe de l’affaiblissement général des caractères, et que le peuple qui a perdu son ardeur ou sa charité religieuse est moins capable qu’il ne l’était naguère de faire de grandes choses ; et voilà ce qui l’inquiète pour la France, voilà ce qui lui inspire la triste épigraphe de son livre :

Atque dies aderit quâ concidat Ilion ingens,
Et Priamus Prianiique ruet plebs armipotentis !

Que la France se fasse en Algérie un asile et une seconde patrie ! Qu’elle s’y crée un sanctuaire pour y transporter ses dieux pénates, si jamais sur la terre natale la main de l’étranger devait les profaner ! Mais ce sanctuaire, comment le bâtissons-nous ? Nous portons en Afrique le venin de notre néfaste et railleuse indifférence en matière de religion[33], et, chose remarquable, M. Duvivier compte en même temps sur ce venin pour affaiblir la résistance des mahométans ; mais il y compte comme sur une arme de guerre, comme sur un instrument de destruction, et non de création. Notre incrédulité peut, par contagion, nuire aux Arabes ; elle ne peut rien créer ni rien fonder pour nous.

« Si nous avions la foi robuste et brûlante des Godefroy et des Bayard, nous formerions des ordres militaires et religieux qui seraient les têtes de colonne et les conducteurs militaires de notre invasion. Si nous avions des hommes hardis, vigoureux, sobres, croyans, comme furent les compagnons de Fernand Cortez, ils se précipiteraient à la conquête et à la civilisation sur la trace de ces ordres religieux. Si nous avions la charité chrétienne, de riches sociétés se formeraient qui donneraient les fonds nécessaires pour transporter les nouveaux croisés. Alors, on peut en être assuré, ceux-ci réussiraient. Certes, ils imposeraient impitoyablement leur croyance aux indigènes ; mais ce serait une cause de plus de réussite rapide, car, malgré le progrès des idées, il ne faut pas qu’on s’y trompe, une nation qui veut être puissante doit avoir une discipline sévère, et sa première règle doit être de ne pas admettre de diversité de croyances. »

J’ai fait cette citation pour montrer quelle fermentation d’idées il y a dans le livre de M. Duvivier, et comment toutes ses idées, quelque détour qu’elles fassent, aboutissent toujours à la religion. Cependant, comme beaucoup d’hommes de notre temps, M. Duvivier, en fait de religion, sait mieux ce qu’il regrette que ce qu’il veut, et je serais fort embarrassé de tirer de son livre une conclusion précise et nette. Qu’il me soit permis pourtant d’exprimer rapidement l’idée que je me fais de ses pensées et de ses sentimens, et je dirais même volontiers de son caractère.

J’ai toujours pensé que la guerre d’Afrique, en rapprochant l’un de l’autre l’esprit de l’Occident et l’esprit de l’Orient, aurait sur les hommes de notre temps qui prendraient part à cette guerre une influence particulière. L’esprit oriental est grave, calme et persévérant. Les imaginations en Orient sont vives et mobiles ; mais les caractères formés d’habitudes immémoriales y sont fermes et stables. Les qualités de l’esprit oriental étant précisément le contraire des défauts de l’esprit occidental, et surtout de l’esprit français, son voisinage et ses inspirations doivent nous servir. Pendant quelque temps encore, les deux génies opposés se choqueront plutôt qu’ils ne se toucheront ; mais les chocs même amènent et hâtent le mélange des choses. Peu à peu les deux esprits s’initieront l’un à l’autre.

Cette initiation a pour cause principale la nécessité ; toutefois, beaucoup de causes secondaires y concourent. De ces causes secondaires, je n’en mentionnerai que deux, l’une qui nous concerne tous en général, et l’autre qui concerne quelques hommes de notre siècle, et en particulier M. le général Duvivier.

La première cause est ce que j’appellerais volontiers le désenchantement de notre orgueil. Depuis le milieu du XVIIIe siècle jusque vers 1814, l’esprit français croyait sincèrement à son infaillibilité ; il avait foi en lui-même. Nous ne doutions pas de l’efficacité de nos principes de morale et de politique pour faire le bonheur des nations. Sous l’empire même, enivrés par nos succès, nous nous sommes crus un instant infaillibles et invincibles. Nos malheurs militaires et nos désappointemens politiques nous ont corrigés. Nous nous sommes peu à peu persuadé que, pas plus que les autres siècles, pas plus que les autres peuples, nous n’avions trouvé la pierre philosophale. Cette défiance de nous-mêmes est un premier acheminement à l’estime et à l’imitation d’autrui. Comme beaucoup d’entre nous se sentent faibles et incertains, et qu’ils souffrent de leur incertitude, la fermeté et le calme du génie oriental doivent avoir sur nous plus de prise que jamais.

Aux hommes incertains, ajoutez les hommes qui aiment l’ordre et le commandement, comme le général Duvivier, et qui ne l’aiment pas par vanité et par gloriole, mais pour faire et pour créer quelque chose[34]. Ces hommes-là sentent combien la foi était un admirable principe d’action ; ils le sentent par réflexion, par souvenir, et ils le sentent aussi parce qu’ils en voient les effets chez les Arabes. N’oublions pas non plus, parmi les influences de l’esprit oriental, ces inspirations secrètes qui viennent du climat et des habitans. Quand le général Duvivier était à Gelma, il était sans cesse mêlé aux Arabes, tantôt faisant de la politique avec eux ou contre eux, excitant les rivalités des tribus et les empêchant ainsi de se réunir contre nous ; tantôt, au mois de décembre 1837, « lorsqu’il est mécontent de n’avoir pas été placé aux lieux où l’on combattait, et qu’il s’astreint à ne rien faire pour n’être pas traité de faiseur, » étudiant le pays et questionnant les indigènes, afin de dresser la carte de cette contrée. Ainsi, soit dans ses jours d’activité militaire, soit dans ses heures de repos et de mécontentement, il s’occupait sans cesse du pays et de ses habitans. À travers les soins de la guerre et les études géographiques, les mœurs, les idées, les sentimens des Arabes l’attiraient par la curiosité et donnaient à cet esprit actif et hardi un perpétuel sujet de réflexions. Ce génie oriental si peu bruyant, si peu bavard, si peu discuteur, si peu sceptique, si peu matérialiste enfin, quoique ce soit la renommée de l’Orient d’aimer le luxe et les plaisirs, cet esprit devait plaire au général Duvivier, ne fût-ce que par le contraste. Aussi, ne cache-t-il pas à cet égard sa préférence dès qu’on le pousse un peu. « La civilisation qu’on prêche aux Arabes, dit-il quelque part, ne leur donnerait qu’un bonheur social moindre encore que celui qu’ils trouveraient sous la domination générale et organisatrice de l’intelligent et religieux Abd-el-Kader. »

L’organisation par la religion, voilà, si je ne me trompe, l’idée dominante du général Duvivier, et ceci m’amène à indiquer la seconde d’entre les causes particulières de l’union de l’esprit occidental avec l’esprit oriental. Cette cause ne concerne qu’une partie des hommes de notre temps ; mais ce n’est pas la partie la moins distinguée. Cette cause est, selon moi, l’influence de l’École Polytechnique. Cela peut sembler un paradoxe ; aussi je me hâte d’expliquer ma pensée.

Voilà près de cinquante ans que dure l’École Polytechnique. Pendant ces cinquante ans, elle a créé plus que des ingénieurs habiles, plus que des artilleurs expérimentés, plus que des savans ; elle a créé un esprit dont sont imprégnés, selon la nature de leur intelligence, tous les hommes qui sont sortis de cette école. Quelle que soit la différence des temps, les diverses générations de l’École Polytechnique ont toutes un caractère particulier qui leur est commun. Elles ont une parenté d’intelligence qui se distingue entre toutes les autres. Il n’est personne, si l’œil de son esprit est tant soit peu exercé, qui ne reconnaisse, au bout d’une demi-heure de conversation, que son interlocuteur est un ancien élève de l’École Polytechnique. Il y a un accent qui l’accuse.

Quel est l’esprit de l’École Polytechnique, et comment cet esprit peut-il s’accorder avec l’esprit religieux de l’Orient ? Quelques exemples expliqueront cela mieux que beaucoup de raisonnemens. On sait que, dans les essais de religions nouvelles tentés de nos jours, les disciples les plus fidèles et les plus distingués de ces cultes nouveaux sortaient de l’École Polytechnique. Assurément, les fondateurs de l’école ne pensaient guère qu’il dût jamais en être ainsi. Ils auraient plus volontiers prédit l’indifférence des élèves de l’École que leur goût et leur besoin d’avoir une religion ; mais l’esprit de l’homme a des tours et des détours imprévus. Vous l’appliquez aux sciences les plus positives, aux travaux les plus techniques, et vous croyez qu’enfermé dans le cercle des réalités matérielles, il ne sera jamais tenté du spiritualisme : prenez garde ! voici qu’il vous échappe du côté où vous le croyiez le mieux gardé, et qu’il court du premier bond à cette idée de Dieu dont l’homme ne peut supporter tranquillement ni l’absence ni la présence, à cette grande énigme qu’il ne peut jamais résoudre, et qu’il ne veut jamais abandonner, si bien que l’humanité semble passer sa vie à fuir cette idée quand elle l’a trouvée, et à la rechercher quand elle l’a perdue.

Le goût de la religion est entré dans l’esprit de l’École Polytechnique d’une manière analogue aux penchans et aux habitudes de cet esprit. L’esprit polytechnique, habitué à voir le concert et l’harmonie merveilleuse des forces de la nature matérielle, a vu avec répugnance le désordre et la confusion des forces de la nature morale ; il a vu en même temps que la religion savait seule mettre un peu d’ordre et de beauté dans ce chaos. De là son admiration et son goût de religion. M. Duvivier dit d’Abd-el-Kader que c’est un grand organisateur, et par conséquent un organisateur religieux. Ces paroles semblent indiquer la marche que l’esprit polytechnique a suivie pour revenir à Dieu, et ce qui me confirme encore dans cette idée, c’est que, dans les essais de cultes nouveaux qu’a faits ou qu’a favorisés l’esprit polytechnique, les inventeurs ont toujours cherché un moyen d’organisation sociale plutôt qu’une religion. Je dirais même volontiers que c’est par là que ces essais ont péri. Il était trop visible que dans ces religions nouvelles tout était fait de main d’homme. La divinité et la foi manquaient partout, quoique partout proclamées comme nécessaires. On sentait trop que les fondateurs s’étant donné pour problème d’organiser la société, et ayant trouvé que la religion seule pouvait résoudre le problème, ils avaient fait une religion pour satisfaire aux lois de la logique. Ajoutons même que, parmi les réformateurs, ceux qui ont continué à faire, sinon une église, du moins une école, sont ceux qui, plus fidèles que les autres à l’esprit primitif de l’École Polytechnique, cherchent dans la science seule, et non dans la religion, le secret de l’organisation sociale.

En France, l’esprit de l’École Polytechnique avait beaucoup à faire pour revenir à Dieu. Nos habitudes, nos mœurs, nos idées, notre civilisation tout entière, éloignent plutôt qu’elles ne rapprochent l’idée de Dieu. En Orient, c’est le contraire ; tout parle de religion. On peut, en Europe, chercher le secret de l’organisation sociale ailleurs que dans la religion : l’homme, en Europe, offre tant de prises ! En Orient et chez les Arabes, la vie de l’homme est si simple, qu’il n’y a que la religion qui ait prise sur lui. Nous dépendons de nos maisons, de nos meubles, de nos plaisirs, de nos sociétés, de tout ce que le corps a créé pour son aisance. Chez les Arabes, au contraire, le corps est réduit au strict nécessaire : c’est l’ame qui se donne carrière par l’enthousiasme religieux. Ces différences entre l’état social de l’Europe et l’état social de l’Algérie font que personne ne peut songer à y créer quelque chose avec les brillans oripeaux seulement de notre civilisation. Aussi, parmi les hommes éclairés, les uns songent à créer quelque chose à l’aide de la discipline militaire : ils ont foi en l’armée, non-seulement pour conquérir, mais pour coloniser et gouverner le pays. Cette confiance est juste ; nous attendons aussi beaucoup de l’armée, car l’armée est le seul corps social qui soit encore capable d’action, parce qu’il est le seul qui croie encore à la légitimité de sa hiérarchie, et qui se fasse de l’obéissance un devoir et un honneur plutôt qu’une nécessité. Cependant, au ressort de la discipline militaire, d’autres personnes, et le général Duvivier est du nombre, ajoutent ou voudraient ajouter le ressort plus actif encore de l’enthousiasme religieux. La discipline donne l’ordre, mais la foi donne la vie. De là les regrets et l’admiration du général Duvivier pour les ordres religieux. Ils avaient en même temps la discipline et la foi ; ils étaient vraiment organisés. On sent, en lisant l’ouvrage de M. Duvivier, curieux mélange de discussions techniques et de réflexions élevées, on sent que, dans les loisirs de son commandement, en face du désert et des Arabes, inspiré par le climat et par l’histoire, il a souvent rêvé aux grandes choses que pourrait faire sur cette terre d’Afrique un homme d’un esprit audacieux et ferme qui commanderait à des soldats disciplinés comme les nôtres et enthousiasmés comme les Arabes. Cet homme remuerait le monde, et il serait plus grand que Godefroy de Bouillon et que Fernand Cortez, car il aurait en même temps la science et la foi. C’est ainsi, en effet, que l’esprit polytechnique conçoit les héros, les faisant savans d’abord, inspirés ensuite, et combinant, si je puis ainsi dire, dans la grandeur du prophète et du législateur qu’il attend, la vérité de la science et la puissance de la foi. Le nouveau messie saura les mathématiques comme un élève de l’École ; mais, de plus, il sera inspiré par Dieu ; et, en cherchant à expliquer ce caractère du nouveau messie, je me souviens involontairement du personnage que Napoléon semblait vouloir jouer en Égypte, où il se donnait volontiers pour inspiré aux mahométans, et signait pour la France : Bonaparte, membre de l’Institut. Les réflexions que je viens de faire sur l’ouvrage de M. le général Duvivier ne touchent qu’à quelques-unes des idées de ce livre ; elles laissent de côté tout ce qui concerne la colonisation de l’Algérie qui est l’objet principal du livre. Mais ces idées sont curieuses, parce qu’elles sont en Afrique le premier symptôme d’une préoccupation religieuse qu’on s’attendait peu à rencontrer dans les camps, et parce qu’elles se ressentent à la fois des idées de notre temps et des inspirations particulières de l’Afrique : non que je veuille dire que nos officiers vont prendre en Afrique le goût de la théologie et devenir des controversistes. Je crois seulement que le voisinage du mahométisme, la nécessité de l’étudier pour comprendre les mœurs et les sentimens des Arabes, l’esprit de prosélytisme chrétien excité par la présence des adversaires du christianisme, la carrière immense ouverte au zèle de nos prêtres, je crois que mille causes diverses doivent remuer en Algérie l’esprit religieux. La guerre et la colonisation auront encore long-temps le premier rang en Afrique, mais la religion y aura aussi sa part. C’est là le seul enseignement que je veuille tirer aujourd’hui du livre de M. Duvivier.


Saint-Marc Girardin.
  1. Voyez la livraison du 15 septembre dernier, celles des 1er  mai et 1er  août 1842.
  2. Contra epistol. Manichæi, t. VIII, p. 267.
  3. « Tu me adolescentulum pauperem ad peregrina studia pergentem et domo et sumptu et, quod plus est, animo suscepisti ; tu patre orbatum amicitia consolatus es, hortatione animasti, ope adjuvasti. Tu in nostro ipso municipio favore, familiaritate, communicatione domus tuæ pene tecum clarum primatemque fecisti. » (Contra Academicos, lib. II, cap. III, p. 441, t. I.)
  4. « Romanianus maxime instabat huic rei et magnam in suadendo habebat auctoritatem, quod ampla res ejus multum cæteris anteibat. » (Conf., lib. VI, cap. XIV.)
  5. Voir les traits de ce portrait dans le second chapitre du livre premier du Contra Academicos, t. i, p. 423.
  6. « Reddam tibi gratiam (dit-il à Romanien, Acad., liv. II, p. 444), filius tuus cœpit jam philosophari. »
  7. « Illum enim adolescentem (Trygetium) quasi ad detergendum fastidium disciplinarum aliquantum sibi usurpasset militia, ita nobis magnarum honestarumque artium ardentissimum edacissimumque restituit….. qui tanquam veteranus adamavit historiam. » (Contra Acad., lib. I, p. 424 ; De Ord., lib. I, p. 533.)
  8. « Licentius admirabiliter poeticæ deditus. » (De Ord., p. 533.) « Excogitandis versibus inhiantem, nam demedio pene prandio clam surrexerat, nihilque biberat… In illis græcis tragædiis verba, quæ non intelligis, cantes. » (Acad., p. 463.)
  9. « Vix tamen domesticis negotiis evoluti sumus….. Magnam ejus partem diei in epistolarum maxime scriptione compsumpseramus. » (Acad., p. 454.)
  10. Contra Acad.
  11. De Beata vita.
  12. De Ord.
  13. « Præsertim cum Hortensius liber Ciceronis jam eos ex magna parte conciliasse philosophiæ videretur. » (Acad., p. 425.)
  14. « Dies pene totus cum in rebus rusticis ordinandis, tum in recensione primi libri Virgilii peractus fuit. » (Acad., p. 432.) « — Septem fere diebus a disputando fuimus otiosi, cum tres tantum Virgilii libres post primum recenseremus. » (Ibid., p. 445.)
  15. De Ord., p. 536.
  16. Hoc opus, ut jubeas tantum. (Lettr., t. II, p. 58.)
  17. Nos iter immensum disterminat et plaga ponti
    Interfusa coercet ; amor contemnit utrumque,
    Gaudia qui spernens ocutorum, semper amico,
    Absenti fruitur ; quoniam de corde profundo
    Pendet et internæ rimatur pabula fibræ.
    (Lettr., p. 60.)

  18. Crede meis, o docte, malis veroque dolori,
    Quod sine te nullos promiltunt carbasa portus,
    Erramusque procul turbata per æquora vitæ,
    Præcipites densa veluti caligine nautæ,
    Quos furor australis, stridens et flatus ab euro
    Percutit et raptis privavit turbo magistris.

    Suivent encore trois vers de description de tempête :

    Sic me ventus agit volvuntque cupidinis æstus
    In mare lethiferum.
    (P. 59.)

    Par la pensée et par l’expression, à la fois abstraite et métaphorique, ces vers de Licent ressemblent à beaucoup de vers de nos jours.

  19. Lettre 16e, p. 28.
  20. Nous voyons, dans la réponse de saint Augustin, que Namphanion, ce nom qui faisait tant rire Maxime, voulait dire, en langue punique, un homme qui a bon pied.
  21. Lettre 16, p. 28.
  22. « Grave mihi onus et difficillimam respondendi provinciam mihi imponis, tuis percuntationibus et sub hoc tempore explicandis per meæ opinionis sententiam, id est a pagano homine. » (Lettre 234, t. II, p. 1285.)
  23. Il était prêtre de quelque temple ; il parle de son sacerdoce : « Ut mea expetunt sacerdotia. »
  24. Let. 234, t. II, p. 1235.
  25. Lettre 235, p. 1288.
  26. Qu’il me soit permis de citer quelques phrases de saint Augustin qui expliquent fort clairement sa doctrine. Un païen avait fait au prêtre Deogratias plusieurs objections, et, entre autres, celle-ci : s’il fallait croire à la damnation de tous les hommes venus avant Jésus-Christ. Saint Augustin, en répondant à cette objection, conclut par ces phrases remarquables : « Cum nonnulli commemorantur in sanctis hebraïcis libris jam ex tempore Abrahæ, nec de stirpe carnis ejus, nec ex populo Israel, nec ex adventitiâ societate in populo Israel, qui tamen hujus sacramenti participes fuerunt ; cur non credamus etiam in ceteris hâc atque illâc gentibus, alias, alios, fuisse, quamvis eos commemoratos in eisdem auctoritatibus non legamus ? Ita salus religionis hujus, per quam solam veram salus vera veraciterque promittitur, nulli unquam defuit, qui dignus fuit, et cui defuit, dignus non fuit. » (Lettre 101, t. II, p. 417.) Et saint Augustin, voulant expliquer ces paroles, dit dans son Traité de la Prédestination, chap. X : « Si discutiatur et quæratur undè quisque sit dignus, non desunt qui dicant voluntate humana ; nos autem dicimus gratia vel prædestinatione divina. » Ainsi, la grace a choisi ses élus avant Jésus-Christ comme elle les choisit après Jésus-Christ, mais toujours par l’intervention de Jésus-Christ. Ainsi, sans la grace, les sacrifices avant Jésus-Christ et les pratiques pieuses après Jésus-Christ ne font pas les élus de Dieu. Dans saint Augustin, la grace précède, domine et explique tout.
  27. Lettre 50, t. II, p. 173.
  28. Salvien, liv. VIII.
  29. Lettre 29, t. II, p. 76-77.
  30. Grégoire-le-Grand disait dans ses instructions aux missionnaires qu’il envoyait dans la Grande-Bretagne : « Ne supprimez pas les festins que font les Bretons dans les sacrifices qu’ils offrent à leurs dieux ; transportez-les seulement le jour de la dédicace des églises ou de la fête des saints martyrs, afin que, conservant quelques-unes des joies grossières de l’idolâtrie, ils soient amenés plus aisément à goûter les joies spirituelles de la foi chrétienne. » Lettres de Grégoire-le-Grand, liv. IX, lettre 71.
  31. « De basilicâ beati apostoli Petri quolidianæ vinolentiæ proferebantur exempla. » (Lettre 29, t. II, p. 77.)
  32. Acad., lib. I, p. 433.
  33. Solution de la question d’Algérie, page 44.
  34. « On m’avait déclaré un faiseur, » dit avec humeur le général Duvivier dans la préface de sa Topographie de Gelma. — Je ne suis point militaire, mais il me semble que ceux qui faisaient ce reproche au général Duvivier poussaient bien loin la religion de la consigne, dont le principe est d’agir sans penser. En Algérie surtout, je ne conçois guère que les officiers chargés d’un commandement ne soient pas quelque peu faiseurs, et je souhaite qu’ils le soient.