Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses/ De la catalepsie

J. B. Baillière et fils (p. 276-308).


VIII

DE LA CATALEPSIE[1]

― 1857 —

La catalepsie est une maladie peu connue, et dont l’histoire présente de nombreuses lacunes, parce qu’elle est très rare et que peu de médecins ont eu l’occasion de l’observer.

Les annales de la science contiennent, il est vrai, un assez grand nombre d’exemples de prétendue catalepsie ; mais ils n’ont pas tous un degré suffisant d’authenticité. Les auteurs qui les rapportent ont été souvent aveuglés par l’amour du merveilleux, et d’autres ont été trompés par des malades habiles à simuler un état qu’ils n’éprouvaient pas réellement. On ne saurait trop se tenir en garde, en effet, contre cette cause d’erreur, quand il s’agit de faits si singuliers, et si contraires à ce qu’on observe habituellement dans les autres maladies nerveuses. De plus, les faits de catalepsie étant très rares, le même médecin ne peut presque jamais contrôler sa propre observation, à l’aide de nouveaux faits qui lui permettraient de faire la part de la vérité et de l’erreur ; il lui devient ainsi difficile de distinguer ce qui est principal de ce qui est accessoire, ce qui constitue la règle de ce qui n’est qu’une exception, d’arriver, en un mot, à une description type de la maladie, basée sur les caractères communs et généraux et non sur quelques particularités individuelles. Aussi, dans la plupart des descriptions qu’ils ont faites de cette maladie, les auteurs se sont-ils plutôt laissé guider par les faits particuliers qu’ils avaient eux-mêmes observés, que par la comparaison des diverses observations consignées dans la science. Ces faits, rapportés par des auteurs placés à des points de vue différents, et souvent très incomplètement racontés, sont difficilement comparables et ne fournissent que d’une manière très imparfaite, les éléments d’une description scientifique de la maladie. Ils sont le plus souvent disparates, ne se ressemblent en quelque sorte que par un seul point, la raideur cataleptique, et diffèrent les uns des autres par l’ensemble de leurs symptômes et par leur marche. On se trouve ainsi en présence d’un symptôme et non d’une maladie. L’état cataleptique se produit, en effet, dans des conditions très diverses. On le voit fréquemment accompagner les attaques d’hystérie et figurer dans cette maladie à titre de complication ; il survient de temps en temps chez les aliénés, chez les maniaques, aussi bien que chez les mélancoliques. Tantôt il n’existe que d’une manière partielle dans un bras, une jambe, ou une autre partie du corps, tantôt au contraire il affecte à la fois tous les muscles, sous formes d’accès véritables, à marche franchement intermittente. Quelquefois temporaire et de très courte durée, la catalepsie est d’autres fois continue pendant plusieurs mois presque sans interruption. Elle peut exister avec ou sans perte de connaissance ; elle est quelquefois le symptôme précurseur d’une maladie plus grave, telle que l’apoplexie ou l’épilepsie, ainsi qu’il en existe des exemples dans la science ; enfin, elle est très souvent compliquée d’extase ou de somnambulisme, c’est-à-dire qu’au lieu d’être accompagnée de la suspension des facultés intellectuelles, elle coïncide avec une grande activité intérieure de ces facultés.

Dans cet état de choses, il est extrêmement difficile d’arriver à se faire une idée nette de ce qu’on doit entendre par le mot catalepsie, de se rendre compte du degré d’authenticité des faits rapportés sous ce nom et de contrôler l’exactitude des faits nouveaux qui se produisent, à l’aide d’une description type basée sur les faits déjà acquis à la science ; il est difficile, en un mot, de se prononcer sur la question de savoir si le phénomène caractéristique de la catalepsie, c’est-à-dire l’impossibilité pour le malade de mouvoir ses muscles, et la facilité qu’éprouve un étranger à les mettre en mouvement et à leur faire conserver la position qu’il leur imprime, si ce phénomène, dis-je, n’est qu’un symptôme, survenant, à titre de complication, dans des maladies diverses, ou s’il doit au contraire continuer à servir de base à une véritable unité morbide.

Dans cet état d’incertitude de la science, à l’égard de la catalepsie, il importe de recueillir les faits nouveaux observés avec soin dans les divers pays, de les analyser avec de suffisants détails, pour qu’ils puissent être exactement appréciés, de faire ressortir leurs analogies et leurs différences, et de chercher à tirer de cet examen comparatif quelques éléments pour éclairer l’histoire d’une maladie si peu connue, dont les exemples sont si peu nombreux, et qui a été si rarement observée avec un degré suffisant d’attention.

Dans ce but, il nous a paru intéressant de rapporter deux faits publiés, l’un en France et l’autre en Allemagne, et qui ont été observés pendant très longtemps avec une scrupuleuse exactitude ; nous ferons suivre l’analyse détaillée que nous donnons de ces deux faits, de quelques réflexions qui ressortent immédiatement de leur étude et de leur comparaison avec les faits anciennement connus. L’un est emprunté à M. le Dr Puel, et l’autre au professeur Skoda.

I.Observations.

Voici ces deux observations, que nous publions dans tous leurs détails, dans la crainte de n’en pas donner, par une analyse trop abrégée, une idée assez exacte.

Observation de catalepsie, recueillie par M. le Dr Puel[2].

Mme D…, quarante-cinq ans, a reçu une éducation distinguée. Les premiers symptômes de sa maladie remontent à vingt ans. Née en 1810, bien portante, elle fut réglée à seize ans, en 1820. Vers dix-huit ans (1828), les règles se supprimèrent à la suite d’une frayeur. À partir de ce moment, il y eut une grande irrégularité dans les périodes menstruelles. Mariée à vingt-deux ans, elle eut d’abord une fausse couche, puis un second enfant qui mourut après dix mois. C’est pendant cette seconde grossesse qu’on vit apparaître, pour la première fois, la douleur vive et permanente de la région de l’estomac, que l’on retrouve ensuite dans toutes ses maladies subséquentes, qui est le caractère dominant de l’affection actuelle et le point de départ de tous les phénomènes nerveux. Pendant la digestion, douleurs vives à la région de l’estomac, vomissements, spasmes nerveux avec sentiment de boule hystérique, enfin perte de connaissance tous les jours, après le repas du soir.

Cet état persista jusqu’au huitième mois de la grossesse. Hémorragie utérine grave après l’accouchement ; anémie, séjour de deux mois au lit, enfin retour des accidents hystériques et de la douleur épigastrique ; un seul évanouissement par jour, au lieu de deux. Après ces deux grossesses, nouvelles fausses couches, et enfin naissance d’une fille qui vit encore : en résumé, en moins de cinq ans, quatre fausses couches et deux accouchements à terme.

Depuis sa seconde grossesse, Mme D… a souffert presque sans interruption. Les symptômes de gastralgie prédominent dans toutes les indispositions ultérieures et persistent, avec une certaine intensité, dans les intervalles des diverses affections. De 1835 à 1852, Mme D… éprouve un grand nombre de maladies variées, pour lesquelles elle est soumise aux traitements les plus contraires : elle éprouve souvent des vomissements, des contractions douloureuses de l’estomac et des convulsions hystériques avec perte de connaissance, douleurs d’estomac, toux hystérique, etc., etc.

Le 3 septembre 1852, M. Puel la vit pour la première fois. Elle éprouvait une douleur très vive au creux de l’estomac et dans le dos, et une toux sèche et fréquente. Il fut forcé de rattacher la toux à la gastralgie, parce qu’il ne découvrit aucun signe grave par l’examen de la poitrine. La toux diminua, mais les douleurs d’estomac devinrent intolérables ; elles augmentaient par la présence des aliments. Les moyens employés furent sans succès, comme tous ceux mis en usage antérieurement par d’autres médecins. Tous les soirs, entre quatre ou cinq heures, redoublement dans les symptômes ; douleurs plus vives ; raideur dans les mouvements et particulièrement dans ceux du cou : ce malaise persistait plusieurs heures et ne se dissipait souvent qu’au milieu de la nuit. Un jour, vers cinq heures, les douleurs furent si intolérables que la malade s’évanouit pendant une demi-heure. M. Puel ne fut pas témoin de ce premier accès, et jugea que c’était un accès d’hystérie, comme ceux d’autrefois. Le lendemain, nouvel accès avec perte de connaissance plus longue : pendant cet accès, la malade est raide et immobile, pas de convulsions cloniques. Dès qu’on la touche, même légèrement, les muscles se contractent avec plus de violence ; elle souffre évidemment de ce contact. Les mâchoires, fortement contractées, pressent les dents les unes contre les autres : de temps en temps, grincements de dents et cris étouffés ; les grincements et les cris augmentent par le moindre bruit entendu. Vu la périodicité, le sulfate de quinine fut administré ; mais les accidents s’aggravèrent, au lieu de diminuer. On employa le valérianate de zinc, mais l’intensité croissante des accès et leur incontestable périodicité firent employer le valérianate de quinine. Augmentation notable des douleurs d’estomac ; faiblesse et dépérissement inouïs. Depuis six semaines, la malade ne s’était pas levée, ne prenait presque pas d’aliments : dès lors, plus de médicaments et pure surveillance du régime alimentaire jusqu’à la fin de décembre 1852, époque où la malade commençait à prendre des forces et allait mieux.

C’est pendant ce temps (d’octobre à décembre) que M. Puel arriva à reconnaître que les accès de Mme D… constituaient de véritables accès de catalepsie.

Vers le milieu d’octobre, la douleur épigastrique, symptôme principal de la maladie, est à peu près permanente ; faible le matin, elle augmente pendant la digestion, et atteint son maximum d’intensité dans la soirée ; vers quatre ou cinq heures, la région de l’estomac est tellement sensible que le moindre bruit extérieur y retentit douloureusement ; bientôt après, les muscles du cou se raidissent, la tête s’incline sur l’épaule gauche, celle-ci se relève fortement, et le bras du même côté se rapproche du corps ; on voit ensuite se contracter successivement les masséters, les muscles du tronc et des membres, enfin les orbiculaires des paupières ; au bout de quelques heures, tous les muscles du corps sont dans un état complet de raideur, et la violence des douleurs s’accroît en raison du nombre des muscles contractés ; en même temps, les idées s’obscurcissent de plus en plus, la vue se trouble, les paupières se contractent involontairement, et la malade éprouve une grande difficulté à les tenir écartées ; enfin les paupières se ferment, pour ne plus se rouvrir. C’est alors que la malade perd connaissance.

En résumé, on doit remarquer que :

1oLes contractions musculaires ont lieu successivement et toujours dans l’ordre indiqué ;

2oLes muscles qui se contractent les premiers sont ceux qui, de même que l’estomac, reçoivent des filets nerveux de la huitième paire ;

3oC’est toujours à gauche, du côté de la grande courbure de l’estomac, où se trouvent les principaux nerfs, que débute la série des contractions musculaires.

À la fin d’octobre, les accès étaient très violents et présentaient une régularité remarquable ; la malade perdait connaissance à sept heures précises et ne revenait à elle que vers dix heures ; mais, malgré le retour de l’intelligence, les contractions musculaires persistaient et ne se dissipaient complètement que vers la fin de la nuit.

Une chose surtout mérite d’être remarquée pendant ces accès, c’est l’extrême sensibilité de la malade pour tout bruit et tout contact extérieur ; le son le plus léger lui faisait éprouver une sorte de secousse électrique ; les muscles se contractaient avec plus de violence lorsqu’on la touchait, même légèrement, et, si ce contact était prolongé, des cris étouffés s’échappaient de sa poitrine, en même temps qu’elle faisait des mouvements de déplacement comme pour fuir une impression pénible ; cette répulsion se manifestait indistinctement pour toutes les personnes qui entouraient la malade.

Comme il était impossible d’éloigner d’elle toutes les causes de bruit extérieur, elle finissait presque toujours par changer de position dans son lit ; on était souvent fort embarrassé pour la préserver d’une chute ; ses souffrances étaient si évidemment augmentées par le contact qu’on hésitait à s’approcher d’elle ; néanmoins, quelquefois on était bien obligé, et, dans les premiers temps, ce contact la faisait souffrir considérablement ; cependant, il sembla que la sensation devenait chaque jour moins désagréable ; enfin, le médecin reconnut qu’elle supportait sa main lorsqu’il persistait, malgré ses cris, à la laisser sur la sienne. Dès qu’il put toucher la malade sans déterminer aucun mouvement de répulsion, il lui fut aisé de constater qu’elle était en état de catalepsie.

Il plaça les bras, les jambes, la tête et le tronc, dans les attitudes les plus anormales et les plus difficiles à maintenir, et le corps conserva indéfiniment la dernière position déterminée ; en un mot, il fut possible de faire passer chaque membre, et même chaque muscle, par tous les degrés intermédiaires, depuis l’extension la plus prononcée jusqu’à la contraction la plus énergique. C’est alors que progressivement M. Puel fut amené à découvrir un moyen de soulager la malade pendant ses attaques. Un soir la malade était sans connaissance ; il tenait la main gauche dans la sienne et faisait avec la main droite de légères frictions le long du bras, lorsque tout à coup il sentit la main s’entrouvrir et les doigts s’allonger par un mouvement lent et régulier ; il redoubla les frictions, et en quelques minutes il eut la satisfaction de rendre au bras une souplesse telle qu’après avoir été soulevé il retomba sur le lit comme un corps inerte. Il crut avoir amené la fin de l’attaque, mais la malade était toujours sans connaissance, et tous les muscles du corps, excepté ceux du bras gauche, étaient restés dans la contraction.

Il s’empressa de faire des frictions analogues sur le bras droit, les jambes, le cou, le tronc, et obtint le relâchement complet des muscles ; enfin il toucha légèrement les paupières pour faire cesser les contractions des orbiculaires, et la malade, jusque-là privée du sentiment, ouvrit les yeux et recouvra instantanément connaissance.

Ce résultat merveilleux et inattendu pouvait paraître fortuit ; mais, le lendemain et les jours suivants, il obtint également, avec la plus grande facilité, le relâchement complet des muscles, et le retour de l’intelligence et du sentiment. Pour donner plus d’authenticité à un fait aussi surprenant, il le fit constater, à plusieurs reprises, par d’honorables praticiens de Paris dont il cite les noms.

À partir de ce moment, M. Puel varia ses expériences de mille façons, de manière à constater de nouveaux faits intéressants et de manière à arriver à la guérison complète de la malade. Voici, en résumé, les résultats les plus remarquables auxquels il est arrivé :

1oCe n’est qu’après avoir opéré le relâchement des autres muscles du corps qu’il touche les paupières pour faire recouvrer connaissance à la malade et mettre fin à l’accès ; mais il peut également relâcher les muscles des paupières, sans faire cesser les contractions des autres muscles, restituer ainsi à la malade la plénitude de son intelligence, sans lui rendre la liberté de ses mouvements, ce qui lui permet d’être témoin de sa propre attaque de catalepsie. Chez la plupart des malades, la perte de connaissance survient en même temps que l’immobilité générale. Chez Mme D…, les contractions musculaires se développent successivement, précèdent toujours la perte du sentiment, et persistent quelquefois après que l’on a fait recouvrer connaissance à la malade. « Ces faits démontrent, dit-il, que le principe, quel qu’il soit, qui produit la contraction musculaire, est indépendant de celui qui préside aux fonctions sensoriales et intellectuelles. »

2oOn peut opérer le relâchement partiel d’un membre, tous les autres muscles restant contractés. Ce qui a été fait le premier jour pour le bras gauche a eu lieu les jours suivants pour le bras droit et pour l’une des jambes. M. Puel a pu détruire la contraction de l’avant-bras en maintenant celle du bras, mettre la main dans le relâchement sans détruire la roideur du coude, rendre à un seul doigt de la main toute sa souplesse, les autres restant fortement contractés. Il en a été de même pour les subdivisions du membre inférieur et pour tous les muscles du corps accessibles au contact extérieur. Ces faits sont en accord parfait avec la proposition inverse, démontrée par Duchenne de Boulogne, à savoir : la possibilité de produire la contraction isolée de chaque muscle du corps humain.

3oDes frictions faites dans le creux de l’aisselle, derrière le tendon du grand pectoral et près de la tête de l’humérus, suffisent pour amener en quelques minutes le relâchement du bras tout entier ; on obtient un résultat semblable pour le membre inférieur, en frictionnant la partie supérieure de la cuisse, entre les muscles pectiné et couturier.

4oLorsqu’on laisse la main immobile sur un point quelconque du ventre, notamment au creux de l’estomac ou dans la région de l’utérus, on provoque une vive douleur ; sur tous les autres points du corps, la main peut rester appliquée sans produire aucune sensation pénible, tandis que les frictions ordinaires, faites dans le but de combattre la contraction des muscles, sont réellement douloureuses. Ajoutons que les frictions longitudinales, opérées de haut en bas et dans la direction des fibres musculaires, ont paru les plus efficaces.

Traitement. Le traitement fut très long, très difficile, et dura près de trois ans. Une fois en possession d’un moyen de faire cesser les contractions musculaires et de faire revenir la connaissance, M. Puel songea à rompre la périodicité des attaques, et voici comment il s’y prit : Les accès, abandonnés à eux-mêmes, étaient d’une régularité désespérante ; vers sept heures précises, tous les soirs, la malade perdait connaissance, ne se réveillait ordinairement que de dix heures à minuit, et ne recouvrait la liberté complète des mouvements qu’à l’approche du jour. Aussitôt que la malade avait perdu connaissance, le Dr Puel procédait successivement au relâchement des muscles, et, vers huit heures environ, touchait les paupières pour faire recouvrer connaissance à la malade ; mais vers dix heures, une nouvelle perte de connaissance survenait. La malade avait ainsi deux accès, au lieu d’un, mais les deux réunis étaient moins forts que l’accès unique qu’elle avait précédemment. Il lui vint alors l’idée de retarder l’heure du premier accès, en combattant la roideur musculaire avant la perte de connaissance, et gagnant ainsi un quart d’heure tous les jours ; il finit par faire coïncider l’heure du premier accès avec celle du second, c’est-à-dire qu’il arriva à n’avoir qu’une seule perte de connaissance à dix heures du soir.

En continuant à agir ainsi tous les jours, il remarqua que les accès diminuaient d’intensité et même de durée ; un jour enfin, il fut assez heureux pour supprimer complètement l’accès. Il reparut les jours suivants ; mais, plus tard, il supprima, par le même moyen, deux accès consécutifs, puis trois, puis quatre, puis cinq. Malheureusement des circonstances indépendantes de sa volonté, jointes à la fatigue que lui faisaient éprouver à lui-même des visites quotidiennes aussi prolongées, le forcèrent d’interrompre ce mode de traitement et d’avoir recours à d’autres moyens. La première modification qu’il fit subir à sa méthode consista à remplacer les frictions générales, faites sur tout le corps, par des frictions partielles, au creux de l’aisselle, pour produire le relâchement des bras et à la région inguinale pour les membres inférieurs ; mais il fallait faire ensuite des frictions sur les autres parties du corps, et cela demandait toujours beaucoup de temps et de fatigue. Il eut recours alors à la belladone, à la dose de 1 à 2 centigrammes en solution, qui en facilitant le relâchement musculaire, lui fut très utile pour retarder l’heure des accès et contribuer à leur fusion, lorsqu’il y en avait deux par jour. Mais l’emploi de ce médicament ayant déterminé une action directe sur le cerveau, caractérisée par de la céphalalgie et une dilatation extrême de la pupille, il se vit forcé d’en suspendre l’usage et, chaque fois qu’il y renonçait, il voyait les accès redoubler de longueur et d’intensité, M. Puel eut alors recours, pendant plusieurs mois, à l’usage de douches descendantes, à 25 ou 26 degrés, dirigées sur la tête, la colonne vertébrale et le creux de l’estomac. Ces douches, administrées dans la journée, eurent pour effet immédiat la production artificielle d’un accès de catalepsie, qui vint s’ajouter à celui ou à ceux du soir ; mais ces accès, d’abord intenses, finirent par devenir moins violents et fort courts ; en même temps, ceux du soir perdaient de leur intensité. Dans les premiers jours, à l’accès de catalepsie succédait du délire, qui alternait avec la roideur cataleptique des membres ; mais, au bout de peu de temps, M. Puel s’aperçut que ce délire survenait seulement lorsqu’il voulait faire cesser trop tôt l’état cataleptique ; il se décida alors à laisser reposer la malade dans l’état cataleptique pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure après la douche ; il diminua ensuite, petit à petit, la longueur de cet intervalle et parvint ainsi à pouvoir éveiller la malade presque immédiatement après la douche, sans avoir à redouter le retour du délire. Ce traitement, continué avec persévérance, avait considérablement amélioré l’état de Mme D…, mais, pour des raisons étrangères à l’état maladif, M. Puel fut encore obligé de l’interrompre ; il employa alors des compresses d’eau froide appliquées autour du cou et renouvelées à peu près toutes les dix minutes pendant une heure. Il n’eut qu’à se louer de l’emploi de ce moyen simple et facile pour combattre la roideur musculaire ; dès l’application de la seconde compresse, on voyait les muscles des extrémités se relâcher, les autres muscles perdaient leur roideur cataleptique, jusqu’à ce qu’enfin le cou, qui était la partie la plus difficile à dégager, fût entièrement libre, ce qui arrivait au bout d’une heure environ. En venant tous les soirs à l’heure de l’accès, le médecin se contentait d’éveiller la malade, sans avoir à faire aucune friction sur les diverses parties du corps ; la malade appliquait alors elle-même les compresses, et la roideur musculaire disparaissait ainsi successivement.

En résumé, en combinant ces divers moyens curatifs : frictions manuelles sur le trajet des muscles, belladone à l’intérieur, douches et compresses d’eau froide à l’extérieur, M. Puel est parvenu, d’abord à rompre la périodicité des accès, puis à diminuer leur intensité et leur durée ; enfin, après trois ans de traitement, il a eu la satisfaction de les voir cesser complètement, et il croit pouvoir affirmer que Mme D… est maintenant radicalement guérie de sa catalepsie.

Histoire d’une catalepsie ayant duré pendant plusieurs mois,
par le professeur J. Skoda
[3].

Juliana Neuman, quinze ans, née en Hongrie, Israélite, avait été gâtée par ses parents, était capricieuse, volontaire et fière ; son occupation principale consistait dans la lecture des romans. Son père avait eu, pendant longtemps, un écoulement d’oreille et est mort avec des accès tétaniques, causés probablement par une carie du rocher. Sa mère et ses sœurs sont bien portantes ; sa mère et une sœur de son père sont atteintes de surdité. Chez elle-même, on observa, dès l’âge de cinq ans, une légère dureté de l’ouïe qui augmenta avec les années, malgré les moyens employés et sans aucun état maladif appréciable à l’extérieur. Conformément au pronostic d’un médecin, on s’attendait à une amélioration de l’ouïe, lors de l’apparition de la menstruation. Celle-ci parut, pour la première fois, en mars 1851, vers la quinzième année de la malade, et se montra ensuite régulièrement les mois suivants, mais la dureté de l’ouïe ne diminua pas.

La malade fut alors conduite à Vienne, au mois d’août 1851, et soumise au traitement magnétique du Dr Schoder, qui employa des insufflations dans l’oreille et des frictions sur les mâchoires et sur les tempes. Elle se soumit à ce traitement avec répugnance. Au bout de quelques jours, elle parut très triste ; ceux qui l’entouraient la crurent même aliénée, puisqu’à plusieurs reprises elle s’accusait de fautes qu’elle n’avait pas commises. À partir du 25 août, c’est-à-dire après un traitement de trois semaines, elle parut plongée dans une profonde mélancolie ou plutôt dans une sorte d’absence de conscience : elle restait immobile pendant des heures entières, ne prenait aucune nourriture, n’adressait la parole à personne, ne répondait à aucune question et passait les nuits sans sommeil. Transportée encore une fois malgré elle chez le Dr Schoder, elle répondit d’une manière compréhensible à ses questions. Il attribua sa conduite à la frayeur et à la nostalgie, et conseilla le retour à son pays natal.

Ce voyage fut entrepris le 3 septembre et dura deux jours, pendant lesquels la malade ne prononça aucune parole et resta dans l’immobilité la plus absolue. À quelques lieues de son village, elle descendit de la voiture et marcha à pied pendant quelque temps. Arrivée chez elle, elle proféra à l’aspect de sa mère, un seul mot : ma mère ! fondit en larmes, puis retomba bientôt dans son immobilité antérieure, ne put se tenir debout, et on fut obligé de la mettre au lit.

Le médecin appelé constata déjà les symptômes caractéristiques de la catalepsie, c’est-à-dire que la malade conservait, pendant longtemps, la position dans laquelle on la plaçait. — Applications froides sur la tête, vésicatoires, emploi de purgatifs qui provoquent deux selles, et du tartre stibié qui détermine plusieurs vomissements.

Sous l’influence de ce traitement, la malade s’améliora en ce sens qu’elle prit la nourriture qui lui était offerte, mais resta sans sommeil et ne proféra aucune parole.

Le 8, l’extrait de belladone, à la dose de 1 seizième de grain, matin et soir, ramena le sommeil. Le 9, la malade ne répond que par un léger murmure aux manifestations affectueuses de sa tante, qui l’aimait tendrement. Le 10, la figure est animée et gracieuse. Le 11, elle commença à parler, et quelques jours après elle parut complètement guérie.

Elle prétendit alors qu’à Vienne elle avait été ensorcelée. On ne put apprendre d’elle rien de plus précis, car elle était toujours excitée par les questions relatives à son état. Elle ne pouvait pas entendre prononcer le nom du Dr Schoder. Il est probable qu’elle ne savait pas grand chose sur sa maladie, car elle ne se rappelait même pas comment elle était revenue de Vienne.

Le médecin ne crut pas à une guérison complète, et en effet, le 1er octobre 1851, la maladie reparut et avec un nouveau degré d’intensité. Le 30 septembre, elle était encore très gaie. Dans la nuit du 1er octobre, elle poussa tout à coup un cri de terreur, et à dater de ce moment, elle resta de nouveau sans mouvement avec la bouche et les yeux ouverts ; pendant quarante-huit heures, il ne survint ancun sommeil et elle gardait dans sa main la nourriture qu’on lui offrait, sans même y jeter un regard. Le 3 octobre, le sommeil revint et amena une amélioration dans l’état général. Le 14, elle lut, d’une voix faible, les mots qu’on écrivait devant elle, et se leva sur son séant dans son lit. Dans l’après-midi, survint une nouvelle aggravation ; les deux nuits suivantes furent sans sommeil. Elle repoussa la nourriture et les médicaments qui lui étaient offerts, et elle manifesta, par divers mouvements, le besoin d’aller à la selle et de rendre des urines.

On employa plusieurs fois le tartre stibié, qui provoqua des vomissements, puis l’arnica. On appliqua trois fois une douche froide sur la tête, et le 22 octobre un vésicatoire sur la poitrine. La douche froide ne produisit que la première fois un tremblement chez la malade ; les autres lois, elle ne parut pas le sentir. Le 22 au soir, elle se mit sur son séant dans son lit, frotta la plaie produite par le vésicatoire, et poussa quelques sons inarticulés.

Depuis cette époque, il survint, il est vrai, tous les soirs, quelques mouvements et dans la nuit du sommeil, mais il ne se manifesta aucune autre amélioration. La malade fut de nouveau envoyée à Vienne, et admise à la clinique le 29 octobre.

Cette jeune fille, délicate mais régulièrement constituée, était couchée sans mouvement dans son lit ; les yeux ouverts, immobiles, dirigés en avant, larmoyants ; la pupille dilatée, la conjonctive injectée, et présentait de temps en temps un tremblement appréciable des paupières. La figure non grimacée était sans expression, un peu enflée, habituellement pâle, avec rougeur passagère du front et des joues ; la bouche fermée laissait écouler une salive fétide. L’examen des autres organes ne fit découvrir rien de maladif. Le pouls était à 84, petit ; il y avait douze respirations par minute, à peine appréciables ; la peau de tout le corps, principalement des pieds, était fraîche. À l’exception des sterno-mastoïdiens, fortement tendus, tous les muscles étaient mous et dans le relâchement. La malade restait debout, assise ou couchée, dans toutes les positions qu’on lui donnait ; la tête seule, à cause de la tension des sterno-mastoïdiens, ne pouvait être remuée à volonté. Dans le lit, le tronc conservait toutes les positions, depuis l’angle droit, jusqu’à une inclinaison de 10° ou 12° pendant un certain temps, sans qu’aucun tremblement ou aucun effort fût manifeste. Il en était de même de l’extension du bras, avec extension ou flexion simultanée de l’avant-bras que la malade fût assise, levée ou couchée.

Le même phénomène se manifestait aux extrémités inférieures, mais à un moindre degré qu’au tronc et aux mains, et certaines positions peu habituelles des membres inférieurs, par exemple une torsion très forte en dehors ou en dedans, n’étaient pas conservées. Dans les différentes positions qu’on imprimait à la malade, il n’y avait de contractés que les muscles dont l’action était nécessaire pour maintenir la position donnée ; tous les autres muscles étaient complètement relâchés. Lorsqu’une position avait été maintenue pendant plus ou moins longtemps, elle ne se transformait pas subitement, mais au contraire très lentement, en une autre position plus conforme aux lois de la pesanteur. Le tronc placé obliquement, le bras élevé fortement en haut, ne s’abaissaient que très lentement, et, après le changement de position, de nouveaux muscles entraient en action.

La malade pouvait être chatouillée, pincée, piquée, dans toutes les parties du corps, sans qu’il en résultât aucun mouvement. En dirigeant brusquement le doigt ou la pointe d’un couteau vers le globe de l’œil ouvert, on ne déterminait aucun mouvement dans l’œil ni dans les paupières ; mais, si l’on touchait les cils, on provoquait un tremblement des paupières ; le même résultat était obtenu en approchant rapidement de l’œil la flamme d’une bougie.

Si l’on excitait la muqueuse nasale à l’aide de la barbe d’une plume, ou avec des substances à odeurs fortes, telles que l’ammoniaque, on ne déterminait que quelques légers mouvements dans les orteils. Pendant ces expériences, il se manifestait bientôt de la rougeur des joues et du front, les yeux se remplissaient de larmes, le pouls était accéléré et la température du corps élevée.

L’observation des jours suivants fit constater une différence incontestable entre l’état de la veille et l’état de sommeil de la malade.

À sept heures du soir, la malade, qui était restée tout le jour sur le dos, les yeux fixes et ouverts, et tout à fait sans mouvements, se retournait sur le côté gauche, fermait les yeux, et sa respiration devenait plus facile à entendre. Le matin, après avoir ouvert les yeux, elle se retournait elle-même sur le dos ou bien on lui aidait à prendre cette position lorsqu’elle négligeait de le faire elle-même. Pendant le sommeil, le bras soulevé conservait également la position qui lui était donnée.

La malade ne prenait pas autre chose que de l’eau et du café au lait très faible. Ces liquides lui étaient introduits en petite quantité, après lui avoir ouvert la bouche, tantôt avec une certaine force, et étaient avalés par la malade à l’aide de mouvements de déglutition à peine sensibles, principalement par la projection de la langue en arrière. Si l’on voulait introduire d’autres aliments que ces liquides, par exemple de la soupe et du lait pur, la malade appliquait la langue contre ses dents, et le liquide introduit s’écoulait hors de la bouche. Si l’on insistait pour le faire pénétrer plus profondément dans la cavité buccale, il en résultait un accès de toux ou de vomissement. On essaya plusieurs liquides d’un goût agréable ; mais, à l’exception d’un peu de limonade qu’elle avala une fois, elle repoussait tout le reste, ce qui prouve que cette malade conservait la sensation du goût, et par conséquent un certain degré de conscience. L’eau et le café ne pouvaient pas être introduits à toute heure. En général, la malade n’était en état d’avaler que le matin et le soir.

Le 2 novembre, au soir, elle s’assit elle-même dans son lit, saisit un verre d’eau et le but. La quantité de café avalée par jour était de 6 à 10 onces ; la quantité d’eau, à peu près la même. L’urine expulsée s’élevait de 6 à 14 onces ; elle était foncée, limpide, avait une pesanteur spécifique de 1033, et laissait déposer lentement des cristaux d’acide urique. Les selles étaient à l’état normal. Dans les premiers temps, les évacuations alvines n’avaient pas lieu ; la menstruation avait cessé au mois d’août, et depuis ce temps n’avait pas reparu. Le poids total du corps de la malade était, au 30 octobre, de 55 livres.

Après avoir employé, dans les premiers jours, l’électricité à plusieurs reprises et sans succès, le 5, je fis mettre, pendant dix minutes, la malade dans un bain à 25° Réaumur ; une heure après la bain, elle devint livide, tout le corps se refroidit, et les extrémités inférieures étaient tendues et roides. On fut obligé d’appliquer autour d’elle des bouteilles d’eau chaude, et ce n’est que quarante-huit heures après, que la température du corps s’éleva de nouveau au degré où elle était avant le bain, et que disparurent la lividité du corps et la tension des muscles. Le refus de la malade d’avaler autre chose que de l’eau et du café m’empêcha d’introduire des médicaments par la bouche ; il me parut plus convenable d’avoir recours aux lavements.

Je choisis le café noir comme excitant du cerveau ; à dater du 7 on en administra tous les jours 6 onces en lavement ; les jours suivants, la malade parut mieux, l’écoulement de salive était moindre, l’injection de la conjonctive avait diminué. Lorsqu’il fut démontré que le café ainsi administré était absorbé, on y ajouta 6 onces de bouillon de bœuf et un œuf en lavement.

Le 11, survient pour la première fois, depuis l’entrée de la malade, une selle normale. Le 16, la malade fut pesée de nouveau ; elle pesait 53 livres. On observa alors qu’elle pouvait se tenir droite sur ses jambes, mais qu’elle ne pouvait maintenir l’équilibre et qu’elle serait tombée si on ne l’avait pas soutenue. Le 17, seconde évacuation alvine. Le 16 on avait observé une nouvelle diminution de la température du corps. Le 17, on fut obligé d’avoirs recours à des bouteilles d’eau chaude, et le pouls descendit à 66°. Le 18, comme la température et la fréquence du pouls ne s’élevaient pas, on administra, indépendamment du café noir, du lait, du bouillon, et de la quinoïdine en lavement. Vers le soir, le café pris par la bouche fut vomi. Le 19, la malade dormit beaucoup pendant le jour, on fut obligé de la réchauffer artificiellement ; elle ne prit aucune nourriture ; on lui administra, indépendamment du café noir, du lait, du bouillon de bœuf, de la quinoïdine en lavement.

Le soir, le sommeil ne vint pas ; la malade éprouva un tremblement de tout le corps, et les extrémités inférieures devinrent roides ; vers quatre heures du matin, le tremblement et la tension des muscles cessèrent, avec des évacuations alvines et urinaires. Le 20, à huit heures du matin, le sommeil survint ; la température du corps s’améliora, on constata un tremblement des paupières et des muscles de la face, et un changement fréquent de coloration de la face se manifesta pendant plusieurs heures ; le pouls monta à 84.

La nuit du 20 au 21 fut sans sommeil, le pouls monta à 88 ; les pieds devinrent roides ; de temps en temps, on fut encore obligé de réchauffer artificiellement la malade. On supprima la quinoïdine, qui, sans être cause des accidents, n’avait produit aucun bien, et le café fut remplacé par le thé russe, en lavement ; la malade ne prit aucune nourriture par la bouche. Dans la nuit du 21 au 22, sommeil interrompu, la tension des extrémités cesse. Le 22, le pouls est à 60. Le 23, la malade prit 10 onces de café au lait, le pouls flotta entre 60 et 72. Dans la nuit du 24, le sommeil fut paisible. Malgré son long séjour au lit et l’immobilité, pas d’eschares au sacrum.

Malgré la dureté de l’ouïe de la malade, on crut à la possibilité de l’influencer par la musique ; mais, mise auprès d’un piano sur lequel on jouait des airs variés, elle ne fit pas le moindre mouvement de nature à faire croire qu’elle entendît la musique. À l’occasion de cette expérience, on constata que la malade pouvait se tenir debout, et que soutenue et poussée en avant, elle pouvait faire quelques pas. À partir de ce jour, on la fit lever et promener dans la salle ; à l’exception des pieds, qui faisaient les mouvements de la marche, toutes les autres parties du corps étaient sans mouvements. Les premiers jours, elle ne pouvait rester debout que quelques minutes ; au bout de quelque temps, elle fut promenée autour de la salle et mise ensuite dans un fauteuil. Malgré cette amélioration, l’urine était toujours rendue dans le lit. Du 13 au 27 décembre, l’amélioration continua lentement ; on administra tous les jours un bain de pieds chaud pour rappeler la menstruation, et le 27, on appliqua dans le même but, pendant vingt minutes, un appareil hémospasique sur l’extrémité inférieure droite. Le pouls monta, vers la fin de l’opération, à 140 ; la face devint d’une pâleur cadavérique, la température baissa. Il se produisit des mouvements spasmodiques dans tout le corps, et la malade, couchée sur le dos, se retourna brusquement sur le côté gauche ; on s’empressa d’enlever l’appareil, et au bout de quelques heures la température du corps était rétablie. L’amélioration progressive continua dans la première quinzaine de janvier. La figure commença à prendre de l’expression ; la malade fixait les objets avec les yeux, mais la bouche restait toujours fermée ; on était obligé de l’ouvrir pour y introduire les aliments ; l’excrétion d’une salive fétide continuait.

À dater du 20 janvier 1852, la malade ne conservait plus la position qui lui était donnée ; le bras, élevé et abandonné à lui-même, retombait brusquement ; la nourriture de la malade augmenta ; l’urine était encore rendue involontairement pendant le sommeil.

À partir du 1er mars, la malade ouvrait elle-même la bouche pour manger ; l’expression de la figure était animée ; les mouvements des mains s’exécutaient volontairement ; la marche était plus solide ; l’urine était rendue volontairement. Les jours suivants, la malade se mit à travailler, se promena dans la salle, et manifestait ses idées par signes. Le 12, son beau-père vint la visiter ; à sa vue, elle devint pâle et triste pendant plusieurs heures. Le lendemain la tristesse augmenta ; la malade ne voulait pas quitter le lit, prit très peu de nourriture ; les nuits furent sans sommeil ; les glandes sous-maxillaires enflèrent ; la conjonctive devint rouge, l’œil mobile, et le signe caractéristique de la catalepsie fut de nouveau sensible aux extrémités supérieures.

Cette aggravation, qui avait paru primitivement causée par la visite du beau-père devait être attribuée en réalité au gonflement des glandes sous-maxillaires, causé probablement par un refroidissement.

Le 21, les forces avaient repris au point que la malade pouvait faire une promenade dans la cour de l’hôpital. Le 27, elle répondait par écrit à quelques questions, par oui ou par non. Le 28, elle écrivit une lettre à sa mère.

À partir du 29, elle exprimait tous ses désirs par écrit. Toutes les tentatives pour la faire parler étaient infructueuses ; lorsqu’on la questionnait à cet égard, elle paraissait embarrassée et mécontente. Le 4 avril, la malade, sans cause connue, devint abattue et ne voulut plus ni écrire ni se promener ; la nuit fut sans sommeil. Le lendemain matin, le pouls était à 100, le regard incertain, la figure exprimait l’anxiété ; la nourriture était prise avec précipitation. Nouvelle insomnie la nuit suivante. Le 6, le pouls était à 120. Le 7 même état ; la malade portait vivement la nourriture à sa bouche, l’y conservait longtemps, et faisait entendre un grognement singulier en remuant les aliments entre ses dents. Pendant la nuit suivante, elle s’assit brusquement dans son lit, prononça distinctement deux phrases, puis s’endormit. Depuis ce moment, son état s’améliora de jour en jour. Le 14, elle écrivit une longue lettre à sa mère, répondait aux questions par écrit, jouait aux cartes, se promenait ; seulement, elle ne pouvait pas parler. Le 20 enfin, vers quatre heures, elle commença à parler ; mais sa voix était faible, nasonée, et manquait même quelquefois complètement. Les jours suivants, la voix devint de plus en plus forte ; la malade manifestait une véritable joie de pouvoir parler.

De tous les symptômes de la maladie, il ne restait plus que la sécrétion exagérée de salive et la raideur du cou. La menstruation n’était pas encore revenue.

Le 1er mai, la sécrétion de salive et la raideur du cou cessèrent ; la voix était comme avant la maladie ; la malade était très disposée à raconter à tout venant ce qu’elle savait de sa maladie. Nous apprîmes alors par elle que pendant le traitement du Dr Schoder, une tristesse subite s’était emparée de son esprit et qu’elle n’avait pu la dominer par aucun moyen. « J’étais immobile, dit-elle ; je croyais quelquefois avoir répondu à des questions qu’on m’avait adressées, et j’étais irritée quand on me questionnait de nouveau ; d’autres fois je savais clairement que je n’avais pas parlé, mais que je ne le pouvais pas. » Elle se rappelait son départ de Vienne : lorsqu’on lui demanda son passe-port, dit-elle, elle crut que l’on voulait l’enfermer et la pendre, parce qu’elle avait eu une discussion avec la police.

Chez elle, sa santé devint meilleure ; néanmoins elle sentait toujours une pression au sommet de la tête et ne pouvait s’occuper de rien. Elle se rappelait en outre son second voyage à Vienne, et racontait assez exactement les essais qui furent faits sur elle à la clinique. Elle se rappelait qu’on l’avait approchée du piano ; son souvenir le plus désagréable était relatif à l’appareil hémospasique. Les tentatives faites sur elle l’avaient jetée souvent dans une grande anxiété, parce qu’elle ne savait pas où on voulait en venir ; elle avait été bien soulagée en entendant dire qu’elle guérirait et qu’on ne lui ferait aucun mal.

Relativement à son absence de mouvement, elle dit qu’il lui était impossible de mouvoir un seul membre ; que souvent, lorsqu’on voulait faire sur elle un essai, elle faisait de grands efforts pour mouvoir son corps et pour s’y soustraire ; que l’approche des aliments surtout la mettait dans une grande anxiété, mais qu’elle ne pouvait pas la manifester autrement qu’en appliquant la langue contre les dents. Plusieurs fois elle a eu la sensation d’une corde qui aurait lié ensemble sa bouche et son estomac ; alors la déglutition devenait impossible.

Les convulsions et les spasmes lui causaient de la douleur. Lorsque son état s’améliora, elle sentit très bien que les diverses parties de son corps devenaient de plus en plus libres l’une après l’autre. Elle se rappelait très bien que, peu de temps avant sa guérison complète, elle avait parlé pendant la nuit.

Le 4 mai, elle quitta l’hôpital complètement guérie ; la dureté de l’ouïe persistait et la menstruation n’était pas encore revenue.

Au mois de juillet, on m’apprit que la guérison s’était bien maintenue.

II.Examen critique des observations.

Ces deux observations de catalepsie sont assez intéressantes par elles-mêmes, et par leur comparaison avec celles que l’on trouve dans les auteurs anciens et modernes, pour mériter un examen particulier et pour servir à éclairer plusieurs points encore obscurs dans l’histoire de cette maladie.

La première de ces observations, recueillie avec un soin tout particulier par le Dr Puel, qui a consacré plusieurs années à l’étude de la malade qui en fait l’objet, est remarquable sous plusieurs rapports. Elle est d’abord tout à fait exceptionnelle par la multiplicité des accès qu’a présentés la malade pendant plusieurs années. Ces accès se reproduisaient avec une extrême régularité et avaient toujours les mêmes caractères. Les faits qui méritent surtout d’être signalés dans ces accès sont les suivants : la contraction musculaire avait lieu successivement et non simultanément dans les divers muscles du corps : les muscles du cou se contractaient les premiers, puis successivement, et toujours dans le même ordre, survenait la contraction de tous les autres muscles de l’économie. Ceux des paupières se contractaient en dernier lieu, et c’est alors seulement, lorsque les yeux se fermaient, que la malade perdait connaissance. Cette perte de connaissance, pendant laquelle tous les muscles de la vie animale continuaient à rester dans l’état caractéristique de la catalepsie, durait trois heures environ. Mais ce qu’il y a de plus curieux et ce qui rend cette observation tout à fait exceptionnelle, c’est que, lorsque la perte de connaissance venait à cesser, les muscles conservaient néanmoins leur roideur encore pendant assez longtemps.

Cette indépendance des symptômes musculaires et des symptômes intellectuels, au commencement et à la fin de chaque accès, est un fait très extraordinaire et contraire à ce que l’on a constaté dans presque toutes les observations de catalepsie, où les troubles musculaires se produisent en même temps que la perte de connaissance et disparaissent avec elle.

Ce caractère particulier que nous offre cette observation dans les accès abandonnés à leur marche naturelle, nous le retrouvons, d’une manière plus surprenante encore, lorsque le Dr Puel eut découvert le moyen de rompre la périodicité des accès, et de diminuer leur durée et leur intensité, à l’aide de frictions manuelles exercées sur les diverses parties du corps. Cette portion de l’observation contient même des faits si extraordinaires que, si l’on ne connaissait toute la science et toute la bonne foi de cet honorable praticien, et si ces faits ne s’étaient pas renouvelés un nombre de fois considérable avec les mêmes caractères, on serait tenté de croire à la simulation. Nous voyons, en effet, le Dr Puel faire cesser à volonté le spasme musculaire, soit dans un seul membre à la fois, soit dans tous les muscles les uns après les autres, à l’aide de simples frictions longtemps continuées. Enfin, ce qui est plus étonnant encore, nous voyons qu’il lui suffit de toucher les paupières de la malade, non seulement pour lui faire ouvrir les yeux, mais encore pour lui faire recouvrer la connaissance, et cela, alors même que le système musculaire tout entier continue à rester dans l’état cataleptique, de sorte que l’auteur parvient ainsi à faire assister la malade à sa propre attaque de catalepsie. Tous ces faits, décrits avec le plus grand soin dans l’observation que nous avons rapportée précédemment, sont si singulièrement exceptionnels, qu’ils paraîtraient presque incroyables s’ils n’étaient racontés avec tous les détails scientifiques nécessaires, qui ne permettent pas de douter de leur réalité.

Eh bien, cette observation, si exceptionnelle déjà sous le rapport de l’isolement des symptômes intellectuels et musculaires, ne l’est pas moins sous le rapport de l’état de la sensibilité. Dans presque tous les cas de catalepsie, en effet, la sensibilité générale et spéciale est suspendue pendant toute la durée de l’accès ; ici, au contraire, loin d’être abolie, elle est exaltée. Le moindre contact et le moindre bruit extérieurs suffisent pour provoquer de vives douleurs, pour augmenter la tension du système musculaire, et pour provoquer chez la malade des grincements de dents, des cris étouffés, et même (ce qui est encore tout à fait contraire à l’immobilité habituelle des cataleptiques), quelques mouvements de déplacement, comme pour fuir le contact pénible des objets extérieurs. Cette sensibilité exagérée était même si développée chez cette malade, qu’elle a empêché pendant longtemps le Dr Puel de constater chez elle le signe caractéristique de la catalepsie ; il ne pouvait la toucher sans provoquer de sa part une douleur si vive qu’il redoutait de lui faire subir cette expérience.

Cette observation se différencie donc profondément de toutes les observations connues de catalepsie, sous le rapport de ses symptômes les plus importants, par l’existence possible des troubles musculaires indépendamment de la perte de connaissance, ainsi que par l’exaltation de la sensibilité. Si nous voulions pousser plus loin cette comparaison, que nous bornons à dessein à la constatation de ces deux différences capitales, nous trouverions également, dans l’examen des autres symptômes secondaires, des anomalies nombreuses.

Si nous examinons au même point de vue la seconde observation, publiée par le professeur Skoda, nous lui trouvons des caractères bien différents aussi, soit de l’observation précédente, soit des faits de catalepsie en général. Ce qui frappe surtout, à la lecture de cette seconde observation, indépendamment de la durée très longue et presque continue de la maladie, c’est l’état particulier dans lequel se trouve le système musculaire. Le professeur Skoda a pris le soin, en effet, de faire remarquer qu’à l’exception des sterno-mastoïdiens des muscles des mâchoires, et des extrémités inférieures pendant certaines recrudescences de la maladie, qui se trouvaient dans un état de véritable roideur, tous les muscles de la vie animale étaient dans le relâchement, et qu’il n’y avait de contractés que ceux qui étaient nécessaires pour maintenir la position donnée. C’est là un fait important à noter pour l’étude de la catalepsie, et bien différent de ce qu’on observe dans la plupart des cas, où les auteurs constatent plutôt la roideur, la rigidité des muscles, que leur état de relâchement.

Un autre fait mérite également d’être noté, sous le rapport du système musculaire, c’est que l’état cataleptique était moins prononcé aux membres inférieurs qu’aux membres supérieurs, et que certaines positions forcées et peu habituelles des extrémités inférieures n’étaient pas conservées indéfiniment. Enfin il est remarquable que dans les derniers mois de la maladie, alors que les muscles étaient encore dans l’état cataleptique, la malade pouvait se tenir droite sur ses jambes, et que plus tard on parvint même à la faire marcher en la poussant en avant. Sous le rapport de la sensibilité, cette observation diffère également de la précédente, mais se rapproche de la plupart des observations connues. La sensibilité est abolie d’une manière générale ; cependant il y a quelques exceptions à cette règle, puisqu’une bougie allumée, approchée brusquement du globe de l’œil, provoque le tremblement des paupières, et que des odeurs fortes, mises en contact avec la membrane pituitaire, donnent lieu à de légers mouvements, à la rougeur des joues, à la sécrétion des larmes, à l’accélération du pouls, et à une élévation de température du corps. Il importe en outre de faire remarquer que les aveux de la malade, après la guérison, prouvent que la sensibilité, quoique généralement éteinte, était en réalité moins complètement supprimée que ne l’eût fait croire l’observation directe, pendant l’accès.

Mais ce qui est également très digne d’attention, c’est l’état de l’intelligence, qui, par suite de l’absence de manifestations, paraissait suspendue, au moins pendant les premiers mois de l’affection, et que la conservation des souvenirs après la guérison nous montre persistant à un degré qu’on n’eût jamais supposé pendant le cours de la maladie. Ajoutons que cette observation est encore remarquable par la longue persistance de la suppression de la parole, alors que la connaissance était revenue, que la malade exprimait ses idées par signes et par écrit, et que les muscles ne conservaient plus les positions qui leur étaient données. Notons aussi, en terminant, le refroidissement général du corps, qui s’est reproduit à plusieurs reprises, et qui a duré une fois pendant plus de quarante-huit heures.

Après avoir résumé brièvement les caractères les plus saillants de chacune de ces observations, si nous cherchons à les comparer entre elles, nous verrons qu’elles n’offrent pas de nombreux points de contact. Elles ne se ressemblent, en quelque sorte, que par le symptôme considéré par les auteurs comme pathognomonique de la catalepsie, à savoir l’aptitude des muscles à conserver les positions qui leur sont données, et ceci suffit pour les faire ranger dans le cadre de cette maladie ; mais elles diffèrent presque sous tous les autres rapports.

Sous le rapport de la marche, elles ont l’une et l’autre une longue durée. C’est un point qui permet de les rapprocher, mais qui les distingue de la plupart des autres observations de catalepsie, dans lesquelles les accès, alors même qu’ils se reproduisent fréquemment, ne durent guère que quelques heures, et sont ordinairement séparés les uns des autres par d’assez longues intermittences. Dans ces deux cas, au contraire, les malades sont, pendant longtemps, incessamment sous le coup de la maladie, avec cette différence essentielle toutefois que, dans la première observation, l’affection est franchement intermittente et même périodique, que les accès se reproduisent tous les soirs à la même heure, avec une grande régularité, tandis que dans la seconde la maladie est continue, ainsi que l’intitule l’auteur, ne présente pas d’accès proprement dits, offre dans son cours plusieurs rémissions marquées et plusieurs recrudescences, mais non de véritables intermittences, et, pendant les trois derniers mois, va lentement et progressivement, en diminuant d’intensité dans tous ses symptômes, jusqu’à son entière guérison. Sous le rapport de l’état de la sensibilité, la première observation nous présente une exaltation constante de cette faculté, tandis que la seconde nous offre la suspension presque absolue de l’action des sens et de la sensibilité générale, excepté vers la fin de la maladie, alors que celle-ci diminue d’intensité, et qu’on voit disparaître plusieurs de ses symptômes les plus importants.

Relativement à l’intelligence, l’auteur de la première observation nous donne peu de détails sur sa conservation pendant les accès, lorsque la malade avait perdu connaissance ; mais il mentionne ce fait capital, que la connaissance, et par conséquent l’intelligence, existaient au commencement et à la fin de chaque accès, malgré l’état de rigidité du système musculaire. Il nous dit en outre que la malade, dans l’intervalle des accès, conservait quelques rares souvenirs de ce qui avait lieu pendant leur durée. Dans l’observation de Skoda, la malade ne put donner presque aucun signe d’intelligence tant que dura l’accès de catalepsie, excepté pendant les deux derniers mois de la maladie. Mais la conservation de certains souvenirs, après la guérison, prouve que l’action de l’intelligence n’était pas complètement suspendue, comme on aurait pu le supposer, d’après l’absence des manifestations.

Au point de vue de l’intelligence, ces deux observations se rapprochent donc davantage qu’au point de vue de la sensibilité, tout en présentant, même sous ce rapport, de très notables différences. Quant aux mouvements, malgré l’analogie apparente du signe caractéristique de la catalepsie, cet état est au fond très différent, puisque dans la première observation il y a roideur et augmentation considérable du degré de contraction musculaire par le contact, tandis que dans la seconde, il y a mollesse et relâchement complet de tous les muscles, à l’exception de ceux qui sont nécessaires pour maintenir les positions données, ainsi que des sterno-mastoïdiens et des masséters, qui sont dans un état de rigidité presque permanente.

Ces deux observations diffèrent donc essentiellement l’une de l’autre sous le rapport de leurs symptômes les plus importants, et après cet examen rapide de leurs analogies et de leurs différences, on pourrait hésiter à les ranger dans la même classe et à les considérer comme appartenant à la même maladie.

Ce qu’il importe maintenant de montrer, avant de poser une conclusion aussi absolue, c’est que les mêmes réflexions peuvent s’appliquer à la plupart des observations de catalepsie qui existent dans la science, et qu’après les avoir étudiées attentivement, on peut se demander avec raison si, en les réunissant toutes sous un même nom, on n’a pas plutôt fait l’histoire d’un symptôme que celle d’une maladie.

Lorsqu’on lit, en effet, avec attention les observations de catalepsie consignées dans les auteurs, on est frappé des caractères différents qu’elles présentent, même chez les auteurs modernes, qui cependant ont pris le soin d’écarter de leur description tous les faits appartenant évidemment à d’autres maladies, et qui n’ont accepté dans le cadre de cette affection que ceux qui présentaient le signe pathognomonique, à savoir l’aptitude du système musculaire à conserver toutes les positions qu’on lui imprime. C’est, en effet, sur ce signe que les auteurs de notre époque ont fait reposer la maladie ; ils ont ainsi évité un grand nombre de confusions commises par les auteurs des siècles précédents, qui avaient mélangé pêle-mêle les faits de catalepsie avec des faits d’hystérie, d’extase, de somnambulisme, ou même avec d’autres maladies beaucoup plus éloignées. Cette élimination ainsi faite, basée sur un caractère aussi spécial, a certainement de grands avantages, et nous ne venons pas nous élever contre le classement plus méthodique qu’a permis cette façon de procéder. La seule question que nous voulions poser est celle-ci : les faits réunis par les auteurs sous le nom de catalepsie, et qui présentent tous la lésion caractéristique du système musculaire, sont-ils réellement de même nature ? Cette lésion spéciale du système musculaire ne survient-elle pas dans des maladies très diverses, et les faits réunis à l’aide de ce caractère unique ne diffèrent-ils pas souvent sous tous les autres rapports, et même sous le rapport du symptôme qui sert à les rapprocher ? Telle est la question que je me propose d’examiner à l’occasion des deux faits dont j’ai publié l’analyse très détaillée, et qui serviront de base à cette discussion.

Les auteurs modernes qui ont écrit sur la catalepsie ont cherché, il est vrai, à baser l’existence de cette maladie sur la réunion de plusieurs caractères, et non sur un symptôme unique. On définit en effet ordinairement cette maladie de la manière suivante : c’est une névrose à marche intermittente, se reproduisant sous forme d’accès, caractérisés par la suspension de l’intelligence et de la sensibilité, et par une lésion spéciale du système musculaire, qui le soustrait à l’action de la volonté du malade, et lui permet de conserver toutes les attitudes dans lesquelles il se trouvait au moment de l’accès ou qui lui sont imprimées par une main étrangère. Cette définition a certainement un grand mérite, c’est de reposer sur un ensemble de symptômes principaux et sur la marche de la maladie, au lieu d’être basée exclusivement sur un seul caractère. Malheureusement, les faits ne se prêtent pas aussi facilement qu’on pourrait le supposer à la rigueur de cette définition, et, lorsqu’on étudie avec soin les observations de catalepsie recueillies par des auteurs différents, on ne tarde pas à s’apercevoir que les faits réunis sous le même nom diffèrent singulièrement les uns des autres, sous le rapport de ces divers caractères. La première question qui se présente alors à examiner est celle-ci : puisque le signe pathognomonique, tiré de l’état du système musculaire, est indispensable pour caractériser la maladie, doit-on admettre dans son cadre tous les faits qui présentent ce symptôme, quelles que soient d’ailleurs leurs diversités sous tous les autres rapports ? Mais, dans ce cas, il faudrait faire rentrer dans l’histoire de cette maladie des faits nombreux d’hystérie, d’extase, de somnambulisme, etc., avec état cataleptique du système musculaire, et alors on serait infidèle à la définition que nous venons de poser. D’un autre côté, si l’on ne veut admettre dans le domaine de la catalepsie que les faits présentant rigoureusement tous les caractères compris dans la définition, on diminue d’une manière très notable le nombre des faits de catalepsie véritable, et on laisse flotter au hasard, sans place déterminée dans le cadre nosologique, tous les autres faits qui ne rentrent pas exactement dans cette définition. Cette alternative est certainement très embarrassante ; aussi les auteurs ont-ils été forcés d’être moins sévères dans l’application de sa définition, et ont-ils donné le nom de catalepsie à des faits qui ne réunissent pas toutes les conditions voulues pour mériter réellement ce nom, privés qu’ils sont d’un ou de plusieurs des caractères nécessaires pour constituer cette maladie. Pour le prouver, il nous suffira de passer en revue ces divers caractères et de faire ressortir brièvement les anomalies singulières que présentent les différentes observations sous le rapport de chacun d’eux.

Et d’abord disons quelques mots de l’état de l’intelligence dans la catalepsie. L’intelligence, dit-on, est complètement suspendue pendant tout le temps que dure l’accès de catalepsie. Le malade, en sortant de son accès, ne conserve aucun souvenir de ce qui a eu lieu pendant sa durée ; quelquefois même il a oublié les faits qui ont précédé son invasion ; d’autres fois, au contraire, il continue, une fois l’accès terminé, la phrase ou l’action qu’il avait commencée immédiatement avant son explosion, comme si l’intervalle de l’accès était un temps entièrement effacé de son existence. Telle est, en effet, la règle générale, et c’est ce que l’on constate dans la plupart des observations de catalepsie vraie. Combien cependant cette règle présente d’exceptions ! Que faire alors de ces exceptions, si l’on ne doit ranger parmi les faits de catalepsie véritable que ceux qui offrent la réunion des trois ordres de symptômes qui servent à caractériser cette maladie ? Dans la majorité des cas, la constatation de la persistance ou de la suspension du travail intellectuel, pendant les accès de catalepsie, est presque impossible. On peut soutenir, à cet égard, également le pour et le contre, puisque le malade, ne jouissant pas de la liberté de ses mouvements, n’a aucun moyen de manifester, ni par les gestes ni par la parole, ses pensées s’il en a pendant l’accès, et que la mémoire lui faisant presque constamment défaut après l’accès, il lui est impossible de rendre compte d’un travail intellectuel qui aurait pu avoir lieu, mais dont le souvenir n’existe plus. Mais il ne s’agit pas ici de résoudre ce problème presque insoluble, de la persistance possible de l’intelligence dans les cas où il n’y a ni manifestation pendant l’accès ni souvenir après sa cessation. Nous laissons de côté tous ces faits, qui sont cependant les plus nombreux ; nous voulons seulement parler de cas exceptionnels dans lesquels il y a quelques manifestations d’intelligence pendant l’accès et quelques souvenirs après qu’il a disparu. On a cité, en effet, des faits dans lesquels, en adressant la parole aux malades pendant l’accès, on provoquait la sécrétion des larmes, quelques mouvements des yeux ou des muscles de la face, ou bien même on parvenait à faire cesser brusquement l’accès.

Dans ces cas, il est évident que les facultés intellectuelles n’étaient pas suspendues, puisque les malades comprenaient le sens des paroles qui leur étaient adressées. Eh bien, doit-on, par ce seul fait de l’existence d’un travail intellectuel, exclure du cadre de la catalepsie et faire passer dans le domaine de l’extase ces faits qui, sous les autres rapports, présentent les véritables caractères de la catalepsie ? Il est d’autres cas encore dans lesquels la conservation de l’intelligence ne se constate pas pendant l’accès, mais devient évidente après sa disparition, par la conservation de la mémoire des malades, qui racontent des faits qui se sont passés pendant leur accès, dont ils ont eu conscience, sans avoir eu aucun moyen de faire connaître au dehors qu’ils étaient en état de les observer. Dans les deux observations que nous avons rapportées, la conservation de l’intelligence a évidemment existé, au moins à certaines périodes des accès ou de la maladie ; et cependant, ces deux faits, exceptionnels sous ce rapport, ne peuvent guère être exclus du cadre de la catalepsie.

Les réflexions que nous venons de faire relativement à l’état de l’intelligence dans la catalepsie s’appliquent également à la sensibilité. Un des caractères les plus essentiels de cette maladie, un caractère sine qua non en quelque sorte, et presque aussi important pour la différencier d’autres maladies analogues que l’état du système musculaire, c’est la suppression absolue de toute sensibilité générale et spéciale. Les auteurs qui ont écrit sur les maladies nerveuses ont rapporté de nombreuses observations dans lesquelles on raconte qu’on a soumis les malades à toutes sortes d’épreuves et de tortures, pour s’assurer de l’état de leur sensibilité, et qu’ils les ont supportées héroïquement, sans sourciller et sans donner aucun signe de douleur. On est même très porté à suspecter la simulation dans tous les cas où les malades ne subissent pas ces expériences avec cette insensibilité caractéristique. Cependant, les observations de catalepsie rapportées par les auteurs contiennent de nombreuses exceptions à cette règle générale. Certains malades expriment la douleur qu’ils éprouvent pendant l’accès, à l’aide de cris étouffés, de mouvements des yeux ou des paupières, lorsque le mouvement est encore possible dans ces parties ; d’autres éprouvent une coloration rapide de la face, un refroidissement général, un ralentissement ou une accélération du pouls, ou bien versent des larmes qui restent cachées derrière les paupières, lorsque celles-ci sont fermées et ne s’épanchent au dehors qu’après la cessation de l’accès. Il est d’autres malades qui conservent encore quelques mouvements incomplets dans une partie quelconque du corps, et qui fuient alors, autant qu’il en est en leur pouvoir, tout contact extérieur appliqué sur cette partie. D’autres cataleptiques enfin, qui ne possèdent pendant l’accès aucun moyen de manifester la douleur qu’on leur fait éprouver, en conservent le souvenir après l’accès, et rendent compte alors des efforts inouïs qu’ils ont faits pour échapper à la douleur qu’ils ressentaient, mais qu’ils ne pouvaient ni fuir ni exprimer.

Il en est de la sensibilité spéciale comme de la sensibilité générale. Les cinq sens sont en général insensibles, pendant les accès de catalepsie, à leurs excitants naturels ; mais il n’en est pas toujours ainsi, et tantôt un sens, tantôt l’autre, se trouve conservé chez certains malades. Ceux qui conservent le souvenir après l’accès déclarent souvent qu’ils ont vu ce qui se passait autour d’eux, et le racontent aux assistants. D’autres, comme nous l’avons déjà dit, expriment de diverses façons l’impression que leur causent des paroles prononcées devant eux, ou bien sortent brusquement de leur accès, à la suite d’une promesse qu’on leur fait, d’une nouvelle qu’on leur apprend, en entendant le son d’une horloge, etc. ; il en est même qui obéissent pendant l’accès à certains ordres qu’on leur intime, ce qui prouve à la fois la conservation de l’ouïe et la possibilité de quelques mouvements. Il en est de même des sens du goût et de l’odorat, qui, habituellement supprimés pendant les accès, comme les autres sens, persistent quelquefois au point que des saveurs ou des odeurs sont perçues et provoquent, soit un demi-réveil momentané, soit même une cessation subite de l’accès. Les deux observations que nous avons rapportées présentent deux exemples divers, mais incontestables l’un et l’autre, de cette persistance possible de la sensibilité générale et spéciale. Ces exemples suffisent pour démontrer que la suspension de la sensibilité, de même que celle de l’intelligence, considérée par les auteurs comme un caractère essentiel de la catalepsie, est loin d’être constante, et pour prouver par conséquent que lorsque ces deux caractères viennent à manquer on est obligé de se contenter, pour constituer cette maladie, du signe pathognomonique tiré de l’état du système musculaire, et qu’ainsi on s’expose à réunir sous un même nom des faits très divers au fond, qui ne se rapprochent les uns des autres que par un seul symptôme, et qui peuvent tout aussi bien appartenir à d’autres maladies, telles que l’hystérie, l’extase, le somnambulisme, etc., qu’à la catalepsie proprement dite.

Pour terminer cet examen critique des caractères de la catalepsie, il nous reste maintenant à montrer que le symptôme pathognomonique lui-même, tiré de l’état des mouvements, sur lequel repose en réalité la maladie, est aussi mobile que tous les autres, et que, non seulement il diffère en intensité, en étendue et en durée, dans les observations réunies cependant sous le prétexte de l’identité de ce caractère, mais qu’il diffère également par sa nature intime, par ce qui le constitue essentiellement, par ce qui permet de le distinguer des autres symptômes nerveux analogues du système musculaire.

Selon les auteurs, tous les muscles de la vie animale sans exception sont, pendant les accès de catalepsie, soustraits à l’action de la volonté, et obéissent à l’impulsion d’une main étrangère. Eh bien, nous trouvons de nombreuses exceptions à cette loi générale dans diverses observations. D’abord on a cité quelques exemples de catalepsies partielles, qui n’affectaient que certaines parties, ou même qu’une seule moitié du corps. Dans certains cas, les membres supérieurs seuls sont dans l’état cataleptique, et les extrémités inférieures ne participent que très faiblement, ou même ne participent pas du tout à l’état d’immobilité caractéristique. Dans d’autres cas, ce sont des parties plus limitées du corps qui sont respectées par la maladie, les yeux, les paupières, les muscles de la face et du pharynx, qui se prêtent encore à l’expression de quelques sentiments ou à l’acte de la déglutition. Dans d’autres circonstances, le phénomène cataleptique varie en durée ou en intensité chez les divers malades, ou chez le même malade aux diverses périodes d’un même accès. Tantôt ce phénomène n’existe d’une manière violente qu’au début de l’accès, et diminue ou disparaît plus tard dans l’une ou dans toutes les parties du corps, sans que le malade recouvre pourtant la connaissance ou le sentiment ; tantôt il n’existe que d’une manière incomplète, ne peut être produit qu’avec peine ou bien ne persiste pas longtemps ; on voit bientôt le membre, maintenu immobile dans une position donnée, s’abaisser lentement et céder petit à petit aux lois de la pesanteur. Sous tous ces rapports d’étendue, de durée ou d’intensité, le symptôme caractéristique de la catalepsie diffère donc d’une manière très notable dans les diverses observations rapportées par les auteurs. Mais ce ne sont là que des différences de degré, qui ne changent rien à la nature intime du phénomène, qui n’empêchent pas de le reconnaître, et qui ne s’opposeraient nullement à ce que les faits présentant ces divers degrés d’un même phénomène fussent réunis dans une même classe, puisqu’il en est ainsi des symptômes de toutes les maladies, et surtout des symptômes nerveux, qui offrent des différences notables dans leur intensité et leur durée, sans perdre pour cela leur caractère essentiel. Mais ce qu’il importe de faire remarquer, c’est que les auteurs ont noté de telles différences dans la nature même du phénomène cataleptique, qu’il est impossible de continuer à décorer du même titre et à considérer comme identiques les lésions très diverses du système musculaire rangées par eux sous le même nom, considérées comme de simples différences de degré, et qui représentent à nos yeux une véritable différence de nature.

Quel est, en effet, l’état du système musculaire qui sert à caractériser la catalepsie ? C’est un état de contraction, intermédiaire à la contraction normale et à la rigidité tétanique. Dans la contraction normale, la volonté intervient pour maintenir l’immobilité des membres, et dans certains états volontaires, tels que l’extase ou la mélancolie avec stupeur par exemple, elle peut acquérir, sous ce rapport, une continuité d’action bien propre à simuler l’état cataleptique. Ce qui distingue alors ces malades des véritables cataleptiques, ce sont les efforts souvent appréciables qu’ils font pour conserver pendant longtemps la même position, la fatigue qui finit tôt ou tard par entraîner l’abaissement du membre soulevé, enfin la résistance qu’éprouve une main étrangère pour déplacer les muscles maintenus dans un état de contraction forcée. Mais combien ces nuances sont souvent difficiles à saisir, et comment poser une limite rigoureuse entre les cas de catalepsie incomplète que nous avons cités plus haut et l’immobilité volontaire de certains états extatiques ? Il en est de même de la distinction à établir entre la rigidité cataleptique exagérée et la contraction tétanique. Dans beaucoup d’observations de catalepsie, en effet, on représente le système musculaire comme étant dans un état de raideur telle qu’on éprouve une grande difficulté à mouvoir les membres, qui offrent une véritable résistance aux mouvements qu’on cherche à leur communiquer. Depuis le degré qu’on a comparé à celui d’une charnière rouillée jusqu’à celui qui a permis d’assimiler le corps tout entier des cataleptiques à une statue de pierre ou à un bloc de marbre, il y a une foule de nuances insensibles dans le degré de contraction des muscles qui rendent presque impossible toute ligne de démarcation tranchée entre la rigidité propre à caractériser la catalepsie et celle qui appartient en réalité au tétanos, aux spasmes toniques, ou même à la contracture des affections cérébrales. Ainsi donc, soit que la contraction musculaire propre à la catalepsie diminue, soit qu’elle augmente d’intensité, elle arrive peu à peu à se confondre avec des phénomènes voisins, d’un côté avec la contraction musculaire volontaire (ou même, dans quelques cas, avec l’immobilité résultant de la résolution paralytique), et, de l’autre, avec les convulsions toniques qui caractérisent d’autres affections du système nerveux. Elle perd ainsi insensiblement ses caractères propres, pour revêtir ceux d’autres phénomènes voisins, sans qu’il soit possible de poser scientifiquement une limite vraiment nette et précise, de nature à indiquer positivement où cesse le degré de contraction qu’on peut appeler cataleptique et où commencent ceux qui doivent recevoir une autre dénomination.

Nous croyons donc pouvoir conclure de l’examen auquel nous venons de nous livrer des phénomènes principaux de la catalepsie et des diversités qu’ils présentent dans les différentes observations, que l’on a réuni sous le nom de catalepsie des faits qui diffèrent singulièrement les uns des autres, non seulement par l’ensemble de leurs symptômes et par leur marche, mais par le caractère même qui seul permet de les rapprocher, et que par conséquent, dans la description que l’on a donnée jusqu’ici de cette affection, on a plutôt fait l’histoire d’un symptôme que celle d’une maladie véritable.


  1. Extrait des Archives générales de médecine ; Paris, 1857.
  2. Puel, De la catalepsie (Mémoires de l’Académie de médecine, 1856 ; tome XX, p. 144.)
  3. Skoda, Zeitschrift der K. K. Gesellschaft der Aertzte zu Wien, 8e année, IIe vol. ; Vienne, 1852, p. 404.