Étude sur la médecine hindoue/Introduction

INTRODUCTION[1]


On a versé bien des flots d’encre, écrit bien des volumes, pour montrer que la plupart des découvertes modernes furent connues dans une antiquité plus ou moins reculée. Sans aller aussi loin, il faut constater que les lumières scientifiques n’ont pas toujours suivi leur marche actuelle, et que si l’Occident tient sans conteste aujourd’hui le flambeau du progrès, il ne fait, après tout, que rendre par rayonnement aux contrées orientales, sous une forme nouvelle, plus parfaite et plus conforme à l’esprit du siècle, ce qu’il a reçu d’elles pendant de longues périodes.

À coup sur, il serait téméraire de vouloir retrouver dans les vieux livres aryens, telles que nous les comprenons à présent, les grandes théories dont nos savants s’enorgueillissent à juste titre ; mais beaucoup s’y trouvent en germe, estompées par des mythes tout luxuriants d’une poésie à laquelle nous ne sommes plus habitués. Si la vérité est une en effet, elle possède cependant autant d’aspects qu’il y a d’intelligences pour la concevoir. On voit donc combien la tâche est rude et périlleuse, en ce qui concerne la médecine particulièrement, d’en dégager les principes essentiels des détails parasites qui l’encombrent ; d’entrer, autant que possible, dans les vues des auteurs sans leur prêter ses propres pensées, et de condenser toutes les données vernaculaires en un système clair et intelligible, sans en dépouiller ce qui fait leur prix, c’est-à-dire l’originalité. Mais si l’exposition est difficile, à quels innombrables écueils n’est-on pas exposé lorsqu’on veut porter un jugement dépourvu de partialité et passer les idées médicales, ainsi mises à jour, au crible serré de la critique ?

La prudence n’est pas moins de mise non plus quand il s’agit de faire la part de ce qui revient en propre à chaque nation. d’établir ce qui chez elle est autochtone, et ce qu’elle doit à ses relations avec les contrées liées à elles par des intérêts de toute nature. La civilisation hindoue, au moins dans ses premières phases, étant plus avancée que celle des pays voisins, sans en excepter même l’Empire du Milieu, n’a contracté sans doute vis-à-vis d’eux que de rares emprunts. Toutefois, des historiens opiniâtres. encore entachés de fanatisme hellénique, ont prétendu qu’à une époque indéterminée. elle avait presque tout appris de la Grèce ; d’autres qu’elle n’avait eu que les Arabes pour maîtres scientifiques. Il importe de rétablir dans le débat une juste mesure, mais sans y insister au-delà de notre compétence ; nous admettons donc, avec M. le docteur Liétard (Dict. encycl. des sc. médic., art. Suçruta, p. 671), que la médecine hindoue s’est développée d’abord indépendamment de la médecine grecque, et qu’en des temps plus nouveaux (dès Hippocrate peut-être), des échanges de doctrines ont eu lieu entre elles, d’une manière de plus en plus suivie. Les traités encyclopédiques de Suçruta et de Caraka seraient les résultats définitifs de cette fusion.

Un savant professeur indigène, Romesh Chunder Dutt, dans son ouvrage sur la civilisation de l’Inde antique, d’après les documents sanscrits, divise l’histoire de sa patrie en cinq périodes, que nous adoptons en principe avec quelques modifications ; il est bien évident que ces périodes, purement artificielles, n’ont que des limites approximatives ; mais dans l’état de nos connaissances, nul ne saurait aviser à mieux. En voici le tableau :

I. Période védique (xxve ?-xive siècles avant J.-C.).

II. Période épique ou héroïque (xive-xe siècles avant J.-C.).

III. Période brahmanique (xe-iiie siècles avant J.-C.).

IV. Période bouddhique (iiie siècle avant J.-C., viie siècle après).

V. Période pourânique (viie-xiiie siècles après J.-C.).

Notre travail, tel que nous le soumettons, ne comprend que les périodes védique et épique ; les instants nous manquent, en effet, pour la publication intégrale du manuscrit volumineux que deux années d’efforts ont à peine suffi à rédiger et qui, probablement, ne sera jamais imprimé. Aucune étude d’ensemble n’a paru jusqu’ici, croyons, nous, sur la médecine aryenne pendant l’âge héroïque ; notre seule consolation est donc d’avoir été le premier à l’entreprendre.

  1. Les caractères sanscrits et pali-harmans ont été obligeamment prêtés par l’Imprimerie Nationale.