Étude sur la médecine hindoue/Avant-propos

AVANT-PROPOS


Ce travail n’est point une compilation ; conçu depuis longtemps, pendant le cours d’études orientales, accru peu à peu, au hasard des trouvailles, des circonstances malheureuses, inhérentes à notre situation, indépendantes de notre volonté, nous empêchent de le livrer à nos juges dans son ensemble. Nous espérons cependant que les pénibles et souvent décourageantes recherches auxquelles il a donné lieu, les sacrifices qu’il a nécessités, nous mériteront quelque indulgence et quelque sympathie. Nous ne présentons pas d’ailleurs le sujet comme complètement inédit.

La médecine aryenne, — surtout vers le milieu de notre siècle, à une époque où les esprits d’Europe s’ouvrirent réellement pour la première fois aux littératures et aux systèmes philosophiques de l’Océan indien, et sous l’empire de leur enthousiasme, voulurent les rendre classiques dans nos universités — a été l’objet d’assez nombreuses publications et même d’une thèse inaugurale ; mais cet élan vers un vieux monde trop soudainement révélé n’eut qu’une durée bien éphémère, et, depuis vingt ans, il semble qu’on ait oublié derechef que les sciences médicales remontent par leur origine au-delà d’Hippocrate et de Galien. Nous avons cru donc qu’il serait intéressant, même instructif, non-seulement de reprendre, de réunir et de coordonner dans notre mesure les détails et les opinions, consignés ça et là dans les revues médicales, au rez-de-chaussée d’un feuilleton et dans les traités d’histoire de la médecine, par des auteurs généralement érudits, parfois ignorants et de vues étroites, — mais encore de recourir le plus possible aux sources indigènes, et, nous aidant de nos faibles connaissances des langues de l’Inde ancienne, d’apporter des faits nouveaux aussi bien que précis : c’est là la partie originale de cette thèse. Quant à l’interprétation de ces faits, voilés presque toujours sous les fleurs d’une poésie étrangle et sublime, le temps et nos aptitudes ne nous l’ont guère permise, et nous en laissons le soin à de plus capables et de plus courageux que nous, car trop souvent,

« Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses. »

— Un auteur, que nous citerons fréquemment, avait émis cette idée qu’il y aurait grand profit, pour l’histoire de la médecine des Hindous, de relire leurs grandes épopées nationales, le Mâhâbhârata, le Râmâyana particulièrement, si précieux à tous points de vue. Nous n’avons point reculé devant la peine, et pourtant Dieu sait combien est fatigante, malgré leur élévation et leur beauté, la lecture de la partie accessible de ces deux poèmes, dont l'un comprend 240,000 vers, c’est-à-dire la matière de vingt Iliades, le second 48,000. Il faut ajouter que nous avons été suffisamment récompensé : à maintes reprises, côtoyant des notions purement scientifiques, nous y avons trouvé des idées si nobles, des hypothèses si consolantes, qu’elles mériteraient d’être vraies.

Au moment où, le terrain une fois déblayé, les derniers documents réunis, il nous a fallu songer à poser la première pierre de ce modeste édifice, nous avons failli céder au découragement. L’histoire de la médecine, en effet, est oubliée, méconnue, dédaignée, dans la plupart des Facultés françaises ; peut-être parce qu’elle nécessite davantage de labeurs, elle est l’objet de thèses de plus en plus rares, inquiètes de l’accueil qu’on leur réserve. Et cependant, relevant en ligne directe de l’histoire générale, dont elle partage la méthode et les moyens d’investigation, n’a-t-elle pas beaucoup à nous apprendre, et nous offre-t-elle moins d’utilité que d’intérêt ? — Attachée à nous retracer, à un point de vue spécial, les erreurs passées de l’esprit humain, pour en préserver l’avenir, à tirer de l’oubli quelques grands noms tombés dans l’inconnu, à nous indiquer enfin nettement la si lente évolution d’une science à laquelle ou n’a jamais cessé d’avoir recours, n’est-elle pas bien digne de captiver certains esprits ?

Dans quelques jours, les hasards d’une carrière périlleuse vont nous séparer, peut-être à jamais, des maîtres bienveillants à qui nous devons le peu que nous sommes : le souvenir de leur enseignement nous suivra jusqu’au bout de l’existence, avec celui de l’intérêt qu’ils n’ont cessé de nous témoigner.

Nous adressons respectueusement à Monsieur le Docteur Liélard, membre correspondant de l’Académie de Médecine, les remerciements les plus chaleureux et les plus sincères : ses études savantes nous ont communiqué un insatiable désir d’aller sur les lieux mêmes approfondir nos Faibles connaissances de la médecine hindoue. Puisse la destinée exaucer notre vœu !

Toute notre gratitude est acquise à Monsieur le Professeur Vergely, qui ne nous a point menacé ses encouragements et ses conseils éclairés, et qui a bien voulu nous Faire l’honneur d’accepter la présidence de notre thèse inaugurale.

Que Monsieur le Professeur Piéchaud veuille bien agréer l’hommage de notre reconnaissance pour la constante sollicitude dont il nous a entouré dès le début de notre séjour à Bordeaux.

Enfin, nous remercions notre camarade Cassien, qui a mis généreusement à notre disposition son talent de dessinateur. Les en-tête des différentes parties de ce travail, exécutées d’après des gravures indigènes ou des esquisses personnelles, fruit de son long séjour dans l’Inde, lui sont dues sans exception.