Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 6/1.9

Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 6p. 290-331).

chapitre ix.
Situation des choses aux Cayes après le départ de Dessalines. — Vraie cause de l’insurrection du Port-Salut. — Arrestation du général Moreau, le 8 octobre, par les habitans sous la direction du juge de paix Messeroux. — Effet qu’elle produit aux Cayes. — L’insurrection se propage dans la campagne. — Papalier envoie le colonel Wagnac pour délivrer Moreau ; il prend parti avec les insurgés. — Perplexité et agitation des esprits aux Cayes. — Le colonel Francisque adhère à l’insurrection et décide Bourdet, Papalier et les autres officiers à s’y rallier. — Il part pour l’Anse-à-Veau. — Wagnac vient aux portes des Cayes à la tête des insurgés. — Les chefs de la ville vont s’entendre avec lui et ils y rentrent tous ensemble. — Wagnac, chef de l’insurrection, parle aux troupes et proclame H. Christophe, chef du gouvernement. — Le général G. Lafleur arrive aux Cayes et y est constitué prisonnier. — Messeroux transfère Moreau au camp Gérard. — Il est appelé aux Cayes et s’y fait emprisonner par ses extravagances. — À la nouvelle de l’insurrection, Gérin écrit à Dessalines, de l’Anse-à-Veau, qu’il va la réprimer. — Francisque y entraîne la 15e et la 16e et va auprès de Gérin. — Gérin se décide pour l’insurrection. — Examen de ses motifs. — Les chefs des Cayes lui défèrent le commandement de tout le Sud. — Son plan militaire et politique pour faire réussir l’insurrection. — Il écrit à H. Christophe. — Les chefs des Cayes lui écrivent aussi. — Gérin marche sur l’Ouest avec les troupes de l’Anse-à-Veau. — Opposition du colonel Lamarre au Petit-Goave. — Une lettre de Borgella le rallie à l’insurrection. — Entretien de Gérin avec le général Yayou. — Gérin entre au Petit-Goave. — Pétion écrit à Dessalines et part à la tête des troupes du Port-au-Prince : — À Léogane, il entraîne Magloire Ambroise à l’insurrection. — Il rencontre Yayou et l’y entraîne aussi. — Il entre au Petit-Goave et s’entend avec Gérin. — Les troupes du Sud et de l’Ouest marchent sur le Port-au-Prince, où elles arrivent le 16 octobre. — Les chefs des Cayes décident la mort de Moreau et de G. Lafleur : ils sont exécutés. — Les matelots assassinent Aoua, chef de division navale. — Réflexions sur les excès révolutionnaires.


La conjuration conçue et résolue à Marchand, le 1er janvier, était éteinte dans le Sud par la mort de Geffrard : aucun des officiers dépositaires de son secret n’eût osé concevoir l’idée de s’en faire le chef après cet événement, comme aucun ne trahit la mémoire de l’infortuné général quand l’empereur vint aux Cayes. Moreau, qui avait éventé ce projet, ne put lui en fournir les preuves qu’il croyait exister dans les papiers de Geffrard. Mais il n’en fut que plus exécré, et par les conjurés et par la population, à cause de ses délations antérieures connues de tous et de celles récentes qui n’avaient abouti à rien. La conduite tenue par l’empereur, aux Cayes et dans tout le Sud, durant sa présence dans ce département, fit naître des haines particulières qui ravivèrent celle qui existait contre lui sous le règne de Toussaint Louverture : il y occasionna un mécontentement général par ses procédés, par toutes ses mesures violentes à l’égard des guildives et des autres propriétés.

Après son départ des Cayes, le général Moreau, revêtu du commandement de la 1re division du Sud, orgueilleux de cette position et de l’estime de l’empereur, se crut d’autant plus autorisé à agir sans ménagement envers ses administrés : par ordre de l’empereur, il fit incorporer dans les troupes de la garnison bien des jeunes gens de famille, comme l’empereur lui-même le fit faire au Port-au-Prince sans même en excepter des employés de l’administration des domaines qui relevaient d’Inginac[1]. L’irritation s’accrut contre Moreau, qui avait déjà encouru le mécontentement des officiers des corps qu’il désigna à Dessalines comme ayant été dévoués à Geffrard, et qui furent ou renvoyés ou placés dans d’autres ; leurs soldats partagèrent leur indignation, parce qu’ils s’attachent à ceux qui les ont toujours commandés, qui ont vécu de la vie militaire avec eux.

Ainsi, Moreau, le représentant principal de l’empereur aux Cayes et dans toute la division, chef militaire, ne pouvait plus compter ni sur ses compagnons d’armes, ni sur les citoyens, pour réprimer une tentative quelconque contre l’autorité impériale.

Papalier et Beauregard, ses lieutenans immédiats aux Cayes, n’avaient pu rester dans l’ignorance du projet de Geffrard ; et, sans concevoir l’idée de se faire chefs de parti, ils n’avaient pu que recevoir avec dégoût, avec indignation, l’ordre de Dessalines de trancher la tête de Rigaud, s’il venait à paraître[2]. Ils ne pouvaient donc être disposés à seconder Moreau dans ses mesures de répression, s’il y avait lieu ; car lorsqu’un chef de gouvernement contraint des officiers d’honneur à avoir pour lui de tels sentimens, et qu’ils voient d’ailleurs quelles sont ses tendances liberticides et destructives de toute sécurité, ces officiers sont plutôt enclins à se ranger du côté de la résistance que du côté de l’oppression.

D’autres officiers influens partageaient leurs sentimens : c’étaient Wagnac, Bourdet, Voltaire, Racolier, Lafrédinière, Pérou. Ils avaient encore l’assentiment secret des fonctionnaires publics révoqués ou froissés, des citoyens plus ou moins influens dans la société, tels que Quenez, Boisrond Canal, Tapiau, etc.

Tous, enfin, savaient que Geffrard s’était entendu avec le général en chef H. Christophe ; et cette conviction était d’un grand poids pour toute détermination ultérieure, si un événement venait à surgir. Ils ne conspiraient point, peut-être ; mais il est vrai qu’il y a de ces momens dans la vie des peuples, où la conspiration est dans tous les cœurs, dans tous les esprits, sans qu’ils se communiquent ; où elle est, pour ainsi parler, dans l’air qu’on respire. La résistance la moins importante vient-elle à se manifester de la part de l’individu le plus obscur, chacun s’y rallie par une sorte d’entraînement irrésistible ; et l’on est tout étonné de voir tomber un gouvernement qu’on croyait solidement assis. En 1820 et 1843, n’a-t-on pas assisté à un spectacle semblable ?

Telle était la situation des choses, dans la ville et dans tout l’arrondissement des Cayes, après le départ de Dessalines.


Ses deux lettres à Inginac, du 8 septembre[3], l’une relative à Mackintosch, l’autre relative à l’examen des titres de propriété, prouvent qu’à cette date, ce fonctionnaire n’avait pas encore achevé la vérification des comptes de l’administration, et qu’il n’avait pas commencé celle des titres de propriété. C’est donc en l’absence de l’empereur qu’il opéra sur les propriétés.

À l’égard des comptes, il dut mécontenter les fonctionnaires et leurs employés, qui profitaient des abus ; mais quant au peuple, qui n’y prenait aucune part, il est toujours satisfait lorsque le gouvernement met de l’ordre dans les finances, si d’ailleurs le trésor public est géré dans l’intérêt général. Quoique ce ne fut pas le cas dans les circonstances où l’on se trouvait, ce n’est point pour ce motif que l’irritation alla croissant chaque jour.

Mais ce fut par rapport aux propriétés. On conçoit que Dessalines, d’après sa lettre du 8 septembre, ayant admis des titres lui-même et ordonné seulement à Inginac de les lui faire exhiber, « pour confirmer les propriétaires en possession ; » et Inginac, de son propre aveu par ses notes personnelles, les anéantissant, l’histoire ne peut le trouver excusable. C’était montrer un zèle outré, prétendre à être plus royaliste que le roi. « Ce qu’il y avait de pénible dans sa tâche, dit l’Histoire d’Haïti d’après lui, c’était de vérifier les titres que l’empereur avait déjà ratifiés, mais souvent sans un mûr examen[4]. »

Ce n’est pas là une excuse ; car l’ordre portait de confirmer, et non pas de vérifier. Il ne devait vérifier, examiner, que les autres titres qui n’avaient pu être présentés à l’empereur, pour juger de leur validité, « renvoyer en jouissance de leurs biens les propriétaires qui lui auraient paru fondés, ou réunir aux domaines de l’Etat les propriétés dont les titres des réclamans lui paraîtraient illégaux. » Ce sont là les termes de la lettre du 8 septembre.

On voit donc qu’il y eut de l’arbitraire de la part d’Inginac, dans les opérations relatives aux propriétés ; que si des citoyens furent dépossédés injustement, ainsi que l’attestent les deux témoignages que nous avons cités au chapitre précédent, ce fut surtout lui qui commit ces injustices. Nous ne prétendons pas dire que toutes ses décisions furent injustes[5] ; car il est probable qu’il reconnut effectivement des titres irréguliers, en contravention à l’arrêté du 7 février 1804 ; mais toujours est-il que les injustices commises portèrent les esprits à l’exaspération. « Beaucoup de campagnards propriétaires avaient été dépossédés ; ceux qui ne l’étaient pas s’attendaient à l’être. Il y avait d’une part désespoir, et de l’autre inquiétude[6]. »

Il n’en fallait pas davantage pour décider la population à une prise d’armes, lorsque tant d’autres causes y concouraient.

Nous ne suivrons pas toutes les assertions que nous trouvons dans l’Histoire d’Haïti, relatives à ce fait et qui nous paraissent provenir des notes d’Inginac ; telle par exemple, que la démarche du colonel Bourdet, à la tête de 50 officiers de la 13e demi-brigade, faite auprès de lui pour l’exhorter à prendre l’autorité supérieure, conseil que lui aurait donné déjà Euphémie Daguilh, maîtresse de l’empereur, et qu’il n’accueillit pas. Cette femme avait bien pu croire qu’Inginac était capable de remplir un tel rôle ; mais ce n’est pas dans un moment où il fallait dégaîner le sabre, qu’un militaire comme Bourdet fût venu s’adresser pour un tel office, à un fonctionnaire qui n’avait jamais manié que la plume. Il est de ces choses que l’histoire ne doit enregistrer que pour les réfuter.

Le fait est, que le général Moreau avait reçu l’ordre de l’empereur de se rendre à Tiburon pour organiser le recrutement de la 19e demi-brigade ; qu’il partit des Cayes, le 7 octobre, dans la plus grande sécurité, avec ses guides et quelques officiers parmi lesquels était Lafrédinière ; que le même jour il entra au bourg du Port-Salut où il fut accueilli comme à l’ordinaire[7]. Les habitans de ce quartier, qui comptaient parmi eux beaucoup de propriétaires dépossédés, apprenant qu’il allait continuer son voyage le lendemain et le voyant entouré d’une faible escorte, prirent inopinément la résolution d’opérer son arrestation sur la route, et positivement aux Karatas, lieu propice à un tel dessein. Le juge de paix du Port-Salut, Messeroux, un noir qui y exerçait de l’influence, se fit le chef de ce complot hardi, qui allait produire un résultat auquel les conjurés ne s’attendaient pas. Messeroux aspira à jouer le rôle de général, comme il en prit le titre pendant peu de jours[8]. Les conjurés, qui connaissaient les sentimens de Lafrédinière et de plusieurs autres officiers autour de Moreau, leur firent part de leur projet ; aucun de ces officiers n’en parla à Moreau, et sous divers prétext es, Lafrédinière et les autres l’abandonnèrent soit au bourg même, soit le lendemain sur la route[9].

Moreau se trouvait donc réduit à une très-faible escorte quand, le lendemain 8 octobre, il arriva aux Karatas. Là étaient réunis une centaine de propriétaires et cultivateurs, tous armés et en embuscade, et Messeroux à leur tête : ils en sortirent aussitôt et entourèrent Moreau tumultueusement, sans tenter autre chose que son arrestation en tenant la bride de son cheval. Maurant Mallet fut le premier qui agit ainsi. Le trompette de ses guides ayant voulu cependant sonner la charge, ils menacèrent de faire feu. Etonné de voir parmi eux Messeroux qui, la veille, était venu le saluer et causer avec lui, il lui demanda et à eux tous, quel était le motif de leur rassemblement et de ces actes d’hostilité commis à son égard, en leur disant en outre que, s’ils n’étaient pas tous ses concitoyens et ses frères, il pourrait concevoir des craintes sur leur dessein. Ce langage timide les enhardit. Messeroux prit la parole alors, et lui répondit : « qu’ils étaient las du joug de Dessalines ; qu’ils avaient pris les armes contre sa tyrannie, parce qu’il avait arbitrairement dépossédé de leurs biens un grand nombre d’entre eux ; que ses actes étaient iniques et révoltans, notamment celui qui les empêchait de vendre leurs cafés à moins de 20 sous la livre, sans égard à leurs besoins, de sorte qu’ils souffraient de mille privations, leurs cafés restant invendus, ne pouvant pas en disposer à leur gré[10] ; qu’enfin, ils ne voulaient pas lui faire de mal, à lui, Moreau, mais que, pour leur sûreté, il devait leur remettre ses armes. »

Loin de faire la moindre résistance, Moreau répliqua : « Mon beau sabre vous fait envie, sans doute ; eh bien ! prenez-le. Mais, vous ne vous rappelez donc pas tous les malheurs que le Sud a éprouvés dans la guerre civile entre les généraux Rigaud et Toussaint Louverturè, quand vous vous armez contre l’empereur ?[11] » Arrêté, désarmé, il fut conduit sur l’habitation Taverne, où Messeroux et sa bande campèrent : dans la journée, de nombreux habitans et cultivateurs se joignirent à eux, en vociférant contre Dessalines. La nouvelle parvenant sur toutes les habitations, de proche en proche, toute la commune du Port-Salut, celle de Torbeck et la plaine des Cayes participèrent au mouvement insurrectionnel dans la nuit. Le peuple des campagnes était debout ! Il souffrait tant !…

Aussitôt que Moreau eut été amené à Taverne, Messeroux avait envoyé aux Cayes l’un des conjurés, nommé Beauchamp, qui y donna la nouvelle de son arrestation, comme s’il n’y avait pas participé : il arriva à 3 heures de l’après-midi. L’adjudant-général Papalier, commandant de l’arrondissement, fit battre la générale immédiatement : à 5 heures, toutes les troupes de la garnison étaient réunies sur la place d’armes. Les esprits avaient reçu la commotion électrique à laquelle ils s’attendaient par pressentiment[12].

Papalier se rendit sur la place ; il annonça aux troupes l’arrestation de Moreau, en les haranguant, surtout la 13e demi-brigade dont ce général avait été le colonel, pour se tenir prêtes à marcher avec lui, afin de le délivrer des mains des perturbateurs de la tranquillité publique qui avaient osé commettre cet attentat. En attendant, et pour savoir au juste quelle était la force de ces derniers, il expédia à cet effet le colonel Wagnac à la tête d’un escadron. Les troupes reçurent l’ordre de rester l’arme au pied. Papalier quitta la place d’armes pour aller s’assurer de la position de l’arsenal et des postes de la ville, et y donner ses ordres.

Il était à peine parti, que des murmures éclatèrent dans les rangs des troupes, de la part des officiers et des soldats ; quelques-uns, cependant, plaignirent hautement la situation où se trouvait Moreau. Mais l’insurrection se propageait dans toute la ville des Cayes ; chacun pensait ou pressentait que le colonel Wagnac allait grossir le nombre des insurgés de la campagne.

Francisque, colonel de la 15e demi-brigade en garnison à l’Anse-à-Veau, se trouvait fortuitement aux Cayes pour le règlement de quelques affaires. L’adjudant-général Véret, employé dans la 2e division, y était aussi par des motifs semblables. Ceux qui se décidaient, pour le mouvement sentirent l’importance de l’adhésion de Francisque à leur manière de voir, parce que, commandant à 1500 baïonnettes, il pouvait y entraîner aussi le colonel Bruny Leblanc et la 16e demi-brigade qu’il commandait, également à l’Anse-à-Veau. À cet effet, ils députèrent auprès de Francisque, son allié Glézil fils (l’auteur des notes citées) pour l’en persuader. Mais Glézil trouva ce colonel fort opposé à l’insurrection ; ayant fait, son rapport aux autres, ils restèrent consternés.

Pendant la nuit du 8 au 9, on fut dans une anxieuse situation aux Cayes. On ne voyait pas revenir Wagnac, on n’en avait aucune nouvelle. À la pointe du jour, Papalier envoya son adjoint Brunet auprès de lui, pour savoir ce qu’il était devenu, et en même temps, il écrivit au général Guillaume Lafleur, commandant de l’arrondissement d’Aquin, de venir lui prêter main-forte avec la 17e qui y était et son colonel Vancol, et il donna avis de l’arrestation de Moreau, par une autre lettre au général Gérin qui se trouvait sur une habitation près de l’Anse-à-Veau. Il écrivit aussi à l’empereur pour l’informer de ces faits.

En ce moment, arriva aux Cayes un blanc franco-haïtien qui était le secrétaire du colonel Etienne Mentor ou Esmangart, inspecteur des cultures, Il rapporta qu’à 8 heures du soir, ce colonel avait été haché à coups de sabre par les dragons de Wagnac[13] ; que celui-ci avait pris parti avec les insurgés du Port-Salut, et que toute la population des campagnes s’y était ralliée.

La situation devint plus critique ; l’insurrection triomphait par l’adjonction de Wagnac, officier influent sur les populations et les troupes, aussi respectable que respecté, aimé de tous. Papalier se mit de suite en tournée à l’arsenal et dans les postes, ne sachant pas trop que faire, peut-être, ou probablement satisfait de la tournure que prenaient les choses ; car il était difficile qu’il se séparât d’une cause dans laquelle Wagnac s’était jeté avec résolution[14]. Cette indécision du commandant de l’arrondissement porta chacun à se manifester hautement contre Dessalines ; la propagande devint active, les troupes furent gagnées : elles étaient sans solde, sans habillement, casernées, subissant une discipline monstrueuse par les verges et le bâton !

Glézil fils fut chargé d’aller de nouveau auprès de Francisque qu’il trouva chez lui. Tandis qu’il l’entretenait des événemens, un vieux noir, nommé Mathieux Périgny, son voisin, y entra. — « Eh bien ! voisin, lui dit Francisque, que pensez-vous de tout ce qui se passe ? — Ce qu’on fait là, répond Mathieux, estime grande sottise ; mais, puisqu’elle est faite, si vous autres chefs, vous ne vous mettez pas à la tête du peuple pour le soutenir, je vous verrai tous amarrés deux à deux et conduits au supplice d’une manière encore plus cruelle qu’en 1800. »

Ces paroles, pleines de bon sens, déterminent Francisque ; il remercie le vieux Mathieux, prend son chapeau et se dirige avec Glézil fils chez Bourdet. « Mon ami, lui dit-il en arrivant, je viens d’être rappelé à mon devoir par un vieux frère ; il n’y a plus à hésiter. Je pars pour l’Anse-à-Veau, afin de rallier la 15e à l’insurrection pour combattre Dessalines, ou mourir à la tête de mes soldats. Tu commandes aussi à 1500 baïonnettes ; vois ce que tu as à faire en cette circonstance. » Bourdet lui répondit : « Allons ensemble voir Papalier. »

Ce dernier n’étant pas encore rentré chez lui, Francisque se dirigea chez Mackintosch, qui lui achetait toujours ses denrées, afin de se procurer quelque argent. On conçoit que ce négociant n’en refusa ni à Francisque ni à aucun de ceux qui lui en demandèrent en cette occurrence ; il avait le cœur gros contre Dessalines et Inginac. Pendant qu’il y était, Francisque vit passer Papalier à cheval et l’appela. « Mon cher Papalier, lui dit-il, le sort en est jeté ! Demain, je serai a la tête de mon corps pour combattre Dessalines : Bourdet est dans les mêmes dispositions. Choisis maintenant entre Dessalines et tes frères. — Je ne saurais me séparer de vous tous, répondit Papalier ; puisque, comme Wagnac, vous prenez parti avec les insurgés, vous avez fixé le mien. Mais agissons sinécrément et avec une prompte résolution. Tu connais l’ardente activité de Dessalines ; pars de suite pour l’Anse-à-Veau, et ne perdons pas un instant. »

Là même, chez Maekintosch, Papalier écrivit immédiatement plusieurs lettres, à Férou, à Vancol et à quelques autres officiers du Sud, pour leur faire part des événemens et de sa résolution. Il envoya un officier en toute hâte informer Wagnac et les autres insurgés, de l’adhésion des troupes et des habitans des Cayes, afin d’agir comme un seul homme contre Dessalines ; il vit Bourdet et prit avec lui des mesures en conséquence.

Wagnac s’était rapproché des Cayes avec les insurgés, ne sachant pas encore ce qui s’y décidait[15]. En réponse à l’avis de Papalier, il fit dire qu’il voulait voir Bourdet. Celui-ci se rendit aussitôt auprès de lui, accompagné de quelques officiers, Voltaire, Racolier, Lafrédinière et d’autres : ils s’entendirent ; mais Wagnac remit à rentrer en ville le lendemain, pour avoir le temps de réunir les insurgés. Devenu le chef militaire de ces derniers dans les campagnes, il prenait et il devait prendre ses sûretés à tout événement.

Le lendemain, vendredi 10 octobre, Papalier écrivit une seconde lettre à Vancol, qu’il lui fit porter par Glézil fils et le capitaine Rousseau, de la 17e, qui se trouvait aux Cayes. Il fallait persuader et convaincre Vancol de l’urgente nécessité de son adhésion ; ils le rencontrèrent sur l’habitation Bergeaud, à peu de distance des Cayes : il avait devancé son corps, parti d’Âquin la veille au soir.

Au départ de ces officiers, Papalier, Bourdet et les autres officiers supérieurs se rendirent auprès de Wagnac qui s’était porté avec son monde, aux Quatre-Chemins, à un quart de lieue des Cayes. Là, on proposa d’y rentrer tous ; mais quelques chefs des insurgés, montrant une certaine méfiance des vraies dispositions de la ville, Bourdet offrit de rester parmi eux en otage. Il ajouta : « Je crois que le colonel Wagnac doit prendre le commandement de la 1re division du Sud, puisque le général Moreau en est déchu ; l’adjudant-général Papalier continuera à commander l’arrondissement, sous ses ordres. » Papalier répondit aussitôt : « Je consens à tout ce qui peut assurer le succès de notre entreprise. » Wagnac dit noblement à son tour : « Mes amis, mes frères, je n’ai pas besoin d’otage pris parmi vous. Depuis seize ans, nous combat tons ensemble pour nos droits : c’est encore u pour eux que nous combattrons jusqu’à la mort. » Il décida qu’on entrerait immédiatement aux Cayes.

Arrêtons-nous aux propositions de Bourdet, pour louer son désintéressement, sa loyauté, son discernement des choses, son sens judicieux.

Après Messeroux, incapable de donner suite à cette audacieuse insurrection, n’étant pas militaire, ne pouvant inspirer la confiance nécessaire aux troupes qui vont effectivement opérer la révolution de 1806, quel était, aux Cayes, le vrai chef de cette gigantesque entreprise ? Wagnac qui, en s’y ralliant avec ses dragons, avait déterminé tous les autres officiers, toute la population. La justice voulait donc qu’il remplaçât Moreau, et non pas Papalier. Bourdet eut donc raison de le proposer en cette qualité qui, seule, pouvait harmoniser l’insurrection tant dans les campagnes que dans la ville. Papalier était lui-même trop judicieux, trop bon soldat de la liberté, pour concevoir même l’idée d’une supériorité de rang militaire en une telle occurrence. Chacun remplit enfin son devoir envers la commune patrie, envers cette auguste liberté dont il fallait assurer le triomphe sur le despotisme.

Racolier, qui n’était qu’un sabreur, un exécuteur impitoyable, dit en ce moment avec un geste significatif : « Et que ferons-nous d’Inginac et d’Almanjor ? » Mais Papalier lui répondit avec cette humanité qui le caractérisait : « Commandant Racolier, il est inutile de verser le sang. Ce serait le moyen d’éloigner tous nos frères, tandis que nous avons besoin du concours de tous. »

Almanjor, dont il est question ici, était un homme du Nord que l’empereur avait envoyé à la fin de septembre, pour remplacer l’administrateur Quenez, qu’il révoqua de ses fonctions. Il ne pouvait être que mal vu aux Cayes ; et, suivant Inginac, il lui avait proposé de se sauver tous deux, même avant la révolte de Messeroux au Port-Salut. Sans l’active sollicitude de Papalier, ils eussent péri dans ces momens de fureur populaire[16].

En entrant aux Cayes, Wagnac fit assembler les troupes sur la place d’armes. Là, il leur déclara que l’insurrection dont il prenait la direction n’était point guidée par l’ambition ; que son origine, ses causes, prenaient leur source dans la nécessité de secouer le joug d’une tyrannie insupportable, qui ne respectait pas les droits des citoyens et de l’armée : « Soldats, leur dit-il, depuis la déclaration de notre indépendance nationale, combien de fois avez-vous été payés de votre solde ? Combien de fois avez-vous été habillés ? Cependant, les caisses de l’Etat regorgent d’or ; mais c’est pour servir aux dépenses scandaleuses des maîtresses du tyran. Il n’est plus notre chef : c’est le général en chef H. Christophe qui l’est maintenant ; c’est en son nom que nous agissons tous ; il ne fera pas comme Dessalines. J’ordonne aux quartiers-maîtres des corps de dresser des feuilles de solde dans la journée même, pour que vous soyez payés : vous serez habillés aussi. »

Cette allocution militaire produisit sur les troupes un enthousiame électrique ; elles crièrent : Vive le général Christophe ! Vive le colonel Wagnac ! Vive l’adjudant-général Papalier ! Tous les liens de subordination, de soumission à l’autorité impériale de Dessalines, furent dès lors rompus. La proclamation de Christophe, comme chef du gouvernement, prouve invinciblement que Wagnac, peut-être Papalier et les autres officiers supérieurs, avaient été initiés par Geffrard au projet arrêté à Marchand. Le colonel Vancol avait eu le temps d’entrer aux Cayes, et prit part à ces résolutions.

Le 9 octobre, à 5 heures de l’après-midi, la lettre de Papalier au général Guillaume Lafleur lui était parvenue ; il ordonna aussitôt de battre la générale, adressa une lettre à l’empereur en lui envoyant celle de Papalier, pour l’informer de l’arrestation de Moreau et lui dire qu’il allait marcher aux Cayes avec la 17e, qu’il fit effectivement mettre en route à 7 heures du soir, Vancol à sa tête, ayant sous ses ordres le chef de bataillon Fossé. Arrivé à Saint-Louis, Vancol laissa le corps aux ordres de Fossé pour se rendre aux Cayes, afin de connaître la situation des choses.

Guillaume Lafleur ne quitta Aquin qu’à 2 heures du matin, le 10 ; il rencontra la 17e à Cavaillon, à 10 heures du matin ; et, mécontent du peu de célérité de sa marche, il blâma Fossé avec humeur ; déjà cet officier et ses soldats étaient gagnés à l’insurrection qui se propageait dans tous les rangs de la société. Fossé lui répondit avec non moins d’humeur. Lafleur les traita tous d’insurgés : « Puisque vous prenez parti contre l’empereur, je vais le joindre, » dit-il. L’insubordination des troupes éclata contre lui ; un officier nommé Joute Bardet lui dit : « Votre empereur doit avoir la tête tranchée en ce moment, et vous-même, vous êtes notre prisonnier. »

À cette déclaration, Lafleur traversa la rivière de Cavaillon prenant la route des Cayes ; mais, craignant qu’il ne rebroussât par des chemins détournés, on le poursuivit à cheval ; et escorté, prisonnier de fait, il entra aux Cayes à 1 heure de l’après-midi, alors que tout était consommé contre l’autorité de Dessalines.

C’était un singulier désappointement pour lui, qui croyait arriver pour prendre part à la répression de la révolte de Messeroux. Descendu chez Quenez, où se trouvaient tous les chefs réunis, ceux-ci l’accueillirent en lui manifestant l’espoir qu’ils avaient de sa coopération ; mais Lafleur était encore sous l’influence de la colère excitée en lui par sa rencontre avec la 17e ; il répondit avec humeur, demanda à se battre avec Fossé qui l’avait insulté, disait-il. Au lieu de consentir à la proposition des chefs, il demanda à Wagnac un entretien particulier avec lui dans la soirée, chez lui-même. Dès lors il fut tenu en suspicion, de vouloir tenter de ramener Wagnac à la cause de Dessalines. Wagnac ne se rendit pas à son invitation, et une garde fut envoyée dans sa demeure pour l’y retenir prisonnier : ses aides de camp et ses guides furent envoyés en détention au camp Gérard, dans la plaine des Cayes, où l’on avait déjà transféré le général Moreau.

Le 9 octobre, étant encore à l’habitation Taverne, Messeroux avait enjoint à Moreau, d’écrire un ordre au commandant de la citadelle des Platons, pour livrer des munitions de guerre à un détachement d’habitans et de cultivateurs qu’il y envoyait. Moreau fut contraint de faire cet ordre, et le détachement partit. Mais le chef de ce poste, qui avait déjà appris l’arrestation de Moreau, refusa péremptoirement de livrer ces munitions. Le détachement revint le lendemain, 10, à Taverne ; alors Messeroux leva son camp tout entier, disant qu’il allait s’emparer de la citadelle ; il emmena Moreau et les personnes de sa suite, arrêtées aux Karatas. Nouveau général improvisé, Messeroux se ravisa en route et se dirigea au camp Gérard, où il livra son prisonnier au capitaine Augustin, qui le fit mettre dans une chambre gardée par une sentinelle : les autres personnes, parmi lesquelles étaient A. Pilié, furent placées dans une autre chambre avec la faculté d’en sortir à volonté. Après cela, Messeroux congédia le gros de ses bandes et partit pour les Cayes avec quelques chefs : il n’y entra pas cependant immédiatement.[17]

Quoique Wagnac eût ordonné de dresser les feuilles de solde de suite, dans l’après-midi du 10, les quartiers-maîtres ne les firent que le samedi 11, et si imparfaitement, qu’il fut ordonné de les refaire : ce qui eut lieu le 12.

Dans une réunion des chefs, ce jour-là, chez Papalier, Racolier fit observer qu’on décidait de tout, sans faire participer Messeroux qui avait été le premier à organiser la résistance. En conséquence, on l’envoya chercher dans les environs des Cayes où il se tenait. Il y entra le dimanche 12, vers 7 heures du soir, dans un tel état d’ivresse, qu’il ne put conserver aucun prestige : il divaguait. Les vrais chefs ordonnèrent de l’emprisonner.

Il était logé chez son cousin, nommé Sully : en apprenant qu’une garde y arrivait pour l’arrêter, il ouvrit une grosse malle et s’y enferma. Découvert dans ce singulier réduit, le juge-général dut se résigner piteusement à aller se loger en prison. Relâché le lendemain, il reconnut que son rôle était fini, sinon aux Karatas mêmes, du moins au camp Gérard ; et il regagna ses pénates, « en jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. »

Dans les événemens les plus graves, il y a presque toujours un côté comique qui surgit comme pour dérider les fronts, soucieux de la situation où l’on s’est engagé. Voilà quel fut, dans l’espace de quatre jours, le singulier sort du Héros des Karatas !

Il avait pris l’initiative de la courageuse résolution qui, en renversant un Empereur et son Empire, devait donner naissance à une République et à un Royaume, et occasionner une guerre civile de quatorze années entre ces deux Etats, et il ne put soutenir son rôle ! C’est qu’il n’est pas donné à tout le monde de remplir celui de révolutionnaire. Pour y réussir et se maintenir, il faut avoir des antécédens honorables, du caractère et de la capacité, sinon l’on est promptement sifflé sur le théâtre où l’on se met en scène.

Toutefois, voyons le côté sérieux et politique de l’entreprise de Messeroux. Il a sauvé, pour son pays, le principe du respect dû à la propriété ; il a donné une leçon à tous les gouvernemens qui y ont succédé à celui de Dessalines. Cet important résultat doit faire tirer de l’oubli le nom de Messeroux, et d’autant plus, qu’en faisant prévaloir ce principe sacré et celui de la résistance à l’oppression, il n’a usé d’aucuns sévices sur la personne du général Moreau ; il n’a commis ni fait commettre aucun crime. Rendons cette justice à sa mémoire ![18]


Quittons les Cayes un moment, pour voir ce qui eut lieu à l’Anse-à-Veau, où se trouvait l’homme destiné à prendre, dans le Sud, la direction de la levée de boucliers de 1806.

Le général de division Gérin, ministre de la guerre et de la marine, avait obtenu de l’empereur l’autorisation de venir à l’Ànse-à-Veau pour se livrer à un traitement sudorifîque. Il avait laissé son épouse à Saint-Marc, lieu de sa résidence ministérielle, et se tenait, en compagnie de Madame Veuve Abel, sœur de Geffrard, sur la sucrerie Laval qu’il avait affermée du domaine.

Lorsqu’il reçut, le 10 octobre, la lettre de Papalier qui lui mandait l’arrestation de Moreau au Port-Salut, Nicolas Brouard, commissaire des guerres de la 2e division du Sud, se trouvait chez lui. Gérin, qui avait été étranger au projet résolu à Marchand, voyant dans l’arrestation de Moreau un fait grave, dicta immédiatement à Brouard une lettre qu’il adressa à Dessalines pour l’en informer, en lui disant qu’il allait faire réunir les troupes à l’Anse-à-Veau, afin de se mettre à leur tête et de marcher aux Cayes, contre les révoltés. Gérin était sincère dans ses dispositions. Il envoya Brouard porteur de cette lettre au général Vaval, avec l’ordre de l’expédier à Saint-Marc par une barge, et de faire battre la générale pour réunir les troupes : ce qui fut exécuté par Vaval[19].

La 15e et la 16e étaient donc réunies sur la place d’armes, quand Francisque et Véret arrivèrent à l’Anse-à-Veau, à une heure de l’après-midi : le premier était porteur d’une lettre de Papalier pour N. Brouard, qu’il engageait à prendre parti, comme lui, dans l’insurrection.

Francisque logeait avec Véret dans la même maison, à toucher la place d’armes. Il fit venir chez lui, d’abord les sous-officiers de la 15e ; il leur raconta les événemens des Cayes et leurs causes, en leur demandant si, en proie aux mêmes privations que les militaires de cette ville, sans habillement, sans solde, sans ration, voyant aussi leurs frères des campagnes sous le joug d’un tyran, ils pourraient aller les combattre ? « D’ailleurs, ajouta-t-il, le général en chef Christophe a pris les armes aussi dans le Nord, le général Pétion au Port-au-Prince ; des Cayes à Tiburon c’est de même. Dessalines, réduit à l’Artibonite seulement, ne pourra résister, et c’est au nom du général en chef que nous devons tous agir : il a été proclamé aux Cayes. » Ce discours révolutionnaire enflamme ces sous-officiers ; leur colonel les charge d’entraîner les soldats, et les renvoie à leurs rangs. Il fait venir ensuite le corps d’officiers auquel il tient le même langage, et il en obtient le même assentiment. Il les charge d’entraîner les officiers de la 16e : ce qui ne fut pas difficile, car la propagande se faisait déjà par mille voix obscures. Le soldat est presque toujours plus tôt informé que les chefs de ces sortes de nouvelles.

Assuré de son corps, assuré que la 16e était gagnée, Francisque partit aussitôt avec Véret pour Laval : ils y étaient rendus à 3 heures de l’après-midi, la distance à parcourir n’étant que d’une lieue[20]. Ils trouvèrent Gérin à table avec Madame Abel, se disposant à se rendre à l’Anse-à-Veau après son repas. Francisque lui raconte immédiatement dans quelle situation il a laissé la ville et l’arrondissement des Cayes, et lui dit que la 15e et la 16e sont dans les mêmes dispositions ; et que dans une telle conjoncture, étant le seul général de division présent dans ie Sud, ayant toujours guidé ses frères dans la conquête de leurs droits, il ne peut se refuser à les guider de nouveau contre la tyrannie de Dessalines.

« Mais, vraiment, colonel Francisque, répartit Gérin, je ne puis concevoir que vous fassiez tous une telle entreprise sans en calculer les conséquences, et surtout, sans vous ressouvenir des malheurs de notre guerre civile avec Toussaint Louverture ! »

À ces mots, Madame Abel, qui partageait l’opinion commune que Geffrard, son frère, avait été empoisonné par ordre de l’empereur ; qui, dès lors, avait voué à celui-ci une haine implacable : Madame Abel, exaspérée, indignée du langage de Gérin, se lève de table dans une mâle et fière attitude ; et, l’apostrophant, lui lance ces paroles d’une héroïne : « Général Gérin, si vous ne vous sentez plus le courage de combattre avec vos frères, donnez moi votre habit, vos épaulettes et votre épée, je marcherai à votre place ! » O femme !…

Gérin succombe à ce reproche empreint de tant d’énergie : brave et téméraire comme il est, il se rappelle toute sa carrière révolutionnaire et militaire ; et, plein de feu, il s’écrie : « C’en est fait ! je me mets à votre tête, et je verrai si vous saurez tous vaincre ou mourir avec moi, dans la terrible résolution que nous prenons aujourd’hui ! »

Pouvait-il, en effet, se soustraire à la nécessité de diriger ses compagnons d’armes, ses frères, toute cette population du Sud menacée des rigueurs de la tyrannie, ce Gérin à côtes-de-fer[21] auquel ils faisaient un si glorieux appel ? Pouvait-il refuser cette mission providentielle, par la crainte du renouvellement des horreurs commises en 1800 dans ce département héroïque ? Quel que dût être intérieurement son profond regret, de tirer l’épée contre Dessalines qui lui avait sauvé la vie à cette époque, son devoir actuel ne l’emportait-il pas sur sa reconnaissance personnelle ? Pour être ministre de l’empereur, cessait-il d’être citoyen, et ce titre de citoyen n’est-il pas le premier dans la hiérarchie civile et politique ? Quoi ! Gérin aurait servi les passions, la haine, la cruauté sauvage de Dessalines, contre des hommes tels que Wagnac, Papalier, Bourdet, Voltaire, Lafrédinière, Racolier, Francisque, Véret, Férou et d’autres qui concoururent avec Geffrard et lui, à assurer le triomphe de l’indépendance nationale dans ce département ! Et ils auraient vaincu les tyrans d’outre-mer, pour subir la tyrannie d’un chef qu’ils avaient élevé sur le pavois !

Non, ce n’était pas possible ! Gérin devait agir comme il a fait. La parole de Madame Abel, c’était le cri de la Patrie rappelant à ce brave défenseur de la Liberté, qu’il avait un nouveau devoir à remplir.

Sa résolution prise, Gérin demande son cheval et se rend avec Francisque et Véret à l’Ànse-à-Veau. À son arrivée dans ce chef-lieu de la deuxième division du Sud, il fut accueilli avec enthousiasme par le général Vaval, le colonel Bruny Leblanc, la 15e et la 16e demi-brigades. Il harangua ces corps au cri de Vive la liberté ! et ordonna qu’ils fussent soldés immédiatement et que les militaires eussent à se réunir à leurs drapeaux sans délai.

Le lendemain, 11 octobre, Castaing arriva des Cayes, porteur d’une lettre de Wagnac au ministre, qui lui faisait savoir qu’eux tous l’avaient reconnu en qualité de chef de l’armée et du département du Sud, et qu’ils attendaient ses ordres. Cette lettre l’informait en même temps qu’ils avaient acclamé le général en chef H. Christophe, comme chef du gouvernement.

Gérin devenait ainsi, non-seulement chef militaire, mais chef politique de l’insurrection. En cette double qualité, il avait à prendre toutes les mesures qui pouvaient la faire triompher.

Se tenir dans le Sud pour organiser et attendre les événemens, c’eût été une faute capitale. L’insurrection ne pouvait y trouver d’obstacles. Il fallait donc qu’elle fût envahissante, pour rallier à elle les populations mécontentes des autres départemens ; qu’elle marchât dans l’Ouest pour obtenir le concours du général Pétion et des troupes sous ses ordres ; décider, sinon l’Artibonite, du moins le Nord, au même mouvement révolutionnaire, afin d’anuihiler la puissance impériale.

Dans ce dessein judicieux, Gérin expédia aux Cayes, le dimanche 12, le colonel Faubert et le chef d’escadron David-Troy qui se trouvaient à l’Anse-à-Veau, le premier en résidence, le second en permis[22], avec ordre à Wagnac de faire marcher sur le Pont-de-Miragoane toutes les troupes pour l’y joindre, et de juger les généraux Moreau et Guillaume Lafleur. Au fait, c’était presque ordonner de les juger à mort : c’est ainsi qu’on le comprit aux Cayes, comme on le verra bientôt. Ce fut peut-être un tort : ces deux hommes ne pouvaient guère nuire aux succès de l’entreprise, G. Lafleur surtout ; en les tenant captifs, on eût pu épargner deux actes sanglans à cette réclamation de droits. Mais, dans ces sortes de crise politique, on redoute toujours ceux dont on se méfie ; les passions se donnent alors une pleine carrière.

Une autre mesure était plus essentielle : c’était d’informer le général en chef de son acclamation dans le Sud, des causes des événemens qui avaient amené cette mesure. Gérin se décida à écrire une lettre à cet effet à H. Christophe : nous en donnons un extrait.

À l’Anse-à-Veau, le 12 octobre 1806.

Le Général de division, ministre de la guerre et de la marine,

Au Général en chef de l’armée d’Haïti.
Mon cher général,

Tous les militaires et le peuple vous regardent depuis longtemps, comme le successeur au gouvernement d’Haïti. La tyrannie qu’exerce sur l’armée et le peuple d’Haïti le génie destructeur de l’empereur actuel, a fait rompre le frein au peuple de la partie des Cayes… Le général Moreau a été arrêté par le peuple, et les troupes ont demandé leur paye… leur état fait pitié ; je vous ai vu gémir sur leur sort. Comme ministre de la guerre, par la constitution, je dois faire payer les troupes ; mais S. M. ne m’a jamais témoigné le moindre désir de les faire solder. Alors, honorable général, ne serait-il pas de votre dignité de prendre à cœur la cause des troupes et du peuple, et de me donner vos ordres ? Car, si les chefs ne montrent pas de l’énergie, le pays sera bouleversé de fond en comble par les suites des démarches inconsidérées du chef du gouvernement… Mais la liberté, grand Dieu ! est un vain nom dans ce pays, qu’on n’ose plus prononcer ouvertement, quoiqu’il soit placé à la tête des actes ; mais elle n’existe que là. On a usurpé les vœux des généraux pour une constitution dont ils ignoraient le premier mot, et qui ne leur a été connue que lorsqu’elle fut publiée, quand on l’a reçue[23], et qu’il foule aux pieds chaque jour…

Cette lettre fut expédiée au général en chef ; mais elle ne lui parvint pas et fut retrouvée au Port-au-Prince. Le lundi 13, Gérin partit avec les 15e et 16e demi-brigades pour se rendre au Pont-de-Miragoane, où sa jonction devait s’opérer avec les troupes des Cayes.

Elles n’avaient pu y recevoir leur solde que le 13. Ce même jour, Faubert et David-Troy y arrivèrent avec les ordres de Gérin ; mais dès la veille à midi, une pluie abondante avait commencé à tomber ; elle dura jusqu’au mercredi à peu près à même heure. Il semble que la Nature pleurait sur les fautes commises aux Cayes par le Fondateur de l’Indépendance nationale, sur les excès de son système gouvernemental, qui contraignaient le Peuple Souverain à reprendre l’exercice de son autorité pour l’abattre.

Faubert et David-Troy, qui savaient que Gérin avait écrit à Christophe, conseillèrent aux chefs des Cayes de l’informer aussi des événemens accomplis, puisqu’ils l’avaient acclamé chef du gouvernement. En conséquence, ils lui adressèrent la lettre qui suit :

Aux Cayes, le 13 octobre 1806.
Les chefs de l’armée du Sud, au Général en chef.
« Ils sont enfin connus, ces secrets pleins d’horreur ! »

Le général de brigade Moreau et ses adhérens, dignes satellites du tyran, étaient les porteurs de ces ordres écrits pour exterminer la malheureuse classe des anciens libres de toutes couleurs[24]. Dessalines, qui leur doit beaucoup, veut maintenant briser l’instrument dont il s’est en partie servi pour parvenir au faîte de sa grandeur ; il a réuni aux domaines les propriétés les plus authentiques : il a fait des levées de troupes ; il a fait faire des levées d’argent. Tous les cœurs étaient ulcérés, l’indignation était à son comble. Le peuple en masse s’est levé ; nous avons tiré l’épée, et nous ne la remettrons dans le fourreau que lorsque vous nous l’ordonnerez.

Nous ne vous cacherons pas, digne général en chef, que nous croyons votre indignation au moins égale à la nôtre ; et nous vous proclamons avec joie et à l’unanimité, le chef suprême de cette île. Sous quelque dénomination qu’il vous plaise de choisir, tous les cœurs sont à vous ; nous jurons, devant Dieu, de vous être toujours fidèles et de mourir pour la liberté et pour vous.

Nous ignorons quel est votre sort et votre position ; mais nous espérons que vous combattez en ce moment Dessalines. Nous avons appris indirectement que vous vous étiez emparé du trésor du Cap, et que vous aviez payé vos troupes. Nous venons d’en faire autant : notre trésor des Cayes s’est trouvé grossi par les exactions et les confiscations ordonnées[25].

Nous ferons marcher demain des troupes pour le Pont-de-Miragoane, en attendant que nous soyons surs des intentions du colonel Lamarre, à qui nous avons écrit au Petit-Goave et qui, certainement, ne se fera pas prier pour partager notre indignation.

Nous avons aussi écrit au général de division Gérin, en ce moment au Petit-Trou, pour lui offrir provisoirement le commandement des deux divisions du Sud.

Aquin, l’Anse-à-Veau et Jacmel sont pour nous et pour vous ; nous ne sommes pas encore surs de Jérémie, parce qu’il y a là deux partisans du tyran, qui ont du pouvoir et qui pourraient en abuser ; cependant nous espérons le contraire. Au reste, le colonel Vancol marchera demain pour les soumettre ou les persuader au besoin.

Le général de brigade Moreau, marchant vers le Cap Tiburon, pour exécuter une nouvelle Saint-Barthélémy, a été arrêté dans la plaine par notre parti. Le général G. Lafleur est aussi arrêté en ville.

Nous attendons, général en chef, vos ordres pour l’ensemble de nos opérations ; soyez notre protecteur et celui d’Haïti : nous espérons que Dieu bénira la bonne cause.

Nous vous prions, brave général, de ne point mettre du retard dans cette réponse, et d’avoir avec nous une correspondance très-active, soit par mer, soit par terre, s’il est possible.

Nous avons l’honneur d’être, avec un profond respect, général, vos très-humbles et très-obéissans subordonnés.

Signé : Pour le colonel Wagnac, commandant l’armée de la 1re  division du Sud, Voltaire ; Beauregard, Papalier, Vancol, Racolier, L. Bourdet, J. Rocher, Lacoule.

Cette pièce fut envoyée à Gérin pour être acheminée. Elle était d’une soumission entière à l’autorité de Christophe, et lui laissait ingénument la faculté de continuer l’Empire, ou de choisir une toute autre forme de gouvernement. Mais c’était le langage de quelques officiers secondaires, ce n’était pas celui des chefs supérieurs qui allaient prendre la haute direction de l’insurrection, ni celui du peuple rendu à sa souveraineté : elle ne pouvait donc rien préjuger sur cette question.

Le général Gérin avait bien envoyé l’ordre, par Faubert et David-Troy, de faire avancer toutes les troupes au Pont-de-Miragoane ; mais on voit que les chefs des Cayes pensèrent qu’il fallait envoyer Vancol avec la 17e à Jérémie, afin de s’assurer le terrain dans cet arrondissement : les deux partisans de l’empereur dont il est question, étaient Bazile et René. Bourdet inclinait même à s’y rendre avec Vancol ; et la pluie l’empêchant de se mettre en route avec la 13e, il était encore aux Cayes le mercredi 15, quand le chef d’escadron Borgella y arriva ce jour-là, avec de nouveaux ordres de Gérin pour faire marcher les troupes à sa rencontre. C’est alors que Bourdet défila avec son corps, pour le Pont-de-Miragoane, et Vancol avec le sien pour Jérémie.

En partant d’Aquin, le général G. Lafleur en avait laissé le commandement à Borgella ; mais lorsque celui-ci apprit que Gérin avait été reconnu aux Cayes, en qualité de général de l’armée insurrectionnelle et de commandant des deux divisious du Sud, il laissa à son tour le commandement d’Aquin à Verpil, son adjudant de place, afin de se rendre à l’Anse-à-Veau. Dans la route, il rencontra Faubert et David-Troy et sut que Gérin se rendait au Pont-de-Miragoane : il s’y porta. Avant de quitter Aquin, il avait adressé au colonel Lamarre, une lettre pour l’engager à prendre parti dans l’insurrection.

Dès le 11 oclobre, Gérin, méditant sa marche dans la 2e division de l’Ouest, pour pouvoir s’aboucher avec Pétion dont il présumait les sentimens favorables à la cause de l’insurrection, uniquement par ses antécédens (car il ignorait complètement le concert qui avait existé entre Pétion, Geffrard et Christophe), Gérin sentait l’importance de l’adhésion de Lamarre, qui était capable de lui opposer une vive résistance avec sa demi-brigade. En conséquence, il expédia au Petit-Goave les deux frères Calix et Nicolas Brouard, amis de Lamarre, pour tâcher de le persuader en faveur de l’entreprise. À leur arrivée, les deux Brouard sondèrent ses dispositions qu’ils trouvèrent à l’encontre de leurs désirs et de leur mission : la lettre que Lamarre reçut des chefs des Cayes ne produisit pas plus d’effet. Au contraire, il prit des mesures de défense en attendant l’arrivée du général Yayou, commandant de l’arrondissement, qu’il avisa des événemens du Sud. Les deux Brouard durent retourner auprès de Gérin qu’ils trouvèrent encore à l’Anse-à-Veau : leur rapport n’arrêta pas sa marche pour le Pont-de-Miragoane.

Borgella l’ayant joint au Pont, l’informa qu’il avait adressé une lettre à Lamarre, qui le déciderait probablement à se réunir à lui. Il l’avait expédié par un homme de confiance, nommé Jérôme, pour lui être remise en secret.[26] Elle commençait par ces mots belliqueux : « Aux armes, mon cher Lamarre ! La voix de tes frères t’appelle au secours de la patrie en danger ! etc. » Elle se terminait en rappelant à Lamarre la promesse qu’il lui avait faite, à lui Borgella, à son retour de Marchand, de prendre le même parti que lui, si un événement venait à surgir, en l’engageant à se rallier à l’insurrection comme lui.

Cette lettre, cet appel fait à son patriotisme, électrisa Lamarre ; il se décida immédiatement en faveur de l’insurrection ; et assemblant autour de lui son frère Clermont, ses cousins Galet Desmares et Delan Poisson, il leur communiqua la lettre de Borgella et leur dit qu’il ne pouvait suivre une autre bannière que celle qu’il avait adoptée. Le succès de la marche de Gérin n’était plus douteux.

Toutefois, il y avait encore le général Yayou qu’il fallait entraîner dans le mouvement. Avisé des événemens du Sud, il en avait informé le général Pétion, son chef immédiat, et réuni la 21e demi-brigade à la tête de laquelle il partit pour le Petit-Goave : il y était rendu le 14.

De son côté, Gérin s’était avancé vers cette ville avec la 15e et la 16e, et un escadron de dragons sous les ordres de Jean Langevin[27]. Au pont de l’habitation Chabannes, entre la ville et l’Àcul, Lamarre avait fait élever un petit rempart et placer une pièce de campagne, avant la réception de la lettre de Borgella. Le chef de bataillon Quique gardait cette position ; mais il avait été initié au projet de Lamarre de se joindre aux troupes du Sud, et ne tira point sur elles. Gérin fît proposer une entrevue à Yayou pour lui exposer les causes de leur insurrection[28].

Lamarre profita de cette proposition pour se mettre en rapport avec les troupes insurgées : il conseilla à Yayou d’accepter l’entrevue, et en y allant avec lui, il fit dire à Gérin de faire contourner le pont de Chabannes par des militaires qui iraient s’emparer du fort Liberté où il n’y avait qu’un faible poste, son intention étant de se réunir à lui : ce qui fut exécuté par un détachement de la 15e commandé par Lévêque.

Dans l’entretien des deux généraux, Gérin exposa à Yayou tous les faits qui avaient poussé les populations du Sud à l’insurrection, et la nécessité d’en finir avec la tyrannie de Dessalines. Yayou, quoique secrètement mécontent de ce dernier depuis sa translation à Léogane, n’avait pas assez de confiance dans les hommes du Sud qu’il connaissait fort peu. Prévenu d’ailleurs par tous les bruits d’assassinats qui avaient circulé, il dit à Gérin qu’il ne pouvait participer à une insurrection où les chefs n’étaient pas respectés, puisque déjà le général Vaval avait été sacrifié. Pour toute réponse à ce reproche, Gérin fît appeler Vaval qui vint de sa personne prouver le contraire et engager Yayou à se joindre à eux. Ebranlé par cette conviction, Yayou leur répondit alors qu’il n’en ferait rien sans avoir vu préalablement le général Pétion qu’il attendait. Il rentra au Petit-Goave avec les officiers qui l’escortaient, et Gérin fît avancer ses troupes, Lamarre ayant dit à Quique de rentrer en ville avec son bataillon. Les soldats du Sud y pénétrèrent aussitôt et achevèrent l’œuvre de fusion, en gagnant ceux de la 21e et de la 24e.

En quittant Gérin, Yayou ne s’arrêta pas au Petit-Goave ; il alla au-devant de Pétion qu’il rencontra endeçà du Tapion.

Lorsque Pétion reçut la nouvelle des événemens du Sud, il adressa une lettre à Dessalines pour l’en informer, en lui disant qu’il donnait ses ordres pour la réunion de toutes les troupes de sa division, afin de se porter à leur tête au Pont-de-Miragoane ou dans le Sud, s’il le fallait. ![29]

C’était remplir son devoir militaire envers le chef de l’Etat ; mais intérieurement, il se réservait aussi son rôle politique pour agir selon les circonstances : car il avait été trop bien informé des excès commis par l’empereur dans le Sud, il connaissait trop l’esprit entreprenant des populations de ce département, pour n’avoir pas pressenti un événement, surtout après que Geffrard y eût jeté les germes de leur conjuration. Par ses ordres, le général Germain Frère réunit les 11e et 12e demi-brigades, et partit aussi avec Pétion à leur tête. Ce n’est pas ce dernier qui eût pu commettre la faute de laisser Germain au Port-au-Prince : il chargea Lys de veiller à tout, avec le corps d’artillerie qu’il commandait. Bédouet, commandant de la place, n’était pas à craindre dans cette ville, lorsque Lys était secondé par des hommes tels que Caneaux, Lavelanet, Zenon, etc, tous officiers influens sur le corps d’artillerie.

À son arrivée à Léogane, Pétion y trouva le général Magloire Ambroise, commandant de l’arrondissement de Jacmel, qui, quoique malade, y était venu pour conférer avec lui et se laisser guider dans cette crise[30]. On a vu qu’au passage de l’empereur dans cette ville, il y avait excité le mécontentement de la population et une horreur générale, par l’infâme assassinat de Thomas Thuat. Quand les chefs des Cayes disaient à Christophe que Jacmel était pour leur cause, c’est qu’ils se flattaient que cet arrondissement était dans le même esprit. Pétion n’eut donc aucune peine à convaincre Magloire Ambroise de la nécessité de se joindre aux insurgés du Sud, comme il allait le faire lui-même, et il le renvoya à Jacmel pour donner cette direction aux 22e et 23e demi-brigades et à la population.

Quoique les troupes du Port-au-Prince fissent la route rapidement, Pétion avait hâte de se rendre au Petit-Goave pour avoir le temps de s’aboucher avec Gérin, qu’il savait être à la tête de celles du Sud[31]. Les colonels Frontis et Apollon, qui commandaient la 11e et la 12e, étaient des hommes dévoués à Dessalines. Pétion ne leur avait pas plus dit qu’à Germain ses desseins secrets ; il attendait sa jonction avec les troupes du Sud pour que l’embauchage se fît par les soldats. Il précéda ces deux corps avec Germain, qu’il laissa au Grand-Goave pour les rallier ; et, après avoir envoyé au Petit-Goave le colonel Dieudonnéet le capitaine Boyer, ses aides de camp, pour y annoncer son approche, il rencontra le général Yayou qui venait au-devant de lui. Ce général lui raconta l’entretien qu’il avait eu, peu d’heures auparavant, le 15 octobre, avec Gérin. Celui-ci avait déjà produit sur son esprit une impression favorable : Pétion acheva son œuvre, en lui disant qu’ils n’avaient tous qu’à prendre la même résolution ; que le règne de Dessalines devait finir, puisque ce chef ne donnait aucune sécurité à la vie de qui que ce soit, et qu’il opprimait la nation. L’ancien lieutenant de Sans-Souci put se rappeler en ce moment tous les antécédens du Nord, en 1802 et 1803 : d’ailleurs, ses relations avec Pétion, depuis qu’il commandait à Léogane, étaient sur le meilleur pied ; elles assuraient sur son esprit cet ascendant, cette influence que Pétion exerçait sur tous.

Après avoir passé le Tapion, Pétion rencontra l’avant-garde de Gérin, commandée par Solages, lieutenant de grenadiers dans la 15e, qui l’accueillit avec les honneurs militaires. Il arriva enfin au Petit-Goave, à midi, et y trouva sur la place d’armes, Gérin avec les 15e, 16e, 21e et 24e demi-brigades et leurs chefs. Il n’y avait plus qu’une chose à arrêter entre eux : c’était de franchir au pas de course les 17 lieues qui séparent le Petit-Goave du Port-au-Prince, pour s’en rendre maîtres ; car Pétion, comme Gérin, connaissait l’activité fébrile de Dessalines, déjà informé de l’insurrection du Sud par diverses voies[32].

La marche des troupes commença aussitôt. Arrivé au Grand-Goave, on y trouva réunies la 11e et la 12e. Les colonels Frontis et Apollon, ainsi que Germain Frère, ne montrèrent aucune disposition favorable aux chefs et aux troupes qui arrivaient du Petit-Goave ; mais les officiers et les soldats se guidaient sur Pétion. On veilla de plus près sur le général Germain pour qu’il ne s’évadât pas. La 15e et la 16e prirent la tête de la marche sur Léogane, la 11e et la 12e au centre, et la 21e et la 24e à l’arrière-garde ; on y fut rendu au coucher du soleil, et on passa la nuit dans cette ville. Pendant cette nuit, le général Germain fut arrêté, parce que ses allures prouvaient qu’il cherchait à se sauver. Partis au jour du 16 octobre, tous ces corps de troupes entrèrent au Port-au-Prince, le même jour, à quatre heures de l’après-midi.

Le général Gérin, en sa double qualité de ministre de la guerre et de chef de l’armée insurrectionnelle du Sud, à laquelle Pétion n’avait fait que se rallier, dirigea les mouvemens militaires depuis leur jonction au Petit-Goave. Il eût été donc peu sage de la part de Pétion de prétendre à cette direction, quoiqu’ils se trouvassent dans son commandement de la 2e division de l’Ouest ; mais Gérin s’entendait avec lui, prenait ses avis qu’il ne pouvait dédaigner : le meilleur concert exista entre eux.

Le général Germain fut mis aux cachots de la prison. Le commandement provisoire de l’arrondissement du Port-au-Prince fut déféré au général Yayou, et celui de la place au colonel Dieudonné, aide de camp de Pétion, qui opéra l’arrestation de Bédouet, et le conduisit en prison. Bédouet était sur le point de s’évader pour aller avertir l’empereur de la défection de Pétion.

Gérin fit placer immédiatement la 15e et la 16e en embuscade au Pont-Rouge, près du portail Saint-Joseph, dans la pensée que Dessalines pouvait arriver d’un moment à l’autre au Port-au-Prince, ou pour y accueillir à coups de fusil toute troupe qui le précéderait ou viendrait avec lui. La 21e et la 24e occupèrent le fort Saint-Joseph, situé à côté de ce portail, et la 11e et la 12e restèrent en ville, Pétion à leur tête. Les quartiers-maîtres de tous ces corps se dirigèrent au trésor pour toucher leur solde, en attendant qu’ils pussent recevoir des magasins de l’État leur habillement, dont la distribution commença le lendemain au jour.


Retournons dans le Sud.

Après que le capitaine Augustin eût été chargé de la garde de Moreau, il était allé aux Cayes, laissant ce soin au lieutenant de sa compagnie. Le 14 octobre, le chef d’escadron Racolier se présenta au camp Gérard à la tête d’un escadron, et demanda au chef du poste qu’il lui livrât son prisonnier ; mais cet officier exigea que, préalablement, il lui exhibât un ordre à cet effet, émané de l’autorité supérieure des Cayes. Racolier n’étant pas muni d’ordre, fit vainement ses efforts pour avoir Moreau ; il fut contraint de se retirer. Le 15, le capitaine Augustin revint à son poste, et enjoignit à Pilié et à un autre officier qui y étaient encore, au nom des autorités des Cayes, de s’y rendre, en leur permettant de faire leurs adieux à leur général prisonnier[33].

Le 16, un conseil des autorités des Cayes fut tenu pour décider du sort de Moreau et de Guillaume Lafleur, d’après les ordres reçus du général Gérin. Faubert, David-Troy et Borgella y furent appelés pour prendre part à la délibération. En y allant, ce dernier engagea David-Troy à parler en faveur de Lafleur, pour tâcher de le sauver ; car il voyait ce qui allait arriver. Effectivement, ils firent l’observation, à laquelle adhéra Faubert, qu’ils étaient seulement porteurs des ordres du général Gérin, et qu’ils ne pouvaient être membres du conseil des autorités : cependant, ils exprimèrent l’opinion, qu’il fallait reconnaître qu’on ne pouvait pas imputer à Lafleur, des faits coupables comme à Moreau. Borgella surtout s’exprima avec tant de chaleur, qu’il déplut à Racolier et à Voltaire qui manifestèrent leur mécontentement de ce qu’il voulait, disaient-ils, sauver un criminel[34]. En ce moment, Borgella se retira, laissant David-Troy et Faubert qui, ayant essayé de nouveau de faire entendre raison et justice, mais vainement, se retirèrent aussi de la délibération. Son résultat fut de mettre à mort les deux généraux prisonniers.

Guillaume Lafleur avait été officier des dragons de l’escorte de Rigaud, sous les ordres de Borgelia. Il trouva ce dernier commandant de place à Aquin, lorsqu’il fut élevé au rang de général de brigade commandant de cet arrondissement. Leurs anciennes relations d’amitié continuèrent sur le même pied dans leur nouvelle position respective. D’ailleurs, Lafleur avait toujours été un officier d’honneur, un homme de bien, rendant service à tous ceux qui pouvaient avoir besoin de sa protection. Son administration à Aquin n’avait eu rien d’acerbe. Il n’était pas plus dévoué à Dessalines que ne l’était le général Vaval, contre lequel on avait autant de préventions injustes. Avec l’idée qu’on se faisait généralement de la puissance formidable de Dessalines, Lafleur a pu croire que c’était une grande faute, une grande folie, que de se soulever contre lui ; que ce serait attirer sur le Sud de nouveaux désastres pareils à ceux dont il avait été témoin en 1800. Si Wagnac lui eût accordé l’entretien qu’il avait demandé, il est fort possible que ce colonel l’eût amené à adhérer au mouvement. Se voyant traité comme suspect d’un dévouement outré à Dessalines, lui ayant écrit pour l’informer des événemens du Port-Salut, il dut se croire lié par l’honneur, et il ne céda point. Dans tous les cas, sa mort n’était pas nécessaire ; on ne pouvait rien lui reprocher. Mais comment faire entendre la voix de la modération dans les crises politiques ? La divergence des opinions produit alors des inimitiés, des haines implacables : on s’acharne plus contre son concitoyen, qu’on ne le fait ordinairement à l’égard d’un ennemi étranger. Cela s’est toujours vu en tous pays.

Ce déplorable parti étant pris, Racolier, l’homme sans entrailles, fut chargé de l’exécution des deux généraux. Il notifia à Lafleur l’ordre qu’il avait reçu, disait-il, de le conduire au camp Gérard. Lafleur obéit en montant à cheval au milieu des dragons qui l’escortaient. Arrivé au carrefour Fonfrède, Racolier cria : Halte ! L’infortuné Lafleur vit que son heure suprême avait sonné : conservant un rayon d’espérance, il céda à un mouvement tout naturel dans sa triste position ; éperonnant son cheval, il le lança au grand galop. Mais Racolier ordonna une charge contre lui ; atteint par les dragons devant l’habitation Labarrère, il fut massacré à coups de sabre.

Tandis que Racolier se dirigeait avec sa troupe au camp Gérard, la mère de Lafleur, à un âge déjà avancé, qui l’avait suivi, arriva et vit le cadavre de son fils gisant sur la route, lorsqu’elle croyait qu’elle eût pu lui porter des soins dans sa détention. Rassemblant ses forces dans sa douleur maternelle, et aidée de quelques cultivateurs, elle lui donna la sépulture sur les lieux mêmes.

Bientôt, ce fut le tour de Moreau. Il était à table, quand il entendit le son de la trompette ; il s’informe de ce que cela peut être, et on lui répond : « Ce sont les dragons des Cayes. — Allons, mes amis, dit-il, c’en est fait de moi ! » Il se lève et s’habille promptement. Racolier entre dans la chambre où il était, et lui dit qu’il avait ordre de le conduire aux Cayes. « Allons-y, mon camarade, répondit-il : je suis prêt. » On le fit monter à cheval ; et, placé au milieu des dragons, quand il arriva au carrefour Touya, il dit avec sang-froid : « Eh bien ! ne sommes-nous pas convenablement ici ? — Non, général, un peu plus loin, » lui répondit-on. Racolier fît faire halte vers l’habitation Pemerle. Aussitôt Moreau descendit de cheval et demanda un crayon pour écrire quelques lignes sur ses affaires d’intérêt ; il donna cette note au capitaine Moulite Tuffet, en le priant de la remettre à sa femme. Il s’accusa alors d’avoir obéi trop aveuglément aux ordres de Dessalines. Sur le point de recevoir la mort, il pria qu’on lui permît de confier encore quelques paroles au même officier pour être rapportées à sa femme. Quand il eut satisfait à ce désir, il dit : « Mes amis, tirez maintenant. » Les officiers des dragons déchargèrent leurs pistolets sur lui, à deux pas : il tomba mort. Racolier et son escadron reprirent alors la route des Cayes, laissant le cadavre à terre.

La Veuve de Geffrard, ayant appris cet événement, vint sur les lieux ; en chrétienne charitable, elle oublia les torts de Moreau envers son mari, ensevelit son cadavre et lui fit donner la sépulture. Ce noble trait de générosité recommande la mémoire de cette femme à l’estime de la postérité, de même qu’elle ne peut refuser son admiration à Madame Abel, pour l’énergie qu’elle montra.

Dans la même journée du 16 octobre, Faubert, David-Troy, Borgella et la plupart des chefs des Cayes partirent pour se réunir à l’armée du Sud qu’ils rejoignirent au Port-au-Prince. Papalier emmena Inginac avec lui[35].

Après leur départ, dans la soirée, le chef de division navale Aoua, qui se trouvait en prison depuis plusieurs jours, pour s’être montré un ardent partisan de Dessalines, étant détesté des marins de l’État envers lesquels il exerçait une autorité absolue, en fut retiré et conduit par eux vers les fossés des Cayes, et là sacrifié sans pitié.

Déplorons tous ces excès révolutionnaires. S’ils s’expliquent par la fureur des passions, ils ne se justifient point aux yeux de la postérité. Car, si Inginac n’avait pas trouvé un protecteur généreux et influent en Papalier, il eût été sacrifié aussi dans ces momens : cependant, que de services n’a-t-il pas rendus dans la suite à son pays qu’il aimait ! Ceux qui ont été victimes alors aux Cayes eussent pu également le servir, en se corrigeant de leurs erreurs, de leurs fautes, de leurs torts. Mais, lorsqu’un gouvernement a encouru l’animadversion générale, ce sentiment s’étend aux fonctionnaires qui l’ont servi avec zèle. Il en est de même, lorsqu’un peuple est seulement entraîné dans une révolution dont il ne prévoit pas les funestes suites. Heureux alors ceux qui se sont montrés modérés dans leur dévouement, ou dont la nullité politique ne paraît pas un obstacle au nouvel ordre de choses qui s’établit !

  1. Voyez la lettre de G. Roux, employé aux bureaux des domaines du Port-au-Prince, adressée à Inginac le 26 septembre, dans l’Hist. d’Haïti, t. 3, p. 290.
  2. Papalier et Beauregard ont pu n’être pas entrés dans le projet de Geffrard, mais ils n’ont pas pu l’ignorer, puisque Moreau le dénonça à Dessalines. Celui qui paraît avoir été positivement complice de Geffrard, est le colonel Wagnac commandant de la cavalerie.
  3. Hist. d’Haïti, t. 3, p. 284 et 286.
  4. Ibid. p. 294.
  5. Nous ne prétendons pas dire non plus, qu’il était sciemment un suppôt de la tyrannie de Dessalines ; mais seulement, qu’il agit d’une manière irréfléchie comme fonctionnaire public, d’après son caractère absolu, même quand il faisait bien son devoir, avec les meilleures intentions. Voici ce qu’il a dit lui-même de sa conduite à cette époque, dans sa lettre du 15 mars 1843 :

    « Lorsque le gouvernement de l’empereur Dessalines dominait le pays, et après que j’avais été fortement et souvent rudoyé par ce chef animé d’un patriotisme exalté ; que je parvins à obtenir sa confiance, je n’agissais que par dévouement à la patrie, et non dans l’idée de servir le chef qui se trouvait à la tête des affaires ; et ainsi, l’énergie que j’ai pu avoir déployée dans mes actes d’alors ne fut que dans l’idée d’obtenir des résultats favorables à un peuple qui venait de s’émanciper, et qu’il me paraissait indispensable de rappeler à des principes de bonne foi… Je ne pense pas qu’aucun acte d’égoïsme ou d’intérêt personnel peut, avec justice, m’être reproché… »

    Cela est vrai, il faut le dire à son honneur.

  6. Hist. d’Haïti, t. 3 p. 295. Il le fallait bien, puisque Inginac ne respecta point les décisions rendues par l’empereur.
  7. Notes d’A. Pilié.
  8. Notes de Glézil fils.
  9. Déclaration de Moreau, prisonnier, à Pilié qu’il avait laissé aux Cayes, mais qui se rendit auprès de lui sur l’habitation Taverne, lorsqu’il apprit son arrestation, et d’après un permis de Papalier.
  10. Ce reproche ne s’accorderait pas avec le prix de 27 et 28 sous dont parle l’Hist. d’Haïti (t. 3, p. 224) pour le mois de mai 1805, à moins de supposer qu’en 1806, le café valait moins de 20 sous, et que Dessalines ordonna alors de tenir la main, afin de contraindre le commerce étranger à le payer à ce prix. D’un autre côté, il taxa le café à 25 sous la livre pour prélever le droit d’exportation.
  11. Notes de Pilié, sur la déclaration de Moreau.
  12. Cependant, la pièce intitulée Relation de la campagne contre la tyrannie, publiée ensuite au Port-au-Prince, dit que « Moreau et Etienne Mentor furent arrêtés par les ordres du brave colonel Wagnac. » Il y aurait donc eu concert entre le colonel Wagnac et Messeroux !
  13. Etienne Mentor reçut plusieurs blessures ; mais il en guérit et vécut longtemps après, sans être un mauvais citoyen pour cela. À l’époque, on le considérait comme un Séïde de Dessalines ! C’est une particularité remarquable, que cet inspecteur de cultures portait un nom identique à celui de l’adjudant-général Etienne Mentor, qui fut aussi victime de cette révolution.
  14. Si ce fut réellement Wagnac qui ordonna l’arrestation de Moreau, tout s’explique : il y aurait eu alors conspiration entre les chefs des Cayes.
  15. Il s’arrêta sur l’habitation Dutruche.
  16. Voyez dans l’Hist. d’Haïti, t. 3, p. 303, la relation des dangers que courut effectivement Inginac qui était devenu odieux à la population, pour avoir été au-delà même des ordres de l’empereur. La page 302 mentionne le meurtre d’un jeune homme de couleur nommé Henri, secrétaire du général Yayou, arrivé dans ces circonstances : fait que nous ne trouvons pas dans les notes de Glézil et de Pilié, témoins des évènemens. Nous ne concevons pas d’ailleurs comment Yayou, les ignorant encore, aurait eu l’idée d’informer Papalier que les troupes de l’Ouest allaient marcher contre le Sud. Et dans quel but eût-il envoyé une telle information au chef secondaire des Cayes ? Ensuite, ce fait de la tête de Henri portée à la pointe d’un sabre et montrée à Inginac, à qui l’on aurait dit : Ton tour viendra bientôt, ce fait nous semble tout-à-fait apochryphe. Quant à Almanjor, il se sauva dans ces momens sur un caboteur qui le porta aux Gonaïves.
  17. Notes d’A. Pilié, qui resta auprès de Moreau, qui lui donna des témoignages de compassion dans son malheur jusqu’au 15 octobre, la veille de sa mort, où il reçut l’ordre de rentrer aux Cayes.
  18. Messeroux continua ses fonctions de juge de paix, et devint en 1808 assesseur au tribunal d’appel des Cayes. Il avait été et fut toujours un bon citoyen.
  19. Note de N. Brouard, qu’il m’a fournie en 1829.
  20. Après le départ de Francisque pour Laval, les deux corps d’officiers se rendirent chez le général Vaval et le conjurèrent de prendre parti avec eux. Vaval hésitait ; mais son secrétaire Guillaume Cézar lui fit des représentations sur la nécessité de ne pas séparer son sort de celui de ses camarades d’armes, qui se soulevaient avec raison contre le despotisme intolérable de Dessalines ; et Vaval se détermina de suite. Le colonel Bruny Leblanc prit la même résolution.
  21. Surnom que portait Gérin, à cause de sa ténacité à la guerre. — Dans son ouvrage intitulé Voyage dans le Nord d’Haïti, M. H. Dumesle cite l’intervention de Madame Racolier, née Lauraine Cambri, dans une réunion des insurgés du Port-Salut au carrefour Gauvin, pour les exciter à poursuivre leur projet, comme fit Madame Abel envers Gérin ; mais il ne mentionne pas le fait de cette dernière, que nous avons puisé dans les notes de Glézil qui, lui, ne parle pas de l’autre.
  22. David-Troy, soldat de la 4e demi-brigade, avait obtenu enfin un permis pour vaquer à ses affaires : il était à Aquin, auprès de Borgella qui, apprenant les évènemens des Cayes, lui conseilla d’aller à l’Anse-à-Veau pour offrir son concours à Gérin. En ce moment, il reprit son rang de chef d’escadron.
  23. Gérin confirme ici ce que m’a affirmé le général Bonnet. Ces deux généraux détruisent donc l’assertion de M. Madiou, disant que la constitution de 1805 fut envoyée préalablement à tous les généraux qui la signèrent. Hist. d’Haïti, t. 3, p. 216.
  24. On se rappelle dans quel sens était écrit le prétendu décret que Baillio dit avoir reçu, après le départ des trois aides de camp de Dessalines qui dînèrent chez lui en comité secret. Peut-être qu’à ce moment, Baillio remit-il cette pièce aux chefs des Cayes : ce que ne dit pas Pilié dans ses notes précitées.
  25. En cela, Inginac servit la cause de l’insurrection ; car, s’il n’avait pas fait entrer des fonds à la caisse publique, on n’en aurait point trouvé pour payer les troupes. Et quoiqu’on ait qualifié ses opérations de confiscations et d’exactions, on n’a rien remis à personne.
  26. Ce Jérôme est le même qui devint plus tard capitaine de port aux Cayes : il porta la lettre dans un bâton troué.
  27. Jean Langevin qui, avec Lamarre et Borgella, accompagna Rigaud à Tiburon où il s’embarqua en 1800. Ces antécédens exerçaient leur influence sur ces cœurs toujours unis.
  28. C’est par inattention que l’Histoire d’Haïti, t. 3, p. 312, dit que ce fut Yayou qui demanda une entrevue à Gérin : la note de Glézil fils, qui a servi aussi à M. Madiou, dit à ce sujet : « Lamarre engage le général Yayou à causer avec lui (Gérin) et à savoir ce qu’il voulait. Yayou se rend à cet avis et accepte l’entrevue que demande Gérin, etc. »
  29. Voici la réponse de Dessalines :

    Au palais impérial de Dessalines, le 13 octobre 1806, etc.

    Jacques, Empereur Ier d’Haïti, etc., au général Pétion.

    Votre exprès, général, arrive à l’instant, 11 heures ; je l’expédie de suite.

    Vous prendrez la quantité de troupes nécessaire dans votre division, et vous vous rendrez sans délai aux Cayes ; la rendu, vous agirez avec toute la vigueur possible contre les rebelles qui seront armés : cultivateurs, soldats, etc. Si la rébellion est dissipée, vous arrêterez tous les officiers de tous grades de la 13e qui ont demandé de l’argent. Vous ferez de même de tous les officiers des autres corps, s’ils se sont trouvés dans ce cas. Vous n’épargnerez personne. Vous ferez arrêter les chefs des rebelles parmi les cultivateurs : la moindre résistance doit être punie par des coups de fusil.

    Signé : Dessalines
    .

    Hist. d’Haïti, t. 3, p. 478.

  30. Il est probable que Magloire vînt à Léogane, sur l’invitation de Pétion.
  31. Il est même présumable que Gérin lui aura écrit, dès qu’il prit la résolution de marcher sur l’Ouest ; mais aucun document, aucune tradition orale ne constatent ce fait.
  32. Une lettre de Gérin, écrite le 15 octobre par Boisrond Canal, fut adressée à Faubert pour l’inviter à venir de suite à l’armée ; elle était datée du Petit-Goave, peu d’instans après l’entrevue de Gérin avec Pétion : il disait à Faubert : « J’ai eu le bonheur de joindre le général Pétion ; nous nous sommes parfaitement entendus, et défilons sans perdre de temps pour le Port-au-Prince. Jusqu’à présent, le Souverain Arbitre a dirigé nos pas. »
  33. Notes de Pilié.
  34. On a prétendu dans le temps qu’une mésintelligence existait entre G. Lafleur et Voltaire, par rapport à une femme qui resta à ce dernier après la mort de l’autre.
  35. Papalier n’arriva au Port-au-Prince que le 22 octobre. Racolier resta aux Cayes en qualité de commandant provisoire de la place et même de l’arrondissement, vu l’absence de Beauregard, de Papalier et de Wagnac.