Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 5/5.7

Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 5p. 235-266).

chapitre vii.

Invasion de la fièvre jaune et ses cruels effets. — Réunion du conseil colonial. — Sentimens libéraux du préfet colonial Benezech, sa mort. — Projets manifestés par les colons. — Conduite courageuse de H. Christophe. — Leclerc maintient en vigueur les règiemens de T. Louverture sur la culture. — La fièvre jaune dissout le conseil colonial. — Leclerc organise le gouvernement colonial. — Mesures fiscales. — Défense faite aux notaires de passer des actes de vente de moins de 50 carreaux de terre. — Mesures de police. — Pendaisons, noyades et fusillades contre la population indigène. — Règlement sur les délits et les peines. — Arrêté des Consuls défendant aux noirs et aux mulâtres d’entrer en France. — Réflexions à ce sujet. — Règlement de Leclerc sur l’ordre judiciaire et sur le culte catholique. — Arrivée de troupes de France. — Leclerc ordonne le désarmement général des cultivateurs. — Vues secrètes des chefs de l’armée coloniale en y donnant leur concours. — Mouvemens insurrectionnels qu’il occasionne. — Noble conduite du général Devaux. — Révolte de Charles Bélair. — Révolte d’autres chefs de bandes dans le Nord. — Pétion et Dessalines agissent contre eux. — Conférences entre ces deux chefs, leurs vues, leur entente. — Charles Bélair se rend après la capture de sa femme. — Dessalines les dénonce et les envoie à Leclerc. — Une commission militaire est formée pour les juger au Cap. — Arrivée de nouvelles troupes de France.


Lorsqu’à la fin d’avril, Leclerc se décidait à traiter sérieusement de la soumission de Christophe et de T. Louverture, l’armée française avait déjà perdu 5000 hommes dans les combats et en avait autant dans les hôpitaux, blessés ou malades. Alors il n’en était arrivé de France que 23 mille : c’était donc près de la moitié de cette force hors de ligne.

Dans le courant du mois de mai, la fièvre jaune fit invasion en même temps au Cap et au Port-au-Prince, où se trouvaient réunis un plus grand nombre de troupes et d’Européens venus avec elles dans la colonie. Les ravages de cette peste furent tels dès le début, qu’on a vu, à tort ou à raison, imputer à T. Louverture le plus grand espoir d’en profiter pour reprendre les armes. Au moment où il était arrêté et déporté, l’épidémie enlevait les généraux Debelle et Hardy, une foule d’officiers et de soldats. C’était dans les premiers jours de juin, dans ce mois où la chaleur devient intense dans le pays. On était réduit à ne plus rendre les derniers honneurs aux militaires et aux particuliers. « Des tomberaux, dit P. de Lacroix, faisaient à minuit leurs rondes lugubres. Ils ramassaient, dans chaque rue, les morts qu’on mettait aux portes des maisons. » Il en était de même dans les hôpitaux où les militaires étaient soignés.

Dans le même temps, le capitaine-général Leclerc, débarrassé de T. Louverture, convoqua au Cap le conseil colonial dont nous avons vu la formation par sa proclamation précitée du 25 avril, pour aviser aux moyens de restauration des cultures principalement, pour l’aider de ses conseils dans l’administration générale. Ce corps fut présidé d’abord par le préfet colonial Benezech, homme vertueux qui n’avait que des vues honnêtes et qui eut la bonhomie de croire à la sincérité des déclarations faites au corps législatif, au nom du gouvernement français ; il pensait qu’il ne s’agissait pas de rétablir l’esclavage à Saint-Domingue comme ailleurs. Mais, dès les premières séances du conseil, les colons grands propriétaires, qui presque tous avaient été influens auprès de T. Louverture, laissèrent percer leur vues pour seconder la pensée intime du gouvernement. Benezech, et H. Christophe qui était membre du conseil, les combattirent et réussirent à faire rejeter toutes autres propositions que celle relative au maintien du fermage des habitations séquestrées, tel qu’il s’observait sous le régime de T. Louverture. Aussitôt l’adoption de cette mesure, Benezech mourut, le 12 juin, de la fièvre jaune.

L’intérim de sa préfecture fut donné à Deraime, sous-préfet du département du Nord, qui hérita de ses fonctions, mais non pas des sentimens philantropiques qui le distinguaient ; et d’ailleurs, comment s’opposer aux vues du gouvernement ? Les colons, Belin de Villeneuve en tête, donnèrent pleine carrière à leur désir de voir rétablir promptement l’ancien régime colonial[1]. Dans une séance du conseil, ils s’écrièrent tous : Point d’esclavage, point de colonies ! Dans leur plan, cependant, les anciens libres devaient jouir, disaient-ils, des mêmes droits politiques que les blancs. C’était un leurre offert aux députés noirs et jaunes du conseil, pour qu’ils aidassent, ainsi que leur classe, au rétablissement de l’esclavage.

H. Christophe eut le courage de repousser ces propositions, en s’écriant à son tour : « Point de liberté, point de colonies ! » Il attaqua ensuite tout le plan des colons, qui, voyant que la poire n’était pas mûre, eurent l’air de le retirer. Il paraît que Christophe eut la franchise de faire des observations à ce sujet à Leclerc, pour le prémunir contre les colons. On doit lui tenir compte de ce dévouement généreux ; car c’était s’exposer à une subite déportation en France.

Cette opposition porta Leclerc à prendre un mezzo-termine, en attendant qu’il pût mieux faire. Le 1er juillet, il rendit un arrêté qui maintint, à peu de chose près, les règlemens publiés par T. Louverture, notamment celui du 12 octobre 1800. À ce sujet, nous lisons dans l’ouvrage de Thibaudeau :

« Quant à l’état des noirs, la guerre avait résolu le problème. Il était évident qu’on n’avait l’intention de leur laisser que la portion de leur liberté qu’on ne pourrait plus leur reprendre. Les noirs n’étaient pas sous Leclerc plus malheureux que sous le sceptre de fer de Toussaint Louverture ; mais ils obéissaient avec répugnance à un chef qui n’était pas de leur couleur[2]. »

Ils obéissaient avec autant de répugnance sous T. Louverture ; mais ce chef de leur couleur était dans une position telle, après ses succès contre Rigaud, que les noirs étaient contraints d’obéir sous la verge et le bâton, aidés de la féroce baïonnette.

Le développement de la fièvre jaune fut si grand, que le conseil colonial perdit plusieurs de ses membres et fut dissous par l’épidémie elle-même. Le commissaire de justice Desperoux était mort aussi le 5 juin[3]. Des trois grands fonctionnaires de la colonie, il ne restait que le capitaine général qui devait bientôt payer le même tribut au climat des Antilles. En attendant, il fit remplacer en titre Benezech par Mongirault, qui était commissaire du gouvernement à Santo-Domingo, et Desperoux par Minuty, qui remplissait les mêmes fonctions au Cap.

On a vu dans notre 5e livre, que cette organisation du pouvoir dans les colonies avait été adoptée en 1801, par rapport à la Guadeloupe[4].

Le capitaine-général réunissait toutes les attributions des anciens gouverneurs généraux, qui étaient fort étendues. Après avoir consulté le préfet colonial et le commissaire de justice, sans être astreint à suivre leurs avis, il pouvait à volonté, suspendre l’exécution des lois et règlemens existans.

Le préfet avait dans ses attributions l’administration civile et la haute police intérieure, l’instruction publique, les cultes, etc., de même que les anciens intendans.

Le commissaire de justice exerçait les anciennes attributions de ces derniers, relativement aux tribunaux et à tout l’ordre judiciaire.

Mais cette organisation avait été fixée dans la supposition d’un temps calme : il est clair que dans un temps de guerre, le capitaine-général, général en chef de l’armée, devait encore primer sur les deux autres fonctionnaires, en absorbant leurs attributions.

C’est ce qui arriva. Par un arrêté du 20 juin, le capitaine-général, considérant que la colonie était encore en état de siège par suite de la guerre à peine achevée, conféra à l’autorité militaire la plupart des attributions respectives du préfet colonial et du commissaire de justice. Le gouvernement militaire fut ainsi institué sur une large échelle. Il faut aussi reconnaître que dans les vues du rétablissement de l’esclavage, cette décision devenait une nécessité de la situation.

Le conseil colonial étant dissous, le capitaine-général devenait sous un tel régime le législateur unique de la colonie. Le 21 juin, il rendit un arrêté qui divisa le territoire en deux parties : — celle de l’Ouest, comprenant l’ancienne colonie française subdivisée en trois départemens : du Nord, de l’Ouest et du Sud, ayant pour chefs-lieux le Cap, le Port-au-Prince et les Cayes : — celle de l’Est, comprenant l’ancienne colonie espagnole subdivisée en deux départemens : l’Ozama et le Cibao, chefs-lieux Santo-Domingo et Saint-Yague. Le département de Louverture (Artibonite) se trouva ainsi supprimé. Les quartiers, comme dans l’ancien régime, remplacèrent les arrondissemens  ; les paroisses conservèrent leurs limites.

Les quartiers et les paroisses furent commandés par des officiers militaires, et dans chaque paroisse il y eut des conseils de notables en place des administrations municipales. Chaque département eut un sous-préfet, sous les ordres du préfet colonial qui nommait les membres des conseils de notables : leurs attributions furent à peu près celles qu’avaient les administrations municipales sous le régime précédent. Le service des postes fut rétabli sur le même pied, celui des ports également.

Outre l’ordonnateur en chef venu de France, qui avait pour attributions le casernement, la solde, l’entretien et la nourriture des troupes, et le service des hôpitaux, le capitaine-général confia encore au fameux Idlinger, l’administration des domaines et des revenus financiers qu’il avait eue sous T. Louverture. Il modifia son arrêté du 31 mars, en affranchissant de tous droits à l’importation les navires français et les marchandises de toutes sortes qu’ils apportaient de la métropole. Un nouveau tarif établit des droits à l’exportation sur tous les produits de la colonie, pour tous les navires, nationaux ou étrangers Six ports seulement furent ouverts au commerce : — le Cap, le Port-au-Prince, Santo-Domingo, les Cayes, Jacmel et Jérémie[5]. L’importation, par tous les navires quelconques, de bœufs, de mulets et de bois de construction, fut permise franche de droits dans les ports du Cap, du Môle, du Port-au-Prince et de Jacmel.

Les biens des émigrés et des absens, et ceux que T. Louverture avait fait séquestrer, passèrent aux domaines coloniaux ou nationaux.

Le système des douanes dans les ports ouverts au commerce extérieur fut maintenu comme dans le régime précédent. Il est à remarquer que le département du Sud était le plus florissant, non-seulement parce qu’il avait été préservé des ravages de la guerre de trois mois, mais par suite de l’ordre que Rigaud y avait établi ; car à l’arrivée de l’expédition, les Français y trouvèrent, dans les magasins de l’État, plus de douze millions de valeurs en denrées du pays[6]. C’est ainsi qu’on a vu le chiffre du numéraire existant dans les caisses du Sud, déclaré supérieur à celui du Nord et de l’Artibonite, par T. Louverture lui-même dans l’un de ses entretiens avec le général Cafarelli.

On conçoit que la nouvelle du succès de l’expédition, étant parvenue en France et aux États-Unis, dut faire affluer les navires de commerce dans les ports de la colonie. Aussi l’abondance y régnait à cette époque, et ces navires trouvaient des produits qu’ils exportaient avec avantage.

Tout souriait donc à l’autorité du capitaine-général. Et comme, dans son aveuglement et son engouement pour les colons grands propriétaires, de même que dans l’intérêt de son aristocratie militaire, T. Louverture avait tracé des précédens contraires aux intérêts des noirs cultivateurs, Leclerc ne trouva rien de mieux à faire que de les adopter, puisqu’il poursuivait le même but.

Ainsi, après avoir proclamé son règlement de culture, en donnant une très-grande force d’action aux autorités militaires et à la gendarmerie, Leclerc défendit aux notaires, ainsi que son prédécesseur, de passer des actes de vente de moins de 50 carreaux de terre. C’était encore pour empêcher que les cultivateurs ne devinssent petits propriétaires, et pour les contraindre à exploiter les grandes habitations. Il y ajouta, en défendant à ceux d’une habitation, de se marier aux femmes d’une autre habitation que celle où ils travaillaient. Se marier était le terme légal employé par respect pour les bonnes mœurs ; mais comme généralement les rapports des deux sexes étaient fondés sur le concubinage, les officiers militaires savaient qu’en vertu de cet acte ; il fallait également les empêcher.

Les passeports et les cartes de sûreté, adoptés par le régime de fer de T. Louverture sur le modèle tracé par le régime révolutionnaire de la France, vinrent ajouter à ces mesures et les compléter. Aussi, quand la gendarmerie rencontrait des cultivateurs sur les grandes routes, non munis de ces choses, elle, ne se faisait aucun scrupule de les sabrer vigoureusement. Afin de donner une direction intelligente au service de cette gendarmerie, Leclerc nomma le général Clauzel inspecteur de ce corps. Il eut tort de placer à ce poste le brave Clauzel, et il méconnut en cela le vœu de son armée ; car les soldats français avaient élu le général Brunet.

Tant de mesures prises contre les cultivateurs devaient inévitablement exciter un sourd mécontentement par mieux. Au moindre signe de leur indignation contre les nouveaux venus, en qui ils avaient tant espéré, on les arrêtait, on les hissait aux arbres dans les campagnes, ou aux potences que le capitaine-général fit dresser dans les villes et bourgs ; on les fusillait, on les noyait, à bord des bâtimens de guerre.

Il faut ici rendre à César ce qui est à César, en disant que Rochambeau eut l’honneur de cette initiative.

Cette rage de destruction semblait être une vengeance exercée en raison de la mortalité occasionnée par la fièvre jaune : elle avait bientôt enlevé les généraux Clément, Pambour, Tholozé, Ledoyen, l’adjudant-général Perrin, le colonel du génie Maubert, sans compter d’autres officiers de moindre importance et les soldats[7]. Des troupes arrivées en juin et au commencement du mois d’août, ne tardèrent pas à alimenter le terrible fléau qui les accablait.

Le 29 juillet, le capitaine-général publia un règlement portant classification des délits et des peines, en matière de simple police, de police correctionnelle et criminelle : il était basé sur les lois de la métropole. Mais dans ses dispositions additionnelles, se trouvaient des articles qui défendaient à tout citoyen de porter ni nom, ni prénom, autres que ceux exprimés dans son acte de naissance ou de reconnaissance de sa filiation, et d’ajouter aucun surnom au nom propre sous lequel il était distingué avant le premier janvier 1793, à moins qu’une reconnaissance de filiation légale et authentique n’eût été faite postérieurement à cette époque. Ceux qui enfreindraient cette défense, devaient être condamnés à 6 mois d’emprisonnement et à une amende de 66 francs : en cas de récidive, la peine était double. La même défense était faite aux fonctionnaires publics, de désigner de tels individus autrement que ne le prescrivaient les dispositions précitées, sous peine d’être interdits de leurs fonctions pendant 6 mois, destitués en cas de récidive et condamnés à une amende de 100 francs. Tout citoyen pouvait dénoncer de telles contraventions, justiciables en police correctionnelle la première fois, et au criminel en cas de récidive. Il est entendu que c’étaient des commissions militaires qui formaient ces deux juridictions. T. Louverture en avait tracé si bien l’exemple, que son successeur n’avait qu’à l’imiter.

On conçoit dans quel but cet arrêté fut pris et contre qui il était dirigé. Nous avons parlé des lois ou ordonnances coloniales qui défendaient aux mulâtres de porter les noms de leurs pères blancs, alors même que ceux-ci les faisaient élever et prenaient soin d’eux ; et nous avons dit aussi qu’après le décret de l’assemblée législative, du 4 avril 1792, qui reconnaissait l’égalité politique des hommes de couleur, mulâtres et noirs affranchis, avec les blancs, bien des mulâtres avaient pris le nom de leurs pères. D’un autre côté, parmi les noirs déclarés libres dès le 29 août 1793 et confirmés dans ce droit par le décret de la convention nationale, du 4 février 1794, il y en avait qui ajoutaient à leurs noms propres, ceux de leurs anciens maîtres, depuis ces actes qui les admettaient au rang de citoyens français. Or, dans le Nord, selon l’usage créole, on disait, par exemple, avant la révolution, Pierre à Gallifet, pour désigner un esclave du colon Gallifet ; dans l’Ouest et le Sud, l’usage créole supprimait la préposition à, et l’on y aurait dit simplement Pierre Gallifet. Cette habitude avait donc été maintenue. Le règlement de Leclerc fut ainsi dirigé contre les mulâtres et les noirs, pour qu’ils ne portassent pas le nom des blancs. Il acheminait tout doucement de cette manière vers l’ancien régime.

Mais, ce qu’il y a de singulier et ce qui explique fort bien les instructions qu’il avait reçues du Premier Consul, c’est que, dans ce même mois, le 2 juillet, le gouvernement français avait déjà pris un arrêté ainsi conçu :

Les Consuls de la République, sur le rapport du ministre de la marine et des colonies ; le conseil d’État entendu,

Arrêtent :

1. Il est défendu à tous étrangers d’amener sur le territoire continental de la République (en France) aucun noir, mulâtre, ou autres gens de couleur, de l’un et de l’autre sexe.

2. Il est pareillement défendu à tout noir, mulâtre, ou autres gens de couleur, de l’un et de l’autre sexe, qui ne seraient point au service, (militaire, sans doute), d’entrer à l’avenir sur le territoire continental de la République, sous quelque cause et prétexte que ce soit, à moins qu’ils ne soient munis d’une autorisation spéciale des magistrats des colonies d’où ils’seraient partis, ou, s’ils ne sont pas partis des colonies, sans autorisation du ministre de la marine et des colonies.

3. Tous les noirs ou mulâtres qui s’introduiront, après la publication du présent arrêté, sur le territoire continental de la République, sans être munis de l’autorisation désignée à l’article précédent, seront arrêtés et détenus jusqu’à leur déportation.

4. Le ministre de la marine et des colonies est chargé de l’exécution du présent arrêté, qui sera inséré au Bulletin des lois.

Le Premier Consul,
Bonaparte.

Comme on voit, il y avait corrélation parfaite entre le règlement du capitaine-général de Saint-Domingue et l’arrêté des Consuls. Au 29 juillet, il ne pouvait guère avoir appris l’arrêté du 2 : à cette époque, il n’y avait point de steamers transatlantiques ; c’était donc par suite de ses instructions qu’il avait publié son règlement.

Le gouvernement consulaire, poussé par la faction coloniale, revenait ainsi aux fameuses ordonnances de Louis XVI, que nous avons signalées dans notre 1er  livre. Tandis que le capitaine-général déportait en France, des noirs et des mulâtres, militaires il est vrai, — le ministre de la marine déportait de France les hommes de même couleur qui se seraient aventurés à y venir sans autorisation[8]. Cette condition, du moins, était déjà une dérogation aux anciennes ordonnances royales qui n’en admettaient pas du tout.

Le progrès des lumières, les sentimens d’une douce philanthropie ont encore mieux fait à cet égard ; car, depuis longtemps déjà, noirs et mulâtres ont la faculté de venir admirer les merveilles de la civilisation, dans cette France toujours si libérale, si généreuse, lorsqu’elle est laissée à ses propres instincts ; de venir y séjourner, y résider sous la protection de ses lois, en jouissant de l’exquise urbanité de ses mœurs.

Une réflexion naît cependant de l’acte des Consuls que nous venons de citer. Conçoit-on l’influence qu’il a dû exercer à Saint-Domingue, de même que la loi du 20 mai sur le rétablissement de l’esclavage, quand on en eut connaissance ? Capitaine-général, généraux, amiraux, officiers de tous grades, soldats, marins, et surtout colons de tous rangs, n’étaient-ils pas en quelque sorte invités, par ces actes, à mettre en pratique toutes les rigueurs, toutes les horreurs susceptibles d’en aggraver les dispositions ? Désormais, que devenaient à leurs yeux les noirs et les mulâtres de cette colonie, sinon des bêtes féroces qu’il fallait à tout prix subjuguer ou détruire ?

Nous savons déjà, par Pamphile de Lacroix, que Leclerc avait communiqué ses instructions au général Boudet ; mais est-il possible qu’il ne les ait pas communiquées aussi à Rochambeau et aux autres principaux généraux ? Les mesures qu’il avait déjà prises à l’égard de Rigaud, de T. Louverture et des officiers subalternes, se trouvant confirmées par des actes où la colère du gouvernement de la métropole se montrait inexorable, la chasse aux tigres (de M. Bignon) devenait un moyen de se recommander à son estime. Les Rochambeau, Lavalette et Panis, dans l’Ouest ; les Darbois et Berger, dans le Sud ; les Brunet et Boyer, dans le Nord, sans compter d’autres individus moins importans, le comprirent ainsi.

Mais il était réservé à des âmes d’élite, à des cœurs généreux, de comprendre autrement leur devoir envers l’humanité et même leur patrie : de ce nombre étaient les généraux Desbureaux, Boudet, Devaux, Pamphile de Lacroix, Clauzel, Thouvenot, Claparède, Jacques Boyé et d’autres encore. Ceux-ci honorèrent le nom français, dans cette lutte à mort entreprise contre des hommes auxquels la France avait reconnu tous les droits qu’ils tiennent de la nature.


Quoi qu’il en soit, suivons le capitaine-général Leclerc dans son organisation de la colonie confiée à son autorité.

Le 24 juillet, il fit un règlement sur le notariat. Déjà, il en avait fait un autre sur l’ordre judiciaire, en créant des tribunaux d’appel au Cap, au Port-au-Prince, aux Cayes, à Santo-Domingo. Des tribunaux de première instance furent également établis dans diverses villes, et leur composition fut la même que celle des tribunaux créés par le régime de T. Louverture. Mais, comme on avait besoin de fonds, les officiers ministériels militant près d’eux furent taxés à payer des rétributions à la caisse publique. C’était arriver à une sorte de vénalité pour ces offices qui devenaient ainsi une propriété pour les occupans. Il est entendu que d’anciens juges colons et d’autres Européens occupèrent seuls toutes ces charges.

Le 18 août, un nouvel arrêté modifia celui du 21 juin, en donnant la dénomination de l’Artibonite au département qui s’appelait l’Ouest.

Comme avait fait T. Louverture, la religion catholique apostolique et romaine fut le seul culte autorisé dans la colonie, tout en y permettant la liberté de conscience.

Un vicaire apostolique, l’abbé Cibot, fut établi dans le Nord, un autre, l’ancien préfet Lecun, fut reconnu pour les deux autres départemens de l’Artibonite et du Sud. L’ancienne partie espagnole continua d’être sous la juridiction spirituelle de l’évêque Mauvielle.

À propos de toute cette organisation, il est convenable de citer ici une appréciation du général Pamphile de Lacroix :

« S’adonnant sans relâche, dit-il, à l’établissement du nouveau mode d’administration et à l’organisation du nouvel ordre judiciaire, le capitaine-général Leclerc crut trouver dans un grand nombre d’agens une digue pour contenir la masse entière des noirs ; mais ces agens, moissonnés par le climat, ou inactifs par son influence, laissaient tomber en désuétude l’action de leur autorité, et chaque jour voyait naître des arrêtés dont l’inexécution n’était pas assez remarquée par nous… »

Cependant, à la mi-août, environ 4000 hommes arrivèrent de France. Ce renfort eût pu sans doute suppléer un peu à la désuétude des arrêtés, à l’inaction forcée des agens, si ces malheureux soldats envoyés si loin de leur pays, dans un but si coupable, n’étaient destinés eux-mêmes à subir l’influence mortelle de ce climat destructeur : la plupart allèrent grossir le nombre des moribonds dans les hôpitaux du Cap.

On vit alors les femmes indigènes de cette ville, oubliant généreusement tout le mal qu’on faisait déjà à leurs frères, se dévouer avec une énergie surhumaine pour soigner les malades dans ces hôpitaux et dans la ville, leur prodiguer tout leur temps pour aider les médecins, les chirurgiens dans leur œuvre. Leclerc ne put se soustraire au devoir de leur adresser des félicitations et des remercîmens, en même temps qu’il témoignait sa satisfaction aux officiers de santé.

Néanmoins, les arrestations, les pendaisons, les noyades, les fusillades continuèrent leur train : il fallait atteindre le but !

Le capitaine-général avait déjà ordonné aux cultivateurs de venir livrer leurs armes aux chefs-lieux des cantons, et peu d’entre eux avaient obéi à cet ordre. Au plus fort de l’épidémie, il n’osa, dit P. de Lacroix, brusquer leur désarmement par des moyens violens ; mais quand il eut vu que l’auxiliaire des noirs continuait ses ravages, il s’y résolut. Comment faire cependant avec si peu de troupes européennes ? Il fallut recourir aux troupes coloniales, — « pour tirer parti, dit le même auteur, du bon esprit dans lequel paraissait être encore la masse des chefs de couleur,… » c’est-à-dire noirs ou jaunes. On était alors aux premiers jours de juillet.

En conséquence, le capitaine-général augmenta considérablement la composition du corps de la gendarmerie, afin d’y faire entrer ces troupes coloniales pour un tiers ; et, pour se les affectionner, il décida que chaque homme recevrait, par jour, une demi-piastre de haute paye. Mais, dit l’historien de l’expédition : « On n’eut jamais les moyens d’alimenter en Européens le cadre de cette gendarmerie ; un soldat admis la veille dans ce corps était porté le lendemain au cimetière. Quel calcul humain n’aurait pas été mis en défaut par une mortalité semblable ! »

Comment ! on ignorait donc en France en quel peu de temps, les 6000 hommes envoyés de-là avec les commissaires civils Polvérel et Sonthonax avaient été la plupart moissonnés par la fièvre jaune ! On y ignorait encore comment les troupes anglaises avaient péri promptement par cette maladie, que si la Grande-Bretagne avait tenu en sa possession quelques villes durant cinq ans, c’était au moyen des troupes noires et de couleur que ses généraux avaient formées dans la colonie ! Non, on n’a pu l’ignorer ; mais on était d’abord si certain du mécontentement de la population indigène sous T. Louverture, et ensuite si persuadé de la puissance magique du nom de la France sur son imagination, que l’expédition de la fin de 1801 fut jugée infaillible dans ses succès. Oui, elle l’eût été, mais à une condition : c’était d’apporter la vraie liberté, la bonne foi, une sincérité sans bornes envers cette population qui n’avait soupiré qu’après l’apparition des forces protectrices de la France, pour être débarrassée du dictateur qui l’opprimait.

Toutefois, certains chefs de l’armée coloniale, qui avaient leurs vues secrètes, ne refusèrent point leur concours au désarmement des cultivateurs. Ils savaient qu’il fallait faire pénétrer dans ces masses, la certitude qu’on voulait les replacer réellement dans l’esclavage : en leur ôtant les armes qu’elles tenaient en leurs mains depuis dix ans, c’était le meilleur moyen de les convaincre. Comme les exécutions à mort déjà commencées n’atteignaient encore que des individus, cela ne suffisait point ; et pour parvenir à la réalisation de leurs vues secrètes, ces chef savaient nécessairement besoin du concours des cultivateurs des campagnes : delà leur dévouement apparent aux intentions du capitaine-général. Sans parler de Pétion, Dessalines, qui a montré de si grandes rigueurs dans ce désarmement, ne s’était-il pas vu pour chasser dans les montagnes de Jacmel, à l’arrivée de l’expédition, quoiqu’il employât tous les moyens pour persuader les cultivateurs de ces cantons, qu’elle venait dans le but du rétablissement de l’esclavage ?

Les officiers supérieurs qui exécutèrent le désarmement furent Dessalines, Christophe, Clervaux, Maurepas, Pétion, Macajoux, Magny et Jean-Louis Louverture, neveu de Toussaint, dans les diverses localités où ils se trouvaient, — dans l’Ouest, l’Artibonite et le Nord. Ils réussirent à faire rentrer dans les arsenaux plus de trente mille fusils, d’après P. de Lacroix. Cet auteur fait la remarque que, dans l’Ouest, il n’y eut que les villes et quelques quartiers des campagnes qui remirent leurs armes. L’opération n’avait donc pas été dirigée seulement contre les cultivateurs : elle le fut aussi contre les noirs et les mulâtres des villes, qui formaient la garde nationale.

Pétion était au Port-au-Prince avec la 13e, lorsqu’il reçut l’ordre d’aller dans les montagnes de l’Arcahaie pour cette opération.

Dans le Sud, elle réussit complètement par les soins de Laplume, Néret et d’autres chefs secondaires.

Leclerc fut si joyeux du résultat obtenu, qu’il adressa des félicitations publiques à tous ces officiers de l’armée coloniale. Il y comprit le général Boyer et les chefs de bataillon Grandseigne, Erré et Mouchet, quatre Européens. Boyer, dans la péninsule du Môle, mit tant d’atrocités dans l’exécution de cette mesure, que les soldats français eux-mêmes le surnommèrent le cruel. Christophe ne mérita pas moins ce surnom, pour la fureur qu’il déploya dans les campagnes du Nord : de même que ce général français, il faisait pendre sans pitié tous les cultivateurs qu’il soupçonnait avoir caché leurs armes.

Rassuré parle succès obtenu, le capitaine général se rendit à la Tortue avec sa femme et sa maison militaire. Il avait pris en passion le séjour enchanteur de cette petite île où la température est si douce. Baignée de tous côtés par la mer, exposée aux vents alises durant l’été qui brûle Saint-Domingue, elle offrait au couple uni pour de si hautes destinées, un asile contre la peste qui enlevait journellement des officiers supérieurs. Là, Leclerc se reposait des fatigues de son laborieux gouvernement.

Tandis qu’il y était, des mouvemens insurrectionnels se manifestèrent sur divers points à la fois, occasionnés par le désarmement. — Aux Baradères, Janvier Thomas ; à Saint-Louis du Sud, Auguste ; à Torbec, Samedi Smith, essayèrent vainement de s’organiser ; ils furent refoulés dans les bois par Laplume et Néret. — Dans l’Ouest, Lamour Dérance et Lafortune réussirent mieux avec leurs grosses bandes, déjà organisées et habituées à guerroyer, puisqu’ils ne s’étaient jamais soumis à T. Louverture : ils vinrent faire des incursions du côté de Léogane et même jusqu’au Petit-Goave. — Dans l’Artibonite, il n’y eut d’abord que de simples mouvemens sans suite. — Dans le Nord, aux Moustiques, d’autres mouvemens eurent lieu. À Plaisance, Sylla, qui s’était manifesté dès l’arrestation de T. Louverture et qui avait été pourchassé, remua de nouveau. Tous ces chefs de bandes étaient des noirs.

« Il est pénible de penser, dit P. de Lacroix, que les tentatives insurrectionnelles qui rallumaient la guerre à mort à Saint-Domingue, furent attisées par l’instigation d’une politique étrangère occupée alors de renouveler les discussions en Europe… Une frégate anglaise avait plusieurs fois rangé de près la côte du Sud, et l’on apprit qu’elle avait communiqué avec la bande de Lafortune peu de jours avant sa levée de bouclier. »

L’accusation portée contre les Anglais, d’avoir été les auteurs de tous les maux de Saint-Domingue, est devenue une vraie manie sous la plume des écrivains français, ou plutôt un calcul pour dissimuler les fautes de leurs divers gouvernemens et des agens qu’ils employaient dans cette colonie. L’administration inintelligente et barbare de ces derniers, pénétrés d’ailleurs des instructions qu’ils recevaient, soulevèrent la population noire, et ces écrivains ont toujours voulu nier ce résultat. Est-ce que des hommes qu’on opprimait par toutes sortes de mesures vexatoires et cruelles, avaient besoin d’aucune suggestion étrangère pour reconnaître les mauvais desseins conçus contre eux ? Quand des noirs de la Jamaïque se soulevèrent contre l’oppression anglaise et campèrent dans ses montagnes Bleues, furent-ils instigués à cela par une politique étrangère ? Ils ne virent, comme ceux de Saint-Domingue, que la méchanceté exercée à leur égard par l’affreuse cupidité de la race blanche.

Lamour Dérance et Lafortune, restés partisans de Rigaud sous le règne de T. Louverture, ne se soumirent aux Français qu’en apprenant le retour de Rigaud. Mais, lorsqu’ils apprirent sa déportation pour de si puérils motif set avec des circonstances si déloyales, ils se retirèrent dans leurs montagnes pour recommencer la lutte au moment opportun. Et quel moment était plus convenable que celui où ils savaient les troupes blanches mois sonnées par la fièvre jaune ? C’est alors qu’ils agirent, alors que Leclerc faisait encore désarmer les cultivateurs, évidemment pour pouvoir les replacer dans l’esclavage. Ils n’avaient donc pas besoin des insinuations des Anglais, non plus que les autres chefs de bandes dans d’autres localités ; et d’ailleurs, Lamour Dérance et Lafortune avaient vu accourir vers eux des hommes de couleur du Port-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets, qui se virent contraints de fuir de ces lieux, pour ne pas être pendus ou noyés par Rochambeau.

Au Port-au-Prince se trouvait le général Devaux, en qualité de commandant de l’arrondissement. Ce loyal Français, ayant des sentimens bien différens de ceux de Rochambeau, son chef immédiat, accueillait avec fraternité la population indigène : il se dégoûta bien vite des horreurs que faisait commettre son chef, et demanda au capitaine-général l’autorisation de retourner en France. Rochambeau lui-même n’était pas satisfait d’avoir sous ses ordres un officier dont les sentimens et la conduite contrastaient tant avec les siens. Leclerc consentit à l’éloignement de Devaux, de la colonie. Un tel homme gênait le plan de l’expédition. Devaux se rendit d’abord aux Gonaïves.

Pétion, qui avait opéré le désarmement des cultivateurs dans les montagnes de l’Àrcahaie, s’y trouvait encore avec la 13e demi-brigade, quand il reçut l’ordre de Rochambeau de se porter à Plaisance, où les mouvemens insurrectionnels de Sylla faisaient concentrer d’autres troupes coloniales. Lorsqu’il passa près des Gonaïves, le général Devaux vint le joindre et arriva avec lui et son corps à Plaisance. Là se trouvait Brunet, et Pétion y prit cantonnement. Il paraît que le général Devaux, en prenant congé de cette troupe d’élite, pour aller s’embarquer au Cap, lui adressa un discours énergique où il l’engageait à conserver soigneusement ses armes, pour défendre sa liberté menacée par le nouvel ordre de choses. C’était dire à chacun de ces anciens soldats de Rigaud, ce qui était déjà dans leur pensée et dans celle de leur chef actuel. On était alors aux derniers jours de juillet.

Dans cet intervalle, Leclerc était retourné au Cap. À peine il avait quitté la Tortue, qu’une insurrection s’y manifesta par l’incendie des habitations et le meurtre des blancs. Le colonel Labattut, qui y commandait, réussit à ramener l’ordre, parce qu’il était aimé de cette population qu’il administrait avec douceur : il ménagea le sang des insurgés, encourut la disgrâce de Leclerc et fut dégradé. Les noirs furent condamnés à payer une somme assez importante, pour être employée aux reconstructions des propriétés qu’ils avaient incendiées[9].

Depuis la déportation de T. Louverture, Charles Bélair songeait à le venger en se plaçant à la tête d’une insurrection. Retiré dans la commune des Verrettes, il s’y prépara en se mettant en rapport avec des hommes qui devaient seconder cette entreprise. C’étaient Jérôme, aux Verrettes, Destrade, Jean-Charles Courjolles, Jean-Toussaint Labarre, Jean Dugotier, à l’Arcahaie, tous noirs, et Larose, homme de couleur, chef de bataillon de la 8e : ce dernier réunit des soldats de ce corps, et les autres des cultivateurs des montagnes des Verrettes et de l’Arcahaie. En s’organisant, C. Bélair avait la prétention d’être le général en chef des indigènes, et il en prit le titre. Or, c’était cette prétention qui devait lui attirer les foudres de Dessalines, son ennemi personnel, qui se réservait lui-même ce rôle, et qui, il faut le dire, l’était réellement de fait depuis la mort de Moïse. Ce mouvement eut lieu dans le mois d’août.

Mais bientôt la désunion survint entre lui et Larose, qui se sépara de lui pour agir de son côté. Sa femme, d’un caractère impérieux, avait contribué à cette désunion ; elle dominait le caractère faible de Charles Bélair. Malgré cette circonstance, Jérôme attaqua le bourg des Verrettes d’où il fut repoussé vigoureusement par Faustin Répussard, homme de couleur qui y commandait pour les Français. Cet insuccès contraignit Charles Bélair à passer sur la rive droite de l’Artibonite, dans la paroisse de la Petite-Rivière où se tenait Dessalines. Larose lui-même y passa aussi, abandonnant les montagnes de l’Àrcahaie. Ce fut une bonne fortune pour Dessalines qui, avisé tout d’abord des projets de Charles Bélair, les laissait continuer parce lui dont il était jaloux, les encourageait même secrètement, dit-on, pour pouvoir le perdre et se débarrasser d’un concurrent.

Mais tandis que l’insurrection de Charles Bélair éclatait, d’autres insurgés étaient dirigés dans le Nord, par Sans-Souci, Sylla, Macaya, Mavougou, Va-Malheureux et Petit-Noël Prieur, tous noirs, anciens affidés de T. Louverture, qui avaient plus ou moins pris part dans sa lutte de trois mois ou qui étaient habitués à obéir à sa voix, dans les mouvemens insurrectionnels qu’il ordonna successivement contre Sonthonax, Hédouville et Roume[10]. Cette fois, le désarmement des cultivateurs et les rigueurs employées à cette occasion furent cause de leur influence sur ces campagnards qu’ils soulevèrent. Après avoir agi du côté du Dondon, ils se concentrèrent vers le massif des montagnes qui forment les paroisses de Plaisance, d’Ennery, du Limbe, du Borgne et du Gros-Morne, en laissant quelques-uns de leurs lieutenans pour agir vers la Marmelade, la Grande-Rivière et le Dondon.

Ce mouvement de concentration, qui consistait à faire de Plaisance la base de leurs opérations, prouvait l’intelligence qui les guidait ; car, ainsi que le dit Moreau de Saint-Méry, — « Plaisance est l’une des paroisses les plus importantes de la partie française, parce qu’elle est située dans un point destiné, par sa nature, à servir de moyen de communication entre la partie du Nord, la partie de l’Ouest et le reste de la colonie, et même à assurer à divers points de la partie du Nord une communication entre eux. » Le général Leclerc l’avait compris ainsi, quand, dès l’ouverture de sa campagne contre T. Louverture, il fit occuper Plaisance par Desfourneaux, et ensuite par Clauzel et Brunet. T. Louverture lui-même avait conçu l’idée de se rendre maître de ces montagnes, dans son plan de diversion pendant que les Français se concentraient contre la Crête-à-Pierrot. On a vu que Sylla, par ses ordres évidemment, s’y tenait toujours. Il est donc permis de croire que les chefs des bandes insurgées, en prenant les armes au mois d’août, époque que T. Louverture avait assignée pour être celle de mouvemens offensifs de sa part, et convergeant tous sur Plaisance, suivaient en cela le plan qu’il avait médité, et dont il fut accusé avec quelque apparence de vérité.

Quoi qu’il en soit, le général Brunet ordonna à Pétion de combattre les insurgés. Il obtint bientôt quelques succès contre Sans-Souci qu’il chassa du Pilate ou Bas Plaisance ; mais en faisant des prisonniers parmi eux, Pétion agit avec cette humanité qui le caractérisait, et qui, dans cette circonstance comme toujours, est de la meilleure politique : Pétion respecta leur vie, et permit même à la plupart de se sauver. Cette conduite contrastait trop avec les rigueurs exercées précédemment par Brunet sur les malheureux qu’il atteignit, pour n’avoir pas été appréciée par eux tous ; et c’est ce qui explique le respect que les noirs du Nord montrèrent ensuite pour Pétion, quand il eut pris les armes à son tour contre les Français.

En ce moment le général Dessalines arrivait aussi dans la paroisse de Plaisance avec des troupes coloniales, pour aider à la répression des insurgés : il en avait reçu l’ordre. Là, pour la première fois depuis l’arrivée de l’expédition française, il se rencontrait avec Pétion.

Ce n’est pas ce que prétend Boisrond Tonnerre, dans ses mémoires : il affirme que leur première entrevue eut lieu à la Petite-Anse, immédiatement après la déportation de T. Louverture, lorsqu’il est certain que Pétion était encore au Port-au-Prince avec la 13e ; et il fait l’honneur à Dessalines d’avoir pris l’initiative pour conseiller à Pétion de prendre son parti, de même qu’il aurait tenu ensuite le même langage à Clervaux et à Christophe. Cependant, cet auteur convient après que Dessalines et Pétion se virent à Plaisance, « que les malheurs communs avaient rapproche ces deux hommes ; que là, ils se communiquent l’un à l’autre leurs sentimens sur ce qui se passait, et Dessalines crut devoir prévenir Pétion sur les dangers qu’il courait, s’il rentrait au Cap avec sa troupe. » L’une des deux assertions détruit nécessairement l’autre ; car si, déjà à la Petite-Anse, Dessalines avait engagé Pétion à prendre son parti, c’est qu’alors ils se seraient entendus.

Le fait est, que c’est dans l’entrevue de Plaisance qu’ils se communiquèrent réciproquement leurs pensées. Pétion, encore adjudant-général comme au moment qu’il abandonna l’armée de T. Louverture pour passer auprès de Rigaud, reconnaissant en Dessalines un officier supérieur sur qui désormais l’armée coloniale devait fixer les yeux, sentait d’ailleurs le besoin de justifier sa conduite politique dans la guerre civile du Sud, pour pouvoir opérer son rapprochement de Dessalines. À cet effet, il fit les premières avances. Comme homme plus éclairé, décidé à agir avec tout le désintéressement que nécessitait le salut de la race noire, il devait les faire pour amener la conviction dans l’esprit de l’ancien ennemi qu’il avait combattu lors de sa défection, et qu’il venait tout récemment encore de combattre à la Crête-à-Pierrot.

Pétion entama la conversation sans hésiter sur les circonstances et les motifs qui l’avaient forcé à abandonner l’armée de T. Louverture, rejetant sur celui-ci, comme de raison, les malheurs de cette époque déplorable, par son engouement pour les colons et les émigrés qui l’avaient ensuite payé d’une si horrible ingratitude. Le raisonnement de Pétion fut d’autant plus goûté par Dessalines, qu’il lui dit encore : « Mais, le général Toussaint pouvait-il, devait-il plus compter sur la sincérité des blancs, lui, leur ancien esclave, quand moi, je ne pus obtenir l’amitié de mon père, parce qu’il trouvait que ma couleur portait trop le signe de la couleur noire ? » À ces paroles facilement comprises, Dessalines saisit sa main avec effusion, et lui dit : Tu as raison, mon fils [11]

Le pacte d’alliance était dès-lors signé entre ces deux hommes. Mais, restait à savoir quelles étaient les vues de Pétion sur l’avenir. Il importait à Dessalines, qui nourrissait des desseins secrets comme nous l’avons déjà dit, de s’assurer si Pétion le considérerait comme devant être le chef suprême qui remplacerait T. Louverture, à la déportation duquel il avait tant contribué. Il ne fut pas difficile à Pétion de pressentir ce qu’il désirait savoir, à propos des obstacles qu’il entrevoyait dans l’ambition de quelques généraux, pour un concert entre eux tous, si, comme ils s’y préparaient déjà, comme les noirs des campagnes leur traçaient l’exemple, il fallait enfin reprendre les armes contre les Français pour aboutir à un résultat qui ne pouvait être que l’indépendance. Pétion le rassura, en le persuadant que nul autre que lui ne réunissait autant de titres au choix de l’armée coloniale et de la population indigène.

Étant ainsi d’accord, ils durent néanmoins remettre l’exécution de leurs projets à un moment plus opportun, pour avoir le temps de s’aboucher avec les autres généraux ; de nouvelles circonstances devenaient nécessaires. En attendant, ils résolurent de continuer à combattre les chefs de bandes qui, par la prétention de leur priorité dans la lutte, allaient être un grand embarras pour la réalisation de ces projets. On verra en effet, qu’il fallut les soumettre par la force ou se défaire de quelques-uns, parce que chacun d’eux représentait en quelque sorte une tribu africaine, et ne pensait à organiser l’insurrection que sous cet aspect barbare.

Ce que nous disons ici se trouve confirmé par Boisrond Tonnerre, quoiqu’il ait placé la défection de Dessalines avant celle de Pétion : ce qui est contraire à la vérité. Voici ce qu’il dit de ce qui survint après leur prise d’armes :

« Pétion, qui sentait tout l’embarras de sa position et a de celle de sa troupe (dans le Nord), résolut de se joindre au général Dessalines, qu’il regardait comme le général en chef, depuis l’embarquement de Toussaint Louverture. Il n’en était pas de même de tous les chefs qui, dans une calamité semblable, prêtaient à l’ambition du commandement une oreille assez complaisante pour s’abuser sur les résultats qu’entraînerait le choix d’un chef autre que Dessalines. D’ailleurs, Dessalines possédait seul ce qu’on pouvait appeler la force armée ; lui seul encore était capable de discipliner des hommes qui, déjà terrorisés par les supplices et les noyades, ne savaient plus que combattre dans les bois, où ils se défendaient en cherchant à vendre cher une vie pleine d’amertumes et d’opprobres, et qui ne survivaient à la liberté que pour se venger. Toutes ces considérations, jointes au peu d’ensemble et d’accord qui régnaient dans les troupes nouvellement soulevées, engagèrent Pétion ce à se réunir aux forces commandées par Dessalines. Par une suite de l’ambition qui dévorait déjà les commandans de l’insurrection du Nord, plusieurs d’entre eux avaient fait scission avec les généraux Christophe et Clervaux ; les malheureux se divisaient avant d’avoir pu se réunir. Les Congos et presque la généralité des noirs de la Guinée, étaient maîtres des quartiers de la Grande-Rivière, du Dondon et de la Marmelade, et disposés à combattre également les troupes du pays qui venaient d’abandonner les Français, et les Français eux-mêmes. Pétion n’ignorait pas qu’il aurait à combattre ce parti qui prétendait avoir à sa tête le seul général en chef. Ils prétendaient avoir à leur tête le seul général en chef, et Sans-Souci, Noël (Prieur), Jacques Tellier, chefs de bandes, se disputaient entre eux ce titre. »

À part l’antériorité que donne Boisrond Tonnerre à la défection de Dessalines sur celle de Pétion, tout ce qu’il relate dans ce passage est vrai. Mais c’est à Plaisance qu’ils arrêtèrent entre eux le concert qui a donné l’impulsion à la guerre de l’indépendance. Pétion n’avait rien à redouter de Dessalines, du moment qu’il lui eût manifestés a pensée de le reconnaître pour général en chef de cette entreprise. On verra bientôt que ce fut lui qui décida Clervaux et Christophe à la défection, comme à reconnaître aussi l’autorité de Dessalines : par la suite, il entraîna d’autres officiers supérieurs dans les mêmes vues ; son exemple, ses antécédens, la grande réputation militaire dont il jouissait, tout concourut à ce résultat salutaire.

Ce point historique étant fixé, reprenons la suite des événemens.

Dessalines, peu après cette entrevue, poursuivit lui-même Sans-Souci, et fit poursuivre Petit-Noël Prieur par les 4e et 7e coloniales du côté du Limbe. Tous ces chefs de bandes qui avaient gravité sur Plaisance, furent refoulés en ce moment.

Mais, Charles Bélair et Larose étaient encore dans la paroisse de la Petite-Rivière. On était alors à la fin du mois d’août. Dessalines y retourna pour avoir raison de celui qu’il jalousait.

Le général français Quentin, qui commandait à Saint-Marc, donna l’ordre à Faustin Répussard de poursuivre les deux chefs insurgés, et requit Dessalines de le seconder. Ils se mirent en campagne contre eux.

Tandis que Faustin Répussard capturait Madame Charles Bélair sur le Corail-Miraut où son mari l’avait laissée, Dessalines atteignait Larose à Plassac, au-dessus de la Crête à-Pierrot, et réussissait à gagner tous les soldats de la 8e qui étaient avec lui. Larose se jeta dans les bois. Dessalines le ménagea, en souvenir de sa conduite à Léogane et à la Crête-à-Pierrot.

Désolé de la capture de sa femme, Charles Bélair se décida à venir se livrer à Faustin Répussard, dans la crainte aussi de tomber au pouvoir de Dessalines qui le poursuivait, après avoir chassé Larose. Lui et sa femme furent assez crédules pour espérer leur pardon du capitaine-général. Ils furent envoyés à la Petite-Rivière, auprès de Dessalines qui s’y était rendu, et qui les fit escorter aux Gonaïves, d’où ils furent envoyés au Cap, quelques semaines après.

Heureux de cette capture, Dessalines adressa la lettre suivante au capitaine-général :

Au quartier-général de l’Artibonite, le 23 fructidor, an X

(10 septembre).

Le général de division Dessalines, au capitaine-général Leclerc.
Mon général,

J’ai actuellement les preuves certaines que Charles Bélair était le chef de la dernière insurrection : ces preuves viennent de m’être rendues évidentes par les officiers de la 8e, qui me paraissent plus malheureux que coupables dans ces événemens. À Dieu ne plaise, cependant, que j’excuse aucun de ceux qui ont osé se révolter contre le gouvernement. J’ai pour tous ceux qui ont suivi le scélérat Charles Bélair dans sa criminelle révolte la plus profonde indignation. C’est Charles qui a fait assassiner son secrétaire chez lui[12], et sa féroce femme n’a pas peu contribué aux actes de barbarie qui se sont commis sur nos malheureux camarades. Que Charles et sa femme soient donc punis. Charles ne s’est séparé de Larose, que parce qu’il voulait aller au Doco, et que Larose ne le voulait pas : tels sont les motifs de leur division[13]. Charles doit être regardé comme chef de brigands et puni comme tel. Ce n’est qu’à nos marches et manœuvres, et au zèle infatigable des officiers et des troupes que je commandais, que nous devons l’arrestation de ce scélérat, qui est indigne de votre clémence.

Je vous envoie la présente lettre par un courrier extraordinaire.

Tout au gouvernement et à vous, avec le plus profond respect.
Dessalines.

On le voit : les erremens de la politique cruelle de T. Louverture étaient dès-lors adoptés par son terrible lieutenant. Se frayer la route du pouvoir suprême, en immolant tous les concurrens qui peuvent l’entraver, c’est un procédé devant lequel l’ambition ne recule pas. Charles Bélair ne pouvait échapper à son malheureux sort ; s’il ne fût pas pris alors, il aurait toujours succombé par la suite, parce qu’entre lui et Dessalines il y avait une rivalité insurmontable. Il est certain qu’il avait aspiré au rôle de général en chef et qu’il en prit le titre éphémère, à la naissance de son insurrection : or, ce rôle était plus légitime en Dessalines, d’après le principe de l’ancienneté militaire établi par T. Louverture lui-même, dans sa constitution de 1801 : nous l’avons fait remarquer alors. C’est pour cette raison que périrent, dans l’année 1803, Sans-Souci et Lamour Dérance, qui essayèrent de se constituer les chefs de la guerre de l’indépendance, outre que l’organisation africaine qu’ils prétendaient donner à cette lutte, en faisait une nécessité de suprême détermination politique.

La lettre de Dessalines fut de suite publiée par ordre du capitaine-général, qui pensait ainsi le compromettre aux yeux de l’armée coloniale, comme il s’agissait lors de la déportation de T. Louverture, afin de lui ôter toute influence sur cette armée ; mais Charles Bélair n’exerçait aucun prestige ; il avait trop paru être un jeune favori de l’ancien gouverneur : d’ailleurs sa révolte était évidente. Une commission militaire fut immédiatement formée au Cap pour le juger ainsi que sa femme, aussitôt qu’ils y arriveraient.

Nous avons dit qu’environ 4000 hommes étaient arrivés de France dans le courant du mois d’août ; mais ils n’avaient pas tardé à gagner les hôpitaux. En septembre, il en arriva d’autres qui subirent le même sort. On conçoit que de malheureux soldats, qui avaient plus ou moins souffert des fatigues de la mer, et qui étaient forcés de combattre des insurgés fuyant souvent de morne en morne, ne pouvaient conserver leur santé au milieu d’une atmosphère empestée. Le capitaine-général Leclerc était donc réduit à compter davantage sur le concours des chefs de l’armée coloniale et de leurs troupes, pour la répression des insurrections. Leur dévouement apparent le fortifiait dans cet espoir ; le sacrifice de Charles Bélair par Dessalines y ajouta. Mais nous arrivons au moment où toutes ses illusions allaient s’évanouir.

  1. Belin de Villeneuve était propriétaire d’une grande sucrerie au Limbe : peu avant la révolution, en 1777, il reçut des lettres de noblesse de Louis XVI, pour avoir introduit des améliorations importantes dans la fabrication du sucre.
  2. Tome 3, p. 335.
  3. Le lendemain, Benezech déjà atteint de la maladie depuis six jours, écrivit au ministre de la marine ; il lui annonça la mort de Desperoux en prévoyant la sienne avec un sang-froid étonnant : sa veuve et une de ses filles moururent en mer, à leur retour, par la même maladie.
  4. Un arrêté consulaire, concernant l’administration de Saint Domingue, fut rendu le 4 novembre 1801.
  5. Les trois premiers ports furent ouverts au commerce national et étranger, les trois derniers au commerce national seulement. Rochambeau ouvrit ensuite celui des Cayes aux deux commerces : il permit, en même temps, aux étrangers d’exporter toutes sortes de denrées, tandis que Leclerc avait restreint leurs exportations à quelques-unes seulement.
  6. Pamphile de Lacroix, t. 2, p. 109. — Ces denrées provenaient, sans doute, des biens de tous les proscrits du Sud ; mais nous avons prouvé, dans notre 3e volume, que, sous l’administration de Bauvais et de Rigaud, une partie de l’Ouest et du Sud était mieux cultivée que l’Artibonite et le Nord : le régime modéré qu’ils y établirent obtenait plus du noir cultivateur que le despotisme brutal établi dans les autres département. Qu’on se rappelle les cris de détresse poussés par Sonthonax !
  7. Tholozé et Maubert moururent six jours après leur arrivée au Cap, à la fin de juin. À cette époque, Desfourneaux fut renvoyé en France après avoir été employé peu de temps à Saint-Yague. Que d’ostracismes successifs ce général n’a-t-il pas subis à Saint-Domingue ! Il est vrai qu’il fut toujours le même homme.
  8. Devenu capitaine-général, Rochambeau lit un arrêté, le 28 décembre, par lequel il déclara ne pouvoir observer celui des Consuls, attendu qu’il aurait une foule de mulâtres et de noirs à envoyer en France. Il paraît, cependant, qu’il se ravisa ensuite, car il aima mieux les faite pendre ou noyer, pour en débarrasser Saint-Domingue.
  9. Labattut, ancien négociant du Cap, était devenu propriétaire de toute l’île de la Tortue en 1785, en l’achetant du duc de Praslin. Voyez Moreau de Saint-Méry, t. 1er, p. 731. Les noirs de cette île étaient donc ses anciens esclaves : de là les ménagemens qu’il eut pour eux. C’était un bon colon, chose assez rare.
  10. On se rappelle te post-scriptum de la lettre de T. Louverture, du 17 juillet 1799, écrite à H. Christophe (t. 4, p. 107), où il est fait mention de Noël Prieur. Celui-ci était un ancien esclave du colon Prieur, de la paroisse du Dondon.
  11. Pétion, quoique quarteron, étant fils d’un blanc et d’une mulâtresse, avait la couleur d’un brun foncé ; mais les plus beaux cheveux noirs tombant en boucles indiquaient bien sa filiation européenne. Son père, Sabès, ne l’aimait pas et lui préférait sa sœur, qui avait une peau très-blanche : ce qui le porta à ne jamais prendre son nom, comme firent beaucoup d’autres mulâtres, pour celui de leurs pères.

    Les particularités de son entrevue avec Dessalines, à Plaisance, furent racontées à des citoyens du Sud par Jean-Louis François, chef de bataillon de la 13e. Francisque, l’un des capitaines de ce corps, a confirmé ce récit.

  12. Ce secrétaire de Charles Bélair était un jeune blanc qui tomba malade. Sous prétexte qu’elle ne pouvait continuer à en prendre soin, Sannite, femme de ce général, le fit sacrifier par des soldats de la 8e qui suivaient Larose et son mari. Cette femme dominait ce dernier, qui, à l’arrivée de l’expédition française, avait sauvé la vie à bien des blancs qui sortirent avec lui de l’Arcahaie.
  13. C’est Larose, au contraire, qui voulait aller au Doco ou Bahoruco.