Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 1/1.5

Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 1p. 192-215).

CHAPITRE V.

Organisation des hommes de couleur dans l’Ouest. — Prise d’armes de Diègue, dans le canton de la Charbonnière. — Combats de Néret et de Pernier. — Concordats du 7 septembre 1791 avec la paroisse de la Croix-des-Bouquets, — du 11 septembre avec celle du Port-au-Prince, — du 22 septembre à Saint-Marc, — dans d’autres localités du Sud. — Traité de paix du 23 octobre, entre 14 paroisses de la province de l’Ouest, à Damiens, dans la plaine du Cul-de Sac.

Pendant le procès suivi contre Ogé et ses compagnons d’infortune, en février 1791, des hommes de couleur du Mirebalais qui avaient correspondu avec eux, s’étaient adressés à Blanchelande pour réclamer de la justice du gouvernement colonial l’exécution du décret du 28 mars 1790. Leur pétition, rédigée en termes modérés, prouva néanmoins qu’ils ne s’étaient point laissé abattre par l’insuccès de la tentative de ces martyrs de leur cause. Mais, loin d’avoir égard à ces réclamations, le gouverneur général leur avait répondu par une lettre aussi méprisante que menaçante : il traitait d’absurde et criminelle leur prétention de confondre la caste des hommes de couleur avec la classe des blancs, leurs bienfaiteurs. Sa lettre se terminait ainsi : « Je sévirai avec la plus inflexible rigueur contre ceux qui s’écarteront du respect que les lois leur commandent envers les blancs, et les tribunaux feront justice de ceux qui oseront troubler l’ordre public. »

Il était alors au Cap et ne tarda pas à se rendre au Port-au-Prince.

Bientôt survint dans cette dernière ville l’assassinat de Mauduit par les blancs, et la fuite de Blanchelande dans le Nord. La veille de ce crime, où la fureur des blancs contre cet ardent contre-révolutionnaire égala celle qu’ils mettaient à poursuivre les hommes de couleur, Pinchinat, Rigaud et les autres mulâtres que Blanchelande et Mauduit avaient emprisonnés, furent relaxés en même temps que des blancs, également détenus. Ces mulâtres profitèrent de ce moment d’enthousiasme anarchique, pour s’éloigner de ce foyer d’atrocités et se rendre, soit à la Croix-des-Bouquets, soit au Mirebalais où ils se trouvaient plus en sûreté.

Nous avons dit que, le 30 juin, la nouvelle du décret rendu le 15 mai par l’assemblée constituante était arrivée au Cap, et que, dans le mois de juillet, les hommes de couleur du Mirebalais avisèrent à l’organisation d’un conseil politique qui aurait la direction des démarches qu’ils feraient pour obtenir l’exécution des décrets nationaux, et qui inspirerait l’organisation militaire à laquelle ils étaient résolus de recourir pour réclamer et appuyer leurs droits.

Ce fut le 17 ou le 23 juillet, qu’ils se rassemblèrent au Mirebalais[1]. Le 7 août, réunis à l’église de ce bourg, ils constituèrent leur conseil dont les membres prirent la qualification de représentans de la commune. L’acte de constitution de cette représentation de la classe de couleur lui donna les pouvoirs les plus étendus, et plaça ses membres sous la sauvegarde immédiate de tous les hommes de couleur, qui s’engagèrent à la soutenir de toutes leurs forces et de toutes leurs facultés. Cet acte, rédigé dans ce saint lieu, se terminait par une invocation à l’Être Suprême qui les voyait et qui les entendait : ils jurèrent en sa présence de le maintenir, et de rester inviolablement fidèles à la nation, à la loi et au roi, c’est-à-dire à la France[2].


Le premier acte extérieur du conseil politique fut d’adresser à Blanchelande, alors au Cap, une copie de celui de sa constitution, avec une lettre pleine d’énergie, de raison et de respect, dit Garran. Ses membres se plaignirent à lui-même de la partialité qu’il montrait pour leurs ennemis en révolte ouverte contre les décrets de la nation, manifestant hautement leurs projets de scission et d’indépendance ; ils lui rappelèrent que c’était à lui de faire exécuter ces décrets. Leur lettre portait la date du 11 août.

Le 22, Blanchelande leur répondit qu’il désapprouvait leur conduite et leur assemblée illicite ; il leur enjoignit de se séparer et d’attendre avec résignation et paisiblement la promulgation de toutes lois qui pourraient les concerner, et surtout de ne jamais oublier les égards, le respect et la vénération qu’ils devaient aux blancs, auteurs de leur liberté et de leur fortune.

De leur côté, les colons, qui avaient juré de ne pas exécuter le décret du 15 mai, effrayés de l’attitude des hommes de couleur, essayèrent partout de semer la division entre eux, en tenant à ceux qui ne se trouvaient pas compris dans le bénéfice de cet acte (parce qu’ils n’étaient pas nés de pères et mères libres), des paroles propres à les aigrir contre les autres. Ce fut en vain. Ils eurent le bon sens de reconnaître le piége colonial, tandis que ceux qui étaient favorisés agissaient pour obtenir l’exécution, non-seulement du décret du 15 mai, mais des décrets émanés de l’assemblée nationale, comprenant ainsi celui du 28 mars 1790, et prévoyant bien qu’une fois armés régulièrement, les hommes de couleur parviendraient facilement à obtenir tous les droits qu’ils réclamaient.


Si le conseil du Mirebalais s’adressa à Blanchelande, de manière à ne pas trop éveiller ses craintes, les hommes de couleur du Port-au-Prince, auxquels étaient réunis quelques-uns des principaux du Sud poursuivis dans leurs paroisses, n’agirent pas avec moins de prudence dans les préparatifs qu’il fallait faire pour arriver à leur organisation militaire. Ils se réunirent secrètement, sans armes, sur une petite habitation de Louise Rateau (femme de couleur parente de Bauvais), située aux environs de cette ville : c’était le 21 août 1791. On y décida de nommer Bauvais chef de l’insurrection : il était alors au Mirebalais, du conseil des quarante représentans.

Bauvais avait fait partie de l’expédition de Savannah et s’y était distingué par sa bravoure. Élevé en France, il y avait reçu une bonne éducation, et il était doué d’un caractère modéré et de beaux sentimens : ses principes étaient sévères. Ce choix fut généralement approuvé. Il y avait avantage pour la classe des hommes de couleur d’avoir à la tête de leur armée, à leur prise d’armes, un homme de la trempe de Bauvais, lorsqu’ils avaient Pinchinat pour président de leur conseil politique : c’étaient des conditions de succès.

Dans cette réunion chez Louise Rateau, on choisit aussi un lieu pour s’assembler en armes : l’habitation Diègue, située à la Charbonnière, canton voisin du Port-au-Prince, fut désignée à cet effet. Dans le même temps, les membres de la réunion décidèrent d’envoyer avertir Bauvais du choix qu’ils avaient fait de lui, pour qu’il se rendît à Diègue le 26 août, jour fixé pour le rassemblement. Ceux qui eurent l’honneur de remplir cette mission furent Pétion, Caneaux et Ferdinand Deslandes, trois jeunes hommes animés d’une noble ardeur pour cette sainte cause.

La prise d’armes du 26 août devait être générale dans les diverses paroisses de l’Ouest et du Sud, où les hommes de couleur pourraient l’effectuer ; cet ensemble devait garantir le succès. En conséquence, Jourdain, Gérin, Baptiste Marmé et Eliacin Dubosc, tous quatre réfugiés du quartier de Nippes par les persécutions des blancs, quittèrent immédiatement le Port-au-Prince, dans la nuit du 21, pour se rendre au Petit-Trou et mettre leur quartier en armes au jour convenu. D’autres émissaires furent expédiés en même temps dans toutes les paroisses de l’Ouest voisines de la capitale, et dans d’autres localités du Sud. Déjà, des réunions préparatoires avaient eu lieu aux Trois-Rigoles et aux Palmistes-Clairs, dans le centre et aux confins de la grande plaine du Cul-de-Sac : Borgella s’était trouvé aux Palmistes-Clairs.

Il faut noter comme une circonstance qui favorisait beaucoup l’armement des hommes de couleur dans l’Ouest, la désorganisation des forces militaires du Port-au-Prince, arrivée à la mort de Mauduit, et la fuite de Blanchelande dans le Nord, au moment où se consommait cet assassinat. Les soldats du régiment colonial de cette ville avaient été poussés à le commettre par les factieux qui représentaient le parti de l’ancienne assemblée de Saint-Marc. Les troupes arrivées alors de France se trouvaient elles-mêmes sous l’influence de l’esprit turbulent de la populace blanche, dirigée au Port-au-Prince par un Génois nommé Praloto. Les blancs, enfin, étaient en ce moment-là divisés d’opinions dans cette grande ville, et il leur manquait cette unité d’action qui, au Cap, assura leur triomphe contre la prise d’armes d’Ogé et de Chavanne.

Les hommes de couleur trouvaient encore dans les blancs de la paroisse de la Croix-des-Bouquets, des ennemis du système des Léopardins qui voulaient l’indépendance de la colonie, tandis qu’ils étaient, eux, des partisans de la contre-révolution. Et comme le gouverneur général était lui-même pour ce dernier parti, et qu’il avait cru avoir endoctriné les hommes de couleur pour la réussite de ce projet, les blancs contre-révolutionnaires de la Croix-des-Bouquets, dirigés par Hanus de Jumécourt et Coustard, deux chevaliers de Saint-Louis, ne s’effrayèrent pas beaucoup des démarches qu’ils faisaient auprès de Blanchelande, ni des réunions fréquentes qu’ils avaient, tant dans cette paroisse qu’au Mirebalais. Ils surent donc mettre à profit cette disposition, avec une habileté dont les blancs ne les croyaient pas capables.


Le soleil du 26 août éclaira enfin leur rassemblement à Diègue. Là se trouvèrent tous les mulâtres et nègres libres appelés à former l’armée de cette classe d’hommes. Bauvais fut acclamé capitaine général unique. Mais cet homme de bien que tous les partis estimèrent, ce digne frère des noirs, pénétré d’un haut sentiment de justice, demanda la nomination d’un second capitaine général et désigna Lambert pour occuper cette charge : il reçut l’approbation de l’universalité de ses compagnons.

Lambert, nègre libre de la Martinique, était venu depuis longtemps à St-Domingue : il était l’un des hommes les plus recommandables de sa classe au Port-au-Prince, respecté, même des blancs, pour ses mœurs et sa probité.

Cette nomination, déterminée par un sentiment de justice qui prescrivait d’appeler au commandement un homme noir aussi honorable que Bauvais, pour représenter les nègres libres compris dans la dénomination d’hommes de couleur ; cette nomination eut encore pour effet politique de prouver aux blancs que les mulâtres issus des nègres n’entendaient point séparer leur cause de celle de la plupart des nègres affranchis qui ne se trouvaient pas compris dans le décret du 15 mai, favorable seulement aux gens de couleur nés de pères et mères libres. C’était en effet, comme nous l’avons dit plus haut, l’esprit qui animait le conseil politique constitué au Mirebalais.

La nomination de Lambert, enfin, fut inspirée par cette raison, qu’il fallait donner, même aux noirs esclaves, l’idée de l’inévitable réhabilitation de leur classe, dans l’organisation politique que subirait Saint-Domingue dans un avenir plus ou moins éloigné ; et par là, la classe des hommes de couleur se donnait une grande influence et un moyen d’action sur celle des esclaves, à laquelle elle ne pouvait pas rester indifférente et étrangère.

Ces hommes éclairés qui dirigeaient l’entreprise de leur propre réhabilitation d’abord, n’ignoraient pas le mot prononcé à la tribune nationale par Dupont (de Nemours) : « S’il fallait sacrifier l’intérêt ou la justice, il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu’un principe[3] ; » ils n’ignoraient pas non plus les paroles échappées de la bouche de l’abbé Maury, lors de la discussion du décret du 15 mai. Ils avaient vu l’assemblée nationale constituante, dans l’exposé de ses motifs, adopter en partie l’opinion de ce fougueux athlète du privilège, en qualifiant les noirs d’individus d’une nation étrangère ; ils avaient vu cette assemblée, tout en citant dans cet acte supplémentaire le code noir de 1685, restreindre cependant ses dispositions libérales et n’accorder les droits politiques qu’à ceux d’entre eux qui étaient nés de pères et mères libres : ils devaient donc concevoir des craintes pour l’avenir, surtout lorsque le décret du 15 mai ne leur accordait ces droits que pour participer à la formation des assemblées futures, qu’il n’était point envoyé officiellement par le gouvernement de la métropole, et que son représentant à Saint-Domingue avait déclaré publiquement qu’il ne l’exécuterait pas, qu’il en suspendrait l’exécution, alors même qu’il le recevrait de la métropole.

Aussi les hommes de couleur, les anciens libres dans l’Ouest et dans le Sud, restèrent-ils liés avec les noirs esclaves devenus libres à leur tour ; ils devinrent influens sur leurs destinées communes. C’est à partir de l’acte aussi juste que politique de Bauvais, au rassemblement de Diègue, que commence le travail de l’unité haïtienne, consommée en 1802 par l’union de Dessalines et de Pétion. Ces principes dirigèrent constamment les chefs principaux des anciens libres, et leur donnèrent l’influence politique sur les affaires du pays, malgré les perverses combinaisons des colons et de la métropole elle-même.


Après avoir acclamé Bauvais et Lambert, on compléta l’organisation militaire de l’armée en nommant André Rigaud colonel ; Daguin, major général ; Pierre Coustard et Marc Borno, commandans ; Doyon aîné, Obran, Sannon Doyon, Pétion, Lafontant, Faubert, Larose, Moriet, Tessier, Lozier Cambe, Gillard, Labastille et Fouguy, capitaines ; Baptiste Boyer, porte-étendard.

Là se trouvaient dans les rangs d’autres hommes et des jeunes gens qui, par la suite, se recommandèrent par des services rendus à leur pays dans différentes branches : tels furent Zami Lafontant, Pierre Michel, Dupuche, Labbée, Caneaux, J.-B. Bayard, A. Nau, A. Ardouin, B. Médor, etc.

Là étaient également Lys et Borgella, devenus des notabilités militaires et politiques. L’un des plus jeunes, J.-P. Boyer, alors âgé de quinze ans, devint le plus remarquable parmi ces derniers, par une longue carrière politique où il a accompli des choses qu’il eût été impossible de concevoir à cette époque.

À la même date du 26 août, les hommes de couleur de Jacmel, sous la direction de Vissière ; — du Petit-Goave, sous Ignace et Saingla ; — de l’Arcahaie, sous Cameau, J.-B. Lapointe et Juste Chanlatte ; — du Petit-Trou, sous Jourdain et Gérin ; — des Cayes sous Boury ; ces hommes prirent les armes et se donnèrent aussi une organisation militaire, pour commencer en même temps cette lutte glorieuse dont le dénoûment final, à travers de nombreuses péripéties, de cruelles calamités politiques, sera l’acte du 1er janvier 1804.

On peut voir que nous ne mentionnons pas Léogane, commune si voisine du Port-au-Prince, parce que les hommes de couleur de ce lieu suivaient l’impulsion de Labuissonnière, esprit timide, qui ne pensa jamais à opposer la force du droit à la force de la violence. Nous aurons occasion de parler de lui.


Nous avons vu en quels termes Blanchelande avait répondu, le 22 août, à la lettre du conseil politique du Mirebalais, en date du 11. À une réponse aussi insolente, il n’y avait plus qu’à opposer la force des armes, pour contraindre et le gouvernement colonial et les colons, à reconnaître des droits si vainement réclamés. Toutefois, informé du rassemblement opéré à Diègue, le conseil, agissant sous l’inspiration de la haute raison de son président, sachant bien que la conviction du droit, la résolution de le soutenir avec fermeté et énergie, n’excluent pas les formes que commande une bonne cause, le conseil consentit alors à adresser au gouverneur, le 29 août, une dernière lettre où il releva avec dignité les singulières idées insérées dans la sienne.

Dans cette lettre, les représentans disaient : « C’est lorsque nous réclamons la protection du gouvernement et celle des lois anciennes et nouvelles, que vous nous prescrivez d’attendre paisiblement et avec résignation la promulgation des lois qui peuvent nous concerner, comme si, depuis l’établissement des colonies et surtout depuis la révolution, les lois anciennes et nouvelles autorisaient les citoyens blancs à nous persécuter et à nous égorger. C’est lorsque nous nous plaignons amèrement de nos tyrans et de nos persécuteurs que vous nous ordonnez de ne jamais oublier les égards, le respect et la vénération que nous devons aux citoyens blancs… » Ils la terminèrent, en lui annonçant qu’ils vont s’armer pour pourvoir à leur sûreté, et qu’ils abandonnent le soin du reste à la Providence.

Le gant était jeté !… Ils ne pouvaient pas descendre plus dignement dans l’arène.


Le campement des hommes de couleur à Diègue inspirant des craintes aux blancs répandus sur les habitations, ceux des montagnes voisines, du Grand-Fond et de Bellevue, se réunirent sous les ordres de l’un d’eux, nommé Lespinasse, pour se rendre en ville. Au camp on apprend qu’ils vont bientôt passer sur la grande route qui borde l’habitation Néret, voisine de Diègue ; Bauvais ordonne à une cinquantaine d’hommes de s’y rendre pour les observer, afin de ne pas être surpris. Mais en se voyant, l’animosité préexistante entre les uns et les autres, excitée encore par Obran, d’un caractère ardent, amène un engagement où les blancs, tous à cheval, fuient avec la plus grande vitesse pour éviter les balles des adroits chasseurs de couleur. Deux hommes y perdirent la vie, un de chaque côté : le trompette des cavaliers blancs dont l’instrument fut le trophée de l’action, et un jeune blanc, orphelin, qu’Obran avait élevé comme son fils, et qui avait suivi son bienfaiteur pour partager ses dangers. La perte de ce jeune homme fit ressentir une vive peine à Obran qui résolut de le venger : il en trouva l’occasion peu après.

À l’arrivée des fuyards au Port-au-Prince, l’effervescence de la classe blanche fut à son comble. Les deux assemblées, municipale et provinciale, organisèrent une troupe de quelques centaines d’hommes des régimens d’Artois et de Normandie, et de matelots de plusieurs nations, embrigadés sous les ordres du Génois Praloto, et désignés sous la dénomination de flibustiers, en mémoire des premiers fondateurs de la colonie. Cette troupe sortit de la ville avec deux pièces de canon de campagne, pour aller prendre position sur l’habitation Pernier, située dans la plaine, au bas des mornes de la Charbonnière. Cette position devait donner aux blancs le moyen de mettre les mulâtres entre deux feux, lorsqu’ils auraient fait sortir d’autres troupes du Port-au-Prince pour les attaquer. Bauvais comprit leur dessein et porta son camp sur l’habitation Métivier, située dans la montagne de Bellevue, limitrophe avec celle de la Charbonnière.

Avant la réunion de Diègue, plusieurs ateliers d’esclaves s’étaient agités dans la paroisse du Port-au-Prince ; mais les blancs avaient facilement réprimé ces mouvemens qui n’étaient point concertés. Après cette réunion, d’autres mouvemens séditieux avaient eu lieu dans les montagnes abandonnées par les blancs[4]. Quelques centaines de ces esclaves vinrent se réunir aux hommes de couleur à Diègue et à Métivier ; ils furent accueillis comme des auxiliaires, et se rangèrent sous les ordres des mulâtres et nègres libres qui avaient avec eux leurs propres domestiques noirs : on en forma un corps auquel on donna le nom de suisses, à cause de cette qualité d’auxiliaires, par allusion aux enfans de l’Helvétie qui, en Europe, ont l’habitude de s’engager comme tels au service de la France et d’autres puissances. Ces esclaves considéraient et devaient considérer les hommes de couleur comme leurs protecteurs naturels. Nous verrons bientôt si ces derniers comprirent leurs devoirs envers leurs alliés.

À peine arrivée à Métivier, l’armée jugea que cette position lui offrait moins de chances de résistance et de succès, qu’elle n’en aurait trouvé au Trou-Caïman, l’une des positions militaires qu’offrait la montagne des Grands-Bois, adossée au Mirebalais. Bauvais et Lambert levèrent le camp de Métivier pour s’y porter.

Il fallait passer, pour se rendre au Trou-Caïman, devant l’habitation Pernier et par la Croix-des-Bouquets. Les chefs ordonnèrent de ne pas attaquer les blancs ; et se plaçant à l’avant-garde ou au centre de l’armée en marche, ils confièrent l’arrière-garde, au commandement de Doyon aîné sur la prudence duquel ils comptaient. Mais, peu avant cette arrière-garde, marchait le fougueux Obran déjà irrité, comme nous l’avons dit, par la mort de son jeune protégé : il excita quelques jeunes gens à provoquer et attaquer les blancs au camp de Pernier[5]. Le combat s’engagea : Doyon fut forcé d’y prendre part, pour ne pas laisser écraser ces imprudens. Au bruit de la mousqueterie et de l’artillerie, toute l’armée rebroussa chemin pour se porter au feu. Pétion fut un des premiers à s’y rendre. Borgella, comme tous les autres qui étaient déjà rendus à une longue distance, accourt avec eux et partage le danger de ses camarades. Ces jeunes hommes, pleins d’ardeur, furent heureux de trouver cette occasion de payer de leurs personnes. Le feu mis par eux aux champs de cannes à sucre de Pernier achève de dérouter les blancs attaqués avec résolution et intrépidité : ils sont dispersés et se sauvent dans toutes les directions, en laissant sur le carreau plus de cent morts ou blessés. De nombreux prisonniers tombent au pouvoir des cavaliers de couleur.

La défaite d’Ogé et de Chavanne était vengée !

Dans cet assaut donné au camp, un officier du régiment d’Artois allait être tué, lorsque Pétion accourt à lui, le saisit et le protège contre la fureur de ses camarades, en risquant sa propre vie : il réussit dans ce noble mouvement de générosité. À ce trait, tous applaudissent, et le carnage cesse.

Ainsi débuta Pétion dans cette carrière des armes qu’il parcourut si glorieusement et qui fut remplie d’épisodes où l’humanité ne le céda en rien à la valeur. Là aussi commença cette influence immense qu’il a exercée sur ses concitoyens.

À vingt-sept ans de là, sur le point de descendre dans la tombe, sa dernière action fut encore déterminée par un sentiment humain et généreux. Président tout-puissant d’une République qu’il avait fondée, il réclama le consentement préalable d’un colonel noir sous ses ordres, pour exercer le droit de grâce, qui était dans les attributions de son autorité presque souveraine, envers un soldat noir du régiment dont ce colonel avait le commandement, et qui avait frappé son chef[6].

Il avait commencé sa carrière militaire en sauvant la vie à un blanc ; il termina sa carrière politique en sauvant la vie à un noir.

En fuyant, les blancs avaient abandonné leurs armes, les deux pièces de canon et leurs munitions : on trouva en outre, dans le camp de Pernier, une grande quantité de sacs que les flibustiers avaient apportés et que les prisonniers déclarèrent destinés à contenir les têtes des hommes de couleur, s’ils avaient été vainqueurs. Les autorités populaires du Port-au-Prince les avaient mises à prix, et ces brigands s’étaient proposé d’obtenir une riche récompense. La vie de ces prisonniers ne fut pas moins respectée par les vainqueurs de cette journée, pénétrés du principe du droit des gens qui veut qu’à la guerre on épargne le vaincu. Les blancs ne leur tinrent aucun compte de cette modération dans la victoire du 2 septembre.

Les deux canons pris sur l’ennemi fournirent l’idée de l’organisation d’un corps d’artilleurs pour les hommes de couleur : on en forma deux compagnies sous les ordres de Pétion et de Gillard.

De bonne heure, Pétion avait montré du goût pour l’arme de l’artillerie : il aimait à se trouver dans la caserne du corps d’artillerie, située sur la place du champ-de-Mars, au Port-au-Prince, en face le palais du gouvernement[7]. Jeune adolescent, d’une physionomie douce, d’une figure belle et attrayante, il fréquentait ces soldats européens et assistait souvent à leurs exercices, dans la caserne et au polygone, qui était situé au nord-est de la ville. Il organisa le corps d’artillerie, où de nombreux jeunes gens s’incorporèrent par attachement pour lui.

Borgella qui, aux camps de Diègue et de Métivier, était du nombre de ceux qui furent à cheval, prit service dans la compagnie de Gillard.


Après la victoire de Pernier, l’armée des hommes de couleur se rendit à la Croix-des-Bouquets où elle fît chanter un Te Deum pour remercier le Tout-Puissant de ses succès sur les hommes injustes qui, loin de vouloir reconnaître les droits que la classe de couleur tenait de l’Auteur de toutes choses, s’étaient proposé de l’anéantir. Le conseil politique du Mirebalais avait écrit à Blanchelande, qu’en s’armant, cette classe abandonnait le soin du reste à la Providence. Le premier sentiment qu’éprouvaient les vainqueurs de Néret et de Pernier, était celui de la reconnaissance envers le Dieu des armées, qui leur avait donné le courage et la force pour appuyer leurs droits. Ce sentiment honore leur mémoire.

Ensuite, cette armée poursuivit sa route et fut camper au Trou-Caïman.


Dès leur réunion à Diègue, les hommes de couleur avaient reçu des envoyés de la part de Hanus de Jumécourt, reconnu chef de la paroisse de la Croix-des-Bouquets par les blancs du Cul-de-Sac. Ces envoyés étaient venus s’informer des motifs de leur prise d’armes, et avaient reçu pour réponse, qu’ils voulaient obtenir l’exécution des décrets nationaux sanctionnés par le roi, et que les blancs du Cul-de-Sac ne devaient rien craindre de leur part ; qu’ils étaient armés seulement pour pourvoir à leur sûreté et résister aux outrages, aux persécutions des blancs du Port-au-Prince.

Or, Hanus de Jumécourt, ancien membre de l’assemblée générale de Saint-Marc, s’en était retiré dès qu’elle avait manifesté ses projets d’indépendance et son intention de subjuguer le gouverneur, comte de Peinier. Il était entré dans les vues contre-révolutionnaires de ce gouverneur et de Mauduit, qui avaient rallié à leur parti, par des ménagemens étudiés, les hommes de couleur de l’Ouest, qu’ils croyaient très-dévoués à leur projet, tandis que ces derniers ne s’étaient réunis au gouvernement colonial, que pour pouvoir se préserver des fureurs de l’assemblée de Saint-Marc[8]. Hanus de Jumécourt et la plupart des planteurs du Cul-de-Sac étaient mal vus au Port-au-Prince où dominaient les partisans de cette assemblée. Depuis la mort de Mauduit, ceux qui faisaient partie de la corporation contre-révolutionnaire des pompons-blancs, avaient dû fuir de cette ville, à cause des vexations dont ils étaient l’objet ; ils s’étaient réfugiés à la Croix-des-Bouquets, où s’étaient également rendues des familles de couleur, persécutées par les blancs.

Hanus de Jumécourt et les autres partisans du gouvernement colonial au Cul-de-Sac, ne furent donc pas éloignés de souscrire à un arrangement avec les hommes de couleur qui, même après leur victoire, s’étaient montrés si modérés. En conséquence, ils s’empressèrent d’envoyer auprès d’eux le planteur Caradeux de la Caye, porter des paroles de paix et de conciliation. Les chefs de l’armée acceptèrent ces ouvertures, et la firent rentrer à la Croix-des-Bouquets, à l’effet de stipuler une convention. Des commissaires furent nommés de part et d’autre, dans ce but : du côté des blancs, H. de Jumécourt, d’Espinosse, de Lépine, Drouillard, Manneville, Rigogne, Proquau, Turbé et de Lamarre ; — du côté des hommes de couleur, Bauvais, Rigaud, Daguin, Barthélémy Médor, Joseph Labastille, Desmarres aîné, Pierre Coustard et Pierre Pellerin.

Un concordat fut signé par ces commissaires, le 7 septembre 1791, par lequel les blancs s’obligeaient à ne pas s’opposer à l’exécution des décrets de l’assemblée nationale, en tout ce qui était favorable aux hommes de couleur. Un article spécial obligeait la paroisse à réparer l’honneur et la fortune des familles du Fond-Parisien, dont les propriétés avaient souffert en avril 1790, dont les membres avaient été condamnés par contumace, par un arrêt du conseil supérieur du Port-au-Prince.


C’était déjà un résultat heureux, obtenu par la modération et par la puissance des hommes de couleur. Ce fut le fruit de la victoire de Pernier.

Les blancs de la Croix-des-Bouquets, quoique divisés d’opinions avec ceux du Port-au-Prince, députèrent vers eux des commissaires chargés de leur faire sentir la nécessité de prendre un pareil arrangement avec l’armée des hommes de couleur, qui avait dans ses rangs beaucoup de noirs esclaves, comme nous l’avons dit. Ces commissaires parvinrent à leur faire comprendre qu’il ne dépendait que des hommes de couleur, au moyen de ces auxiliaires, de soulever tous les esclaves d’un bout de la colonie à l’autre, et d’anéantir la race blanche à Saint-Domingue. Ce raisonnement fut d’autant mieux apprécié par ces pervers, que déjà, en même temps que les mulâtres de l’Ouest, les nègres esclaves s’étaient soulevés et avaient incendié toute la riche plaine du Nord.

Le Port-au-Prince envoya alors des commissaires à la Croix-des-Bouquets ; ils signèrent, le 11 septembre, un nouveau concordat avec ceux des hommes de couleur, présidés par Pinchinat. Dans ce dernier concordat, forts de leurs succès et de leur nombre, les hommes de couleur qui avaient plus d’exigences en raison de la conduite des blancs du Port-au-Prince, imposèrent pour conditions, outre les stipulations contenues dans celui du 7 :

1o Que les blancs leur reconnaîtraient l’égalité des droits politiques avec eux, droits que leur garantissaient la loi naturelle, les principes de la révolution française, les décrets du 28 mars 1790 et 15 mai 1791, de même que le code noir de 1685 ;

2o Que le secret des lettres serait inviolable ; les blancs en avaient abusé à leur égard ;

3o Que la liberté de la presse serait consacrée, sauf la responsabilité légale ;

4o Que toutes proscriptions prononcées contre les hommes de couleur, soit par décrets, jugemens, confiscations, etc., seraient annulées ;

5o Qu’ils se réservaient de faire dans un autre moment et envers qui il appartiendrait, toutes protestations et réclamations relatives aux jugemens prononcés contre Ogé, Chavanne et leurs compagnons, regardant dès à présent les arrêts prononcés contre eux, par le conseil supérieur du Cap, comme infâmes et dignes d’être voués à l’exécration contemporaine et future.

Ils déclarèrent en outre qu’ils resteraient armés, et garderaient en leur possession toutes les armes et munitions tombées en leurs mains, à Pernier ; qu’ils rendaient communes à toute la classe de couleur dans la colonie, les stipulations du présent concordat ; et enfin, que rien au monde ne pouvait les empêcher de faire cause commune avec ceux de cette classe qui avaient été écartés par le décret du 15 mai.

Toutes ces conditions furent acceptées par les commissaires du Port-au-Prince. Ce concordat fut l’œuvre particulière de Pinchinat.

À l’imitation de ceux de l’armée réunie à la Croix-des-Bouquets, les hommes de couleur de Saint-Marc, sous la direction de Savary aîné, s’étaient aussi armés. Les événemens du Cul-de-Sac portèrent les blancs des paroisses de l’Artibonite à souscrire avec eux un concordat semblable, le 22 septembre.

Mais celui du 11 accepté et signé, ne fut pas ratifié par les blancs du Port-au-Prince qui subissaient l’influence de Praloto et de Caradeux aîné, le plus féroce des blancs planteurs de Saint-Domingue. C’était un noble, un marquis. Nommé capitaine général des gardes nationales de l’Ouest, Caradeux marchait d’accord avec l’état major de ce corps, avec la municipalité et l’assemblée provinciale du Port-au-Prince.

Les motifs de ces partisans de l’ancienne assemblée de Saint-Marc, étaient fondés sur l’espoir qu’ils avaient dans la protection de la Grande-Bretagne. En même temps que les hommes de couleur se réunissaient en armes, ils avaient envoyé deux députés réclamer des secours à la Jamaïque ; et deux frégates anglaises étant venues alors au Port-au-Prince, leur espoir parut se réaliser. Ils firent proposer aux hommes de couleur de se réunir à eux, pour rendre Saint-Domingue indépendant de la France ; à cette condition, ils promettaient de ratifier le concordat.

Une telle proposition ne pouvait être admise par les hommes de couleur dont l’attachement aux principes de la révolution française était sincère, parce que leur cause ne pouvait qu’y gagner. D’ailleurs, ils étaient trop éclairés pour ne pas comprendre que toute alliance quelconque avec la Grande-Bretagne serait le maintien du préjugé de la couleur à Saint-Domingue, par le maintien de l’esclavage.

L’état de guerre subsista entre les hommes de couleur et les blancs du Port-au-Prince, mais sans hostilités ouvertes. En même temps, la paix se consolida de plus en plus entre eux et les blancs de la Croix-des-Bouquets, du Mirebalais et des autres paroisses de l’Ouest qui avaient adhéré aux concordats des 7 et 11 septembre.

Blanchelande, circonvenu par une députation de la municipalité du Port-au-Prince qui le joignit au Cap, faiblissant chaque jour devant les exigences de la nouvelle assemblée coloniale réunie dans cette dernière ville, refusa aussi son adhésion aux concordats signés à la Croix-des-Bouquets. Il lança même une proclamation pour ordonner à l’armée des hommes de couleur de se dissoudre. Sur les observations qui lui furent adressées par Hanus de Jumécourt, il rétracta cette proclamation par ses lettres confidentielles, avilissant ainsi l’autorité dont il était revêtu.


Dans cet intervalle, l’armée des hommes de couleur s’était portée à quatre mille hommes, sans compter les blancs qui étaient d’accord avec eux, et les esclaves armés désignés sous le nom de suisses. Les concordats avaient été adoptés dans diverses paroisses du Sud où les hommes de couleur avaient réussi à s’organiser. Une autre circonstance les fortifia : ce fut le départ des frégates anglaises, du Port-au-Prince. En même temps, le progrès de la dévastation produite par le soulèvement des noirs dans le Nord, effrayant de plus en plus les blancs du Port-au-Prince comme ceux du Cap, et la nouvelle assemblée coloniale elle-même, la paroisse du Port-au-Prince finit par consentir à traiter définitivement de la paix.

La force des hommes de couleur était telle alors, que Pinchinat et les chefs de l’armée jugèrent convenable d’imposer leurs conditions dans un nouveau concordat général, pour toutes les paroisses de l’Ouest, lequel servirait pour toute leur classe dans la colonie.

En conséquence, des commissaires furent nommés de part et d’autre et se réunirent, le 19 octobre, sur l’habitation Goureau, située à deux lieues du Port-au-Prince. Ils discutèrent les articles de ce traité de paix qui fut définitivement signé le 23 octobre, sur l’habitation Damiens, voisine de Goureau. Pinchinat fut reconnu président des commissaires de couleur, Caradeux aîné, président de ceux des blancs.

Cet acte fut basé sur les concordats déjà signalés. Il fut convenu de l’admission des hommes de couleur dans toutes les assemblées, à égalité parfaite avec les blancs, même dans l’assemblée coloniale. Toutes ces assemblées devaient être renouvelées par des élections.

La réhabilitation de la mémoire d’Ogé, de Chavanne et de toutes les autres victimes de la passion et du préjugé, fut stipulée et consacrée par un article spécial. Un service solennel dans les paroisses de l’Ouest devait être célébré pour apaiser les mânes de ces infortunés ; des indemnités devaient être accordées à leurs veuves et à leurs enfans. Une révision de tous les procès criminels devait avoir lieu également, même de ceux antérieurs à la révolution, intentés contre des citoyens de couleur, pour raison des rixes entre eux et les blancs, de même que tous jugemens où le préjugé l’aurait emporté sur la justice qui est due à tous les citoyens de l’empire français. Enfin, il fut arrêté qu’un Te Deum serait solennellement chanté au Port-au-Prince, en réjouissance de la paix, et pour appeler les bénédictions du ciel sur la cessation des troubles politiques.

Le dernier article du traité de paix du 23 octobre 1791 soumettait cet acte et les concordats précédens à l’approbation de l’assemblée nationale, en déclarant s’en rapporter absolument à sa décision sur les articles insérés dans ces actes.

Il faut avouer que, quelque éclairés que fussent les hommes de couleur qui dirigeaient leur classe, il leur manquait encore l’expérience qu’ils acquirent ensuite à leurs dépens. Attachés à la métropole, confians dans la justice de son assemblée souveraine, dans les lumières de ses représentans qui avaient recueilli tous les principes du droit public des nations, pour proclamer en face du monde les droits de l’homme, ils ne pouvaient s’imaginer, en signant le traité du 23 octobre, que déjà depuis un mois l’assemblée nationale était revenue sur ses décrets des 28 mars 1790 et 15 mai 1791, pour reconnaître aux colons seuls le droit de statuer sur le sort de tous les hommes de la race noire. L’empressement même que les colons de l’Ouest mirent à souscrire à toutes leurs conditions était un indice de la mauvaise foi qui les animait, de l’espoir qu’ils avaient, d’après leur correspondance, de voir se réaliser ce revirement d’opinion dans l’assemblée nationale.

Avant d’examiner le décret du 24 septembre 1791, voyons comment le soulèvement, l’insurrection des noirs a eu lieu dans le Nord.

  1. D’après Sonthonax, c’est le 17 (Débats, tome 3, page 215) ; d’après un Mémoire du 2e bataillon du régiment de Normandie, c’est le 23 (page 13).
  2. Rapport de Garran, tome 2, page 130 et suivantes.
  3. Sur la foi d’une lettre de Daugy, un des Léopardins, Garran a attribué ce mot : « Périssent les colonies, plutôt que de violer un principe ! » à Robespierre ; mais le Moniteur universel rend la chose d’une autre manière. C’est Dupont (de Nemours) qui, le premier, exprima cette idée. Robespierre, membre de la Société des Amis des noirs, dit après lui : « Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ! Je le répète : périssent les colonies, si les colons veulent, par les menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le mieux à leurs intérêts ! » (Séance du 14 mai 1791.) Ces débats eurent lieu à l’occasion du décret du 15, relatifs aux hommes de couleur.
  4. Lettre de Hanus de Jumécourt à Blanchelande, du 30 septembre 1791.
  5. Dans sa lettre du 30 septembre, H. de Jumécourt dit que ce sont les blancs qui attaquèrent.
  6. Le colonel Zacharie Tonnerre, commandant du 14e régiment des Gonaïves. Il était alors au Port-au-Prince, en 1818, par sa défection en faveur de Pétion, pendant le siège de 1812 formé contre cette ville par H. Christophe. J’ai vu ce militaire, gracié par Pétion trois jours avant sa mort : les larmes qu’il versait autour du cercueil du Président touchaient tous les assistans. Le colonel Zacharie n’en versait pas moins : il était heureux de cet acte humain.
  7. Cette place est devenue la Place Pétion, où est le tombeau de ce chef. La caserne devint celle de sa garde à pied.
  8. On connaît le mot de Bauvais à Roume : « Il nous fallait conquérir nos droits ; nous avions besoin d’auxiliaires : le diable se serait présenté, que nous l’aurions enrégimenté. »