La Compagnie des Libraires (Théâtre de feu Monsieur Boursault. Tome IIIp. 373-375).


PROLOGUE


UN PETIT GÉNIE.


Que direz-vous, Messieurs, à moins d’être indulgens,
De voir d’abord paroître un marmot sur la Scene ?
Est-il à présumer que je vaille la peine
D’amuser tant d’honnêtes gens ?
Au bonheur d’être grand j’aurois tort de prétendre ;
C’est un bien qui m’est interdit :
L’Auteur pour son génie ayant voulu me prendre,
Se faut-il étonner que je sois si petit ?

Je laisse aux grands esprits à choisir dans l’Histoire
Des événemens de grand poids.
C’est un si vaste champ que le champ de la Gloire,
Qu’on y peut arriver par differens endroits.
Les Grecs & les Romains ont épuisé les veilles

Des Racines & des Corneilles :
Moliére a critiqué les habits & les mœurs ;
Et je souhaiterois, avec l’aide d’Esope,
Pouvoir déraciner des cœurs
Les vices qu’on y développe.

« Quel petit génie est-ce là ? »
Diront ceux qui sont las des Fables :
« Pour qui nous croit-il prendre en debitant cela, »
Pour qui ? Pour des gens raisonnables ;
Pour des gens de bon goût, qui loin d’être l’appui
Des impertinences d’autrui,
Sont ravis de les voir pour s’empêcher d’en faire.
Les plus judicieux conseils
À nous porter au bien servent moins d’ordinaire
Que les fautes de nos pareils.

Ne vous attendez pas à des éclats de rire
Dans ce qu’on va représenter :
L’intention de la Satyre
Est d’instruire et non de flater.
Quoique depuis Esope, il plaise aux Destinées
Avoir fait écouler plus de deux mille années,
(Ou la chronologie a tort)

Tous les Hommes étant des Hommes,
Ceux des siécles passés et du temps où nous sommes
Ont toujours eu quelque rapport.

Si quelqu’un par hazard d’un mauvais caractére
S’y trouve si bien peint qu’il soit presque parlant ;
Il ne tient qu’à lui de bien faire,
Il ne sera plus ressemblant.

Je ne vous dis rien de l’ouvrage ;
S’il mérite votre suffrage,
Sans vous le demander il est sûr de l’avoir.
Mon but, en le faisant, fut l’honneur de vous plaire :
C’est le plus digne salaire
Que j’en puisse recevoir.

Fin du Prologue.