La Compagnie des Libraires (Théâtre de feu Monsieur Boursault. Tome IIIp. 367-370).

A MADAME

MADAME
DE
VILLEQUIERE.
MADAME,

Voici les derniers hommages d’un Auteur que vous avez honoré de votre estime pendant sa vie, & de vos reqrets à sa mort : & je ne sçaurois rien faire de plus glorieux pour sa mémoire, que de remplir ses souhaits en executant le dessein qu’il avoit formé, de mettre sous l’honneur de votre protection, MADAME, celui de tous ses Ouvrages qu’il en eût cru le moins indigne, s’il avoit eu le temps d’y donner toute sa perfection. C’est donc Esope qui cherche à paroître sous un aussi beau Nom que le vôtre, pour faire, s’il est possible, un peu oublier sa laideur. A qui pouvoit-il mieux consacrer ses maximes de vertu qu’à une Femme si vertueuse ? Quelle plus juste preuve de toute sa morale que toute votre conduite ? Et qui peut mieux enfin autoriser ses Fables à la Cour, que vous, MADAME, qui en êtes & l’ornement & l’exemple ? Ne m’allez-vous point déjà imposer silence, Vous, MADAME, qui n’avez à la fin accepté qu’à de si rigoureuses loix l’hommage que feu Monsieur Boursault avoit pris la liberté de vous destiner ? Je vous avoue que je ne pus alors m’empêcher de murmurer un peu de cette modestie que j’avois admirée tant de fois ; & que je vous trouvai bien injuste, d’être si ennemie des louanges & de les mériter si bien. Sans vous, MADAME, sans vos défenses, que n’aurois-je pas dit de ce Mérite encore superieur à votre Rang ; de cette grandeur d’Ame qui vous élève si fort au-dessus de votre Sexe ; de cette Beauté si éclatante, & en même temps si modeste, qui ne veut inspirer que du respect ; de cette Majesté répandue sur toute votre Personne, sur toutes vos actions ; de cette douceur prévenante ; de cette aimable égalité qui vous gagne tous les cœurs ; de cette bonté naturelle qui laisse un si libre accès à tous ceux qui y ont recours ; de cette pénétration d’esprit ; de cette élévation de sentimens ; de ce discernement si juste ; de cette solidité si rare… Mais pourquoi faut-il retenir mon zéle ? Est-ce ma faute, MADAME, s’il me trahit malgré moi ? Est-il si facile de ne pas s’oublier auprès de vous ? Et en faveur de tant de respect, ne me passerez-vous point un peu de désobeïssance ? Que vous ai-je dit au prix de tout ce que j’aurois à vous dire, au prix de tout ce que je ressens ? L’effort que je me fais pour me taire est encore assez grand pour mériter que vous m’en teniez un peu compte, & que vous daigniez accepter les témoignages respectueux & sincéres de la profonde vénération avec laquelle je suis,

MADAME,
Votre très-humble & très-
obéissante servante,
M. Milley Boursault.