Scène V


(Psyché est retombée endormie sur le lit nuptial. L’aurore s’est levée ; les bruits de la vie rustique montent vers le palais. Le soleil entre par les fenêtres ; ses rayons atteignent peu à peu l’alcôve, dont les rideaux se sont ouverts d’eux-mêmes. La lumière glisse sur le corps de la dormeuse et s’arrête comme un baiser sur sa bouche. Psyché étend les bras, ouvre un moment les yeux, les referme puis, lorsque le soleil se pose sur ses lèvres, se lève et marche, les mains en avant, vers la lumière.)

Psyché

Toi dont j’ai déploré le lever trop rapide !
Ô jour calme et puissant ! Jour magique et sacré !
Toi dont mon faible cœur, de son amour avide,
Voudrait précipiter le déclin empourpré !

Soleil ! ô bouche d’or qui répands sur le monde
En sourires de feu la force et la beauté !
Mon corps s’épanouit sous ta lumière blonde ;
Je confesse ta grâce et ta divinité !

Tout est plus beau qu’hier : le ciel est plus limpide,
Son azur plus profond, plus vivant et plus bleu,
Et ce matin d’été, comme un manteau splendide,
Est digne de couvrir les épaules d’un Dieu.


Les arbres sont plus verts, les fleurs plus odorantes,
Le vent trempe des pieds plus clairs dans les ruisseaux,
Et dans l’éther subtil, peuplé d’ailes vibrantes,
Mon esprit comprend mieux la chanson des oiseaux.

Hier ! Comme ils sont lointains, ces adieux pleins d’alarmes !
Qu’il est déjà lointain, mon toit paisible et doux !
Ô mes deux sœurs en deuil ! ô mes parents en larmes !
Un fleuve de baisers me sépare de vous !

Comme vous j’ai subi la loi de la nature.
J’ai quitté ma maison, ô mère ! comme vous ;
J’ai trouvé, comme vous, ô frêle créature !
Mon foyer et mes Dieux au giron de l’époux !

S’il était dans mes bras et s’il voyait la fête
Offerte à notre amour par ce matin d’été,
Sur son cœur chaleureux posant ma tendre tête,
Je verrais son visage en sa réalité !…

Ô bonheur ! je verrais ses mains fines et belles,
L’arc de sa souple bouche au contour duveté,
Et mes yeux chercheraient dans ses larges prunelles
Les secrets de la vie et de la volupté.


— Mais non ! je le verrai, le doux maître que j’aime !
Par un serment cruel il voulut m’éprouver.
Oui, nous contemplerons tous deux, cette nuit même,
L’aube au front blanc sur les collines se lever !
 
Et maintenant, azur puissant ! visible joie !
Ô force du soleil ! ô tendresse du jour !
Baisez de vos rayons un être qui se noie
Dans un ravissement d’allégresse et d’amour !
 
Je ris et l’on dirait un ramier qui roucoule !
Je chante et l’on dirait la voix du rossignol !
Mon âme se répand comme un ruisseau qui coule,
Je danse mon bonheur et ma danse est un vol !
 
Le ciel rayé d’essors me sourit et m’invite.
L’oiseau m’apprend sa grâce et son alacrité !
Une fraîcheur de plume à mes tempes palpite
Et des ailes naissent de moi dans la clarté !