Hirt et Cie, Éditeurs (p. 37-47).

IV


Denise crut que pendant quelques Jours, la cousine Zode se repentait de ses méchancetés.

Paul, de son côté, semblait assez calme.

La jeune femme se demandait si elle devait se réjouir ou non de cet état de choses. Elle cherchait toujours l’ennemi tapi dans l’ombre.

Un après-midi, elle crut surprendre des signes d’entente entre le cousin et la cousine.

Paul avait son air sarcastique, celui qui annonçait un orage. Mais Denise essaya de repousser cette idée, se blâmant de toujours envisager des ennuis. Elle perdait l’optimisme de la jeunesse, et son esprit las, aspirait à vivre dans le calme.

Ce jour-là, alors que Paul Domanet était à ses affaires, la cousine Zode demanda que les enfants lui fussent confiés pour une promenade.

— Je serais si heureuse de m’en occuper… acheva-t-elle avec chaleur.

Denise eut peur. Jamais la cousine Zode n’avait eu une telle prévenance. Elle hésita, puis finalement, elle déclara :

— Je comptais prendre les enfants avec moi pour aller chez des petits amis.

Denise ayant trouvé subitement ce prétexte, ne l’avait pas énoncé fermement.

Madame Zode arbora sa façon la plus mutine, et levant l’index, elle dit suavement :

— C’est bien vrai, chère petite ?

Denise ne voulait pas plaisanter et quand Mme Zode prenait ces manières enfantines, cela lui déplaisait d’autant plus qu’elle savait par expérience, qu’elles dissimulaient un piège.

Elle répondit donc d’un ton sérieux :

— Pourquoi ne serait-ce pas vrai ?… vous savez que les petits Duchaunois attendent mes enfants tous les jours.

— Mon Dieu, je n’en doute pas, mais sachant que vous n’aimez pas que je m’occupe de vos enfants vous auriez pu alléguer cette excuse… je comptais aussi conduire vos chérubins dans une pâtisserie.

Denise réfléchissait. Elle était fort tourmentée par cette invitation. Mais obéissant soudain à un instinct, elle s’écria :

— Non, cousine Zode, ne les emmenez pas !… mes chers petits sont mon bien unique et je tremble quand ils s’éloignent de moi. Je sais que traverser les rues vous est un supplice et c’est une responsabilité que d’avoir deux êtres vifs à garder.

— Quelle idée déplorable ! répartit la bonne dame, vos enfants seront aussi bien en sûreté avec moi qu’avec leur nurse… Cela changera un peu ces pauvres petits.

— Non, posa résolument Denise, je ne veux pas je crains trop un accident.

Mme Zode rit en disant :

— Eh bien ! je ne parlerai plus de l’encombrement de Paris ! je plaisantais là-dessus, mais les agents sont très attentionnés pour les vieilles dames qui promènent des enfants.

Cependant la cousine n’insista plus et Denise se félicita de n’avoir pas cédé.

Une demi-heure après cet incident auquel la jeune femme ne pensait plus, elle fut appelée au téléphone. C’était son mari.

— Allô ! C’est vous Denise ?

— Oui, mon ami.

— Pourquoi ne voulez-vous pas que cousine Zode promène les enfants ?

— Je crains qu’elle ne soit plus assez agile pour les surveiller.

— Elle s’en acquittera fort bien… laissez-lui ce plaisir, vous entendez…

C’était un ordre et Denise ne pouvait que s’y soumettre. L’indignation et la douleur l’étouffaient. Elle raccrocha nerveusement le récepteur et se demanda ce qu’elle allait faire. Révoltée d’avoir à capituler devant Mme Zode, elle ne savait comment exposer la chose. D’autre part, s’insurger contre la volonté de Paul, c’était créer encore une source de mécontentements qui rejaillirait sur elle en soucis divers.

Elle alla à la recherche de la cousine Zode. Elle la trouva en train de montrer des images aux enfants. Elle dit simplement :

— Mon mari me téléphone que vous pouvez promener les petits.

La cousine Zode triompha. Une lueur railleuse s’alluma dans son regard.

Richard observait sa maman sans dire un mot. Denise prépara les enfants pour sortir. Pendant que sa mère lui boutonnait son manteau, le petit garçon lui dit à l’oreille :

— Tu sais, maman, c’est cousine Zode qui a téléphoné à papa pour lui dire que tu ne voulais pas que nous allions nous promener avec elle.

— Tais-toi, mon chéri.

— Je n’aime pas aller avec cousine Zode.

— Il faut y aller puisque papa l’a dit.

— Pourquoi donc ne te promènes-tu jamais avec nous ?

Denise soupira. Jamais son mari ne lui avait permis de se livrer à ce doux passe-temps. M. Domanet trouvait que le rang qu’il donnait à sa femme n’était pas compatible avec un semblable devoir bon pour les petites gens. Denise eût voulu parfois s’en aller seule avec ses chers trésors, mais quand elle y faisait allusion, son mari la persiflait en disant :

— Ce sont des idées de bonne d’enfant… Laissez ces manières à celles qui n’ont pas les moyens d’avoir une nurse. Vous seriez montrée du doigt par nos relations, si on vous rencontrait dans ce rôle.

Denise n’osait pas braver cette défense et cette raillerie.

Les deux enfants sortirent donc sous la conduite de la cousine Zode exultante. Denise les suivit du regard dans la rue. Les deux petits se retournaient pour lui envoyer des baisers.

Il y avait à peu près vingt minutes que Denise était seule dans le petit boudoir où elle se réfugiait toujours, quand son mari entra.

Elle en fut surprise, car il était rare qu’il revînt au milieu de la journée. Cette rentrée lui apparut de mauvais présage.

Il lui vint soudain que la cousine Zode était absente avec Richard et Rita, intentionnellement, en prévision de cette visite.

— J’ai à vous parler sérieusement, commença Paul.

Sa femme le regarda avec inquiétude.

— Je suis forcé de constater, poursuivit-il, que la docilité que je croyais trouver en vous, m’a singulièrement trompé. Il me vient un peu trop fréquemment que vous vous êtes plu à transgresser mes ordres et à vous montrer d’une hardiesse coupable à l’énoncé de mes idées.

Denise avait incliné la tête, se demandant quel but visait son mari. N’avait-elle pas suffisamment souffert déjà et ses jours allaient-ils devenir une succession de douleurs ?

Son mari reprit :

— Il est décevant, quand on épouse une jeune fille que l’on veut placer au faîte des honneurs, de constater que l’on s’est mépris et que la femme sur qui l’on comptait se moque de vos volontés.

Un silence plana.

Denise, énervée par ce préambule qui n’en finissait pas, murmura :

— Je vous en prie, éclairez-moi sur mes nouveaux torts. Ne me posez pas d’énigme.

Un regard fulgurant de Paul sembla signifier : je parlerai quand il me plaira et comme il me plaira !

Il prononça cependant :

— J’ai appris, ces jours derniers, que mes enfants étaient baptisés, malgré mes ordres formels.

Denise pâlit. Cependant son courage ne faiblit pas. Elle était soulagée, au contraire, de savoir que son mari était au courant de ce fait important. Elle répondit donc d’une voix ferme :

— Je suis très contente de vous savoir informé. Nos enfants ont, en effet, reçu le sacrement du baptême. Il m’eût été impossible de les en priver.

Ce calme, cette tranquillité, exaspérèrent Paul.

— Et vous osez me dire ces choses en face !

Devant cet éclat, Denise eut un geste instinctif de recul. Mais ce ne fut qu’un éclair. Elle était la mère qui défendait l’âme de ses enfants.

— Pourquoi n’avouerai-je pas d’avoir accompli tout mon devoir ?

— Vous ne l’avez pas accompli à mon égard ! rugit Domanet. Ce que je veux, vous entendez, c’est l’obéissance absolue.

— Je ne suis pas une esclave.

— Vous êtes un serpent qui redressez la tête pour mordre. Je vous ai crue douce et inoffensive et je vois trop tard que vous êtes une rebelle. Mais cela ne se passera pas ainsi. J’aurai raison de vous ! Sachez qu’on ne me brave pas impunément ! J’ai tous les droits. Je vous ai épousée pauvre et vous n’avez rien à prétendre : Je suis seul maître et seul juge. Mes ordres sont des lois dans mon foyer. Je désirais que mes enfants ne fussent pas baptisés parce que je poursuis un but politique, et j’avais besoin d’affirmer, par l’exemple, mes principes antireligieux. Vous me donnez l’allure d’un hypocrite. Vous serez punie dans ce que vous avez de plus cher !

— Qu’allez-vous faire ? cria Denise.

Paul Domanet ne répondit pas à cette question. Tout à sa violence, il poursuivit :

— Et croyez-vous que ce soit honorable pour moi de savoir que les parrains de mes enfants, sont un chauffeur inconnu et un commis d’épicerie, pris au hasard par votre garde !

— Ces gens sont honnêtes, et je préfère leur concours peu décoratif au remords de savoir nos enfants sans baptême.

— J’ai dû être la risée du quartier ! C’est intolérable !

Denise, un moment excitée, se calmait et elle prononça plus doucement.

— Mon ami, je vous en prie, soyez plus conciliant. Ces faits sont périmés et il ne faut pas exagérer l’importance du ridicule dont vous croyez avoir été la proie. L’essentiel est que nos enfants soient des chrétiens. J’aurais tremblé si je les avais vus malades… Laissez-moi au moins jouir en paix de ma sécurité à ce sujet.

— Vous êtes d’un égoïsme que rien ne dépasse ! et moi, que suis-je dans cette aventure ? un jouet ? un pantin ? J’ai des droits que je sache ! vous les foulez aux pieds avec une désinvolture déconcertante !

— Vous avez spéculé sur ma crédulité… Fiancée, je vous ai demandé si vous étiez religieux et vous m’avez répondu affirmativement.

— J’ai été stupide ! J’aurais dû prévoir que vous m’auriez épousé quand même pour la fortune que je possédais.

— Vous auriez pu éprouver quelque déception à ce sujet… car votre profession de foi, avouée franchement, m’eût fait hésiter.

— Comme c’est facile à dire après coup ! vous pouvez vous donner toutes les vertus, mais ces grands mots ne prennent pas avec moi. Je chercherai un châtiment qui puisse vous atteindre comme je le suis moi-même dans mes idées.

Subitement, Denise cria d’une voix déchirante :

— Mes enfants !…

Elle avait eu peur tout-à-coup, que Mme Zode ne les ramenât pas. Dans un éclair, elle réalisa que cette promenade, ces appels de téléphone, cette scène étaient une machination, afin de permettre à son mari de lui reprocher son « crime » et de faciliter à la cousine Zode de les conduire vers un but déterminé.

De nouveau, elle cria comme une mère à qui l’on arrache ce qu’elle a de plus tendre.

— Mes enfants ! Je serai docile à l’avenir, mais que mes enfants reviennent.

Domanet, sans répondre, sortit de la pièce. Denise se prit la tête à deux mains. Elle sentait un vertige l’affaiblir. Se pouvait-il que son mari la punît parce qu’elle avait voulu laver ses chers petits du péché originel ?

Se pouvait-il qu’il lui tînt rigueur de lui avoir désobéi dans cette circonstance ? N’était-il pas assez riche pour être indépendant et son ambition ne se lasserait-elle pas ?

Elle ne savait plus ce qu’elle pensait. Mille idées confuses tournoyaient dans son cerveau. Elle évoquait surtout une autre vie : une lente coulée de jours paisibles dans un intérieur modeste, mais doux. Rêve stérile !

Elle regarda la pendule. Il était quatre heures. Elle se figura que la cousine Zode aurait dû être rentrée, puis elle se calma.

N’avait-elle pas prévenu que Richard et Rita goûteraient dehors ainsi qu’elle leur avait promis et qu’ils ne seraient pas de retour avant cinq heures au moins… s’ils rentraient…

S’ils rentraient !… À l’hypothèse d’un enlèvement un frisson courait sur la nuque de la pauvre mère. La cousine Zode lui apparut comme un monstre. Sûrement c’était elle qui s’était renseignée à la paroisse et qui avait annoncé à Paul Domanet avec une joie diabolique, que les enfants étaient baptisés.

Pour cette femme sans cœur, c’était une aubaine dont elle n’avait pas tardé à faire usage.

Elle se plaisait à accumuler toutes les charges contre Denise pour troubler son foyer et lui aliéner son mari.

Denise courba la tête sous le faix de ses pensées. Fiévreuse, elle regarda marcher l’aiguille de la pendule, ne sachant plus si elle vivait ou non. Qu’avait-elle commis pour avoir tant de souffrances à supporter ? Enfin, vers cinq heures un quart, au moment où l’espérance s’éteignait en elle, elle entendit les voix chéries résonner dans l’antichambre.

Le Seigneur était bon !… Il n’avait pas permis la machiavélique solution. Ses enfants lui étaient rendus. Une prière sortit de son cœur oppressé et elle courut au-devant d’eux.

— Richard ! Rita !

Les deux petits se jetèrent dans ses bras.

— On s’est bien promené, tu sais, maman. Et puis, on a mangé de bons gâteaux.

— Et puis, un agent nous a aidés pour traverser la rue.

— Nous avons vu guignol.

À peine si Denise écoutait ce babillage puéril. Elle renaissait. La vue de ses chérubins qu’elle croyait ne plus serrer dans ses bras pendant longtemps, la transportait de joie. Ses idées sombres s’envolaient. Elle se blâma même de les avoir prêtées à son mari. Un père ne peut priver une mère de ceux qu’elle a mis au monde.

La cousine Zode s’avança :

— Vous voyez qu’ils ont été bien soignés et qu’ils sont heureux.

Denise articula un remerciement. Mais sa douceur naturelle se changea soudain en une rancune pour celle qui provoquait tant de mal.

Alors que la cousine Zode s’étendait sur la promenade et qu’elle en défaillait le parcours, Denise ne pensait qu’à avoir um explication avec elle. Son aversion pour les scènes était cependant bien réelle, mais elle ne pouvait rester neutre au milieu des complots ourdis contre elle. Il fallait que de temps à autre, elle se montrât dans une attitude ferme.

Elle renvoya les enfants à leur nurse et dit :

— Mon mari vient de m’apprendre qu’il a su que ses enfants avaient été baptisés.

Il y eut un silence. La cousine Zode contemplait Denise avec un sourire.

— Je suppose que vous êtes allée vous renseigner et que vous avez averti votre cousin de ces faits ?

Devant ce coup droit, Mme Zode eut un geste d’ennui, mais se reprenant, elle feignit la surprise.

Eh ! quoi ! mon cousin était ignorant de cette circonstance si naturelle ? Est-ce possible ? Je lui en ai parlé incidemment en toute innocence.

— En toute innocence ? releva Denise.

— J’ignorais absolument que ses principes fussent à ce point opposés à une cérémonie à laquelle tout père a le devoir et la joie de procéder. Ce cher Paul a vraiment des idées bizarres… je suis navrée, ma petite Denise, d’avoir été la cause indirecte de reproches de la part de votre mari… J’espère que vous me pardonnerez !

La voix de la cousine Zode était douce, mais ses regards aigus. S’ils avaient pu transpercer Denise, certainement ils l’eussent fait.

Denise ne répondit rien tout d’abord à ces paroles aussi mielleuses que fausses. Puis, écœurée par tant de duplicité, elle s’écria :

— Que vous ai-je fait pour que vous vous acharniez sur moi avec autant de férocité ?

Madame Zode riposta d’un ton étonné qu’elle sut prendre à merveille.

— Mais vous divaguez, ma pauvre petite ! Je suis victime, tant et plus, de maladresses qui retombent sur moi comme des fautes écrasantes. Ce serait à moi de me plaindre de ma situation !… Je suis la seule parente de Paul et je suis traitée chez lui comme une étrangère suspecte. C’est vraiment affligeant et cela me peine beaucoup.

Denise ne répondit rien à ces paroles. Elles ne la touchèrent pas, non plus que la larme que Mme Zode essuya au coin de son œil.

Elle rentra dans sa chambre, s’habilla pour se rendre à une mondanité indispensable où elle devait retrouver son mari.

Mme Zode, la rage au cœur, tournait dans l’hôtel comme un écureuil. Son rôle de second plan lui pesait plus que jamais et elle souhaitait avec une ardeur inimaginable, remplacer Denise dans ses attributions. Elle ne souhaitait pas sa disparition, non, mais une humiliation qui la laisserait comme une quantité négligeable dans sa propre maison.

Mme Zode voulait régner, aller dans le monde et paraître. Elle estimait que le mariage de son cousin l’avait lésée. D’avance, elle détestait la future femme de Paul, après avoir espéré qu’il ne se marierait pas. La bonne grâce et le charme de Denise augmentèrent sa fureur et une persécution contre la jeune femme la hanta.

Paul Domanet aurait peut-être cédé devant la douceur de Denise si son orgueil et sa susceptibilité n’eussent été soigneusement ravinés par sa cousine. Mme Zode éprouvait une jalousie à travers laquelle elle voyait rouge. Réduire Denise à un plan subalterne était ce qu’elle désirait et elle employait tous les moyens.

Ce soir-là, il y avait un dîner de dix couverts chez les Domanet et Mme Zode était hésitante entre le désir de rester dans sa chambre et celui de prendre part à une réunion agréable.

La perspective de voir Denise tenir la place de maîtresse de maison la faisait passer par toutes les phases de la colère, mais d’autre part, perdre une occasion de déguster des plats en bonne société la désolait. Que ferait-elle seule dans son coin, alors que non loin d’elle, les convives seraient pleins de gaîté ? Il était bien inutile de bouder contre cette évocation tentante. Il fallait au contraire en profiter.

Puis, elle se l’avouait, elle était un tantinet gourmande. Les mets délicats l’attiraient et son docteur l’avait mise en garde, mais quel mal, pensait-elle, pouvaient lui occasionner de si bonnes choses ? Son médecin, sans doute, avait un mauvais estomac.

La nervosité de Mme Zode s’accentuait et elle accusa ses nerfs sensibles de provoquer les douleurs de tête qui l’accablèrent. Elle se trouva très rouge. Elle se poudra copieusement afin d’atténuer ce flamboiement, et elle pesta contre cette pécore de Denise qui la poussait à bout.

Puis, en attendant le dîner, elle s’étendit sur un lit de repos, tout en roulant dans son esprit, les plus noirs projets pour anéantir les prétentions de cette « jeune sotte ».

Elle avait pourtant bien travaillé. Paul était déjà sérieusement monté contre elle, mais elle trouvait que la sanction n’arrivait pas assez vite.

Mme Domanet revint assez tard. Elle eut juste le temps de changer de toilette et de jeter un coup d’œil sur le couvert dressé. Rien n’y manquait. Tout était étincelant de lumière, de fleurs et de cristaux.

Bien que Denise n’eût pas le cœur en fête, elle avait trop l’habitude du monde pour laisser voir ses soucis. Elle tint aimablement son rôle. Les convives furent comme toujours, sous le charme de sa parfaite simplicité et de sa grâce.

La seule personne qui ne fut pas à l’unisson était la cousine Zode. Bien entourée cependant, elle s’imaginait qu’elle était reléguée et trouvait toutes les tares à ses voisins.

C’est elle qui voulait dominer et se trouver le centre des conversations et des hommages.

Elle estimait que c’était humiliant pour elle qu’une jeune femme s’appropriât un sceptre que son âge et sa parenté auraient dû lui réserver de droit.

Cependant, elle essayait de ne pas laisser transparaître ces sentiments et elle ajoutait ses louanges aux compliments délicats qui visaient Denise.

Paul Domanet, lui, était comme toujours l’amphytrion content de soi et le cachant sous des airs bourrus.

Il semblait fier de sa femme et cependant le regard qu’il lui lançait de temps à autre, étonnait Denise par une dureté nouvelle.

Elle appréhendait le lendemain. D’ailleurs, elle passait sa vie à craindre les lendemains. Les heures à venir devenaient pour elle un fardeau intolérable.

Les invités partis, Denise alla dans la chambre de ses enfants pour vérifier leur sommeil. Ils dormaient profondément et elle n’osa pas les embrasser de crainte de les réveiller.

Elle se retira chez elle, après avoir souhaité le bonsoir à Mme Zode qui se plaignit d’une fatigue générale.

— Vous avez cependant bien dîné ?… lui dit narquoisement son cousin.

— Tout était si tentant… répliqua-t-elle avec un soupir.

Denise, épuisée par sa réception et la scène qu’elle avait subie, essaya de dormir, mais elle ne le put. La menace de son mari lui revenait à l’esprit dans le silence nocturne. Elle essayait de l’oublier, mais comme une obsession, les paroles cruelles la martelaient.