Hirt et Cie, Éditeurs (p. 14-24).

II


Dans sa chambre, Denise eut beaucoup de mal pour rester calme. Son cœur était brisé, son amour-propre plus que blessé. Une indignation débordait de son âme pour une telle cruauté et elle était terrifiée de se voir liée pour la vie à un être semblable.

C’était là le père de ses enfants.

Ah ! comme elle eût aimé raconter à son frère ses déceptions et ses chagrins ! Elle se promettait de le faire dès qu’elle aurait un moment de loisir. Il saurait et comprendrait. Elle n’en pouvait plus de se taire. Ce poids devenait trop lourd pour ses épaules.

Denise, entourée de serviteurs, n’était pas libre. Quand elle croyait avoir une femme de chambre dévouée, elle découvrait vite qu’elle était à la solde de Paul et que le moindre de ses gestes était rapporté.

Par surcroît, il y avait dans la demeure, une parente d’une soixantaine d’années. C’était une veuve, ruinée par son mari. Elle était heureuse d’habiter l’hôtel avec son confort, et elle payait en manières doucereuses et faussement obligeantes l’hospitalité que lui consentait son cousin.

Denise ne savait jamais si elle pouvait se fier à elle ou pas. À certains moments, elle croyait à sa bonté réelle, et à d’autres, elle la soupçonnait de la trahir.

Pendant un certain temps, elle s’était même demandé si son mari ne l’avait pas placée près d’elle pour la surveiller, mais elle avait rejeté cette idée en se blâmant de l’avoir eue.

Aussi peu façonnées que fussent les manières d’un homme, pensait-elle, il ne peut s’abaisser à faire épier sa femme.

Elle s’abusait. Mme Zode était payée pour rendre compte à Paul du plus petit fait accompli par sa femme et de ses paroles les plus innocentes qu’elle savait rendre empoisonnées.

Poussant le raffinement de la cruauté jusqu’à l’extrême limite, elle allait jusqu’à se plaindre de son cousin, afin de faciliter les confidences de Denise.

Parfois, prise au piège, la jeune femme se laissait aller à quelque plainte que Madame Zode recueillait avec avidité afin de la dénaturer avec art.

Chaque fois, elle obtenait de son cousin une gratification qu’elle portait à la banque avec une joie d’avare.

Paul ne tardait pas à lancer quelque allusion à la confidence murmurée imprudemment. Denise, souvent, ne rapprochait pas la coïncidence, mais parfois, elle était contrainte de s’avouer que Mme Zode était sujette à caution.

Plusieurs fois, elle s’était insurgée contre cette présence qui troublait sa quiétude ; quand elle se croyait seule, Madame Zode survenait comme une ombre, lui causant un effroi nerveux.

En vain, Denise l’avait-elle priée de modifier son pas de velours, la bonne dame n’en avait tenu nul compte. Elle poursuivait paisiblement sa carrière d’espionne.

La seule satisfaction qu’avait Denise, c’est que le jeune Richard, dont les cinq ans devenaient perspicaces, ne pouvait supporter Madame Zode. Sentait-il le rôle infâme qu’elle jouait près de sa mère et obéissait-il à un instinct obscur ?… toujours est-il qu’il avait pour elle des mots assez durs, mais qui étaient justes.

Jamais Mme Zode ne se fâchait, ni ne se plaignait de ces manifestations. Elle comblait le petit garçon de bonbons, essayant de capter ses bonnes grâces, mais sans y parvenir.

Un jour, cependant, en pleine table, Mme Zode lança :

— Richard me déteste et je me demande pourquoi, je n’ai jamais eu que des amabilités pour lui.

Et, comme Richard était là, elle lui demanda tout en souriant :

— Pourquoi ne m’aimes-tu pas, mon petit homme ?

— Parce que vous n’aimez pas maman, riposta Richard.

— Vous voyez, Paul, quel malentendu, susurra Mme Zode… Cette pauvre Denise se croit persécutée et elle en instruit ses enfants à tort…

— Je n’enseigne nullement ces choses à mes enfants, se défendit Denise et j’ignore pourquoi Richard a prononcé cette phrase.

Ce fut le seul incident de ce genre que souleva Mme Zode. Peut-être avait-elle senti qu’elle était allée trop loin, mais elle ne le renouvela pas. Elle redoubla de prévenances envers la mère et les enfants et s’efforça de rendre de menus services à Denise qui fut presque tentée de croire à sa sympathie.

Dans le désarroi nouveau qui la bouleversait, elle ne savait quel parti prendre. Elle conservait une certaine appréhension de se confier à Mme Zode, et cependant elle se sentait si seule et souffrait tant qu’elle éprouvait le besoin d’avoir une âme en qui s’épancher.

Cette femme, pensait-elle, ne pourrait cependant pas être aussi cruellement perverse. Elle la comprendrait dans sa peine fraternelle.

Mais elle n’eut pas à parler la première. Comme si Mme Zode devinait ses hésitations, elle aborda le sujet et sollicita des confidences :

— Ma pauvre petite, je comprends vos angoisses ; votre frère est le seul parent qui vous reste et il est naturel que vous désiriez le voir. Mon cousin, dans ce cas exceptionnel, me semble bien intransigeant.

Denise, encouragée par ces paroles, soulagée par leur ton qui paraissait sincère, eut une explosion de larmes. Dans sa droiture, elle prenait cette ouverture comme une compassion relative à sa situation. Quand elle put répondre, elle murmura :

— Comme vous êtes bonne de me comprendre… J’ai en effet, une peine mortelle d’avoir été obligée d’écrire à mon frère une lettre semblable. Il y a si longtemps que je ne l’ai vu !… Depuis, la mort de nos parents a passé, ainsi que mon mariage… et j’eusse été si contente de lui montrer mes enfants et de le recevoir chez moi.

— Vous y arriverez, ma chère enfant… dit doucement Mme Zode en serrant la main de Denise… en attendant, vous allez lui envoyer quelques lignes pour expliquer votre embarras.

— Je n’ose pas, à cause de Paul… Il me l’a défendu et il me semblerait commettre un crime de passer outre sa volonté… Il m’a tant assuré que cela lui porterait préjudice… Je suis dans une perplexité terrible…

— Comme vous vous embarrassez de questions secondaires, ma pauvre enfant… Paul exagère. En quoi voulez-vous que cela nuise à ses intérêts que vous écriviez à votre frère ?… c’est du parti pris… c’est enfantin d’émettre des idées pareilles.

Denise restait indécise. Laisserait-elle son malheureux frère sous le coup de la lettre dictée par son mari. C’était l’anéantissement de toute leur affection fraternelle. Sans doute trouvait-il déjà que ses sentiments s’étaient bien modifiés et que la richesse lui durcissait le cœur.

Elle murmura :

— Si je savais…

— Osez, chère Denise, et comme on n’est jamais sûr des domestiques, je mettrai moi-même la lettre à la poste.

Cette proposition aurait pu réveiller la méfiance de Denise, mais vaincue par les paroles et les protestations de dévouement de Mme Zode, elle se décida à tenter l’aventure.

Qui sait si cette dame n’avait pas fait volte-face écœurée des procédés de son cousin ? Elle était sans doute émue par le chagrin qu’elle lui voyait et devenait une alliée.

Mme  Zode, remarquant le trouble de Denise, endormait ses dernières méfiances en insistant sur le côté brutal du caractère de Paul. Elle racontait des incidents de sa jeunesse où il faisait preuve déjà d’un despotisme sans entrailles.

Elle était sincère en le dénonçant ainsi, car elle le trouvait odieux, mais comme il l’indemnisait largement, elle le considérait comme un maître à qui il valait mieux obéir.

En son for intérieur, elle trouvait Denise assez à plaindre, mais elle était, elle aussi, de ces personnes non sentimentales et dégagées de scrupules, qui n’admettaient pas la faiblesse.

Elle se disait : tant pis pour elle !

Les vaincus avaient toujours tort…

Denise, poussée, écrivit donc sa lettre. Elle la composa non sans larmes, non sans terreur. Elle donna des détails sur sa vie depuis son mariage, ses désillusions où glissait tant de regret ; elle s’accusa de n’avoir pu se faire mieux comprendre. Elle parla de la dureté de son mari, de sa méprise à l’égard de son caractère. Elle vanta la grâce de ses enfants, la fermeté naissante de Richard et le charme affectueux des trois ans de Rita.

Enfin, elle cacheta sa lettre, et la confia, non sans un pressentiment obscur à celle qu’elle croyait devenue son amie.

Pourquoi n’obéit-elle pas à cet instinct qui lui suggérait de garder cette lettre ?

Mme  Zode reçut ce dépôt avec une sorte de respect. Denise lui dit :

— Je vous remets là tout mon cœur, Madame. Vous m’avez si bien convaincue de votre sympathie que je joue ma paix future… Mais vous m’avez tellement engagée à réconforter mon frère que je vous ai écoutée…

— Ayez confiance en mon aide… je vous sers avec tout mon dévouement… Je vais de ce pas la jeter à la poste.

Mme  Zode sortit.

Denise était allégée de sa douleur. De savoir que son frère allait la plaindre et prier pour elle, la transportait dans un monde nouveau.

Deux jours passèrent dans une tranquillité relative. Puis, brusquement, un matin, la tempête éclata. Paul Domanet entra dans le boudoir de sa femme. Elle s’occupait à un ouvrage féminin. Sans préparation, le masque dur, son mari lui dit :

— C’est ainsi que vous transgressez mes ordres ?

— Quels ordres ?… s’inquiéta-t-elle, ne se doutant pas qu’elle était trahie.

— Vous ai-je interdit, oui ou non, d’écrire à votre frère ?

Tout de suite, Denise comprit. La douleur fut d’abord plus forte que l’indignation. De savoir que la tendre pitié qu’elle implorait de ce frère aimé et souffrant lui serait refusée, elle eut un gémissement sourd que remarqua Domanet.

— Vous avouez, n’est-ce pas ?

Alors seulement, elle se redressa :

— Cette femme indigne a abusé de ma confiance… cette femme que vous payez sans doute pour m’espionner m’a flattée et poussée au point de me conseiller à écrire à mon frère, pour vous donner une arme contre moi !… Je vois son jeu trop tard…

Paul ricana :

— Un peu plus, et vous diriez qu’elle vous a commandé de me désobéir !…

— Ne voyez pas dans mes paroles plus que je n’en veux dire, se rebella Denise… Je vous déclare simplement que notre cousine est un mauvais génie.

— Naturellement, puisqu’elle a secondé mes efforts !

— Je lui dirai ma façon de penser !… clama Denise.

— Je vous le défends !… vous êtes coupable et vous n’avez pas à élever la voix. Je vous interdis absolument de l’accabler de votre colère… Elle est pour peu de chose, d’ailleurs dans ce que j’ai deviné… c’est moi qui l’ai sommée de me donner cette lettre qu’elle recelait, n’ayant pas osé vous refuser ses services. Vous lui avez fait jouer là, un rôle qui m’étonne de votre part… Je croyais votre âme transparente comme du cristal et je m’aperçois que vous êtes une rouée…

Denise ne savait plus que croire. Ballottée entre des sentiments divers, elle ne savait plus où était la vérité.

Peut-être Mme Zode avait-elle été terrorisée elle aussi ?

— Expliquez-moi comment la chose s’est passée ? put-elle dire avec assez de calme, voulant se former une opinion.

— Comment !… Vous osez me demander des explications, à moi !… alors que vous m’avez désobéi et cherché sciemment à me causer un préjudice ? rugit Paul Domanet, furieux de ne pas voir sa victime pantelante d’épouvante.

— Je pense que j’ai le droit de savoir ce qui se passe chez moi, riposta Denise, remplie soudain de courage devant les ennemis qui se coalisaient contre elle.

— Vous n’avez aucun droit ! cria Paul… Contentez-vous du beau rêve que vous avez fait… Fille de fonctionnaire sans le sou, vous avez épousé un homme intelligent qui a eu le talent de devenir plusieurs fois millionnaire… Vous pouvez vous vanter d’être née sous une bonne étoile… Tous les jours, vous devriez me remercier d’avoir bien voulu vous donner mon nom !…

— Tous les jours, je le regrette, répliqua Denise en révolte.

— Et vous avez l’audace de me le dire ? rugit Domanet, les yeux flamboyants de colère… Je ne savais guère ce que cachait votre douceur…

Denise voulut quitter la pièce. Cette scène lui paraissait aussi odieuse qu’inutile. Elle perdait le respect de soi-même dans cette lutte avec un être qui ne voulait pas la comprendre.

— Restez ici, lui ordonna son mari, et dites-moi à quel mobile vous avez obéi en passant outre à mes désirs ?

— J’ai voulu réconforter mon frère… Il est malade, il est souffrant, et je suis sa seule affection après les déshérités et les pauvres qui sont devenus sa famille. La lettre que vous m’aviez permise était si sèche et si dure que je ne pouvais pas la laisser sans correctif.

— Vous exagérez votre initiative… Du moment que je vous avais défendu une chose, vous n’aviez pas à y revenir… Je vous l’ai signifié : je ne veux pas de votre frère ici… je ne veux pas non plus que vous alliez le voir… Je trouve indigne de votre part de vous plaindre à lui comme vous l’avez fait… Je vous juge une ingrate d’avoir négligé ce que je vous demandais… Vos protestations n’ont aucune valeur… Je constate des faits… Estimez-vous heureuse que je n’aie pas de sanction plus sévère.

Paul Domanet s’éloigna.

Denise se demanda si elle n’était pas le jouet d’un cauchemar. Elle venait d’être traitée comme une enfant à qui l’on reproche une désobéissance. Si elle se savait coupable d’avoir enfreint des ordres, elle estimait aussi qu’elle possédait le droit d’avoir un peu d’indépendance. Être traitée ainsi en esclave sous prétexte qu’elle n’avait pas de fortune, lui paraissait le comble du mépris.

Elle éprouvait le besoin de manifester son mécontentement à Mme Zode, de lui jeter à la face, tout l’écœurement que sa duplicité provoquait en elle.

Il fallait qu’elle attendît que son mari fût sorti. Ensuite, elle fit demander la bonne cousine.

Elle arriva la démarche silencieuse. Sitôt qu’elle fut devant Denise, elle ne lui laissa pas le temps de parler et s’écria d’un accent pathétique :

— Pauvre petite enfant, vous avez cru sans doute que je vous avais trahie, alors que j’aurais donné des années de ma vie pour vous éviter cette peine affreuse… Vous connaissez Paul… il suffit qu’on veuille lui cacher un fait, pour qu’il devine qu’on agit en arrière de lui. Il m’a rencontrée dans l’antichambre. Il a sans doute lu sur mon front, mais avant que j’aie pu esquisser un geste, il m’a dit : « Donnez-moi la lettre que vous allez mettre à la poste ». De plus rusées que moi, convenez-en, y eussent été prises… D’abord interloquée, j’ai voulu protester, mais je n’ai pu me défendre longtemps… Figurez-vous que j’ai même cru un moment que c’était vous qui aviez été forcée d’avouer cette lettre… Je ne savais plus que penser… Je vous accusais d’avoir manqué de fermeté… j’ai été désespérée… Pourrez-vous me pardonner ?

Ces paroles avaient été débitées sans une hésitation, comme si elles eussent été apprises par cœur. Mme Zode se tordait les mains de désespoir et des larmes roulaient dans ses yeux. Denise la regardait indécise. D’abord, elle eut l’intuition que cette femme mentait, mais à mesure qu’elle parlait, le doute entrait dans son âme. Comment discerner le vrai du faux ?

— Je vous en supplie, reprit Mme Zode, dites-moi que vous ne m’en voulez pas…

Elle répondit lentement :

— J’ai pensé que vous m’aviez dénoncée…

— Ah ! mais vous ne le croyez plus ?… gémit sa compagne… Si vous m’aviez vue !… J’étais dans un état fou… je ne savais plus quelle conduite tenir… Pouvais-je nier quand Paul m’assurait que votre lettre était dans mon sac ?

Les mots sonnaient sincères et Denise se dit que cette femme pouvait ne pas être aussi méchante qu’elle lui avait semblé.

— Je suis toute prête, offrit Mme Zode, à me charger d’une autre lettre.

— C’est inutile, interrompit Denise, je n’écrirai pas…

— Vous avez raison, dit plus vivement encore Mme Zode, de cette façon, vous aurez la conscience nette et Paul ne pourra plus se targuer de vous prendre en faute. Et puis, une lettre peut se perdre, tandis qu’une visite à votre frère le réconfortera mieux, insinua doucement la tentatrice, vous n’aurez qu’à prétexter un thé chez une amie.

Denise regardait la cousine de son mari avec horreur. Ses regards étaient fixés sur elle avec tant d’intensité, que la perfide dame détourna les yeux.

Après un silence, où Denise eut la velléité de jeter cette femme à la porte, elle lui dit :

— Madame, veuillez garder vos conseils pour vous… Je n’en accepte que de mon mari…

Mme Zode se tut. Elle lança un coup d’œil haineux sur sa victime, en véritable araignée qui guette une proie, et elle sortit.

Denise maintenant, était convaincue que Mme Zode l’avait trahie. Elle se repentit amèrement d’avoir eu confiance en elle et se demanda quelle serait son existence désormais entre ces deux êtres. Mme Zode n’était qu’un instrument, mais il aidait si puissamment la volonté de Domanet que cela en devenait infernal.

Elle distinguait quel piège, elle lui avait tendu et celui dans lequel elle aurait de nouveau voulu la faire tomber.

Comment s’arracher de ces mains terribles qui lui enlevaient, bribe par bribe, sa tranquillité ? Elle se sentait vieillie à vingt-six ans, comme si elle eût subi tous les malheurs du monde.

Alors qu’elle était là, à méditer douloureusement, Richard vint la retrouver.

Avec son air franc et décidé, il lui dit :

— Cousine Zode a été méchante avec Rita… elle lui a tapé sur les doigts parce que Rita a laissé tomber sa cuillère.

— Oh ! riposta doucement Denise, c’était pour plaisanter sans doute ?

— Non… non… elle a pris la petite pelle de Rita, et avec le manche… pan… pan… c’est du bois dur tu sais maman.

— Mais c’est inadmissible !… s’écria Denise.

— Viens voir Rita… elle pleure…

— Sa bonne n’était donc pas là ?

— Elle cherchait le potage de ma petite sœur.

Denise se précipita vers la nursery.

Par la volonté expresse de Paul, les enfants étaient à l’autre extrémité de l’hôtel, le père ne voulant pas être dérangé par les mouvements que provoquent les soins à donner aux enfants.

À son profond regret, la jeune mère ne pouvait donc pas surveiller avec autant d’assiduité qu’elle l’eût voulu, ses deux trésors.

Elle arriva près de Rita qui mangeait son potage.

Madame Zode, ainsi que la bonne d’enfant étaient à ses côtés.

La petite s’écria, dès qu’elle vit sa mère :

— Bobo… maman… bobo…

— Ma chérie, qui t’a fait bobo ?

— Sine Zode, répondit Rita dans son langage enfantin.

— N’allez pas me croire coupable, ma petite Denise, un peu de potage est tombé sur les doigts de l’enfant et l’a brûlée… Veuillez vous rendre compte vous-même.

Une rougeur restait sur la mignonne main de Rita. Denise l’examina, la baisa et dit lentement :

— Richard m’a dit que vous aviez frappé Rita…

— Ah ! la bonne histoire !… s’écria la cousine Zode en riant. Savez-vous que ce jeune garçon devient dangereux ? Voici la troisième fois que je le surprends à mentir. Il va falloir que je me tienne sur mes gardes, car vous savez que cet enfant me déteste…

Bien que le ton de Mme Zode fût doux, la rage était dans ses yeux. Denise comprit sans erreur possible qu’elle se vengeait sur la petite innocente du dédain qu’elle lui avait montré précédemment.

Une terreur lui vint que cette femme n’assouvît ses rancunes sur les deux chers êtres qui n’étaient pas en cause. Elle se promit d’avertir son mari.

Dès qu’elle se trouva seule avec Paul, elle se hâta :

— Puisqu’on dénonce dans cette maison, dit-elle, permettez-moi d’agir de même… Je dois vous prévenir que Mme Zode est en voie de maltraiter vos enfants et de les calomnier sans motif…

— Quel excès d’imagination, ma chère ! Ne serait-ce pas vous, plutôt, qui divaguez ?… Pourquoi ma cousine attaquerait-elle ces petits ?

— Je ne puis que vous répéter qu’elle m’est hostile et qu’elle ne négligera aucun moyen de me pousser à bout…

— Il me semble que vous sortez de votre caractère habituel ? Je pressens que vous désirez plus que jamais, voir Mme Zode loin de nous. Elle restera ici, ne vous en déplaise. Une jeune femme comme vous a besoin d’un appui, d’une personne expérimentée qui puisse la guider au besoin. Vous avez des goûts d’indépendance qui me paraissent nécessiter une surveillance sérieuse.

Denise, blême, écoutait ces paroles dénuées de délicatesse. Elle passa la main plusieurs fois sur son front et murmura : Ah çà, qui donc suis-je ici ?

Elle ferma les yeux, comme si elle voulait échapper à tout ce qui l’entourait. Quand elle les rouvrit, son mari avait quitté la pièce.