1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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V. — CONTRE CANIDIA.


« Mais, par chacun des Dieux qui, du ciel, gouvernent le monde et la race humaine, que veut dire ce tumulte ? Pourquoi tous ces regards farouches dardés sur moi ? Par tes enfants, si jamais Lucina, invoquée, t’a assistée pour un enfantement véritable, par ce vain honneur de la pourpre, je te supplie ! Par Jupiter qui n’approuvera point ces choses, pourquoi me regardes-tu comme ferait une marâtre, et comme une bête féroce que le fer a blessée ? »

L’enfant, dépouillé de ses insignes, se plaignait ainsi, de ses lèvres tremblantes, montrant son jeune corps, tel qu’il eût amolli le cœur impie d’un Thrace. Canidia, entrelaçant de vipères ses cheveux épars, ordonne que le figuier sauvage arraché des sépulcres, le funèbre cyprès, l’œuf souillé du sang d’un crapaud, la plume de la strix nocturne, les herbes venues d’Iolcos et de l’Ibéria fertile en poisons, et les os arrachés de la gueule d’une chienne affamée, soient brûlés sur un feu de Colchos. Cependant, Sagana, la robe retroussée, répandait par toute la maison les eaux Avernales, et elle dressait ses cheveux hérissés, comme un hérisson de mer, ou comme un sanglier qui se rue. Veïa, qui n’a nulle conscience, en haletant de fatigue, creusait avec une lourde houe la terre où l’enfant devait être enseveli jusqu’à la mort, sauf la tête, comme un nageur suspendu sur l’eau par le menton, en face de mets deux et trois fois renouvelés ; et de sa moelle desséchée et de son foie avide on devait faire un breuvage d’amour, quand ses prunelles dardées sur la nourriture interdite se seraient éteintes. Là, ne manquait pas Folia d’Ariminum aux désirs de mâle, — l’oisive Néapolis et les villes voisines l’ont cru du moins, — qui, par ses incantations Thessaliennes, arrache du ciel les astres et la lune. Alors, de sa dent livide rongeant l’ongle jamais coupé de son pouce, que dit, ou que ne dit point la terrible Canidia ?

— « Ô fidèles témoins de mes œuvres, Nuit, et toi, Diana, qui commandes le silence quand nos mystères s’accomplissent, maintenant, maintenant, venez ! maintenant tournez contre les demeures de mon ennemi votre colère et votre divinité. Tandis que les bêtes fauves se cachent dans les forêts terribles, languissantes d’un doux sommeil, que les chiens de Suburra aboient contre ce vieillard ; que tous rient de ce débauché oint d’un meilleur nard que n’en pourraient préparer mes mains. Qu’arrive-t-il ? Pourquoi ces poisons cruels de la barbare Médéa sont-ils moins puissants qu’au temps où, fuyant, elle se vengea par eux de l’orgueilleuse concubine, fille du grand Créon, et où la robe qu’ils avaient imprégnée consuma la nouvelle épouse ? Nulle herbe, aucune racine cachée en des lieux âpres ne m’a cependant échappé. Il dort, oublieux, sur le lit de toutes ses maîtresses. Ah ! ah ! il marche, délivré par l’incantation d’une plus savante magicienne ! Par des breuvages inconnus, ô Varus, tête vouée à tant de larmes, tu reviendras à moi, et ton esprit invoqué ne te sera pas rendu par les chants Marses. Je te préparerai, je te verserai un breuvage plus fort que tes dégoûts. Le ciel descendra au-dessous de la mer, et la terre s’étendra sur le ciel, avant que tu cesses de brûler de mon amour, comme ce bitume dans ces flammes noires ! »

Après ces paroles, l’enfant, non plus pour apaiser ces impies par des paroles suppliantes, mais cherchant comment il romprait le silence, cria ces imprécations Thyestéennes :

« Les poisons et les impiétés les plus horribles ne peuvent changer la destinée humaine. Je vous livre aux imprécations qui ne sont conjurées par aucune expiation. Je mourrai bientôt, puisque vous le voulez, mais mon spectre nocturne vous apparaîtra. Ombre, je déchirerai vos visages de mes ongles recourbés. C’est la vengeance des Dieux Mânes. Je viendrai m’asseoir sur vos poitrines oppressées et je chasserai par la terreur le sommeil de vos yeux. Ô Vieilles obscènes, la foule vous poursuivra çà et là à coups de pierres. Les loups, les vautours Esquiliniens se disputeront vos membres non ensevelis, et mes parents, qui me survivent, hélas ! verront ce spectacle. »