Épitres
Traduction par Collectif dont C.-L.-F. Panckoucke.
Texte établi par Charles-Louis-Fleury PanckouckeC.L.F. Panckoucke (2p. 219-225).

ÉPITRE II. À LOLLIUS.

Mon cher Lollius, tandis que dans Rome, vous vous exercez à l’éloquence, j'ai relu à Préneste le chantre de la guerre de Troie ; j'ai relu ce poète, qui nous apprend avec plus d'évidence et de sagesse que Chrysippe et Crantor, ce qui est honnête ou honteux ce qui est utile ou ce qui ne l'est pas. Écoutez, si rien ne vous en empêche, ce qui me fait penser ainsi.

Le poème où nous voyons la Grèce et l'Asie s'entrechoquer dans un long duel à cause des amours de Pâris, nous montre et la folie des rois et le courroux des peuples. Anténor conseille de couper la guerre dans sa racine même. Que dit Pâris ? il nie qu'on puisse le contraindre à régner tranquille et à vivre heureux. Nestor s'efforce de réconcilier le fils de Pelée et le fils d'Atrée. Mais Achille brûle d'amour, et tous les deux sont enflammés d'une égale colère. C'est sur les Grecs que retombent toutes les folies des rois. La discorde, la perfidie, le crime, la débauche, la fureur, tous les vices enfin, règnent dans les murs et hors des murs d’Ilion.

Maintenant, pour nous montrer ce que peuvent le courage et la prudence, le poète nous propose un utile exemple dans ce sage Ulysse, qui, vainqueur de Troie, parcourut tant de villes étudia les mœurs de tant de peuples, et sur les vastes mers, assurant son retour et celui de ses compagnons, supporta de nombreux malheurs, sans être jamais englouti sous les flots de l'adversité. Vous connaissez le chant des Sirènes et les breuvages de Circé. Eh bien, si ce héros, non moins imprudent, non moins avide que ses amis, avait bu la coupe perfide, esclave d'une magicienne sans pudeur, il aurait vécu lâchement, dans l'opprobre, sous la forme d'un chien immonde ou d'un porc souillé de fange.

Quant à nous, nous sommes le plus grand nombre, nés pour consommer les fruits de la terre ; pareils aux amants de Pénélope, ou à ces jeunes libertins, courtisans d'Alcinoüs, qui, uniquement occupés du soin de leur parure, mettaient toute leur gloire à dormir jusqu'au milieu du jour, et à perdre, aux accords de la lyre, la mémoire des soucis importuns.

Eh quoi ! les voleurs se lèvent dans la nuit pour égorger un homme ; et vous, pour sauver vos propres jours, vous ne vous éveillerez pas ! Cependant, si vous ne voulez point marcher en bonne santé, vous courrez bientôt hydropique. Si vous ne demandez avant le jour un livre avec une lumière, si vous n'appliquez votre esprit à de graves études et à d'honnêtes travaux, vous veillerez sans cesse tourmenté par l'envie ou par l'amour. Que le moindre objet blesse votre œil, vous l'en retirez aussitôt, et, quand votre âme est corrompue, c’est à l'année prochaine que vous en remettez la guérison ! L'ouvrage commencé est à moitié fait. Osez donc être sage. Commencez. L'homme qui diffère le moment de se bien conduire, attend, comme le paysan, que le fleuve soit écoulé. Mais le rapide fleuve coule et coulera jusqu'à la fin des âges.

On cherche de l'argent, on désire une épouse pour avoir des enfants; on défriche, à l'aide de la charrue, des forêts incultes. Quand on a ce qui suffit, on ne doit ambitionner rien de plus. Une maison, une terre, des monceaux d'or et d'airain, si leur possesseur est malade, ne délivrent ni son corps de la fièvre, ni son âme du chagrin. La santé est un bien nécessaire, si l'on veut jouir des trésors que l'on a su acquérir. Pour quiconque a des désirs ou des craintes, les palais et les richesses sont aussi utiles que les tableaux pour des yeux malades, les fomentations pour des goutteux, et les sons de la lyre pour des oreilles souffrantes et remplies d'une humeur impure. Si le vase n'est pas propre, tout ce qu'on y verse s'aigrit bientôt.

Méprisez la volupté : la volupté est fatale quand on l'achète au prix d'un seul regret. L'avare est toujours pauvre. Renfermez vos désirs en de justes bornes. L'envieux maigrit de l'embonpoint des autres. Non, les tyrans de Sicile n'inventèrent jamais un tourment plus affreux que l'envie. L'homme qui ne sait pas modérer sa colère désirera ne pas voir s'accomplir ce que la passion et le désespoir lui conseillent, tandis que, dans les transports d'une haine non encore assouvie, il brûle de précipiter sa vengeance. La colère est une courte fureur. Maîtrisez cette passion ; si elle n'obéit pas, elle commande. Imposez-lui un frein; gouvernez-la en l'enchaînant. Le docile cheval dont la bouche est encore tendre, apprend à suivre la route où le dirige la main du cavalier. Le jeune chien chasseur a longtemps aboyé, dans la cour de son maître, après une peau de cerf, avant de porter la guerre dans les bois.

Jeune ami ! voici le moment de nourrir votre âme encore pure des paroles de la raison ; confiez-vous aux maîtres les plus sages. Le vase conserve longtemps le parfum de la première liqueur dont il a été rempli. Pour moi, soit que vous ralentissiez votre marche, soit que vous la précipitiez, je n'attends point ceux qui restent en arrière, et je ne me presse point d'atteindre ceux qui courent en avant.