Épisodes, Sites et Sonnets/Le Voleur d’abeilles

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 31-36).
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LE VOLEUR D’ABEILLES

À mon ami Francis Vielé-Griffin.

Nul ne sait si promis à quelque exil farouche,
Héros maudit de son règne déshérité,
D’astre annonciateur d’une nativité
N’a pas brillé jadis sa puérile couche ;

Et la conque où s’éveille aux gammes de sa bouche
Le progressif écho d’une sonorité
Garde au contact de son pur souffle ébruité
Un peu du rose de la lèvre qui la touche ;

Il rayonne à son front des vols d’abeilles d’ors.
Au poids de son talon résonnent des trésors
Enfouis en l’horreur de cette solitude

Où sa flèche tua les Oiseaux voyageurs,
Et quand sa vierge chair pour le bain se dénude
L’aube d’un sang royal y montre ses rougeurs.

LE VOLEUR D’ABEILLES
Tuned to the noon-day of the trees
A simple flute calls forth the humming bees…
Francis Vielé-Griffin. (Ode to Edgard Poe.)

Le poids des grappes a courbé le jet des treilles
Lourdes de soir et d’ambre et de maturité,
Une rumeur de mer, au loin, berce nos veilles
Et parmi l’ombre où notre amour s’est abrité
La brise aux feuilles semble un passage d’abeilles.

Les ors divers des blonds soleils et des miels roux
Qui ruissellent de cire aux ruches des collines
Nuancent de leur double éclat tes cheveux doux,
À mon étreinte dénoués, et tu t’inclines
Pour baiser le front las posé sur tes genoux.


Un sourire de toi vaut une autre conquête
Et toute cette joie est lourde et c’est assez…
Un clairon vibre sur la grève, et sa requête
Arrive dans le soir jusqu’à moi qui ne sais
Plus rien de ce vain rêve où leur orgueil s’entête.

Ce lent jour écoulé d’aventure et d’émoi
Relègue en un oubli radieux la mémoire
De tout, hormis l’amour qu’il m’a valu de Toi,
Et laisse-moi, d’un trait, t’en redire l’histoire
Merveilleuse, la suite et le naïf exploit…

L’attente, et dans la nuit d’étoiles l’aube née
À l’Orient de cette mer où nous voguons
Vers les défis à notre proue éperonnée
Jetés par le Pays de l’or et des Dragons
Vers qui par le hasard notre course est menée,

La terre en fleurs surgie à l’aurore en chemin,
Et la plage déclive et le décor de vignes
Et d’oliviers, et sur le ciel clair du matin
La neige des sommets ondés en lentes lignes.
Et les vallons s’ouvrent pour qu’y fuie un lointain ;


Ce n’était pas le terme encor de l’équipée
Le Pays fabuleux que devait conquérir
L’héroïque talon nu des porteurs d’épée.
Le navire pourtant vira pour atterrir
Au sable d’une baie unie et découpée.

Et tandis qu’ils parlaient de victoire et de sang,
Et des soirs de massacre en des villes royales,
Assis en rond sur le rivage éblouissant,
J’errais parmi l’éveil des plaines pastorales
Dont les parfums grisaient mon âme de Passant ;

Et j’ai marché vers l’ombre étroite des vallées
Vertes d’herbes et d’onde où dans les roseaux droits
Tremblait la fuite encor de Nymphes détalées,
Et j’ai suivi le long des lisières d’un bois
Le pas de quelque Faune empreint aux fleurs foulées.

L’Azur du ciel dormait d’un sommeil ébloui,
Alors qu’une rumeur parvint à mes oreilles.
Et voici que bientôt paraît l’essaim ouï :
Et le vol bourdonnant d’innombrables abeilles
Gronde et pleut comme une grêle d’or inouï.


Les ruches dressent l’or de paille de leurs cônes
Au centre de la plaine où vibre le millier
Des abeilles vers qui le pas suivi des Faunes
M’a conduit par le bois et le sentier mouillé
(Car ils aiment et dérobent les beaux miels jaunes).

J’ai pris un rayon de miel ainsi qu’un voleur,
Et l’essaim bruissant comme un rêve tragique
Environna ma fuite à ce verger où leur
Colère se tut à l’éveil d’un chant magique
En incantation de lent rythme charmeur.

Et vers toi, ma Joueuse éternelle et frivole.
Qui d’un souffle en la flûte avive le vain jeu
Des gammes, fol essor qui vers l’écho s’envole,
Je t’apparus parmi la candeur du ciel bleu
Et nimbé d’un bruit d’abeilles en Auréole :

Et, pour cette rencontre et ce rapt enfantin
D’abeilles et ton sourire d’enorgueillie,
Mon âme qui voguait vers un autre destin
Abdique au doux servage où ta natte la lie,

Et la Trompe d’appel au ras des mers s’éteint.