Épisodes, Sites et Sonnets/La Galère

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 25-29).

LA GALÈRE

Ô roses du Jardin et des aubes vaillantes
Que n’avez-vous fléchi les Princesses, ô fleurs,
Et voici les amours et les femmes d’ailleurs
Dont les lèvres aussi comme vous sont sanglantes ;

Le fard teinte le nu des bustes où se tord
La guirlande qu’y nouèrent des mains brutales,
Et c’est le cortège impérieux des Omphales
Pour qui file au rouet le Héros qui s’endort.

Et sous les hauts bocages architectoniques,
Parmi les lis éclos en le Jardin de rois,
Ce sont les Dalilas cachant sous leurs tuniques

D’hyacinthe l’éclair d’acier des ciseaux froids
Et qui vont, graves, emmêlant entre leurs doigts
Le noir trésor des chevelures héroïques.

LA GALÈRE
..... des galères d’or belles comme des cygnes.
Stéphane Mallarmé.

Parmi la floraison des arbres et des roses
Dont rit le mont gemmé de son glacier vermeil
Notre âme avait connu le merveilleux éveil
De son enfance pour la nouveauté des choses :

De l’ombre des vallons jusques au sable amer
Et, des sites exubérants aux grèves nues
S’épandait la candeur des roses ingénues
Et des caps florescents s’allongeaient dans la Mer ;

Terre d’éveils ravis où dort l’écho des rêves
Au fond des bois bordés d’étangs et de jardins…
Des fleuves embaumaient aux lauriers riverains
Leurs ondes claires à baigner le nu des Èves.


Mais voici qu’à l’effort d’un doux vent alizé
Vers le golfe incurvé calme comme une rade
Vint aborder une galère de parade
Belle d’un appareil naval et pavoisé.

La poupe reflétait ses lettres en exergue
Aux flots battus par les rames à chaque bord,
Et des singes pelés se jetaient des noix d’or
Avec des cris du haut de la maîtresse vergue ;

Tous les agrès étaient de soie et d’or tissés,
Un semis de croissants de lunes et d’étoiles
Éparses constellait l’écarlate des voiles,
À des hampes, des tendelets étaient dressés…

Les Princesses ayant foulé les blondes grèves
S’en vinrent en cortège à travers les jardins,
Avec des fous, des courtisans, des baladins,
Et des enfants portant des oiseaux et des glaives.

Et, pris d’un grand amour et tout émerveillés
De sentir une honte enfantine en nos âmes
À nous voir si chétifs devant ces belles Dames
Et vêtus de la laine seule des béliers,


À leurs mains maniant des éventails de plumes
Prises à l’aile en feu des oiseaux d’outre-mer,
À leurs pieds qui courbaient les patins d’argent clair,
À leurs chevaux nattés de perles, nous voulûmes,

Émus d’un grand émoi suprême et puéril,
Forts du timide amour qui rêve des revanches,
Nouer les nœuds de guirlandes de roses blanches.
Que le sang de nos doigts pourprerait d’un Avril ;

Mais aux poignets sertis des Belles souriantes
Tous les liens de fleurs défleurirent leur poids,
Et les Oiseaux qu’au poing portaient les Enfants-Rois
Nous éblouirent d’un vol d’ailes effrayantes ;

Et les Princesses fabuleuses aux yeux doux
Fuirent avec leurs fous et leurs bouffons hilares
Aux Nefs de parade qui larguaient leurs amarres
D’un or fin et tressé comme des cheveux roux.