Épisodes, Sites et Sonnets/Le Jardin d’Armide

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 71-75).

LE JARDIN D’ARMIDE

Les heures, fol essaim ! sont mortes, une à une,
Comme les fleurs, comme les jours, comme les rêves,
Et le reflux du Temps a dénudé les grèves,
Et le vent a chassé les sables de la dune ;

La poussière des soirs s’envole en l’ombre avide
De cette vanité qu’un souffle épars emporte,
Cendre amère du fruit maudit d’une mer morte
Où gît la Cité d’or mystérieuse et vide ;

Le Rouet a filé la laine des vains songes,
Le métier a tissé l’étoffe que tu ronges,
Ô temps, nul n’a vêtu la robe qui s’effile,

Et le glaive, tenu d’un geste de statue
Par l’Archange, a marqué de son ombre inutile
Le cercle lent que l’heure implacable évolue.

LE JARDIN D’ARMIDE

Blanche comme les lis des Jardins endormis,
Et l’éveil ingénu des âmes, ô l’Aurore
Neigera-t-elle encore au pavé des parvis
Où sommeille un écho dans le marbre sonore ?

Les Gardiens puérils chaussés de patins d’or,
Vêtus du lin filé par les Vierges assises,
À l’aube de ce jour ouvriront-ils encor
La Porte merveilleuse et les serrures mises ?

Pour que, des colombiers et des lacs de cristal,
Les cygnes blancs et les colombes des prairies
S’en viennent, vol éblouissant, à ce signal,
Sur les marches manger l’orge de pierreries ?


Et pour avoir dormi sur la Terre et mordu
Aux mensonges des fruits du Jardin de l’Armide
N’est-il plus de retour vers le Temple perdu
Où le doux sang s’écaille en le calice vide ?

Comme les Pénitents et les Purifiés
Mon repentir voudrait saigner son agonie,
Et tordre un hosannah de bras crucifiés,
Supplicateur de l’Éternelle Épiphanie !

Custode du trésor mystique et crucial,
Porteur du glaive étincelant et de la Lance,
Gardien du Temple adamantin et du Graal
Et du calice clair où dort toute excellence,

Chevalier de l’armure chaste et Paladin,
Hôte des Pèlerins du Sanctuaire étrange,
Roi par la rose symbolique du Jardin
Que garde le défi du Glaive de l’Archange,

J’ai quitté la montagne et le précieux Sang
Et j’ai lavé ma honte en l’eau du baptistère,
Et j’ai pris la route d’opprobre qui descend
Vers la défaite et vers le Péché de la Terre ;


Les paumes de mes mains ointes pour l’hosannah
Et le geste par qui se hausse le calice
Se souillèrent à cueillir des fleurs que fana
L’aurore malveillante du mauvais délice ;

Le Philtre de l’Armide à mes lèvres rougit,
Et mon éveil fut langoureux de cette étreinte,
Et la blessure avide à mon flanc s’élargit,
Et mon sang marque les détours du Labyrinthe,

La rosée a rouillé mon épée, une main
A délacé l’armure et ses mailles rompues,
Le vent vibre comme le rire du Malin
En mon casque où s’éploie un vol d’ailes griffues,

Et parmi les lis morts des Jardins endormis,
Comme le sourire d’une morte, ô l’aurore
M’apporte un vain écho des fêtes du Parvis
Où chantent des doigts d’Ange en la harpe sonore.