Épaves (Prudhomme)/Toute la France

ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 175-180).


TOUTE LA FRANCE


Cette pièce de vers, extraite d’un à-propos composé par divers poètes, a été récitée par Mlle Bartet, de la Comédie-Française, dans une fête donnée au Palais-Bourbon par M. Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés, le 24 juin 1900. Toutes les provinces de la France viennent saluer la Ville de Paris et se grouper autour d’elle. La Ville de Paris, représentée par Mlle Bartet, lève le drapeau tricolore et leur adresse les paroles suivantes :


Entourons ce drapeau, mes sœurs, dressons nos âmes
Avec cet héritier d’illustres oriflammes
Que, pour le suivre au ciel et pour l’y déployer,
Le siècle qui descend lègue au siècle qui monte,
Ainsi qu’au nouvel an se rassemble et se compte
Une antique famille autour de son foyer.


Et comme au nouvel an s’évoquent les naissances
Et se pleurent tout bas les trop longues absences,
Comme s’épand des cœurs tout l’amour amassé,
Aujourd’hui par la gloire et par l’épreuve unies,
Célébrons le concert de vos divers génies
Fondus quinze cents ans au creuset du passé.

Depuis l’âge où vos fils sur ma docte colline
Accouraient, d’Abélard quêtant la discipline,
Combien chez moi l’école a mélangé les mœurs !
Et sur mes bancs nombreux, dans mes célèbres chaires,
Parmi tant de passants, combien de lampadaires
Dilatent mes flambeaux sans cesse accrus des leurs !
 
De ses vieilles cités je ne suis pas la seule
Dont soit fière la France, et n’en suis pas l’aïeule ;
De cette immense ruche où toutes nous brillons,
Ah ! si c’est moi la plus radieuse alvéole,
C’est vous dont le tribut m’a fait mon auréole,
C’est à vous que j’en cueille amplement les rayons.


Des plus beaux de vos fruits je reçois les prémices ;
Vos fleurs ouvrent pour moi leurs plus larges calices,
Et dans l’œuvre de l’homme il n’est pas de joyaux
Dont l’art de vos enfants ne m’orne la première ;
Ma pensée à la leur emprunte la lumière.
Je ne suis reine enfin que par vos dons royaux.

Mes sœurs, cette opulente et séculaire offrande,
Se peut-il qu’en un jour mon accueil vous la rende ?
Non ; mon cœur sent ma voix à sa dette faillir ;
La gratitude à flots m’envahit et m’oppresse.
Puisse du moins mon lustre, orgueil de ma tendresse,
Aux yeux de l’univers sur vos fronts rejaillir !

Afin que l’Univers, mon hôte,
Saluât nos féconds liens,
J’ai dans mes palais, côte à côte,
Rangé vos chefs-d’œuvre et les miens.

Dès longtemps nos annales mêmes
Avaient marié nos destins :
Je puis unir à vos emblèmes
Ma nef domptant les flots mutins.


Sans trouble malgré leur furie,
Je prête un sourire enchanteur
Au visage de la patrie
Qui m’a confié sa grandeur.

Pour elle, debout sur la hune,
Ma vigie explore les eaux ;
Vous portez aussi sa fortune :
Menons de front nos deux vaisseaux ;

Que rien jamais ne les sépare !
Rien ne saurait les couler bas,
Quand notre force est à la barre
Et notre prudence au compas.

Ici, devant les merveilles
Aux œuvres d’un dieu pareilles
Que par ses bras et ses veilles
Fait surgir le genre humain,


Oh ! mes sœurs ! mes sœurs ! quel rêve
De sublime et douce trêve
Comme une aube en nous se lève !
Paradis réel demain
Si, sevrés de sang, de larmes,
Allégés du poids des armes,
Les peuples, libres d’alarmes,
Marchaient la main dans la main.

En la cité tutélaire,
Qui le nourrit et l’éclaire,
Si chacun sentait sa mère
Et l’embrassait à son tour,
S’il savait se reconnaître
Dans les soupirs qu’il pénètre,
N’ayant plus qu’à laisser naître
La Justice de l’amour !
Ce beau rêve la tourmente :
Que dans sa poitrine ardente
La France le couve et tente
De le faire éclore au jour.


CHŒUR GÉNÉRAL


Ce beau rêve la tourmente :
Que dans sa poitrine ardente
La France le couve et tente
De le faire éclore au jour !