Épaves (Prudhomme)/Pour la Fête du Travail au Musée Social
POUR LA FÊTE DU TRAVAIL
AU MUSÉE SOCIAL
L’homme au bout de ce siècle a-t-il rempli sa tâche ?
Qu’a-t-il fait des trésors qu’il avait hérités ?
— Il a sans cesse accru celui des vérités
Et libéré le bras par l’outil sans relâche ;
Et combien d’éléments, jadis ses ennemis,
Antique objet d’effroi pour l’ignorance lâche,
Il a pour son service affrontés et soumis !
Désormais toute force est son humble ouvrière ;
Colosse formidable, insoucieux du vent,
Le vaisseau glisse au gré d’un souffle plus savant ;
La roue impétueuse abat toute barrière ;
Sur l’heure un fil au loin transmet le signe écrit
Et prête à la parole une immense carrière,
Et la voix va survivre aux morts, sœur de l’esprit.
Mainte richesse, hier inconnue et murée,
Des roches qu’on foudroie émerge et luit au jour,
Maint désert s’apprivoise et se dore au labour,
Et des plus longs trajets si brève est la durée,
Si nombreux, si chargés se pressent les convois,
Qu’aujourd’hui la famine est partout conjurée ;
La peste enfin recule, implacable autrefois.
Que te manque-t-il donc, ô noble race humaine,
Pour fonder ton bonheur sur le globe asservi,
Pour que, par mille engins secondée à l’envi,
D’un pôle à l’autre en paix ta force s’y promène.
Et pour que ton génie, affranchi du besoin,
Après t’avoir sacrée ici-bas souveraine,
Te rêve au ciel un trône et s’y cherche un témoin ?
Il te reste, ô dompteuse ! à te dompter toi-même,
À vaincre l’injustice et la discorde en toi,
À connaître, ô savante ! hélas ! ta propre loi.
Or c’est pour éclairer cet antique problème,
En sonder de sang-froid toute la profondeur,
Te faire dignement porter ton diadème
Et t’enseigner un sort conforme à ta grandeur ;
C’est pour interroger tous les peuples du monde,
Offrir en un faisceau les rayons égarés
Des flambeaux par l’espace et le temps séparés
Et fournir à l’étude un jour qui la féconde ;
C’est pour sauver l’enfant, le pauvre, de la nuit,
L’oisif du sourd orage où sa sentence gronde,
Le gueux du crime où l’or avare et froid l’induit ;
C’est pour forcer la haine à déposer les armes
Dans une arène calme où le Vrai seul combat,
Où, ne daignant briller que de son propre éclat,
Il fuit l’ardent forum aux stériles vacarmes,
Montrer à tous la source et les canaux des biens,
Avec droiture acquis, possédés sans alarmes,
Gage et prix des vertus qui font les citoyens ;
C’est pour tous ces bienfaits qu’en cette large enceinte
S’unissent, par la même ambition mêlés,
Les chercheurs à la fois patients et zélés,
Contre les violents ligue robuste et sainte.
Ils savent que les grands, les seuls législateurs,
Ce sont les rapports vrais des choses, et sans feinte,
Sans trouble, ils font parler ces rois sur les hauteurs.
Ils ne descendent pas sur la place publique
Où les rumeurs du nombre étouffent le conseil ;
Ils attirent vers eux, plus proche du soleil,
Au sommet d’où pour l’œil tout s’enchaîne et s’explique,
D’où les taches de sang ne se discernent plus,
Ils font monter l’élite austère et pacifique
Où le peuple à son tour puisera ses élus.
Reconnaissance, honneur à la main généreuse
Qui, pour fonder cette œuvre, en assurer l’essor,
Détournant du chemin vulgaire un fleuve d’or,
En comble le fossé que la Fortune creuse
Entre les hommes nés sous des astres divers,
Et donne à la Patrie, avec l’art d’être heureuse,
Un exemple d’amour qui serve à l’Univers.