Émile Zola : l’homme & l’œuvre/Ses débuts littéraires


Ses débuts littéraires

Ces jalons posés, et ils étaient nécessaires pour expliquer le tempérament littéraire de cet écrivain qui, pauvre à ses débuts, semble vouloir se consoler de ses misères par les rêves de la poésie et les gaîtés de contes joyeux imités d’Alfred de Musset, et qui, riche, le succès battant son plein à sa porte, pimente les voluptés attiédies de sa vie luxueuse par la crudité descriptive des vices et des misères les plus bas et les plus crapuleux. On ne peut expliquer cette antithèse de procédé que par un déséquilibrement intellectuel ou un manque de sens moral : dégénérescence des facultés ou exploitation d’un genre. Or, comme son talent a plutôt gagné et grandi en prose qu’en poésie, on est forcé d’admettre qu’il s’est fait naturaliste, non par conviction ni amour de l’art, mais par spéculation littéraire. « C’est un crime, a écrit Zola, dans son Prix de Rome littéraire, La Vie littéraire, 15 novembre 1877 et Roman expérimental, p. 348, que d’entretenir l’orgueil des médiocrités. » Je suis de votre avis et, pour vous le prouver, je remets ici sous vos yeux les titres de vos poèmes mort-nés et de vos nombreux vers, heureusement toujours emmaillotés dans leurs premiers langes ; leur père leur a rendu un bien mauvais service en les confiant à Paul Alexis. Au fait, ils n’ont changé que de linge, ils en avaient peut-être besoin.

Zola, en 1859, entre les deux épreuves malheureuses de son baccalauréat, composa la Fée amoureuse, le plus ancien de ses contes, imprimé dans la Provence, journal d’Aix, et Rodolpho, son premier poème.

D’avril à octobre 1860, il écrivit un des premiers Contes à Ninon, le Carnet de danses et Paolo, grand poème imité d’Alfred de Musset.

L’Aérienne, troisième grand poème, fut composé rue Saint-Etienne du Mont, d’octobre 1860 à avril 1861. Ces trois poèmes, sorte d’amoureuse comédie, ou trilogie de l’amour, représentent : Rodolplio, l’enfer de l’amour ; l’Aérienne, le purgatoire, et Paolo, le ciel. Cet effort dantesque épuisé, il rêva une autre trilogie qui devait, sous le titre de la Genèse, comprendre trois poèmes scientifiques et philosophiques : la Naissance du monde, l’Humanité, l’Homme de l’avenir, l’Homme devenant Dieu.

Le plan était audacieux ; il dépassait tous les épiques… en sublimité ; la matière était immense, il se mit ardemment à cette œuvre titanesque et fit… huit vers, un vers de plus que la création n’avait exigé de jours, les voici :

Toi qui vis, ignorant la naissance et la mort,
Principe créateur, seule Force première,
Qui d’un souille vivant souleva la matière,
Du prophète inspiré donne-moi l’aile d’or.
Je chanterai ton œuvre et, sur elle tracée,
Dans l’espace et les temps je lirai ta pensée.
Je monterai vers toi, par ton souffle emporté,
T’offrir ce chant mortel de l’immortalité.

Dieu l’emporta si peu haut, ou le laissa tomber si bas dans le… naturalisme de l’animalité humaine, qu’au lieu d’être l’oiseau à aile d’or du prophète, il n’en est que la mouche à… ; mais n’anticipons pas : nous sommes aux vers de Zola, tenons-nous-en à ce mets littéraire, il est moins trivial, sinon meilleur que l’autre.