Émile Zola : l’homme & l’œuvre/L’Œuvre


L’ŒUVRE


Des obscènes fameux : Piron, Sade, Arétin,
Dépassant dans sa prose, immoral écrivain,
De leurs livres flétris, le classique érotisme,
Zola les fait rougir par son naturalisme.


J’aborde la partie la plus importante et la plus scabreuse de cette étude ; il s’agit de démontrer que tout son arsenal scientifique n’est qu’une mystification littéraire qui dissimule, sous une formule nouvelle empruntée à Claude Bernard, les procédés de l’érotisme le plus trivial et le plus ordurier. Il n’y a de différence entre les érotomanes connus et Émile Zola qu’une seule, et elle n’est pas en sa faveur : c’est que, dans leurs obscénités, ils respectent la langue et les convenances sociales, et que lui les salit encore par l’ordure de ses mots et de ses descriptions ; craignant de présenter des personnages encore trop propres à la curiosité névrosée de ses lecteurs, il choisit, dans la canaille, ce qui est le plus crapuleux, et dans le malpropre, ce qui est le plus fangeux. Pour couvrir cette marchandise, la faire passer et même rechercher, tous les goûts sont dans le naturalisme ; il fallait trouver une étiquette imposante qui fit hésiter les foudres de la loi et une formule savoureuse qui amorçât les appétits blasés de nombreux lecteurs. Ce qu’il allait servir dans son œuvre n’était pas nouveau ; ça remontait bien plus haut que Balzac, que Stendhal qui, eux, seraient bien surpris d’être dénoncés comme les pères de ce bâtard, ça remontait du grammatical Gamiani à l’Âne d’Apulée, cet âne égrillard et paillard qu’on trouve et retrouve dans toutes les insanités érotiques ; mais il fallait, par un tour de plume, persuader que non seulement c’était nouveau, mais encore scientifique. L’érotisme, c’est-à-dire le virus immoral, le prurit littéraire, présenté sous le titre de naturalisme comme une science d’expérimentation morale, d’évolution civilisatrice, de perfectionnement social, de progrès humain, est-ce une sottise ou une ironie ?

Une page prise dans le Journal des Goncourt, tome V, p. 314, répondra peut-être à cette question : Flaubert attaquant les préfaces, les doctrines, les professions de foi naturalistes de Zola, celui-ci répond à peu près ceci : « Vous, vous avez une petite fortune qui vous a permis de vous affranchir de beaucoup de choses… ; moi, ma vie, j’ai été obligé de la gagner absolument avec ma plume ; moi, j’ai été obligé de passer par toutes sortes d’écritures, oui, d’écritures méprisables… Eh ! mon Dieu ! je me moque comme vous de ce mot naturalisme, et cependant, je le répéterai, parce qu’il faut un baptême aux choses, pour que le public les croie neuves… Voyez-vous, je fais deux parts dans ce que j’écris : il y a mes œuvres, avec lesquelles on me juge et avec lesquelles je désire être jugé, puis il y a mon feuilleton du Bien Public, mes articles de Russie, ma correspondance de Marseille, qui ne me sont de rien, que je rejette, et qui ne sont que pour faire mousser mes livres. J’ai d’abord posé un clou, et d’un coup de marteau je l’ai fait entrer d’un centimètre dans la cervelle du public, puis, d’un second coup, je l’ai fait entrer de deux centimètres… Eh bien, mon marteau, c’est le journalisme, que je fais moi-même autour de mes œuvres. »

Cette citation nous donne la raison qui l’a fait écrivain naturaliste. Une autre des mêmes auteurs, tome V, p. 150, nous explique le motif qui le fait démocrate naturaliste : « Vendredi, 13 novembre 1874, à déjeuner chez la princesse Mathilde, à propos de Zola, dont le nom a été prononcé par moi, et qu’on abîme comme démocrate, je ne puis pas m’empêcher de crier : « Mais c’est la faute de l’Empire. Zola n’avait pas le sou. Il avait une femme, une mère à nourrir. Il n’avait pas d’abord d’opinion publique. Vous l’auriez eu avec tant d’autres, si on avait voulu. Il n’a trouvé à placer sa copie que dans les journaux démocratiques. Eh bien, en vivant tous les jours avec ces gens, il est devenu démocrate. C’est tout naturel… » Donc, écrivain naturaliste, parce qu’il a besoin, pour gagner de l’argent, que le public croie que les choses qu’il écrit sont neuves, et démocrate naturaliste, parce que les journaux démocratiques lui font gagner un argent que les autres lui refusent ; donc, s’il a baptisé son genre naturalisme, ce n’est pas par sottise, mais par ironie, il me répugne trop de dire par calcul.