Traduction par Pierre de Nolhac.
Garnier-Flammarion (p. 20).

VII. — Vous savez donc mon nom, hommes… Quelle épithète ajouter ? Archifous ? soit ! La déesse Folie ne peut qualifier plus honnêtement ses fidèles. Mais on ne sait guère d’où je viens, et c’est ce que j’essayerai de vous expliquer, avec le bon vouloir des Muses.

Le Chaos, ni Orcus, ni Saturne, ni Japet, aucun de ces dieux désuets et poussiéreux ne fut mon père. Je suis née de Plutus, géniteur unique des hommes et des Dieux, n’en déplaise à Homère et à Hésiode et même à Jupiter. Un simple geste de lui, aujourd’hui comme jadis, bouleverse le monde sacré et le monde profane ; c’est lui qui règle à son gré guerres, paix, gouvernements, conseils, tribunaux, comices, mariages, traités, alliances, lois, arts, plaisir, travail… le souffle me manque… toutes les affaires publiques et privées des mortels. Sans son aide, le peuple entier des divinités poétiques, disons mieux, les grands Dieux eux-mêmes n’existeraient pas, ou du moins feraient maigre chère au logis. Celui qui a irrité Plutus, Pallas en personne ne le sauverait pas ; celui qu’il protège, peut faire la nique même à Jupiter tonnant. Tel est mon père, et je m’en vante. Il ne m’a point engendrée de son cerveau, comme Jupiter cette triste et farouche Pallas, mais il m’a fait naître de la Jeunesse, la plus délicieuse de toutes les nymphes et la plus gaie. Entre eux, nul lien du fâcheux mariage, bon à produire un forgeron boiteux tel que Vulcain, mais le commerce de l’Amour seulement, comme dit notre Homère, ce qui est infiniment plus doux. Ne pensez pas, je vous prie, au Plutus d’Aristophane, lequel est un vieux cacochyme et n’y voit plus ; mon père fut un Plutus encore intact, tout échauffé de jeunesse, et pas seulement par sa jeunesse, mais par le nectar qu’il venait, sans doute, de lamper largement au banquet des Dieux.