CHAPITRE XXI.

Le Trône.


À considérer les préjugés reçus, on dirait que plus on est méchant, plus on est terrible, plus aussi on est respecté des mortels : si la crainte fit les dieux, la terreur est la mère des rois.

On a décerné au lion les honneurs de la royauté : quel est donc son titre pour aspirer à ce rang suprême ? Il est le plus cruel, le plus sanguinaire des animaux : Est-ce donc en égorgeant ses sujets, qu’on règne sur eux ? La barbarie serait-elle la fille aînée des rois ?

J’ai une idée plus grande, plus sublime du pouvoir suprême. Un roi doit être juste, éclairé, bienfaisant : chargé de veiller sur le bonheur des autres, il doit se sacrifier pour les rendre heureux. Concilier le bien être général avec l’intérêt de chaque particulier, voilà le but de ses travaux. Si vous mettez sur le trône un cœur barbare, un monstre, ce n’est point un roi ; c’est le fléau de l’univers.

Que le lion[1] cesse donc d’usurper un titre qu’il ne mérita jamais ; un roi doit être le père de ses sujets ; le lion en est le bourreau. Il s’abreuve de leur sang, il se nourrit de leur chair : est-il dans la nature un monstre plus détestable ? Fuyons loin des lieux qu’il habite. Il est dangereux d’être auprès des tyrans.

Le cheval est trop fier, trop plein de lui-même pour monter sur le trône. Un roi doit être populaire, la dureté ne doit point siéger dans son cœur. Élevé au-dessus des autres, il n’en est pas moins leur égal ; il est faible et mortel comme eux. Le cheval n’est occupé que de lui-même, audacieux, plein de feu, il voudrait être adoré. Un roi ne doit être que bien aimé.

Sera-ce au mouton que nous donnerons le diadême ? Il est doux, paisible, compatissant, il fera des heureux. Vous vous trompez : les deux extrémités sont également à redouter sur le trône. Un prince méchant et un roi trop bon, s’avancent d’un pas égal vers la tyrannie. Le premier y marche tout seul ; le second s’y trouve porté par ceux qui l’environnent ; voilà la seule différence.

Vous savez[2] ce qui arriva autrefois au singe, lorsque les animaux le déclarèrent leur roi ; des grimaces, des gambades, des singeries lui méritèrent cette gloire, mais le jour même il tomba dans un piège… Avec beaucoup d’esprit on peut plaire aux hommes. Ce n’est pas assez pour régner sur eux.

Le renard est adroit, dissimulé : ces deux qualités lui placeraient-elles la couronne sur la tête ? On a dit que qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner. Le renard sera donc un monarque accompli, il dissimulera toujours. Que le ciel écarte un pareil prince du trône ; une tyrannie ouverte est moins terrible qu’une politique cachée. Si la vérité était exilée de la terre, elle devrait encore se trouver dans la bouche des rois ; voilà l’oracle des souverains. Je vois encore le coq et le paon sur les rangs ; mais ni l’un ni l’autre n’aura mon suffrage. Le premier sacrifierait tout à ses plaisirs ; le second ferait tout servir à son faste. Ce n’est point pour eux, c’est pour leurs peuples que règnent les rois.

Il ne nous reste plus que l’âne. Pourquoi l’écarterions-nous du trône ? Il n’est ni ambitieux, ni rusé ni méchant ; s’il est paisible, il a de la fermeté et du courage dans l’occasion. Laborieux, sobre, vigilant, il a toutes les qualités nécessaires pour faire un bon roi et un grand prince. Son règne sera celui de l’équité : un roi juste n’a jamais fait de malheureux.


  1. Voyez à ce sujet la fable de La Fontaine, qui a pour titre : la Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion ; elle confirme ce que j’avance. Celle qui a pour titre, la cour du Lion, en est aussi une preuve.
  2. C’est le sujet d’une fable de La Fontaine ; elle a pour titre : le Renard, les Singes et les Animaux. Voici les deux derniers vers :

    Il fut démis ; et l’on tomba d’accord,
    Qu’à peu de gens, convient le Diadême.