CHAPITRE XI.

Travaux de l’âne.


Si l’utilité des services qu’on rend à la société, est la mesure de la reconnaissance et de l’estime qu’on doit en attendre, nul animal sur la terre n’a des espérances plus grandes, plus flatteuses que l’âne. Il traîne, il porte, il laboure, il est propre à tout. C’est un ressort perpétuel, il ne repose presque jamais.

Vous qui coulez votre vie dans une noble indolence, et méprisez nos baudets, illustres fainéants ! Venez à Montmartre, et vous serez témoins de leurs travaux. Depuis le lever de l’aurore, jusqu’au coucher du soleil, ils vont, ils viennent ; un sac de farine sur le dos ; ils travaillent sans relâche, ils s’occupent toujours.

Je ne suis plus jeune, et cependant je n’ai jamais vu nos baudets babiller au milieu des rues, ni s’amuser à regarder un singe qui gambade, une marmotte qui danse : un âne est au-dessus de ces sottises.

En vain le fier Aquilon déchaîné dans la plaine, a forcé les Babyloniens à prendre des manchons ; en vain la brûlante canicule a plongé les deux tiers des Babyloniens dans le bourbier de l’Euphrate, l’âne brave la rigueur de ces deux saisons. À toute heure, en tout temps, sans manchon, sans éventail, il va d’un pas ferme au moulin, il en revient de même.

Faut-il porter à Babylone les denrées nécessaires à la vie ? il reçoit également le fardeau qu’on lui impose. Pour arriver de bonne heure dans cette ville ingrate, il interrompt son sommeil, il marche une partie de la nuit, et tandis que les ânes de Babylone reposent encore, il a déjà contribué à leurs plaisirs.

Ô baudets, utiles baudets ! Arrêtez ; n’allez pas dans cette ville superbe : faites lui sentir au moins pendant huit jours, la nécessité des services que vous lui rendez, et qu’elle affecte de méconnaître. Mais non : continuez votre route, généreux baudets ! Il est grand, il est beau de faire des ingrats.