Éloge de Montaigne/Première partie

Charles Pougens (p. 11-54).


PREMIÈRE PARTIE.


Michel de Montaigne naquit le 23 février 1533, au château dont il porta le nom. Je ne dirai rien de ses aïeux ; il fut grand par lui-même, et ses écrits l’honorent plus que n’auroient pu le faire ses titres, dans un temps où on les comptoit pour quelque chose. Personne n’a plus de droit que lui au nom de Philosophe, puisqu’aucun écrivain n’a montré un désir plus vif d’éclairer ses semblables, et n’a contribué plus que lui, à l’anéantissement de leurs préjugés, source trop féconde de nos vices et de nos erreurs.

Il est des hommes créés par leur siècle ; Montaigne étoit destiné à former le sien. Les savans exilés de la Grèce par le despotisme, avoient trouvé un asile dans les États de Médicis, et de la protection à la cour de François Ier : la munificence de ce prince avoit tiré le génie de son assoupissement, il avoit révélé à ses peuples, le secret de leurs talens ; mais l’on n’avoit encore vu que des savans : l’art de subtiliser sur des équivoques, de paroître approfondir d’abstraites chimères, et de commenter ce que l’on ne pouvoit comprendre, usurpoit et profanoit le nom de Philosophie ; on ne rougissoit pas de rendre hommage aux insipides scolastiques, qui, après avoir étudié péniblement les questions obscures d’une ontologie puérile, et une physique moins appuyée sur des expériences que sur des suppositions, travailloient à communiquer la vénération superstitieuse qu’on leur avoit inspirée pour le dogme des Péripatéticiens ; sectaires enthousiastes du précepteur d’Alexandre, ils ne savoient pas admirer son Art poétique, son Histoire naturelle, et les autres productions de ce vaste génie, tandis qu’ils cherchoient l’infaillibilité du raisonnement dans sa Métaphysique.

Montaigne a osé appeler de la doctrine d’Aristote au tribunal de la raison, substituer la clarté et la précision des idées au langage inintelligible introduit dans les écoles, et renverser les autels que le pédantisme avoit élevés au chef des Péripatéticiens.

Il mérita le titre de Philosophe, non en égarant les esprits, mais en les éclairant ; non en amusant la curiosité des hommes, mais en les prémunissant contre l’erreur. Né avec un esprit observateur, il auroit pu se frayer une route à la célébrité, en mesurant la marche des globes semés dans le vague des cieux, en soumettant à son calcul les lois du mouvement et de la gravitation, en perfectionnant la science de maîtriser les élémens et de les plier à notre industrie, en dirigeant la marche des navigateurs téméraires qui ont jeté un pont de communication entre les mondes que sépare l’immensité des mers ; sans doute il eût alors mérité de voir son nom inscrit parmi ceux des savans qui ont soulevé une partie du voile derrière lequel la nature se plaît à se cacher : mais la science d’étudier l’homme pour le perfectionner, paroît à Montaigne, comme à Platon et à Socrate, la science la plus digne de l’homme. « Le gain de notre étude, disoit-il, c’est en être devenus meilleurs et plus sages : avez-vous su composer vos mœurs ; vous avez plus fait que celui qui a composé des livres ».

À peine sorti de l’enfance, Montaigne gémissoit déjà en voyant le joug des préjugés s’appesantir sur nos têtes, et captiver en nous cette liberté sans laquelle nous perdons et l’enthousiasme qui entreprend les grandes choses, et la force qui les fait exécuter.

Pour nous soustraire à cette servitude, il nous démontre que nous ne devons rien admirer sur parole, ne jamais décider qu’après l’examen, ne prononcer qu’avec circonspection, douter lorsque la vérité n’est pas suffisamment connue ; nous mettre en garde contre nos sens, si faciles à tromper, contre notre imagination, vrai microscope de l’esprit, qui grossit tous les objets ; contre les passions, qui les voient moins comme ils sont que comme elles désirent qu’ils soient ; contre l’ascendant qu’exercent sur nos âmes l’éloquence persuasive du génie et la voix impérieuse de l’exemple : tels sont les principes philosophiques de Montaigne.

Il s’en sert pour examiner l’ordre immuable qui prescrit à chaque être la place qu’il doit occuper dans la chaîne du grand tout : pour approfondir les causes qui font de l’homme un assemblage étonnant de pusillanimité et de courage, de foiblesse et de force, de bassesse et d’élévation, de vices et de vertus ; pour calculer l’influence de nos sens sur nos jugemens, et de nos lois sur nos mœurs. Voyez avec quelle sagacité, à travers le nuage que forment autour de nous les usages qui nous asservissent, les opinions qui nous tyrannisent et les passions qui nous subjuguent, il distingue l’homme dégradé ou perfectionné par les institutions sociales. Après nous avoir appris à nous connoître, il nous fait envisager nos dévoirs ; et nous prouvant que notre fidélité à les remplir, est la mesure de notre félicité, il nous mène par l’amour de nous-mêmes à l’amour de la vertu. Qu’elle est intéressante sous son pinceau ! Une pente douce et fleurie nous conduit à son sanctuaire ; là, placée sur un trône simple et modeste, elle attire ses adorateurs, leur communique la paix qui règne dans son ame, et la gaieté touchante qui rayonne dans ses yeux. Des nœuds de fleurs sont la chaîne qu’elle leur présente ; ils préfèrent son esclavage à la liberté : les moralistes qui nous ont montré la vertu sous de pareilles images, en ont pris le modèle dans Montaigne.

« La vertu, dit-il, n’est pas, comme veulent le faire croire ceux qui ne l’ont pas hantée, plantée à la tête d’un mont raboteux ; mais au rebours, logée dans une plaine dont les routes sont gazonnées et fleurantes : elle a pour guide nature, et pour compagne l’innocence. Ceux qui ne peuvent l’aborder en ont fait une image triste, mineuse et quinteuse. Socrate fut la chercher au ciel où elle perdoit son tems, pour la ramener chez les hommes, qui avoient grand besoin de sa présence ».

C’est donc à Montaigne que nous devons en partie l’amour que les moralistes nous ont inspiré pour la vertu : nous lui devons aussi presque tout ce que nous admirons dans leurs traités sur l’éducation ; ce qu’ils ont écrit de raisonnable sur cette matière n’est qu’un commentaire où ses idées sont souvent affoiblies par leurs développemens ; et ce qu’ils ont ajouté à ses principes annonce peut-être plus de singularité que de profondeur, et moins la passion d’instruire que celle de se distinguer.

Ô vous à qui la patrie a confié le soin de lui préparer des citoyens, lisez et relisez le chapitre dans lequel Montaigne vous engage à augmenter, dans vos élèves, la force du corps qui influe tant sur celle de l’âme, à les occuper moins des mots que du sens des auteurs, à perfectionner leur jugement en les accoutumant à penser et à juger les pensées des autres, à fortifier par des exemples les heureuses dispositions qu’ils doivent à leur constitution naturelle, et à les prémunir contre la superstition, qui n’est que la religion des âmes foibles.

Écrivains supérieurs que la nature a destinés pour être les guides des autres hommes, n’oubliez jamais qu’un principe faux en morale peut faire le malheur de votre siècle et préparer celui des générations futures ; souvenez-vous qu’on ne peut affoiblir le respect dû à la divinité, sans diminuer celui que réclament les lois, sans relâcher le lien social : la raison ne veut ni miracles ni victimes, mais le cœur de l’homme veut un Dieu.

Si Montaigne eût abusé de son génie pour prêcher le matérialisme, je rougirois de célébrer ses talens ; mais lorsque je le vois s’élever contre l’audace des écrivains sacrilèges qui, voulant deviner Dieu par leurs analogies et leurs conjectures, l’abaissent jusqu’à eux dans l’impuissance de s’élever jusqu’à lui, puis-je souscrire aux accusations intentées contre ce philosophe ? La probité et la franchise sont deux qualités qu’on ne peut refuser à Montaigne : ses doutes sur d’autres objets percent dans ses écrits ; s’il en eût eu sur la divinité, eût-il craint de les avouer dans un temps où les opinions de Luther, adoptées par l’Allemagne, trouvoient des apologistes en France ; dans un temps où plusieurs provinces, rebelles aux ordonnances de Henri II, accueilloient les sectateurs de Calvin ; dans un temps où la fermentation des esprits les disposoit à recevoir tous les systèmes marqués au coin de la nouveauté ou de l’audace ? Montaigne a dit, il est vrai, que philosopher c’est douter ; mais en s’élevant contre la précipitation qui enfante les erreurs, et contre la crédulité qui les éternise, il a prouvé seulement qu’il étoit philosophe : cette suspension de jugement, ce doute méthodique, est, dans la recherche de la vérité, ce qu’est la prudence dans la conduite de la vie ; c’est la boussole sans laquelle le navigateur ne peut ni prévoir les écueils, ni mesurer les distances ; c’est le guide sans lequel le voyageur s’égare dans des régions inconnues. Qu’on cesse donc d’écouter les calomnies des écrivains qui ont intérêt de faire soupçonner ses opinions, et de se rendre aux accusations de ces échos de la littérature, qui aiment mieux le condamner que d’apprendre à le lire ; ses ouvrages seront toujours son apologie. On lui reproche de n’avoir pas mis assez de différence entre l’homme et la brute[1]. L’homme, placé au milieu des miracles de l’univers pour en jouir avec les autres animaux, mais seul capable de réfléchir sur ses jouissances, de rapporter les effets aux causes, les conséquences aux principes, ne doit pas, il est vrai, leur être comparé ; mais Montaigne ne peut s’accoutumer à regarder comme de purs automates, ce castor qui nous a donné les premières leçons d’architecture, cette république d’abeilles qui nous offre l’exemple de la police la plus sage, ces fourmis dont nous ne pouvons trop imiter la prévoyante économie, cet animal domestique, symbole de la fidélité, modèle de la reconnoissance, qui étudie les regards de son maître pour prévenir ses volontés, et qui sollicite des caresses pour prix de son attachement. Trop sensible pour croire que les bêtes ne soient que des machines, il lui en auroit trop coûté d’attribuer à je ne sais quelle faculté que l’on appelle instinct, des ouvrages qui rivalisent les nôtres : de là naît sa prévention pour ces animaux industrieux qui nous offrent souvent des modèles des vertus sociales et des leçons dans les arts.

Parlons de ce philosophe d’une manière digne de lui, sans prévention et sans partialité : avouons qu’il n’a pas assez saisi la différence qui distingue le seul être raisonnable des autres animaux ; qu’il n’a point vu assez clairement que l’homme, qui peut leur être comparé par l’organisation et le sentiment, diffère entièrement d’eux par l’intelligence. Mais quelques erreurs dont il faut moins accuser Montaigne que son siècle, ne peuvent nous dispenser de tout ce que nous lui devons pour avoir agrandi la sphère de nos connoissances ; c’est un arbre chargé de fruits dont il faut respecter le tronc en élaguant quelques branches qui le déparent : bien différent de nos prétendus philosophes modernes, qui déclament contre une érudition qu’il est plus facile de décrier que d’acquérir, il enrichit sa philosophie d’une littérature variée.

« Le savoir, dit-il, est le plus noble acquêt des hommes ; mais ceux-là seulement qui se rapportent de leur entendement à leur mémoire et ne voient que par livres, je les hais plus que la bêtise. Il vaut mieux, disoit-il encore, forger son esprit que de le meubler, et s’accoutumer à penser, que charger sa mémoire des pensées d’autrui ».

Mais il sait néanmoins que l’imagination s’étend par la vue d’un grand nombre d’objets, que notre jugement se fortifie par la comparaison de nos idées avec celles des autres hommes, que le pays le plus favorisé de la nature s’embellit encore lorsqu’on ajoute aux productions indigènes, celles des autres contrées : il pense que rien ne contribue plus à former la raison, que la mémoire, appelée par Cicéron le trésor universel de toutes les sciences, nommée par Platon la nourrice de l’esprit, et regardée par les mythologues comme la mère des neuf Muses. « C’est, dit Montaigne, un outil d’un merveilleux service que la mémoire, et sans lequel le jugement a de la peine à faire son office. »

Ce qui est un travail pour les hommes ordinaires, est un jeu pour notre philosophe ; il semble plutôt deviner qu’apprendre les langues, qui sont les clefs des sciences. Son père avoit adopté pour son instruction une méthode qui fait la censure de la nôtre : l’instituteur et les domestiques du jeune Montaigne avoient ordre de ne parler que latin devant lui. L’élève apprit la langue des Romains comme nous apprenons la nôtre, avec succès et sans efforts : dans un âge destiné à enrichir la mémoire, il faut ménager le jugement ; un exercice prématuré détend ses ressorts.

La ville[2] qui a développé le germe du génie philosophique de Montaigne, accueilloit déjà les gens de lettres ; il eut l’avantage d’y recevoir les leçons des Buchanan et des Muret. Dès l’aurore de sa vie, il ravissoit au sommeil un temps qui lui est destiné, pour lire les auteurs anciens qui ont surpris à la nature les règles de l’art, et pour dérober à l’histoire cette sagesse anticipée qui supplée à la lenteur de l’expérience.

Éclairé du flambeau de la critique, il ne voit qu’un roman dans Hérodote, lorsque celui-ci raconte ce qu’il n’a pas vu ; il aperçoit la prévention de Dion pour César, de Tite-Live pour Pompée, de Patercule pour Tibère, de Quinte-Curce pour Alexandre. Persuadé que les historiens sont susceptibles d’adulation ou de haine lorsqu’ils sont contemporains, et de crédulité lorsqu’ils ne le sont plus, il mesure la confiance qu’il leur accorde, sur les divers intérêts qui ont conduit leur plume. À travers le récit des événemens, il pénètre les causes qui les ont produits, les changemens qu’ils annoncent, l’influence qu’ils ont eue ou qu’ils auront sur les mœurs ; il trouve dans cette immense lecture, la connoissance des hommes qu’il veut éclairer, et les exemples propres à étayer les instructions qu’il leur destine. Dans les voyages qu’il fit en Allemagne, en Suisse et en Italie, il n’observa pas moins les procédés des arts que les mœurs et la législation ; mais Rome, cette ville superbe que la nature entoura de ses miracles, que l’art enrichit de ses prodiges, fut le principal motif de ses voyages : avec quel enthousiasme il visitoit tantôt les ateliers où le génie donne du relief à la toile et de la flexibilité au marbre ; tantôt ces édifices où l’élégance, unie à la majesté, étonne l’esprit et charme les yeux ; tantôt ces monumens que la reconnoissance fit élever au patriotisme : il fut sur-tout frappé de la grande correction de dessin, des attitudes extraordinaires, de la hardiesse des traits qui caractérisent les ouvrages de Michel Ange. L’écrivain qui ressemble le plus à ce grand peintre devoit l’admirer ; Montaigne en a souvent l’élévation, quelquefois la rudesse, et toujours l’énergie. En même temps qu’il puisoit dans les chefs-d’œuvre des arts une foule d’idées, de métaphores et de comparaisons, il alloit dans les bibliothèques des savans, et dans les cabinets des antiquaires, enrichir son esprit d’une littérature choisie, qui lui sert à embellir la morale, à prévenir le dégoût des préceptes, et à donner, par des citations et des autorités, plus de poids à ses raisonnemens. De là cette heureuse facilité qui est au style ce que l’aisance est aux manières ; les expressions, les allusions, les images semblent se disputer son choix.

Ainsi un fleuve auquel plusieurs rivières paient le tribut de leurs ondes, n’en coule qu’avec plus de rapidité ; sa majesté s’accroît de l’abondance de ses eaux : ainsi la science prête de la vigueur aux preuves, et de l’éclat aux pensées. N’envions point à la paresse, la consolation d’accuser l’érudition de pédantisme, et de répéter qu’un homme qui pense n’a pas besoin d’étudier les pensées des autres ; mais avouons que dans les Essais de Montaigne, la littérature dont il déploie toutes les richesses est au profit des vérités qu’il a l’art de persuader. Il mérite donc nos éloges autant comme littérateur que comme philosophe ; il les mérite sur-tout à titre d’écrivain de génie. Un des traits distinctifs du génie, est de présenter les objets sous un jour nouveau, de créer des images, et de donner aux preuves un air d’invention. Eh ! qui niera qu’en plaçant des idées et des faits dans sa mémoire, Montaigne ne sut se les approprier par un tour original, par le talent de saisir les rapports qui avoient échappé à la plupart des lecteurs, et encore plus par une manière singulière et énergique de les exprimer ? Trouve-t-on dans les écrivains qu’il a imités, ou dans ceux qui se sont efforcés de l’imiter lui-même, cette vigueur d’expressions toujours neuves, toujours pittoresques ?

Il n’est point du nombre de ces auteurs sans physionomie qui ressemblent à tous les autres ; Montaigne ne ressemble qu’à lui-même.

Quel écrivain a su mieux maîtriser sa langue, hasarder des termes dont on ne songe pas à condamner l’audace, enrichir notre grammaire, même en violant ses lois.

L’élégance que nous affectons depuis plus d’un siècle est le tombeau de l’énergie ; la lime diminue le poids du métal qu’elle polit. Que les puristes froids et pusillanimes, si communs dans un siècle où les esprits sont énervés, s’élèvent contre ces heureuses témérités ; Montaigne sera vengé par l’admiration des hommes de génie ; ils applaudiront sur-tout à cette activité de style qui transporte sous nos yeux les objets que l’auteur veut représenter à notre esprit, qui transforme les expressions en images, et les pensées en sentimens.

Loin de lui les circonlocutions pesantes ; elles annoncent moins l’indigence de la langue que la foiblesse de l’écrivain ; il va au rabais des mots, et cherche l’harmonie moins dans l’abondance que dans la force des expressions : loin de lui les tours ingénieusement symétriques ; ils décèlent un auteur plus occupé des mots que des choses. Le philosophe subordonne toujours à la pensée la manière de la rendre. Montaigne ressemble à ces grands peintres qui dédaignent de finir leurs ouvrages, qui jettent par groupes les figures et les draperies, dont la manière est forte et les contours bien prononcés. Son élocution, frappante par l’énergie, intéresse encore par sa candeur. Passez-moi ce terme, il me paroît propre à rendre la persuasion qu’il communique à son lecteur : on croit le voir en le lisant. Tout ce qu’il dit, il le sent ; sa plume semble plus obéir à son cœur qu’à son esprit ; ses réflexions partent de son caractère ; ses pensées sont un secret qui lui échappe.

Cette naïveté qui est un des traits caractéristiques du génie, cette analogie de l’esprit avec le caractère, sont peut-être la première source de l’intérêt qu’inspirent ses ouvrages ; elles font naître un sentiment plus flatteur que celui de l’admiration : on aime Montaigne, on regrette de ne l’avoir pas connu.

À la passion pour la vérité, qui annonce le vrai philosophe, aux connoissances variées qui forment le profond littérateur, il sait associer l’invention, l’activité, l’abandon, qui décèlent l’homme de génie. Il doit principalement la célébrité de son nom à l’usage qu’il a fait de son jugement, de sa mémoire et de son imagination. Ces trois facultés de l’esprit sont rarement réunies, et leur réunion forme l’écrivain supérieur. Mais si nous devons de l’admiration à ses talens, nous devons aussi des éloges à ses vertus. L’esprit n’est qu’un cadre ; c’est le cœur qui est le fond du tableau ; et ce tableau fut si parfait chez Montaigne, que je ne puis me dispenser d’en offrir une esquisse.



  1. Le privilège que l’homme s’attribue d’être seul, en ce grand bâtiment, qui ait la suffisance d’en reconnoître la beauté et les pièces, seul qui puisse en rendre grâces à l’architecte et tenir compte de la recette et mise du monde, qui lui a cédé ce privilège ? qu’il me montre lettres de cette belle charge ! etc.
  2. Bordeaux.