La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 117-120).

XXVII


C’est au mois de juin 1817 que la législature du Maryland accorda l’existence légale à la Congrégation des Sœurs de la Charité. C’est aussi en 1817 que les catholiques de New-York, touchés du bien opéré par les Sœurs à Philadelphie, voulurent avoir un orphelinat. Cette ville où Élisabeth avait été odieusement persécutée, elle allait y rentrer comme mère des pauvres, des abandonnés ; et, peu après, l’état de New-York confia aux religieuses huit cents enfants.

En construisant la maison d’Emmettsburg, M. Cooper et Mme Seton n’avaient songé qu’aux pauvres ; mais de riches catholiques avaient demandé aux Sœurs d’instruire leurs filles, et les supérieures avaient jugé qu’aux États-Unis on ne pouvait mieux servir les intérêts de la religion et de la société qu’en accordant à la classe influente le bienfait de l’éducation religieuse. Dès les premières années il y avait donc eu une académie à Emmottsburg.

À cette époque on y comptait soixante-dix élèves, « chères âmes que nous aimons, disait la mère Seton, et que nous préparons en silence à s’en aller dans le monde faire l’effet du bon levain ».

Son ascendant, sur ces jeunes filles était extraordinaire, et les trois enfants qui lui restaient avaient pour elle un véritable culte. Cependant, malgré le désir de complaire à sa mère, William ne put triompher de son goût pour la marine. Il quitta Livourne en 1817.


« William, écrivait Antonio Filicchi, vous reviendra avec cette lettre, en bonne santé s’il plaît à Dieu ; respectueux et tendre fils, et avec un cœur que rien n’a flétri, et toujours, je l’espère, ferme chrétien catholique. Je m’en remets à ce qu’il vous dira pour tout ce que vous désireriez d’ailleurs savoir. L’emploi de William auprès de moi pourrait être rempli par son jeune frère Richard, si vous pensez qu’il y soit propre et si la situation que je lui offre vous convient ainsi qu’à lui. Pour ma part, je me contenterai d’une bonne volonté et d’une bonne écriture ; et je suis tout prêt à agir pour lui comme j’ai fait pour William, Laissez-le tenter l’épreuve. Et par-dessus tout, ma sainte sœur, croyez-moi cordialement, dans toute l’étendue que ce mot peut avoir, votre ami le plus affectionné et le plus fraternel ».


Revoir son fils, l’embrasser, l’admirer dans la force élégante de sa jeunesse fut pour Élisabeth un bonheur que les mots n’expriment pas.

Elle accepta avec joie et reconnaissance la généreuse proposition d’Antonio Filicchi, et, peu après le départ de Richard pour Livourne, William entra dans la marine des États-Unis avec le rang de midshipman. De sa frégate l’Indépendance, il écrivait à sa mère :


« Si je n’écoutais que mon cœur, aucune joie sur terre ne pourrait m’éloigner de vous… Il y a un courant dans nos destinées. S’il n’en était pas ainsi, je ne concevrais pas ce qui a pu m’arracher d’auprès de vous. Je me plais toutefois à regarder en avant, vers le temps où, s’il plaît, à Dieu de me conserver, je vous tiendrai de nouveau dans mes bras ».


« Il y a tant de choses que votre mère devrait vous dire, répondait Élisabeth encore toute brisée de la séparation, mais elle est hors d’état de rien dire. Regardez en haut, fils bien-aimé de mon âme, levez les yeux vers ces cieux si purs, vous y lirez ce que votre mère voudrait vous dire, et vous y lirez aussi ce que vous diraient les âmes de nos bien-aimées que nous avons vues partir… Ne me refusez pas de vous retrouver là où nous ne nous séparerons jamais ».

« La vie est une mort, en vérité, dans une séparation si dure, écrivait-elle plus tard. Ce qu’on appelle la force d’âme, je crois que j’en sais quelque chose en toute rencontre ; mais celle-ci ébranle mon âme elle-même. Et vous savez bien pourquoi, mon bien-aimé ; ce n’est pas tant à cause de cette séparation momentanée si dure qu’elle soit, mais !… Dire de quelle façon je vous tiens enveloppé dans le plus profond de mon cœur, cela est impossible, ni même de vous en donner une idée… Ô mon enfant, mon cher enfant ! aimez-moi ! aimez-moi ! Vous savez de quelle manière et avec quelle preuve ».


À la fin de l’année 1818, une fluxion de poitrine mit la vie de la mère Seton en danger. De cette maladie, il lui resta une extrême faiblesse, mais elle n’en fut pas moins, à l’unanimité des voix, maintenue dans sa charge de supérieure.